En cause:
le recours en annulation totale ou partielle des articles 6, alinéas 2 à 4, 21, 62, § 1er, et 66 du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation », introduit par l'ASBL « ATD Quart Monde Belgique » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 septembre 2018 et parvenue au greffe le 2 octobre 2018, un recours en annulation totale des articles 6, alinéas 2, 5°, 7° et 8°, 3 et 4, 62, § 1er, et 66 du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation » (publié au Moniteur belge du 28 mars 2018) et en annulation partielle de l'article 21 du même décret a été introduit par l'ASBL « ATD Quart Monde Belgique », la « Confédération des Syndicats Chrétiens de Belgique », la « Fédération Générale du Travail de Belgique », l'ASBL « Rassemblement wallon pour le droit à l'habitat », l'ASBL « Présence et Action Culturelles », l'ASBL « Action Chrétienne Rurale des Femmes - Femmes en milieu rural », l'ASBL « ‘ Vie féminine ', Mouvement féministe d'action interculturelle et sociale », l'ASBL « Réseau wallon de lutte contre la pauvreté », l'ASBL « Fédération wallonne ‘ Rassemblement des Associations de Promotion du Logement ' », le « Mouvement Ouvrier Chrétien », l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme », l'ASBL « Centre National des Equipes Populaires », l'ASBL « Fédération des maisons d'accueil et des services d'aide aux sans-abri » et l'ASBL « Fédération des Services Sociaux », assistés et représentés par Me I. de Ghellinck, Me G. Goubau et Me V. van der Plancke, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me J. Roets, Me E. Cloots et Me S. Sottiaux, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, assisté et représenté par Me M. von Kuegelgen et Me L. Grauer, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Y. Ninane, avocat au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 18 décembre 2019, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs P. Nihoul et T. Merckx-Van Goey, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 15 janvier 2020 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le 15 janvier 2020.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II En droit
A Argument
Quant à la recevabilité du recours
A.1.1. Les première, quatrième à neuvième et onzième à quatorzième parties requérantes sont des ASBL dont le but statutaire comprend la lutte contre la pauvreté ou la défense du droit au logement pour les populations précarisées. Les deuxième, troisième et dixième parties requérantes sont des organisations syndicales constituées en groupement de fait. Elles estiment toutes avoir intérêt à demander l'annulation de dispositions susceptibles de porter atteinte au droit constitutionnel à pouvoir disposer d'un logement décent ou susceptibles de créer une discrimination dans l'accès au logement.
A.1.2. La recevabilité du recours n'est pas contestée.
Quant au premier moyen
A.2. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 2, paragraphe 1, et 11, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 16 et 30 de la Charte sociale européenne révisée, lus isolément ou en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il est divisé en quatre branches.
A.3.1. Le premier moyen, en sa première branche, vise l'article 6 du décret du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation » (ci-après : le décret du 15 mars 2018), en ses alinéas 2, 5°, 7° et 8°, 3 et 4.
A.3.2.1. Premièrement, les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'autoriser le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il produise une composition de ménage délivrée par la commune, ce qui représente un frein important dans l'accès au logement pour de nombreuses personnes qui ne sont pas inscrites sur un registre de la population, pour quelque raison que ce soit. Elles rappellent que l'illégalité et la précarité du séjour sur le territoire n'affectent pas le droit fondamental au logement. Elles estiment qu'en permettant aux bailleurs d'exiger la production d'un document que ces personnes ne seront pas en mesure de fournir, la disposition attaquée crée une discrimination injustifiée sur la base, selon les cas, de la nationalité ou de l'état de fortune. Elles ajoutent que l'exigence de production d'une composition de ménage est disproportionnée eu égard aux risques de discrimination dans l'accès au logement qu'elle entraîne, dès lors que la composition de ménage contient un nombre important d'informations sur la base desquelles les discriminations sont déjà fort fréquentes. Elles relèvent, enfin, que la composition de ménage n'est pas pertinente pour permettre au bailleur de connaître la composition de la famille qui emménagera dans le bien puisqu'elle renseigne sur la composition passée du ménage, composition qui peut évoluer lors du déménagement. Elles en déduisent qu'en permettant au bailleur d'exiger du candidat preneur qu'il produise une composition de ménage, la disposition attaquée instaure un mécanisme tout à fait inapproprié, qui n'est pas nécessaire ni proportionné, de sorte qu'elle est contraire à l'obligation de standstill contenue dans l'article 23, alinéa 2, de la Constitution.
A.3.2.2. Le Gouvernement wallon fait valoir que les parties requérantes se fondent sur une lecture erronée du texte de la disposition attaquée et des travaux préparatoires qui s'y rapportent. Il expose que cette disposition n'autorise pas le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il produise un acte d'état civil ou un certificat de composition de ménage, mais bien à solliciter les données générales relatives à la composition de son ménage, ce qui est justifié.
A.3.2.3. Les parties requérantes estiment que le texte de la disposition attaquée autorise diverses interprétations et que le législateur décrétal aurait dû utiliser les termes « le nombre de personnes qui composent le ménage » et non « la composition de ménage ». Elles ajoutent qu'au minimum, il aurait fallu écrire « la composition du ménage ».
A.3.3.1. Deuxièmement, les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir omis de préciser que le bailleur ne peut pas exiger du candidat preneur les justificatifs relatifs à l'origine de ses ressources financières, de sorte que la disposition attaquée n'offre pas, en matière d'accès au logement, suffisamment de garanties contre la discrimination fondée sur l'origine des revenus.
A.3.3.2. Le Gouvernement wallon rappelle que, sous l'ancienne réglementation, aucune disposition spécifique ne régissait les informations que le bailleur pouvait demander au candidat preneur. Il estime que le décret du 15 mars 2018, qui contient une liste précise et limitative des informations qui peuvent être demandées, constitue dès lors une avancée substantielle en la matière. Il précise que, puisque la disposition attaquée n'autorise pas le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il lui communique l'origine de ses revenus, le bailleur n'est pas autorisé à exiger cette information.
A.3.3.3. Les parties requérantes estiment que, telle qu'elle est rédigée, la disposition attaquée amènera les bailleurs à exiger les justificatifs des ressources financières des candidats preneurs et elles relèvent que ces justificatifs mentionnent nécessairement l'origine des ressources. Elles font valoir que ces informations vont jouer un effet de filtre et entraver l'accès au logement locatif pour les personnes fragilisées.
A.3.4.1. Troisièmement, les parties requérantes font grief au législateur décrétal de permettre au bailleur d'exiger du candidat preneur qu'il lui remette la preuve du paiement des trois derniers loyers, ce qui est impossible pour de nombreuses personnes, tels les anciens détenus, les personnes sans domicile fixe, les personnes logées chez des connaissances, les personnes quittant le domicile familial, les personnes en conflit avec leur ancien bailleur, etc. Elles considèrent qu'il s'agit d'un recul significatif dans la protection en matière d'accès au logement qui ne répond nullement à un objectif d'intérêt général, mais qui n'est dicté que par l'intérêt particulier des bailleurs et elles en déduisent que la disposition attaquée est contraire à l'obligation de standstill contenue dans l'article 23, alinéa 2, de la Constitution.
A.3.4.2. Le Gouvernement wallon expose que la disposition attaquée a pour but de rassurer le bailleur quant à la fiabilité du candidat preneur, sachant que ce n'est pas parce qu'une personne dispose de revenus suffisants qu'elle est nécessairement fiable. Il estime qu'il est légitime et raisonnable d'autoriser à cette fin le bailleur à solliciter la preuve du paiement des trois derniers mois de loyer et ajoute que le candidat preneur qui n'est pas à même de fournir cette preuve peut s'en expliquer et, le cas échéant, fournir une autre preuve de sa fiabilité. Il en conclut que la disposition attaquée procède d'un juste équilibre entre les droits des parties.
A.3.4.3. Les parties requérantes estiment que la disposition attaquée pose des difficultés pour les candidats preneurs qui ne sont pas en mesure de produire la preuve visée et qu'elle risque dans ce cas également de renforcer un a priori négatif des bailleurs à leur égard. Elles en concluent qu'il s'agit d'un recul significatif dans la protection du droit au logement qui n'est pas justifié par des motifs d'intérêt général.
A.3.5.1. Quatrièmement, les parties requérantes font grief au législateur décrétal, par l'adoption de l'alinéa 3 de l'article 6 du décret attaqué, de permettre au bailleur de solliciter des données au-delà de celles qui sont citées dans la liste, sans aucune possibilité de contrôle ou de recours. Elles relèvent que cet alinéa est contradictoire avec l'intention du législateur décrétal de limiter strictement les possibilités laissées aux bailleurs d'exiger des informations des candidats preneurs. Elles font valoir que cette disposition constitue un recul significatif dans la protection en matière d'accès au logement, que l'objectif recherché demeure obscur et ne sert en tout cas pas l'intérêt général et que le fait de laisser uniquement au bailleur le soin d'apprécier le caractère légitime et le motif sérieux des données supplémentaires qui sont demandées est disproportionné.
A.3.5.2. Le Gouvernement wallon estime que la critique des parties requérantes fait totalement fi des limites instaurées par l'article 6, alinéa 3, attaqué. Il rappelle que cette disposition est une exception au principe suivant lequel le bailleur ne peut exiger d'autres informations que celles qui sont énumérées par l'article 6, alinéa 2, et qu'elle doit donc être interprétée strictement. Il ajoute que le bailleur ne peut s'en prévaloir que s'il poursuit un but légitime et si sa demande est justifiée par des motifs sérieux et qu'elle est proportionnée à la finalité poursuivie. Il considère enfin que l'invocation de l'obligation de standstill est particulièrement étonnante, étant donné qu'aucune réglementation n'existait antérieurement, le décret attaqué constituant dès lors en tout cas un progrès et non un recul.
A.3.5.3. Les parties requérantes estiment qu'une liste exhaustive d'informations subsidiaires ou complémentaires pouvant être recueillies devrait être établie par arrêté réglementaire, après consultation des organisations représentatives des bailleurs et des locataires, parce que seul un encadrement strict permettrait de mettre un terme à la perpétuation des préjugés éventuels des bailleurs. Elles considèrent qu'en l'absence de cette garantie, la disposition attaquée comporte un risque important de discrimination et d'exclusion.
A.3.6.1. Cinquièmement, les parties requérantes poursuivent l'annulation de l'article 6, alinéa 4, attaqué. Elles estiment tout d'abord que cette disposition est source d'insécurité juridique en ce qu'elle n'établit pas clairement que les seuls opérateurs immobiliers visés sont les opérateurs immobiliers au sens du Code wallon du Logement et de l'Habitat durable (devenu le Code wallon de l'habitation durable en vertu du décret du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue d'y insérer la notion d'habitation légère »). Elles rappellent ensuite que beaucoup de dérives existent actuellement dans la pratique des agences immobilières sociales et estiment que la disposition attaquée n'offre pas de garanties suffisantes contre les abus de ces agences.
A.3.6.2. Le Gouvernement wallon rappelle que les opérateurs privés ne sont pas habilités à exercer les missions des opérateurs immobiliers définies par le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable, de sorte qu'il n'est pas sérieux de soutenir que l'article 6, alinéa 4, attaqué, viserait tant les opérateurs publics que les opérateurs privés. Pour le surplus, il relève que la circonstance que des destinataires d'une norme agissent en violation de celle-ci ou de la Constitution n'a pas pour effet de rendre cette norme inconstitutionnelle.
A.3.6.3. Les parties requérantes estiment que la disposition attaquée est inconstitutionnelle en raison de son caractère flou et général, qui laisse beaucoup trop de latitude aux « opérateurs immobiliers », réels ou prétendus tels.
A.4.1. Le premier moyen, en sa deuxième branche, vise l'article 21 du décret du 15 mars 2018 en ce qu'il prévoit que le bailleur peut imposer des travaux économiseurs d'énergie non urgents à son locataire en cours de bail. Les parties requérantes font valoir qu'en ce qui concerne les troubles de jouissance qui doivent être supportés par le preneur, cette disposition aggrave le régime prévu par l'article 1724 du Code civil. Elles estiment que cette disposition laisse la porte ouverte à toute une série d'abus et qu'il s'agit dès lors d'une violation manifeste de l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution en ce que cet article garantit le droit au logement et, partant, le droit du locataire de ne pas voir sa jouissance paisible entravée par le fait du propriétaire. Elles considèrent que si cette disposition est justifiée par l'objectif d'améliorer la qualité et les performances énergétiques du parc immobilier wallon, elle n'est pas proportionnée à ce but, dès lors que le législateur décrétal aurait dû prévoir l'accord préalable du locataire.
A.4.2. Le Gouvernement wallon expose que la disposition attaquée a pour seul objectif d'inciter les bailleurs à apporter des améliorations à leur bien en vue de réaliser des économies d'énergie qui bénéficieront au preneur. Il ajoute que la réalisation des travaux est encadrée puisqu'elle donne lieu à une réduction de loyer si elle excède 40 jours et que seuls les travaux figurant sur la liste établie par le Gouvernement sont concernés. Il précise enfin que cette disposition ne porte pas atteinte au droit au logement du preneur, puisqu'il est maintenu dans les lieux pendant la réalisation de ces travaux.
A.4.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, partie intervenante, indique que le Code bruxellois du logement, tel qu'il a été modifié par l'ordonnance du 27 juillet 2017 « visant la régionalisation du bail d'habitation », contient en son article 221, § 1er, une disposition similaire à la disposition attaquée. Il fait valoir que l'objectif poursuivi est de permettre la réalisation de travaux qui peuvent être bénéfiques pour le preneur et pour l'ensemble du parc locatif et il estime que cette justification est parfaitement légitime et conforme à l'intérêt général.
A.4.4. Les parties requérantes font valoir que si la disposition attaquée avait été adoptée au seul bénéfice du preneur, le décret aurait dû prévoir la possibilité pour celui-ci de s'y opposer. Elles estiment que la comparaison avec le décret de la Région flamande, qui ne prévoit pas de disposition semblable, ainsi qu'avec l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale, qui contient une disposition ayant le même objet mais qui prévoit un encadrement beaucoup plus strict, montre que la disposition attaquée occasionne un recul de la protection en matière de droit au logement.
A.5.1. Le premier moyen, en sa troisième branche, vise l'article 62, § 1er, du décret du 15 mars 2018 en ce qu'il prévoit que, lorsque la garantie locative est constituée sous certaines formes, elle peut équivaloir à trois mois de loyer. Les parties requérantes exposent que cette disposition est une copie conforme de la législation fédérale qu'elle est supposée remplacer. Elles rappellent que la constitution d'une garantie locative représente un obstacle majeur dans l'accès au logement pour toute une catégorie de ménages belges. Elles estiment que la disposition attaquée constitue une discrimination manifeste entre les locataires qui ont les moyens de constituer une garantie locative équivalant à deux mois de loyer dès la signature du bail et ceux qui doivent constituer cette garantie progressivement, par un emprunt bancaire, et à qui l'on demande, à terme, de consigner un montant plus important, à savoir l'équivalent de trois mois de loyer. Elles en concluent que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec son article 23.
A.5.2. Le Gouvernement wallon confirme que la disposition attaquée est identique à la réglementation antérieure. Il en déduit qu'elle ne saurait représenter un recul par rapport à la législation antérieure et qu'elle ne viole dès lors par l'article 23 de la Constitution. Il rappelle que la réduction, prévue par la loi du 25 avril 2007 « portant des dispositions diverses (IV) », de la garantie de 3 à 2 mois de loyer, en cas de garantie constituée sur un compte bancaire bloqué, avait provoqué une forte mobilisation des propriétaires, dès lors qu'elle entamait leur couverture en cas de dégradation du bien ou de défaut de paiement des loyers. Il fait valoir que les propriétaires, parmi lesquels se trouvent aussi des personnes ayant des revenus modestes, doivent également être protégés et qu'une meilleure solution en termes d'équilibre entre les droits du bailleur et l'accès au logement des preneurs n'a pas encore été trouvée. Il indique que les autorités étudient la possibilité de constituer un fonds de garantie locative, mais que ce dossier n'a pas encore pu aboutir, pour toute une série de motifs. Il renvoie à l'arrêt de la Cour n° 93/2008. Il considère enfin que la différence de traitement créée par la disposition attaquée concerne des catégories de personnes différentes, à savoir les locataires constituant leur garantie seuls et instantanément, qui doivent consigner un montant équivalant à deux mois de loyer, et les locataires constituant leur garantie progressivement et avec une aide extérieure, qui doivent consigner un montant équivalant à trois mois de loyer.
A.5.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale indique que le Code bruxellois du logement, tel qu'il a été modifié par l'ordonnance précitée du 27 juillet 2017, contient en son article 248 une disposition similaire à la disposition attaquée. Il rejoint l'argumentation présentée par le Gouvernement wallon.
A.5.4. Les parties requérantes font valoir que l'argument selon lequel la réduction de la garantie locative de trois à deux mois de loyer est susceptible de fragiliser certains propriétaires peu aisés ne résiste pas à l'épreuve de l'expérience et ne concerne pas la discrimination qu'elles dénoncent entre différentes catégories de locataires.
A.6.1. Le premier moyen, en sa quatrième branche, vise l'article 66 du décret du 15 mars 2018 qui instaure la solidarité de droit entre colocataires. Les parties requérantes font grief à cette disposition de représenter un frein à la colocation, qui est souvent le seul moyen pour les personnes précarisées de parvenir à se loger décemment. Elles estiment qu'il s'agit d'un recul significatif de la situation des preneurs, qui est au seul bénéfice de celle des bailleurs et qui ne poursuit pas un objectif d'intérêt général. Elles ajoutent que le législateur aurait pu limiter la solidarité à l'entretien de l'immeuble ou aux dégâts locatifs, de sorte que la mesure est disproportionnée.
A.6.2. Le Gouvernement wallon indique que la solidarité entre colocataires est logique au regard des spécificités de ce mode de location et qu'elle comporte des avantages pour les preneurs aussi bien que pour les bailleurs. Il ajoute qu'elle représente la contrepartie de la possibilité nouvellement offerte à chacun des colocataires de quitter le bien anticipativement, de sorte qu'elle permet d'atteindre un équilibre entre les droits de toutes les parties concernées. Il précise encore que la solidarité est limitée dans le temps. Il estime qu'en instaurant un nouveau régime spécifique à la colocation et une solidarité de droit entre les colocataires, le législateur décrétal a facilité le recours à la colocation pour les bailleurs, ce qui, in fine, renforce l'accès au logement pour les populations précarisées.
A.6.3. Le Gouvernement flamand, partie intervenante, indique qu'une disposition semblable a été adoptée par le législateur décrétal flamand (articles 51, § 2, et 52, § 2, du décret du 9 novembre 2018 « contenant des dispositions relatives à la location de biens destinés à l'habitation ou de parties de ceux-ci »). Il considère que la disposition attaquée n'occasionne pas de recul significatif dans la protection des locataires. Il rappelle qu'avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, la réglementation en matière de colocation était caractérisée par une grande insécurité juridique et que l'introduction de la solidarité entre colocataires était considérée par beaucoup d'acteurs comme une solution à cette insécurité. Il en conclut que la disposition attaquée améliore la situation des colocataires, ainsi que celle des propriétaires. À titre subsidiaire, il estime que s'il fallait considérer que la solidarité entre colocataires occasionne un recul significatif dans la protection du droit au logement, il faudrait admettre que ce recul est justifié par le but d'intérêt général poursuivi, à savoir garantir la sécurité juridique et favoriser la relation de confiance entre le propriétaire et les colocataires, de manière à garantir un rendement correct du bien pour le propriétaire. Il estime que ce dernier objectif ne bénéficie pas uniquement aux propriétaires, mais qu'il relève au contraire de l'intérêt général, dès lors que sa réalisation contribue au maintien du volume de biens mis en location, et qu'il a un effet positif sur les prix des loyers.
A.6.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fait valoir que le mécanisme de la solidarité est justifié par le contexte particulier de la colocation, qui suppose un engagement commun et déjà solidaire, à tout le moins d'un point de vue social. Il estime que ce mécanisme est de nature à rassurer les bailleurs, mais qu'il ne lèse pas les intérêts des colocataires puisque ceux-ci demeurent libres de fixer une clé de répartition entre eux et des règles particulières à leur groupe en cas de non-paiement du loyer par l'un d'eux. Il considère que la disposition attaquée fait partie d'un équilibre global comprenant notamment des mécanismes flexibles en cas de départ des colocataires. Il en conclut que cette disposition n'induit pas de recul significatif de la situation des locataires.
A.6.5. Les parties requérantes considèrent que le mécanisme de la solidarité équivaut à reporter entièrement le risque (par exemple, de défaut de paiement ou de vide locatif) sur les locataires et qu'il n'est pas justifié si les locataires ne constituent pas entre eux une entité économique. Elles ajoutent que rien n'empêche les bailleurs de la prévoir contractuellement.
Quant au deuxième moyen
A.7.1.1. Le deuxième moyen est pris de la violation de l'article 22 de la Constitution, combiné avec les articles 2 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, lus isolément ou en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Ce moyen est divisé en cinq branches, par lesquelles les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées n'offrent pas les garanties de prévisibilité, d'accessibilité et de contrôle contre l'arbitraire requises en cas d'ingérence dans le droit au respect à la vie privée.
A.7.1.2. Ce moyen, en sa première branche, vise l'article 6, alinéa 2, 5°, du décret du 15 mars 2018, en ce qu'il permet au bailleur d'exiger du candidat preneur qu'il lui remette une composition de ménage. Les parties requérantes estiment que la communication au bailleur des données figurant sur la composition de ménage du candidat preneur, telles que son numéro de registre national, sa nationalité, son état civil, etc., est contraire au droit à la protection de la vie privée.
A.7.1.3. En sa deuxième branche, il vise l'article 6, alinéa 2, 7°, du décret du 15 mars 2018, qui permet au bailleur de solliciter du candidat preneur qu'il lui communique le montant des ressources financières dont il dispose.
A.7.1.4. En sa troisième branche, il vise l'article 6, alinéa 2, 8°, du décret du 15 mars 2018, qui permet au bailleur de solliciter du candidat preneur qu'il lui remette la preuve du paiement des trois derniers loyers.
A.7.1.5. En sa quatrième branche, il vise l'article 6, alinéa 3, du décret du 15 mars 2018, en ce que cette disposition accorde une habilitation large au bailleur pour exiger d'autres documents que ceux qui sont énumérés par l'alinéa 2 de la même disposition, sans aucune garantie contre l'utilisation arbitraire et abusive qu'il pourrait en faire.
A.7.1.6. En sa cinquième branche, il vise l'article 6, alinéa 4, du décret du 15 mars 2018. Les parties requérantes indiquent que parmi les informations qui sont actuellement exigées par de nombreux opérateurs immobiliers au sens du Code wallon du Logement et de l'Habitat durable figure un extrait du casier judiciaire du candidat preneur, alors que cette information fait partie des données personnelles dont la collecte est interdite par l'article 10 du règlement général sur la protection des données.
A.7.2. Le Gouvernement wallon renvoie aux développements qu'il a présentés relativement au premier moyen, en sa première branche.
Quant au troisième moyen
A.8.1. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les parties requérantes font valoir que le défaut de toute indemnisation forfaitaire équivalant à dix-huit mois de loyer en faveur du locataire expulsé manu militari de son logement sans autorisation du juge de paix, ou forcé de partir par le bailleur qui se ferait ainsi justice lui-même, alors que les paragraphes 2, alinéa 4, et 3, alinéa 5, de l'article 55 du décret attaqué prévoient une telle indemnisation lorsque le bailleur met fin au bail de manière illégale, constitue une lacune injustifiable et, en conséquence, discriminatoire.
A.8.2. Le Gouvernement wallon souligne que, lorsque le bailleur notifie un congé au preneur pour occupation personnelle ou pour la réalisation de travaux, ce congé n'est pas illégal et il n'ouvre un droit à réparation pour le preneur que si le motif du congé n'est pas réalisé dans les délais, alors que les situations d'expulsions sauvages ou de départs forcés font suite à un congé illégal. Il en déduit que les situations comparées par les parties requérantes ne sont pas comparables. Il relève par ailleurs que la réglementation ne prévoit aucune indemnisation forfaitaire en faveur du bailleur confronté à un preneur qui quitte illégalement le bien pris en location, alors qu'à son estime, cette situation est comparable à celle du locataire qui se voit expulsé illégalement. Enfin, il fait valoir que suivre le point de vue des parties requérantes reviendrait à contraindre le législateur à prévoir systématiquement, pour tout manquement contractuel, une indemnisation forfaitaire afin de ne pas décourager la victime d'agir en justice en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice, ce qui paraît excessif.
A.8.3. Le Gouvernement flamand indique que des dispositions analogues à l'article 55 du décret attaqué ont été adoptées par le législateur décrétal flamand (articles 17, § 2, et 18, § 2, du décret précité du 9 novembre 2018).
Il estime, à titre principal, que le troisième moyen est irrecevable ratione temporis, dès lors qu'il est en réalité dirigé contre l'article 1719, 3°, du Code civil, qui n'est pas modifié par le décret attaqué. Il considère en outre que ce moyen est partiellement irrecevable parce que les parties requérantes n'exposent pas en quoi les normes de référence qu'elles citent seraient violées.
À titre subsidiaire, il fait valoir que les catégories de locataires comparées par les parties requérantes ne sont pas comparables. Il relève que la catégorie des locataires expulsés ou forcés de partir illégalement couvre des situations très diverses, parmi lesquelles certaines peuvent donner lieu à des poursuites pénales, de sorte qu'il ne saurait être reproché au législateur décrétal de ne pas avoir prévu un dédommagement forfaitaire pour ces personnes, victimes d'agissements qui sont réprimés pénalement. Il estime que la critique des parties requérantes est plutôt dirigée contre les éventuels défauts en matière de responsabilité civile de droit commun ou contre les défaillances de l'accès au juge. Il ajoute enfin qu'une indemnité forfaitaire dans toutes les situations susceptibles de relever de la catégorie visée par les parties requérantes serait inadéquate pour nombre d'entre elles.
A.8.4. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale estime également que les locataires qui subissent une expulsion sauvage se trouvent dans une situation différente de ceux qui sont contraints de quitter leur logement à la suite d'un congé donné illégalement par le bailleur, notamment parce qu'ils n'aspirent pas à se prévaloir de revendications de même nature face au bailleur fautif et qu'ils peuvent espérer obtenir une réparation différente.
A.8.5. Les parties requérantes font valoir que les locataires expulsés sauvagement ou forcés de partir sont comparables aux locataires qui reçoivent un congé qui s'avère illégal, dès lors que leur similarité s'apprécie au regard de la nature de la revendication de celui qui se dit victime de la différence de traitement. Elles estiment qu'en revanche, la situation du preneur qui déserte le logement n'est pas comparable à celle du bailleur qui expulse sauvagement le preneur, puisque les préjudices subis par ces deux catégories de personnes sont sans commune mesure : le locataire expulsé est victime d'une violation de son droit au logement, alors que le bailleur ne subit qu'une rupture fautive de la relation contractuelle, qui est indemnisée en application de l'article 1184 du Code civil. Elles insistent sur le fait que les victimes d'expulsions sauvages ne sont pas comparables aux victimes de tout autre manquement contractuel en ce qu'elles subissent une précarisation extrême en raison de la perte de leur logement, précarisation qui rend illusoire toute action en justice en l'absence d'un solide incitant.
B Point de vue de la cour
Quant au décret attaqué
B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation partielle du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation » (ci-après : le décret attaqué).
B.1.2. Par ce décret, le législateur décrétal entend exercer la compétence qui lui est attribuée par l'article 15 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'État, pour ce qui relève des règles spécifiques concernant la location des biens ou des parties de biens destinés à l'habitation. L'exposé des motifs indique que l'objectif poursuivi est « d'assurer une sécurité juridique maximale » dans « cette matière sensible qui concerne un grand nombre de familles de locataires mais également de bailleurs » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 3). Les dispositions concernent « tous les types de baux d'un bien destiné à servir d'habitation » (ibid.).
En commission des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la ministre a précisé :
« L'objectif du texte est de garantir la stabilité et la lisibilité des droits et obligations des locataires et des bailleurs, afin qu'un climat de confiance soit noué entre les parties » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, p. 3).
B.2. La Cour examine les moyens, branches et sous-branches de moyens en les groupant au regard des dispositions attaquées.
Quant aux normes de référence
B.3. Les moyens sont pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 2, paragraphe 1, et 11, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 16 et 30 de la Charte sociale européenne révisée, de la violation de l'article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 2 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. L'article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
[…]
3° le droit à un logement décent;
[…] ».
L'article 2, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose :
« Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives ».
L'article 11, paragraphe 1, du même Pacte dispose :
« Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie ».
B.4.2. Les dispositions précitées contiennent en matière de logement une obligation de standstill qui s'oppose à ce que le législateur compétent réduise significativement le degré de protection offert par la législation en vigueur, sans qu'existent pour ce faire des motifs liés à l'intérêt général.
B.5.1. L'article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
L'article 2, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l'adoption de telles mesures d'ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur ».
L'article 17 du même Pacte dispose :
« 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
B.5.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne précitée (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un ensemble indissociable.
B.5.3. Le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par les dispositions constitutionnelle et conventionnelle précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée.
Ce droit a une portée étendue et englobe notamment la protection des données à caractère personnel et des informations personnelles. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fait apparaître que de la protection de ce droit relèvent notamment les données et informations personnelles suivantes : le nom, l'adresse, les activités professionnelles, les relations personnelles, les empreintes digitales, les images filmées, les photographies, les communications, les données ADN, les données judiciaires (condamnations ou inculpations), les données financières et les informations concernant des biens (voy. notamment CEDH, 26 mars 1987, Leander c. Suède, §§ 47-48; grande chambre, 4 décembre 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni, §§ 66-68; 17 décembre 2009, B.B. c. France, § 57; 10 février 2011, Dimitrov-Kazakov c. Bulgarie, §§ 29-31; 18 octobre 2011, Khelili c. Suisse, §§ 55-57; 9 octobre 2012, Alkaya c. Turquie, § 29; 18 avril 2013, M.K. c. France, § 26; 18 septembre 2014, Brunet c. France, § 31).
B.5.4. Les droits que garantissent l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont toutefois pas absolus.
Ils n'excluent pas toute ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée mais exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive, pour l'autorité publique, de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78).
B.6. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination.
Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Quant à l'article 6 du décret attaqué
B.7.1. Le premier moyen, en sa première branche, et le deuxième moyen visent l'article 6, alinéas 2, 5°, 7°, 8°, 3 et 4, du décret attaqué.
L'article 6 du décret attaqué dispose :
« Le bailleur choisit le preneur librement et sans discrimination, au sens du décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination.
Le bailleur peut solliciter auprès du candidat preneur les données générales suivantes en vue de procéder à la sélection et à la conclusion du contrat de bail, et le cas échéant, les justificatifs y afférents :
1° nom et prénom du ou des candidats preneurs;
2° un moyen de communication avec le candidat;
3° l'adresse du candidat;
4° la date de naissance ou, le cas échéant, une preuve de la capacité à contracter;
5° la composition de ménage;
6° l'état civil du preneur s'il est marié ou cohabitant légal;
7° le montant des ressources financières dont dispose le candidat-preneur;
8° la preuve du paiement des trois derniers loyers.
Aucune autre donnée ne peut être exigée de la part du bailleur à moins qu'elle poursuive une finalité légitime et que la demande soit justifiée par des motifs sérieux, proportionnés avec la finalité poursuivie.
L'alinéa 3 s'applique sans préjudice pour les opérateurs immobiliers de requérir les informations nécessaires à l'exercice de leurs missions définies dans le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable.
Cet article est d'ordre public ».
B.7.2. L'exposé des motifs relatif à cette disposition rappelle que le libre choix du preneur par le bailleur ne peut s'exercer sans limite ou l'amener à discriminer des locataires potentiels. Afin d'empêcher les discriminations, une liste des données pouvant être sollicitées par le bailleur en vue de procéder à la sélection du preneur a été établie sur la base du travail réalisé en la matière par UNIA (Centre interfédéral pour l'égalité des chances) et sur la base de la recommandation (SE/08/128) n° 1/2009 du 18 mars 2009 de la Commission de la protection de la vie privée aux bailleurs et aux agents immobiliers relative au traitement des données des candidats locataires (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
En commission des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la ministre a rappelé que le bailleur avait la possibilité et non l'obligation de réclamer ces différents renseignements et documents au candidat preneur (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, p. 12).
En ce qui concerne la composition de ménage
B.8.1. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir autorisé le bailleur à exiger du candidat preneur la production d'une composition de ménage, au sens d'un document officiel délivré par la commune du domicile et, en conséquence, d'autoriser le bailleur à refuser de contracter avec les personnes qui ne présenteraient pas un tel document. Elles considèrent que, ce faisant, le législateur décrétal viole tant le droit au logement (premier moyen, en sa première branche, première sous-branche) que le droit au respect de la vie privée (deuxième moyen, en sa première branche), lus en combinaison, le cas échéant, avec le principe d'égalité et de non-discrimination.
B.8.2. L'exposé des motifs indique :
« En ce qui concerne le type de justificatifs qui peuvent être fournis :
[…]
5) la composition de ménage : une composition de ménage produite par la commune » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, pp. 8-9).
En commission des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la ministre a déclaré :
« Par ‘ composition de ménage ', est visé le nombre de personnes composant le ménage, et ce, dans le but d'éviter des situations de surpeuplement d'un logement. N'est donc pas nécessairement visé le document administratif d'une composition de ménage tel que délivré par une administration communale » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, p. 12).
B.9.1. La disposition attaquée permet au bailleur de recueillir des informations du candidat preneur sur le nombre de personnes qui occuperont le bien. Le candidat preneur est libre de fournir ces informations sous la forme d'une composition de ménage délivrée par l'administration communale ou de toute autre manière. La disposition attaquée, lue à la lumière des explications de la ministre, en revanche ne permet pas au bailleur d'exiger la production d'un document intitulé « composition de ménage » délivré par l'autorité communale.
B.9.2. Du reste, dans de nombreuses hypothèses, le fait d'exiger la production d'un tel document ne permettrait pas au bailleur de se faire une idée exacte du nombre de personnes qui occuperont le bien proposé en location, dès lors que le déménagement du preneur peut précisément être causé par une modification de la composition de son ménage, modification qui ne saurait par hypothèse apparaître sur le document délivré par l'autorité communale de l'ancien domicile.
B.10. Le premier moyen, en sa première branche, première sous-branche, et le deuxième moyen, en sa première branche, ne sont pas fondés.
En ce qui concerne le montant des ressources financières
B.11.1. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir autorisé le bailleur à exiger du candidat preneur la production du montant des ressources financières dont il dispose, sans préciser que le bailleur ne peut exiger la production de justificatifs prouvant l'origine de ces ressources, de sorte que les candidats preneurs ne seraient pas protégés contre les discriminations fondées sur l'origine de leurs revenus (premier moyen, en sa première branche, deuxième sous-branche) et contre les ingérences non justifiées dans leur droit au respect de la vie privée (deuxième moyen, en sa deuxième branche).
B.11.2. L'exposé des motifs indique :
« Les justificatifs afférents aux ressources financières dont dispose le candidat preneur peuvent prendre la forme d'extrait de compte par exemple, ou encore de fiche de paie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
En commission des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la ministre a confirmé que le bailleur ne pouvait s'enquérir que des montants des revenus du candidat preneur et non de la nature de ces revenus (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, p. 19).
B.12. La liste des informations pouvant être recueillies par le bailleur, établie par l'article 6, alinéa 2, du décret attaqué, est exhaustive. Il en résulte que, dès lors que cette liste ne mentionne pas l'origine des ressources financières du candidat preneur, le bailleur ne peut exiger la communication de cette information. En se limitant à citer « le montant des ressources financières dont dispose le candidat-preneur », la disposition attaquée n'autorise pas le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il l'informe sur l'origine de ses ressources. Si ce dernier est libre de produire un extrait de compte ou une fiche de paie, rien ne lui interdit de fournir l'information relative au montant de ses ressources sur la base d'un autre document fiable.
B.13. Le premier moyen, en sa première branche, deuxième sous-branche et le deuxième moyen, en sa deuxième branche, ne sont pas fondés.
En ce qui concerne la preuve du paiement des trois derniers loyers
B.14.1. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir autorisé le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il fournisse la preuve du paiement des trois derniers loyers relatifs au logement qu'il a l'intention de quitter, ce qui serait impossible pour un grand nombre de candidats preneurs, pour diverses raisons. Elles estiment que cette possibilité entraîne un recul significatif dans le droit au logement de nombreuses personnes, ce dont il résulte qu'elle viole l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution et qu'elle crée un risque de discrimination (premier moyen, en sa première branche, troisième sous-branche). Elles estiment aussi que cette possibilité entraîne une violation du droit au respect de la vie privée du candidat preneur (deuxième moyen, troisième branche).
B.14.2. L'exposé des motifs indique :
« Le bailleur peut également demander au candidat-preneur la preuve de paiement des trois derniers loyers à l'instar de ce qui est prévu par UNIA (centre interfédéral de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances) dans son formulaire-type de candidat-locataire mis en ligne et à disposition de l'Institut Professionnel des Agents Immobiliers (IPI) » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
B.15. Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, aucune disposition ne limitait les informations et documents que le bailleur pouvait exiger des candidats preneurs en vue de sélectionner le locataire. Le bailleur pouvait donc, notamment, solliciter des candidats la preuve du paiement des trois derniers mois de loyer. En autorisant expressément les bailleurs à demander cette preuve, la disposition attaquée n'occasionne pas de recul dans la protection du droit au logement. Partant, l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution ne saurait être violée.
B.16.1. En autorisant les bailleurs à exiger des candidats preneurs qu'ils fournissent la preuve du paiement des trois derniers mois de loyer, la disposition attaquée crée une différence de traitement entre les candidats preneurs qui peuvent fournir cette preuve et ceux qui ne peuvent le faire, pour quelque raison que ce soit, et qui auront plus de difficultés à trouver un logement. Par ailleurs, elle est susceptible d'obliger les candidats preneurs qui ne disposent pas de cette preuve à fournir au bailleur des explications relatives à des éléments qui relèvent de leur vie privée.
B.16.2. Il ressort des extraits des travaux préparatoires du décret attaqué cités en B.1.2 que le législateur décrétal entendait, notamment, créer les conditions propices à l'instauration d'un climat de confiance entre les parties au bail. La fiabilité du preneur et sa capacité à honorer ses obligations contractuelles, parmi lesquelles le paiement du loyer occupe une place centrale, sont assurément déterminantes dans la relation de confiance. Le législateur décrétal a pu estimer que, dans certaines hypothèses, le seul montant des moyens financiers du candidat preneur ne suffisait pas pour rassurer le bailleur. Il a pu, de même, considérer que la preuve du paiement des loyers antérieurs pouvait utilement compléter cette information. La disposition attaquée comporte dès lors une mesure pertinente pour atteindre l'objectif poursuivi.
B.16.3. La disposition attaquée n'exige pas qu'une telle preuve soit fournie chaque fois qu'un contrat de bail est signé et elle n'impose pas aux bailleurs de réclamer cette preuve dans toutes les circonstances. Elle n'empêche pas que le candidat preneur expose au bailleur les motifs pour lesquels il ne lui est pas possible de fournir cette preuve, tout en ne lui imposant pas, pour ce faire, de dévoiler contre son gré des éléments de sa vie privée. Elle n'entraîne dès lors pas d'effets disproportionnés pour les candidats preneurs qui ne pourraient présenter au bailleur la preuve du paiement des trois derniers loyers.
B.17. Le premier moyen, en sa première branche, troisième sous-branche, et le deuxième moyen, en sa troisième branche, ne sont pas fondés.
En ce qui concerne la possibilité pour le bailleur d'exiger d'autres données
B.18.1. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir, par l'article 6, alinéa 3, du décret attaqué, permis au bailleur d'exiger d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition. Elles considèrent que cette disposition occasionne un recul significatif dans la protection du droit au logement, qu'elle crée une différence de traitement injustifiable entre les candidats preneurs, selon que le bailleur exige ou non des preuves et documents supplémentaires, qu'elle permet au bailleur de discriminer les locataires (premier moyen, en sa première branche, quatrième sous-branche) et qu'elle comporte une atteinte au droit au respect de la vie privée des candidats preneurs (deuxième moyen, quatrième branche).
B.18.2. Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, aucune disposition ne limitait les informations et documents que le bailleur pouvait exiger des candidats preneurs en vue de sélectionner le locataire. La disposition attaquée, en autorisant expressément, à certaines conditions, les bailleurs à demander d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition, n'occasionne donc pas de recul dans la protection du droit au logement. Partant, l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution ne saurait être violée.
B.18.3. La disposition attaquée, en autorisant les bailleurs à demander au candidat preneur, à certaines conditions, de fournir d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition, crée une différence de traitement entre les candidats preneurs, suivant les données qui sont exigées par les bailleurs. Elle permet également que le bailleur exige la communication de données qui relèvent de la vie privée du candidat preneur.
B.19. L'exposé des motifs relatif à cette disposition précise qu' « aucune autre donnée ne pourra être sollicitée et recueillie par le bailleur sauf si cette production est justifiée par des motifs sérieux et proportionnés avec la finalité poursuivie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
B.20.1. Contrairement à la situation antérieure dans laquelle les bailleurs étaient libres de recueillir toutes les informations qu'ils jugeaient utiles en vue de sélectionner leur cocontractant, le législateur décrétal a entendu encadrer strictement les possibilités du bailleur d'exiger la communication d'informations et la production de documents justificatifs lors de la sélection du candidat preneur. Il n'est pas dénué de justification qu'il ait en outre prévu la possibilité, à certaines conditions, pour le bailleur de solliciter des informations ou documents qui ne sont pas cités dans la liste limitative. Il a en effet pu estimer que certaines informations impossibles à énumérer exhaustivement, qui ne sont pas pertinentes dans tous les cas, peuvent l'être dans certaines situations.
B.20.2. Le législateur décrétal n'autorise pas pour autant le bailleur à discriminer les candidats preneurs sur la base de critères prohibés par la législation en vigueur en Région wallonne. La disposition attaquée ne déroge en effet d'aucune façon au décret du 6 novembre 2008 « relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination » et rappelle d'ailleurs, en son alinéa 1er, le principe de l'interdiction de pratiquer la discrimination au sens de ce décret. La disposition attaquée n'autorise pas davantage le bailleur à violer la législation relative à la protection de la vie privée.
B.20.3. Enfin, l'article 6, alinéa 3, attaqué, précise que le bailleur ne peut exiger d'autres données de la part du candidat preneur qu'à la condition que cette exigence poursuive une finalité légitime et qu'elle soit justifiée par des motifs sérieux et proportionnés à cette finalité. S'agissant d'une exception au principe énoncé par l'alinéa 2 de la même disposition suivant lequel le bailleur ne peut solliciter que les données et justificatifs énumérés par l'article 6, la possibilité de demander d'autres données doit être interprétée strictement. Sous cette réserve, la disposition attaquée n'entraîne pas d'effets disproportionnés sur les droits des candidats preneurs.
B.21. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.20.3, le premier moyen, en sa première branche, quatrième sous-branche, et le deuxième moyen, en sa quatrième branche, ne sont pas fondés.
En ce qui concerne la possibilité pour les opérateurs immobiliers de recueillir des informations complémentaires
B.22. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal, d'une part, de n'avoir pas indiqué clairement que l'article 6, alinéa 4, attaqué, ne visait que les opérateurs immobiliers au sens du Code wallon de l'habitation durable, de sorte que cette disposition pourrait également viser des opérateurs privés et, d'autre part, de permettre aux opérateurs immobiliers visés par cette disposition de requérir des informations complémentaires à celles qui figurent à l'article 6, alinéa 2, sans offrir de garanties suffisantes. Elles estiment que la disposition attaquée viole en conséquence les articles 10, 11 et 23 de la Constitution (premier moyen, en sa première branche, cinquième sous-branche) et l'article 22 de la Constitution (deuxième moyen, en sa cinquième branche).
B.23.1. L'exposé des motifs relatif à cette disposition indique :
« En outre, il est également prévu que les opérateurs immobiliers publics (et notamment les Sociétés de logement de service public) puissent solliciter des informations complémentaires afin de leur permettre d'exercer leur mission de service public définies par le Code wallon du logement et de l'habitat durable [intitulé modifié en ‘ Code wallon de l'habitation durable ' par l'article 1er du décret du 2 mai 2019 ‘ modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue d'y insérer la notion d'habitation légère ʼ] » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
B.23.2. En faisant référence explicitement à « leurs missions définies dans le Code » précité, tant la disposition attaquée elle-même que l'exposé des motifs y relatif circonscrivent avec une clarté suffisante le champ d'application personnel de cette disposition aux opérateurs immobiliers qui sont définis par l'article 1er, 23°, du Code wallon de l'habitation durable comme étant « un pouvoir local, une régie autonome, la Société wallonne du logement, une société de logement de service public, le Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie, une agence immobilière sociale ou une association de promotion du logement, la Société wallonne du Crédit social ». L'absence de l'adjectif « publics » dans la disposition n'a pas pour effet d'étendre son champ d'application aux acteurs privés de l'immobilier, dont les missions ne sont pas définies dans le Code de l'habitation durable.
B.24.1. La disposition attaquée n'a ni pour objet, ni pour effet d'autoriser les opérateurs immobiliers publics, dans l'exercice de leurs missions telles qu'elles sont définies par la législation décrétale, à pratiquer des discriminations interdites par le décret du 6 novembre 2008 « relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination » ou à recueillir des informations couvertes par le droit au respect de la vie privée en violation de l'article 22 de la Constitution ou de la législation relative à la protection de la vie privée.
B.24.2. En ce que les parties requérantes dénoncent les « dérives » existant actuellement « dans la pratique des agences immobilières sociales », qui réclameraient fréquemment que les candidats preneurs produisent des extraits de casier judiciaire ou d'autres documents sans rapport pertinent avec leur mission, elles formulent un grief relatif à la pratique de ces agences et non à la disposition attaquée, laquelle n'autorise pas ces agences à exiger la communication d'informations ou de documents non pertinents pour l'exercice de leur mission.
B.25. Le premier moyen, en sa première branche, cinquième sous-branche, et le deuxième moyen, en sa cinquième branche, ne sont pas fondés.
Quant à l'article 21 du décret attaqué
B.26. L'article 21 du décret attaqué dispose :
« Si, durant le bail, la chose louée a besoin de réparations urgentes et qui ne puissent être différées jusqu'à sa fin ou si des travaux économiseurs d'énergie dont la liste est établie par le Gouvernement sont réalisés aux conditions fixées par celui-ci, le preneur doit les souffrir, quelque incommodité qu'elles lui causent, et quoiqu'il soit privé, pendant qu'elles se font, d'une partie de la chose louée.
Si ces réparations ou ces travaux économiseurs d'énergie durent plus de quarante jours, le prix du bail sera diminué à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont il aura été privé.
Si les réparations ou les travaux économiseurs d'énergie sont de telle nature qu'ils rendent inhabitable ce qui est nécessaire au logement du preneur et de sa famille, celui-ci pourra faire résilier le bail ».
B.27. Par le premier moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'autoriser le bailleur à imposer des travaux non urgents économiseurs d'énergie au locataire en cours de bail. Elles estiment que la disposition attaquée est contraire à l'article 23, alinéa 2, de la Constitution, en ce que celui-ci contient une obligation de standstill relative au droit à un logement décent et à la jouissance paisible de celui-ci.
B.28. L'exposé des motifs relatif à cette disposition indique :
« Les travaux économiseurs d'énergie dont la liste est établie par le Gouvernement sont ajoutés aux travaux qui peuvent être effectués durant le bail par le bailleur, quels que soient les inconvénients qu'ils causent au preneur. Cet ajout vise à encourager les travaux visant à la réduction de la consommation énergétique des biens, lesquels ne peuvent une fois terminés, que bénéficier au preneur » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 10).
B.29.1. Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, les preneurs n'avaient à subir que les réparations urgentes ne pouvant être différées et ils pouvaient s'opposer à la réalisation de tous autres travaux dans le bien loué en cours de bail. La disposition attaquée ajoute une autre catégorie de travaux susceptibles d'être imposés au preneur en cours de bail.
B.29.2. L'adaptation du parc immobilier wallon aux défis actuels en matière de réduction de la consommation d'énergie nécessite la réalisation de travaux que le législateur décrétal a pu légitimement vouloir encourager. La possibilité de réaliser ces travaux en cours de bail, même sans l'accord du preneur, est une mesure de nature à concourir à l'objectif de réduction globale de la consommation d'énergie en Région wallonne.
La liste des travaux économiseurs d'énergie pouvant être imposés au preneur en cours de bail doit être arrêtée par le Gouvernement wallon, de sorte que le bailleur ne pourrait imposer au preneur n'importe quel type de travaux, sous prétexte qu'ils ont un effet positif sur la consommation d'énergie. La disposition attaquée prévoit par ailleurs que si les travaux durent plus de quarante jours, le loyer doit être réduit en conséquence et que le preneur peut faire résilier le bail si les parties du bien loué nécessaires au logement sont rendues inhabitables à la suite des travaux. Enfin, il faut encore relever que les travaux concernés ayant pour objectif de faire réaliser des économies d'énergie ont des répercussions positives pour les occupants de l'immeuble concerné, tant en termes de confort d'habitation que de réduction de la consommation d'énergie et des dépenses qui y sont liées.
En outre, il convient de relever que, pour être efficaces, certains travaux visant à économiser l'énergie doivent être effectués sur l'intégralité du bâtiment. Lorsque le bien loué fait partie d'une copropriété comprenant plusieurs biens loués indépendamment, l'obligation d'attendre la fin du bail et la libération des différents logements composant l'immeuble risquerait de rendre la réalisation de ces travaux impossible, ce qui porterait atteinte à l'objectif poursuivi par le législateur décrétal.
B.29.3. Sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la disposition attaquée occasionne un recul significatif du degré de protection du droit à un logement décent des preneurs en Région wallonne, il suffit de constater que la mesure attaquée est justifiée adéquatement par un motif lié à l'intérêt général.
B.30. Le premier moyen, en sa deuxième branche, n'est pas fondé.
Quant à l'article 62, § 1er, du décret attaqué
B.31. L'article 62, § 1er, du décret attaqué dispose :
« Si, indépendamment des sûretés prévues à l'article 20 du présent décret, le preneur donne pour assurer le respect de ses obligations, une des formes de garanties prévues à l'alinéa suivant, celle-ci ne peut excéder un montant équivalent à 2 ou 3 mois de loyer, selon la forme de la garantie locative.
Les garanties mentionnées à l'alinéa précédent peuvent prendre au choix du preneur, trois formes : soit un compte individualisé ouvert au nom du preneur auprès d'une institution financière, soit une garantie bancaire qui permet au preneur de constituer progressivement la garantie, soit une garantie bancaire résultant d'un contrat-type entre un CPAS et une institution financière.
Lorsque le preneur opte pour un compte individualisé, la garantie locative ne peut excéder un montant équivalent à 2 mois de loyer. Les intérêts produits sont capitalisés au profit du preneur et le bailleur acquiert un privilège sur l'actif du compte pour toute créance résultant de l'inexécution totale ou partielle des obligations du preneur.
Lorsque le preneur opte pour une garantie bancaire qu'il s'engage à reconstituer totalement par mensualités constantes pendant la durée du contrat, avec un maximum de trois ans, celle-ci est d'un montant équivalent à trois mois de loyer maximum. L'institution financière devra être celle auprès de laquelle le preneur dispose, le cas échéant, du compte bancaire sur lequel sont versés ses revenus professionnels ou de remplacement. Si le preneur met fin au versement de ses revenus professionnels ou de remplacement dans l'institution en question, celle-ci est en droit de réclamer la reconstitution intégrale et immédiate de la garantie, sans préjudice de la possibilité de transférer celle-ci à une autre institution financière. Nonobstant la loi du 25 avril 2014 ʻ relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et des sociétés de bourse ʼ, une institution financière ne peut pas refuser cette garantie pour des raisons liées à l'état de solvabilité du locataire. Le livre VII, titre IV, chapitre Ier, du Code de droit économique n'est pas d'application. Le Gouvernement peut modaliser l'obligation de l'institution financière de constituer une garantie bancaire dans le cas où le candidat locataire est tenu, au moment de sa demande, par plus d'une autre obligation de reconstitution pour des garanties bancaires locatives octroyées antérieurement. Après une évaluation faite un an après l'entrée en vigueur de ce système, le Gouvernement pourra organiser une garantie publique pour couvrir les garanties octroyées par les institutions financières à certaines catégories de locataires qu'Il définit, selon les modalités de financement qu'Il définit. Le preneur ne devra aucun intérêt débiteur à l'institution financière, qui lui accordera des intérêts dès le jour de la constitution totale de la garantie. L'institution financière dispose des privilèges de droit commun vis-à-vis du preneur en cas de non-exécution de son obligation de constituer progressivement la garantie.
Lorsque le preneur opte pour une garantie bancaire, d'un montant équivalent à trois mois de loyer maximum, résultant d'un contrat-type entre un CPAS et une institution financière, c'est le CPAS qui effectue la demande auprès de l'institution financière qui l'accorde au profit du bailleur.
Le Gouvernement fixe le formulaire par lequel les institutions financières attesteront, vis- à-vis des bailleurs, que la garantie locative est octroyée, peu importe la manière dont cette garantie est constituée ».
B.32. Par le premier moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir maintenu une différence de traitement non justifiée entre les preneurs, selon qu'ils constituent la garantie locative sous la forme d'un compte individualisé ou sous la forme d'une garantie bancaire, le montant de la garantie étant de deux mois de loyer dans le premier cas et de trois mois de loyer dans le second. Elles estiment que les preneurs qui optent pour la garantie locative sous la forme d'une garantie bancaire et qui ont, par hypothèse, des difficultés à consacrer à la garantie locative une somme équivalant à deux mois de loyer, sont discriminés dans leur droit d'accès au logement dès lors qu'ils sont tenus de consacrer, in fine, une somme équivalant à trois mois de loyer au remboursement de la garantie prêtée par l'organisme bancaire.
B.33.1. L'exposé des motifs relatif à cette disposition indique qu'elle reproduit le contenu de l'article 10 de la loi du 20 février 1991 portant sur les baux relatifs à la résidence principale du preneur, tel qu'il avait été remplacé par l'article 103 de la loi du 25 avril 2007 « portant des dispositions diverses (IV) » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 16). Il ressort des discussions en commission des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives qu'une réflexion relative au montant de la garantie locative était en cours par ailleurs au sein du Parlement et que le législateur décrétal avait l'intention de mettre en place un fonds commun des garanties locatives afin de venir en aide aux personnes pour qui la constitution d'une garantie locative représente un obstacle à l'exercice du droit au logement (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, pp. 14 et 27).
B.33.2. L'instauration de trois formes de garanties locatives et le montant maximum différent pour chaque forme ont fait l'objet du commentaire suivant dans les travaux préparatoires relatifs à l'article 103 de la loi du 25 avril 2007 précitée :
« Cette mesure se justifie par le fait que la constitution d'une garantie locative peut constituer un obstacle insurmontable pour le candidat locataire dans sa recherche d'un logement et ce, qu'il soit précarisé ou non. Bien sûr, dans certains cas, le CPAS peut intervenir mais avec un bémol, à savoir celui de stigmatiser le locataire aux yeux du bailleur.
Dès lors, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes qui permettront de lever cet obstacle.
Dans ce cadre, il est nécessaire que l'article 10 de la loi de 1991 soit modifié. Il sera dorénavant possible de constituer la garantie locative de trois manières :
- soit la garantie locative est versée en une seule fois sur un compte : elle sera alors équivalente à maximum 2 mois de loyer;
- soit la garantie locative est constituée totalement et par mensualités constantes auprès d'un organisme financier en minimum 12 mois (si contrat de bail d'un an) et maximum 36 mois (pour tout bail de plus de 3 ans), sans intérêt : dans ce cas, le montant de la garantie s'élève toujours à 3 mois de loyer et le bailleur obtient directement une garantie bancaire;
- soit le CPAS conclut une convention avec la banque qui octroie la garantie bancaire au propriétaire : dans ce cas, la garantie est également de 3 mois mais il n'y a pas d'échanges financiers, le CPAS se portant garant pour le locataire. L'effet stigmatisant est supprimé par le fait que le bailleur n'est pas au courant que le CPAS intervient.
Dans tous les cas, le bailleur est garanti du montant total dès la conclusion du contrat.
Le système mis en place est complexe, car la matière est en elle-même complexe.
Il permet plus facilement au locataire de constituer la garantie, sans nuire aux droits des propriétaires.
La diminution du montant de la garantie, en cas de garantie ‘ payée cash ' est justifiée par l'évolution divergente du montant des loyers, et celui des réparations locatives.
Le volume de réparations que l'on finançait il y a 10 ans avec l'équivalent de 3 mois de loyer peut être couvert aujourd'hui avec une garantie équivalente à deux mois.
Une nouvelle possibilité de constituer la garantie est instaurée : l'octroi d'une garantie bancaire, qui doit être reconstituée par le locataire sur la durée du bail, avec un maximum de trois ans.
Le propriétaire est donc immédiatement couvert par une garantie appelable.
L'institution bancaire est tenue d'octroyer cette garantie à chacun de ses clients, pour autant que ceux-ci y domicilient leurs revenus réguliers.
Les sommes déposées ne portent pas intérêt pour le locataire jusqu'à reconstitution totale de la somme garantie, ce qui devrait permettre à la banque de couvrir son risque.
Il est cependant prévu une évaluation du mécanisme après un an de fonctionnement, ensuite de laquelle le gouvernement pourrait décider de contre-garantir les banques pour certaines catégories de locataires » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2783/020, pp. 13-14).
En ce qui concerne plus précisément le montant de la garantie locative, l'exposé des motifs mentionne en outre :
« En effet, débourser en une seule fois, l'équivalent de 4 mois de loyer représente un énorme trou voire une impossibilité dans le budget d'un ménage.
Bien sûr, dans certains cas, le CPAS intervient déjà mais avec un bémol, celui de stigmatiser le locataire aux yeux de son futur propriétaire.
Dès lors, il est nécessaire de mettre en place des mesures qui permettront de lever cet obstacle à l'accès au logement » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2873/001, p. 77).
B.34.1. Par son arrêt n° 93/2008 du 26 juin 2008, la Cour a jugé non fondé un moyen tiré de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution visant l'article 103 de la loi précitée du 25 avril 2007.
La Cour a jugé en substance que la préoccupation visant à limiter l'effet, sur le budget du ménage, d'un premier paiement du loyer en même temps que le versement de la garantie locative, qui justifiait la limitation du montant de la garantie à deux mois de loyer lorsqu'elle est payée en une seule fois au début du bail, n'existait pas dans le cas des deux autres formes de garanties locatives, respectivement la garantie locative par le biais d'une garantie bancaire permettant au preneur de constituer progressivement la garantie et la garantie locative à l'aide d'une garantie bancaire résultant d'un contrat-type entre un CPAS et une institution financière.
B.34.2. Le décret attaqué offre aux parties plusieurs solutions leur permettant de trouver un équilibre entre leurs préoccupations respectives. La disposition attaquée n'entraîne pas d'effets disproportionnés pour les preneurs qui optent pour la constitution de la garantie locative auprès d'un organisme financier. S'il est exact qu'ils ont, in fine, consacré une somme plus importante à la garantie locative que s'ils l'avaient constituée en une fois au début du bail, cette somme, constituée progressivement, leur revient en fin de bail et produit des intérêts à leur profit dès le moment où le montant de la garantie est atteint.
B.35. Il ne saurait être reproché au législateur décrétal, dans l'attente de l'aboutissement des réflexions au sujet d'un fonds commun des garanties locatives et, le cas échéant, d'une nouvelle réglementation, d'avoir reproduit la législation fédérale applicable antérieurement, législation que la Cour a jugée compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution par l'arrêt n° 93/2008 précité.
B.36. Le premier moyen, en sa troisième branche, n'est pas fondé.
Quant à l'article 66 du décret attaqué
B.37. L'article 66 du décret attaqué dispose :
« Les colocataires sont solidairement tenus de l'ensemble des obligations qui découlent du bail ».
B.38. Les parties requérantes font grief à cette disposition d'instituer la solidarité de droit entre colocataires, de sorte que ceux-ci sont désormais tous tenus solidairement de leurs obligations à l'égard du bailleur et que le défaut de l'un d'entre eux doit être assumé par les autres. Par le premier moyen, en sa quatrième branche, elles font valoir que cette disposition constitue un recul du degré de protection du droit au logement contraire à l'article 23 de la Constitution.
B.39.1. Constatant que la pratique de la colocation se répandait en Wallonie, le législateur décrétal a estimé nécessaire de prendre des dispositions s'appliquant à cette forme d'occupation de biens loués qui ne faisait l'objet, auparavant, d'aucune disposition spécifique. La disposition attaquée s'inscrit dès lors dans un ensemble de règles relatives au bail de colocation, qui font l'objet du chapitre IV du décret du 15 mars 2018. Le législateur décrétal a entendu établir une sécurité juridique propice au développement de ce type de contrats de bail, dans l'intérêt de toutes les parties concernées.
B.39.2. La solidarité instituée par la disposition attaquée constitue indéniablement une assurance pour le bailleur. En contrepartie, chaque colocataire a la possibilité de mettre fin à ses obligations avant le terme du bail, moyennant le respect d'un préavis de trois mois et le paiement d'une indemnité à ses colocataires s'il n'est pas remplacé par un nouveau colocataire agréé par le bailleur et par les colocataires, étant entendu que l'agrément du candidat colocataire ne peut être refusé que pour de justes motifs (article 68 du décret attaqué).
B.40. Sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la disposition attaquée occasionne un recul significatif dans la protection du droit au logement des personnes qui habitent en colocation, il suffit de constater que la solidarité critiquée s'inscrit dans un ensemble de règles fixant les droits et les devoirs des parties au contrat de bail et que chaque colocataire a la possibilité de se délier, avant le terme du bail, de ses obligations vis-à-vis du bailleur et des autres colocataires, moyennant un préavis et le paiement d'une indemnité éventuelle. Il s'ensuit que ces règles, examinées ensemble, sont justifiées par le motif d'intérêt général consistant à sécuriser les relations juridiques entre les parties de manière cohérente et équilibrée.
B.41. Le premier moyen, en sa quatrième branche, n'est pas fondé.
Quant au défaut d'indemnisation forfaitaire du preneur expulsé sans titre judiciaire ou contraint de quitter le logement
B.42.1. Par leur troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, les parties requérantes font grief au législateur décrétal de n'avoir pas prévu d'indemnisation forfaitaire au bénéfice du preneur expulsé « sauvagement » de son logement ou contraint par la force de le quitter, alors qu'il a prévu une indemnisation forfaitaire équivalente à dix-huit mois de loyer au bénéfice du preneur obligé de quitter le logement à la suite d'un congé donné illégalement.
B.42.2. L'article 55 du décret attaqué prévoit, en ses paragraphes 2 et 3, la possibilité pour le bailleur de mettre fin anticipativement au bail pour occupation personnelle (ou assimilée) ou pour la réalisation de travaux de transformation de l'immeuble. Dans ces deux hypothèses, s'il s'avère par la suite que le motif du congé n'est pas réalisé conformément à ce qui avait été annoncé pour justifier la fin de bail, le preneur a droit à une indemnité équivalente à dix-huit mois de loyer (article 55, § 2, alinéa 4, et § 3, alinéa 5).
B.43. Le moyen invite la Cour à comparer, d'une part, la situation des preneurs à qui un congé est donné, conformément à l'article 55, §§ 2 ou 3, du décret attaqué, pour occupation personnelle par le bailleur ou pour la réalisation de travaux de transformation du bien et, d'autre part, la situation des preneurs qui sont forcés de quitter le bien loué sans que le bailleur n'ait obtenu du juge de paix un titre permettant l'expulsion. La première catégorie de preneurs évincés a droit à une réparation forfaitaire équivalente à dix-huit mois de loyer, alors que la seconde catégorie de preneurs évincés doit établir le montant de son dommage pour obtenir réparation.
B.44.1. La différence de traitement attaquée repose sur le critère du motif pour lequel le congé donné au preneur est illégal. Ce critère est objectif. La Cour doit examiner s'il est pertinent au regard de l'objet de la mesure et si celle-ci n'entraîne pas des effets disproportionnés pour les preneurs forcés de quitter leur logement de manière illégale.
B.44.2. Le congé donné en vertu de l'article 55, §§ 2 ou 3, du décret attaqué ne saurait être jugé illégal au moment où il est signifié. Son illégalité n'apparaît, le cas échéant, que plusieurs mois plus tard, lorsqu'il est constaté que le bien n'est pas occupé par le propriétaire ou par une personne visée par l'article 55, § 2, alinéa 1er, ou que les travaux prévus n'ont pas été réalisés. En revanche, le bailleur qui force le preneur à quitter les lieux loués sans avoir obtenu de titre judiciaire lui permettant de procéder à l'expulsion commet une violation de l'article 1184 du Code civil, qui prévoit que la résolution du contrat doit être demandée en justice. En outre, l'expulsion forcée peut également être constitutive d'une violation de domicile, qui peut être poursuivie pénalement sur la base de l'article 439 du Code pénal.
B.44.3. Le preneur illégalement forcé de quitter le bien loué peut s'opposer à cette voie de fait et saisir à cette fin une juridiction, civile ou pénale selon les cas, afin de faire cesser l'illégalité ou en vue d'obtenir réparation de son dommage. Celui-ci peut être évalué par le juge saisi en tenant compte de tous les éléments de la situation de fait. En revanche, le preneur à qui un congé a été donné pour occupation personnelle ou pour la réalisation de travaux qui s'aperçoit, ultérieurement, que le motif du congé n'a pas été réalisé a plus de difficultés à établir le dommage qu'il a subi.
B.44.4. Le législateur décrétal a pu craindre que certains bailleurs ne détournent les possibilités de congé pour occupation personnelle ou pour la réalisation de travaux dans le but de mettre fin au bail à tout moment, sans grand risque pour eux d'être amenés à indemniser le preneur évincé plusieurs mois après le congé s'il était constaté que le motif justifiant le congé n'avait pas été réalisé. Il a dès lors pu juger nécessaire de prévoir une indemnité forfaitaire au profit du preneur se trouvant dans cette situation, en vue de dissuader les bailleurs de recourir abusivement aux motifs de rupture du contrat de bail.
B.44.5. En revanche, le législateur décrétal a pu estimer que les possibilités d'action en justice ouvertes au preneur qui est victime d'une expulsion de fait, sans titre judiciaire, ne justifiaient pas de prévoir en plus une indemnité forfaitaire au bénéfice de ce dernier. En outre, en raison de la diversité des situations pouvant être comprises comme étant des expulsions forcées sans titre, il serait difficile de fixer une indemnité forfaitaire trouvant à s'appliquer dans tous les cas.
B.45. Le troisième moyen n'est pas fondé.
Décision
Par ces motifs,
la Cour,
sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.20.3, rejette le recours.