En cause:
les questions préjudicielles concernant l'article 11bis, § 4, du décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 « relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes », posées par le Tribunal de première instance d'Eupen.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul, J. Moerman et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par jugements des 27 juin 2019 et 26 septembre 2019, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 3 juillet 2019 et le 1er octobre 2019, le Tribunal de première instance d'Eupen a posé les questions préjudicielles identiques suivantes :
« 1. Un régime tel que celui qui est prévu à l'article 11bis, § 4, du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes est-il compatible avec l'interdiction de discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) et avec le respect des dispositions relatives à la propriété (articles 16 et 17 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme), en particulier s'il est interprété en ce sens que l'administration peut, sur la base du simple constat qu'une personne domiciliée en Belgique utilise un véhicule immatriculé à l'étranger, procéder immédiatement, sans engager une procédure d'imposition ordinaire telle que celle qui est décrite dans les articles 3 et 15 et suivants du décret précité, à la perception des taxes de circulation, à la saisie du véhicule et, si nécessaire, à sa vente ?
2. Ce régime viole-t-il l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le propriétaire du véhicule est privé du droit à un recours effectif, en d'autres termes, en ce qu'il n'a pas la possibilité de contester en justice, de manière réelle et concrète, l'ingérence dans ses droits ?
3. Ce régime est-il constitutionnel s'il est interprété en ce sens qu'il ne produit ses effets que lorsqu'il existe un titre exécutoire (une taxe de circulation enrôlée), de sorte que l'article 11bis, § 4, du décret précité porte uniquement sur une mesure d'exécution qui ne peut être mise en œuvre que moyennant un titre existant ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7226 et 7257 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
- Karin Laschet, assistée et représentée par Me R. Palm, Me G. Zians, Me A. Haas, Me F. Maraite et Me D. Hannen, avocats au barreau d'Eupen (dans l'affaire n° 7226);
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me C. Detry, avocat au barreau de Namur (dans les deux affaires).
Le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en réponse dans l'affaire n° 7226.
Par ordonnance du 20 mai 2020, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J. Moerman et J.-P. Moerman, a décidé que les affaires étaient en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 3 juin 2020 et les affaires mises en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré le 3 juin 2020.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les deux affaires pendantes devant le juge a quo sont basées sur le constat, établi par les fonctionnaires compétents de la Région wallonne, que les parties demanderesses devant ce juge, domiciliées en Belgique, ont utilisé en Belgique un véhicule qui est immatriculé en Allemagne et qui est la propriété d'une entreprise allemande, sans satisfaire aux conditions prévues par l'article 3, § 2, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 « relatif à l'immatriculation de véhicules » (ci-après : l'arrêté royal du 20 juillet 2001), en vertu desquelles des personnes résidant en Belgique peuvent utiliser en Belgique des véhicules qui ne sont pas immatriculés en Belgique. Les deux parties demanderesses ont été invitées par les fonctionnaires concernés à s'acquitter immédiatement, pour les véhicules en question, de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation, majorées d'une amende. Dans l'affaire n° 7226, le montant payable immédiatement s'élevait à 5 528,40 euros et, dans l'affaire n° 7257, à 8 721,55 euros. Les parties demanderesses ayant refusé de payer les taxes, elles ont été informées du fait qu'elles ne pouvaient pas déplacer ou vendre le véhicule en question, sans l'autorisation des fonctionnaires concernés, et certains documents de bord ont été confisqués. Les parties demanderesses devant le juge a quo contestent le fait qu'elles soient redevables des taxes précitées, en tant qu'épouses de personnes à l'égard desquelles un véhicule de société a été mis à disposition par un employeur ou un donneur d'ordre étranger. Avant de se prononcer quant au fond, le juge a quo estime qu'il s'indique dans les deux affaires de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
II En droit
A Argument
Quant à la première question préjudicielle dans les affaires nos 7226 et 7257
A.1.1. Le Gouvernement wallon estime que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, parce que les catégories de personnes visées dans la question préjudicielle ne sont pas comparables. Selon lui, ces catégories concernent, d'une part, les conducteurs d'un véhicule immatriculé en Belgique et, d'autre part, les personnes qui résident en Belgique et qui conduisent un véhicule de société immatriculé à l'étranger. La différence de traitement entre les deux catégories de personnes résiderait dans le fait que la seconde catégorie de personnes peut, sur la base d'un procès-verbal, être soumise au paiement immédiat de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation, majorées d'une amende administrative, le véhicule pouvant être retenu pendant 96 heures en cas de refus de paiement, alors qu'une telle situation n'est pas possible pour la première catégorie de personnes.
A.1.2. Le Gouvernement wallon expose que, selon l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001, les personnes qui résident en Belgique doivent immatriculer les véhicules qu'elles souhaitent mettre en circulation en Belgique au répertoire des véhicules, en principe même si ces véhicules sont déjà immatriculés à l'étranger. L'immatriculation d'un véhicule à ce répertoire permet aux services compétents de la Région wallonne de procéder à l'établissement et à l'enrôlement de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation, conformément à l'article 3 du décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 « relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes » (ci-après : le décret du 6 mai 1999) et, le cas échéant, de procéder à une taxation d'office, conformément aux articles 15 et suivants de ce décret. Dans la situation dans laquelle un véhicule immatriculé à l'étranger est utilisé par une personne résidant en Belgique, une exception s'applique à l'obligation d'immatriculer le véhicule en Belgique, exception qui ne vaut toutefois que si certains documents se trouvent dans le véhicule. S'il est constaté chez cette personne que les documents en question ne se trouvent pas dans le véhicule, les services de la Région wallonne ne disposent pas des informations nécessaires pour procéder à un enrôlement des taxes, ni à une taxation d'office. S'y ajoute le fait que la personne qui a immatriculé son véhicule en Belgique se trouve dans une situation qui est légale, alors que la personne résidant en Belgique qui roule avec un véhicule immatriculé à l'étranger, sans être en possession des documents requis pour pouvoir bénéficier de l'exemption d'immatriculation du véhicule en Belgique et sans s'être acquittée de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation, se trouve dans une situation illégale. Le Gouvernement wallon estime qu'il ressort de ce qui précède que les catégories de personnes visées ne sont pas comparables.
A.2.1. Le Gouvernement wallon considère que la disposition en cause n'est pas davantage contraire aux articles 16 et 17 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne le droit de propriété, il estime que la disposition en cause instaure un juste équilibre entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général, en l'espèce, le respect de la loi fiscale et, d'autre part, la protection du droit de propriété. En ce qui concerne l'interdiction de la confiscation garantie par l'article 17 de la Constitution, il considère que la disposition en cause n'instaure pas de confiscation au sens de cet article constitutionnel et qu'elle prévoit uniquement des mesures conservatoires qui visent le paiement des taxes dues.
A.2.2. Selon le Gouvernement wallon, le paiement immédiat des taxes visées tend à acquitter la dette fiscale lorsque le véhicule n'est pas immatriculé en Belgique. Il souligne que l'article 17bis du décret du 6 mai 1999 dispose expressément qu'aucune somme de taxes ne peut être perçue des redevables qu'en vertu notamment d'une invitation à payer ou d'un décompte fiscal directement adressé au redevable par le service désigné par le Gouvernement. Selon lui, le procès-verbal de constat et de rétention constitue un décompte fiscal, de sorte que le paiement immédiat fondé sur un tel procès-verbal est justifié. Lorsqu'un véhicule n'est pas immatriculé en Belgique, il est en outre techniquement impossible d'obtenir un titre exécutoire au moment du contrôle d'un redevable dont l'infraction était inconnue avant ce contrôle. Le Gouvernement wallon estime qu'il n'est ni discriminatoire ni disproportionné d'exiger dans une telle situation le paiement immédiat des taxes et des amendes dues. Par ailleurs, l'utilisateur et le propriétaire du véhicule peuvent, après le paiement des taxes, utiliser les recours administratifs et juridictionnels disponibles.
A.2.3. En ce qui concerne la rétention du véhicule pendant 96 heures, le Gouvernement wallon souligne que cette mesure n'est pas une saisie, mais une mesure conservatoire. Lorsque l'intéressé paye dans le délai précité, le véhicule est libéré. Il considère que la rétention est justifiée en raison de la méconnaissance par le redevable d'une règle d'ordre public et en raison de l'existence d'une présomption de fraude.
A.2.4. Lorsque l'intéressé refuse de payer dans le délai précité de 96 heures, le véhicule peut être saisi mais, selon le Gouvernement wallon, il s'agit uniquement d'une possibilité, et donc non d'une obligation. Par ailleurs, la pratique fait apparaître que cette possibilité n'est pas appliquée : à l'expiration du délai précité de 96 heures, le véhicule et les documents de bord sont libérés et, le cas échéant, il est procédé à l'enrôlement des montants encore dus.
A.2.5. En ce qui concerne la vente du véhicule, le Gouvernement wallon souligne qu'elle n'est possible qu'après la saisie et après que le tribunal compétent l'a décidé. L'utilisateur et le propriétaire du véhicule disposent ainsi de la possibilité de s'opposer à la vente du véhicule devant ce tribunal.
A.3.1. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 estime que le constat, établi par les fonctionnaires compétents, qu'une personne domiciliée en Belgique utilise un véhicule immatriculé à l'étranger ne saurait être considéré comme un titre exécutoire sur la base duquel il peut être procédé à la perception immédiate des taxes de circulation, à la saisie du véhicule et, si nécessaire, à la vente de ce véhicule, sans respecter la procédure de taxation ordinaire. Elle estime que la demande de paiement immédiat des taxes de circulation et la rétention du véhicule portent sérieusement atteinte au droit de propriété des personnes concernées. Selon elle, les citoyens peuvent considérer dans un État de droit que, lorsqu'une créance est exigée au moyen d'une mesure de contrainte, cette dernière est pertinente et proportionnée au but poursuivi.
A.3.2. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 est d'avis que la disposition en cause viole le principe d'égalité et de non-discrimination, en ce que cette disposition crée une différence de traitement selon qu'un véhicule est immatriculé ou non en Belgique. En matière de taxes de circulation, lorsque le véhicule est immatriculé en Belgique, l'administration établit une imposition et suit une procédure d'imposition, qui permet au redevable de formuler des observations et d'introduire un recours. Lorsque le véhicule n'est pas immatriculé en Belgique, les fonctionnaires de contrôle perçoivent en revanche immédiatement les taxes de circulation et, en cas de refus de paiement, le véhicule en question est retenu. Elle souligne que, dans la procédure ordinaire, avant de procéder à la taxation d'office, l'administration notifie au redevable la taxation envisagée, aux termes de l'article 16 du décret du 6 mai 1999, et que, sur la base de cette notification, ce redevable peut faire valoir ses observations à l'administration. Selon la partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226, il n'existe aucune justification raisonnable au fait que les personnes résidant en Belgique qui conduisent un véhicule qui n'est pas immatriculé en Belgique ne puissent pas bénéficier d'une réglementation analogue à celle qui est contenue dans l'article 16 du décret du 6 mai 1999. Elle allègue que la disposition en cause est discriminatoire à l'égard des citoyens de l'Union européenne qui exercent leur activité professionnelle dans un autre État membre de l'Union européenne.
Quant à la deuxième question préjudicielle dans les affaires nos 7226 et 7257
A.4.1. Le Gouvernement wallon estime à titre principal que la deuxième question préjudicielle n'appelle pas de réponse, puisque la réponse à cette question qui porte sur l'existence d'un recours effectif pour le propriétaire du véhicule, n'est pas utile à la solution des litiges pendants devant le juge a quo. Il expose que les faits à l'origine des affaires pendantes devant le juge a quo font apparaître que les propriétaires des véhicules concernés ne sont pas impliqués dans ces affaires et qu'ils n'ont dès lors formulé aucun grief.
A.4.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement wallon considère que l'article 11bis, § 4, d), du décret du 6 mai 1999 ne viole pas l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Il estime que les autres dispositions de cet article 11bis, § 4, ne sont pas pertinentes en l'espèce.
Le Gouvernement wallon fait valoir qu'il n'est nullement porté atteinte au droit à un recours effectif, eu égard au fait que l'intéressé dispose, en matière fiscale, tant d'un recours administratif que d'un recours juridictionnel. À ce titre, il renvoie aux articles 25 et 28 du décret du 6 mai 1999. En cas de rétention du véhicule, le propriétaire de celui-ci a la possibilité d'introduire une demande fondée sur les articles 1025 et suivants du Code judiciaire. En outre, le propriétaire du véhicule peut entamer une procédure contre la saisie, sur la base de l'article 1514 du Code judiciaire. Enfin, le propriétaire du véhicule peut introduire une action en justice contre le conducteur du véhicule, en vertu de l'article 1382 du Code civil.
A.4.3. Le Gouvernement wallon estime que la présente affaire est différente de celle qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour n° 124/2018 du 4 octobre 2018, en ce que la disposition en cause prévoit des mesures qui peuvent être appliquées en raison de l'utilisation illégale d'un véhicule, et non en raison de la débition de montants à l'État.
A.5.1. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 soutient que la disposition en cause porte atteinte aux droits du propriétaire du véhicule, en ce que ce propriétaire n'a pas clairement la possibilité d'introduire un recours contre la mesure de rétention du véhicule et sa saisie. Selon elle, la circonstance que les propriétaires des véhicules en question ne sont pas parties dans les affaires pendantes devant le juge a quo n'empêche pas qu'il soit nécessaire d'examiner si la disposition en cause porte atteinte aux droits de ces propriétaires.
A.5.2. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 fait valoir que la perception immédiate des taxes et la rétention du véhicule ne sont pas nécessaires au regard des objectifs poursuivis par les taxes de circulation, puisque le propriétaire et le conducteur du véhicule sont connus des services compétents grâce à la plaque d'immatriculation du véhicule et aux documents d'identité du conducteur contrôlé. Elle estime que le redevable peut ainsi être identifié et que la procédure de taxation ordinaire peut être suivie. C'est pourquoi la perception immédiate et la rétention du véhicule ne sont pas davantage nécessaires au regard de l'objectif qui consiste à garantir la sécurité publique. Elle renvoie à l'arrêt de la Cour n° 124/2018 du 4 octobre 2018, dont elle déduit que la saisie et la vente de biens sans l'intervention d'un tribunal sont inconstitutionnelles lorsque le propriétaire des biens n'a pas la possibilité effective de s'opposer à ces mesures.
A.5.3. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 déduit de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le risque d'une diminution des recettes fiscales ne saurait constituer une justification à la limitation des libertés protégées par le droit de l'Union européenne (libre circulation des travailleurs, liberté d'établissement, libre prestation des services et libre circulation des capitaux). Elle considère que les libertés précitées sont restreintes, non seulement à l'égard de l'entreprise qui met un véhicule à la disposition d'un travailleur, mais aussi à l'égard du travailleur et de l'utilisateur d'un service, lorsqu'une réglementation nationale empêche, au moyen du paiement d'une taxe supplémentaire, le libre accès d'un véhicule de société au territoire d'un État membre de l'Union européenne. Dans cette interprétation, elle allègue que non seulement le propriétaire du véhicule, mais aussi son utilisateur doivent disposer d'un droit d'accès au juge.
A.6. En ce qui concerne l'argumentation basée sur le droit de l'Union européenne, défendue par la partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226, le Gouvernement wallon allègue, premièrement, que la Cour n'est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard du droit de l'Union européenne, deuxièmement, que le juge a quo n'a pas fait mention de ce droit dans ses questions préjudicielles, troisièmement, que la disposition en cause ne prévoit pas en soi le paiement d'une taxe supplémentaire et l'obligation d'immatriculer un véhicule en Belgique et, enfin, que la jurisprudence de la Cour de l'Union européenne à laquelle il est fait référence est sans rapport avec la présente affaire.
Quant à la troisième question préjudicielle dans les affaires nos 7226 et 7257
A.7.1. À titre principal, le Gouvernement wallon estime que la troisième question préjudicielle n'est pas recevable, puisque cette question n'indique pas les articles constitutionnels au regard desquels la Cour devrait contrôler la disposition en cause.
A.7.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement wallon estime que la disposition en cause ne saurait être interprétée de la manière indiquée par la question préjudicielle. Il expose que cette disposition fait partie de la section 2 (« Investigations et contrôles ») du chapitre II (« Déclarations, investigations et contrôles, et moyens de preuve ») du décret du 6 mai 1999. Il considère qu'il en ressort déjà que les mesures prévues par la disposition en cause ne sauraient être interprétées comme de simples mesures d'exécution susceptibles d'être prises uniquement sur la base d'un titre juridique existant. Selon lui, les mesures de contrôle relatives à l'application correcte de la loi fiscale sont, par nature, antérieures à la taxation des personnes concernées.
A.7.3. Selon le Gouvernement wallon, la disposition en cause, telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, porterait atteinte aux compétences de la Région wallonne de régler le service de la taxe et de contrôler l'application correcte de la loi fiscale. De ce fait, cette interprétation serait également contraire à l'article 172 de la Constitution.
A.7.4. En outre, le Gouvernement wallon estime que la disposition en cause n'a pas d'effets disproportionnés, dès lors que la procédure qu'elle prescrit est l'unique procédure possible pour faire respecter la législation fiscale qui est d'ordre public. Obliger l'administration fiscale à disposer préalablement d'un titre exécutoire constituerait en revanche bien une mesure disproportionnée, puisque l'administration n'a aucune possibilité de se procurer un tel titre. Le Gouvernement wallon souligne encore que l'absence d'immatriculation d'un véhicule en Belgique a non seulement des conséquences fiscales, mais qu'elle peut aussi avoir des conséquences pour les tiers, plus précisément dans le cas d'un accident de roulage, la non-immatriculation du véhicule ayant pour effet qu'il est plus difficile d'identifier son conducteur et son assureur.
A.7.5. Le Gouvernement wallon considère dès lors que la disposition en cause est non seulement compatible avec la Constitution, lorsque l'administration dispose d'un titre juridique (enrôlement), mais également lorsqu'il n'existe pas encore d'enrôlement.
A.8. La partie demanderesse devant le juge a quo dans l'affaire n° 7226 souligne que, lorsqu'un redevable n'a pas fait de déclaration, l'administration peut procéder à une taxation d'office que l'administration doit notifier préalablement au redevable, notification qui est motivée par l'intention de protéger les droits du redevable (articles 15 et 16 du décret du 6 mai 1999). Elle souligne qu'en vertu de l'article 17bis du décret du 6 mai 1999, le montant de la taxe due ne peut être perçu que sur la base d'un rôle rendu exécutoire, ce document constituant le titre légal de perception. Lorsqu'un fonctionnaire constate sur place qu'une personne résidant en Belgique conduit un véhicule immatriculé à l'étranger, il peut, selon elle, uniquement constater les faits et, par conséquent, il ne peut pas constater si les taxes de circulation ont été payées ou non ou sont dues ou non par le conducteur ou par le propriétaire du véhicule. Selon elle, la disposition en cause est seulement constitutionnelle dans l'interprétation selon laquelle elle ne peut être appliquée que lorsqu'il existe un titre juridique, plus précisément une taxe de circulation enrôlée qui peut être mise à exécution. Selon elle, une autre interprétation de cette disposition viole le principe de proportionnalité, qui fait partie des libertés et droits fondamentaux.
B Point de vue de la cour
B.1. L'article 11bis, § 4, d), du décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 « relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes » (ci-après : le décret du 6 mai 1999) dispose :
« Les fonctionnaires visés au § 1er sont plus spécifiquement autorisés pour le contrôle de la perception de la taxe de circulation, taxe de mise en circulation, eurovignette et prélèvement kilométrique à :
[…]
d) se faire acquitter immédiatement entre leurs mains, par le conducteur du véhicule, le montant éludé de la taxe, majoré d'une amende administrative lors du constat sur la voie publique de l'infraction de non-paiement de la taxe.
En cas de refus de la part du conducteur, le véhicule est retenu jusqu'au paiement des sommes dues. Si celles-ci ne sont pas acquittées dans les nonante-six heures de la constatation de l'infraction, le véhicule est saisi.
Un avis de saisie est envoyé à la personne physique ou morale qui est ou doit être reprise au certificat d'immatriculation dans les deux jours ouvrables.
Les risques et frais éventuels résultant de la rétention et de la saisie sont à charge de la personne physique ou morale qui est ou doit être reprise au certificat d'immatriculation ou à défaut de paiement à charge du propriétaire, de l'exploitant, du détenteur ou du conducteur du véhicule tenus solidairement conformément à la législation de la taxe concernée.
La saisie est levée après paiement des sommes et des frais dus.
À défaut de paiement de ces sommes et frais, le tribunal condamne à leur paiement et ordonne la vente du véhicule saisi. Les frais de justice, le montant de la taxe concernée, l'amende et les autres frais y relatifs sont déduits du produit de la vente du véhicule et l'excédent éventuel est remboursé à la personne physique ou morale qui est ou doit être reprise au certificat d'immatriculation du véhicule.
Pour l'application du présent § 4, d), les dispositions des lois et règlements sur les douanes et accises relatives à la rétention, la saisie et la vente sont d'application ».
B.2. Par les première et deuxième questions préjudicielles, le juge a quo demande à la Cour si cette disposition, dans l'interprétation selon laquelle les fonctionnaires compétents de la Région wallonne peuvent, sur la base du constat sur la voie publique qu'une personne domiciliée en Belgique utilise un véhicule immatriculé à l'étranger, procéder immédiatement, sans engager la procédure d'imposition ordinaire telle qu'elle est décrite dans les articles 3 et 15 et suivants du décret précité, à la perception des taxes de circulation, à la saisie du véhicule et, si nécessaire, à sa vente, est compatible ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution, avec ses articles 16 et 17, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, et avec l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par la troisième question préjudicielle, ce juge demande à la Cour si la disposition en cause « est constitutionnelle » si elle est interprétée en ce sens que les fonctionnaires compétents de la Région wallonne ne disposent des pouvoirs précités à l'égard de personnes domiciliées en Belgique qui utilisent un véhicule immatriculé à l'étranger que lorsqu'il existe un titre exécutoire, plus précisément un rôle rendu exécutoire relatif aux taxes de circulation.
B.3.1. Le Gouvernement wallon fait valoir que la troisième question préjudicielle n'est pas recevable parce qu'elle n'indique pas les articles constitutionnels au regard desquels la Cour devrait contrôler la disposition en cause.
B.3.2. Bien que la troisième question préjudicielle demande à la Cour si la disposition en cause « est constitutionnelle » dans l'interprétation précitée, il peut être déduit de manière suffisamment claire de l'ensemble des questions posées à la Cour que le contrôle demandé concerne les mêmes normes de référence que celles qui sont indiquées dans les deux premières questions préjudicielles.
L'exception est rejetée.
B.4.1. Le Gouvernement wallon allègue également que la troisième question préjudicielle n'appelle pas de réponse, parce que cette question se fonderait sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.
B.4.2. Il appartient en règle au juge a quo d'interpréter les dispositions qu'il applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.
B.4.3. L'examen du point de savoir si l'interprétation de la disposition en cause contenue dans la troisième question préjudicielle est ou non manifestement erronée se confond en l'espèce avec l'examen du fond.
B.5.1. Selon l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 « relatif à l'immatriculation de véhicules » (ci-après : l'arrêté royal du 20 juillet 2001), les personnes résidant en Belgique doivent immatriculer au répertoire des véhicules visés à l'article 6 dudit arrêté royal les véhicules qu'elles désirent mettre en circulation, en principe même si ces véhicules sont déjà immatriculés à l'étranger.
B.5.2. L'immatriculation d'un véhicule au répertoire des véhicules entraîne la soumission à la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et à la taxe de mise en circulation (articles 21, 94, 1°, et 99, § 1er, du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus).
B.5.3. L'article 3, § 2, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 prévoit des exceptions à la règle relative à l'immatriculation obligatoire de véhicules au répertoire, contenue dans l'article 3, § 1er. Les personnes qui résident en Belgique peuvent utiliser en Belgique un véhicule immatriculé à l'étranger, notamment lorsqu'il s'agit d'un « véhicule qu'une personne physique utilise dans l'exercice de sa profession et accessoirement à titre privé et qui est mis à disposition par un employeur ou donneur d'ordre étranger » (article 3, § 2, 2°). Cette exception ne s'applique toutefois que lorsqu'« une copie du contrat de travail ou de l'ordre [se trouve] à bord du véhicule, ainsi qu'un document établi par l'employeur ou donneur d'ordre étranger montrant que celui-ci a mis le véhicule à disposition de cette personne ».
B.5.4. Lorsqu'il est satisfait aux conditions de l'article 3, § 2, 2°, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001, une personne peut utiliser en Belgique un véhicule qui n'est pas immatriculé au répertoire des véhicules. L'exemption de l'obligation d'immatriculer un véhicule à ce répertoire a pour effet que les personnes concernées ne sont pas soumises à la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et à la taxe de mise en circulation.
B.6. Il ressort des décisions de renvoi que les faits à l'origine des affaires pendantes devant le juge a quo reposent sur le constat, établi par les fonctionnaires compétents de la Région wallonne, que les parties demanderesses devant ce juge, qui sont domiciliées en Belgique, ont utilisé en Région wallonne un véhicule immatriculé à l'étranger qui n'est pas immatriculé au répertoire belge des véhicules, sans que les documents visés par l'article 3, § 2, 2°, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 se trouvent à bord du véhicule. Il ressort aussi de ces décisions de renvoi que les véhicules sont la propriété d'entreprises étrangères et que les époux de chacune des parties demanderesses devant le juge a quo sont professionnellement actives auprès des entreprises en question.
La Cour limite son examen des questions préjudicielles à cette situation.
B.7.1. Selon l'article 3 du décret du 6 mai 1999, les taxes régionales wallonnes font l'objet de rôles annuels ou spéciaux, ce qui a pour effet que la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et la taxe de mise en circulation sont en principe perçues au moyen d'extraits de rôle, accompagnés d'une invitation à payer, qui sont envoyés aux redevables. En outre, les articles 15 à 17 du décret du 6 mai 1999 prévoient une procédure de taxation d'office qui peut notamment être appliquée dans les cas d'abstention du redevable définis à l'article 15. Avant de procéder à la taxation d'office, l'administration notifie au redevable, par lettre recommandée à la poste, les motifs du recours à cette procédure et les éléments sur lesquels la taxation est basée, ainsi que le mode de détermination de ces éléments et le montant de la taxe (article 16, alinéa 1er). Ensuite, le redevable peut faire valoir ses observations par écrit à l'administration, dans le délai prévu par l'article 16 du décret du 6 mai 1999 (article 16, alinéa 2).
B.7.2. L'article 11bis, § 4, d), du décret du 6 mai 1999, qui est la disposition en cause, prévoit une procédure de perception qui déroge aux procédures décrites en B.7.1. Cette disposition autorise les fonctionnaires compétents de la Région wallonne à se faire acquitter immédiatement entre leurs mains le montant éludé de la taxe, majoré d'une amende administrative, lors du constat sur la voie publique de l'infraction de non-paiement de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation.
En cas de refus de la part du conducteur, le véhicule est retenu jusqu'au paiement des sommes dues.
Si celles-ci ne sont pas acquittées dans les 96 heures de la constatation de l'infraction, le véhicule est saisi, un avis de saisie étant envoyé dans les deux jours ouvrables à la personne physique ou morale qui est ou doit être mentionnée sur le certificat d'immatriculation. Les risques et frais éventuels résultant de la rétention et de la saisie sont à charge de la personne physique ou morale qui est ou doit être mentionnée sur le certificat d'immatriculation ou, à défaut de paiement, à charge du propriétaire, de l'exploitant, du détenteur ou du conducteur du véhicule tenus solidairement conformément à la législation de la taxe concernée.
La saisie est levée après paiement des sommes et des frais dus.
À défaut de paiement de ces sommes et frais, le tribunal condamne à leur paiement et ordonne la vente du véhicule saisi. Les frais de justice, le montant de la taxe concernée, l'amende et les autres frais y relatifs sont déduits du produit de la vente du véhicule et l'excédent éventuel est remboursé à la personne physique ou morale qui est ou doit être mentionnée sur le certificat d'immatriculation du véhicule.
B.8.1. Ainsi que le fait valoir le Gouvernement wallon, la disposition en cause ne saurait manifestement être interprétée en ce sens que les fonctionnaires compétents de la Région wallonne ne peuvent se prévaloir des pouvoirs prévus par cette disposition que lorsqu'ils disposent d'un rôle rendu exécutoire. Il découle en effet de l'ensemble des procédures de perception des taxes décrites en B.7.1 et B.7.2 que la disposition en cause autorise les fonctionnaires compétents de la Région wallonne, par dérogation à la procédure de perception ordinaire, à se faire acquitter immédiatement entre leurs mains le montant éludé de la taxe, majoré d'une amende administrative lors du constat sur la voie publique de l'infraction de non-paiement. Il ressort de l'emploi dans cette disposition des termes « immédiatement » et « constat sur la voie publique » que ces fonctionnaires peuvent recourir aux pouvoirs prévus par cette disposition sans disposer d'un rôle rendu exécutoire. Selon l'article 17bis, § 1er, du décret du 6 mai 1999, une somme de taxes peut par ailleurs être perçue des redevables non seulement en vertu d'un rôle rendu exécutoire, mais aussi en vertu d'une obligation de paiement d'initiative mise à charge du redevable par la législation ou en vertu d'une invitation à payer ou d'un décompte fiscal, directement adressé au redevable par le service désigné par le Gouvernement.
B.8.2. En ce que la troisième question préjudicielle est basée sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, cette question n'appelle pas de réponse.
B.9.1. L'article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
B.9.2. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition en cause.
B.9.3. L'article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, deuxième phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase). Un impôt ou une autre contribution constituent, en principe, une ingérence dans le droit au respect des biens.
En outre, aux termes de l'article 1er du Premier Protocole additionnel, la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
L'ingérence dans le droit au respect des biens n'est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et celles de la protection de ce droit. Même si le législateur fiscal dispose d'une large marge d'appréciation, un impôt viole dès lors ce droit s'il fait peser sur le contribuable une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière (CEDH, 31 janvier 2006, Dukmedjian c. France, §§ 52-58; décision, 15 décembre 2009, Tardieu de Maleissye e.a. c. France; 16 mars 2010, Di Belmonte c. Italie, §§ 38 à 40).
B.10.1. Comme il est dit en B.5.3 et B.5.4, les personnes physiques qui résident en Belgique et qui utilisent en Région wallonne un véhicule immatriculé à l'étranger sont en principe exonérées de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation lorsque ce véhicule a été mis à disposition par un employeur ou donneur d'ordre étranger, et qu'il est utilisé dans l'exercice d'une profession et accessoirement à titre privé.
B.10.2. Les conditions d'application de l'exonération précitée sont précisées dans une circulaire de la Région wallonne du 30 mars 2018 (« Circulaire relative aux taxes de circulation et de mise en circulation sur les véhicules automobiles. – Véhicules immatriculés à l'étranger et utilisés sur le territoire wallon par une personne résidant en Région wallonne. – Conditions d'imposition, d'exonération et d'exigibilité à la taxe de circulation et à la taxe de mise en circulation »).
En ce qui concerne la condition relative à la mise à disposition du véhicule « par un employeur ou donneur d'ordre étranger », la circulaire précise que l'exonération ne vaut pas uniquement pour des personnes qui sont liées à un employeur étranger par un contrat de travail, mais également pour des personnes qui sont liées à un donneur d'ordre étranger. Selon la circulaire, les personnes revêtues de la qualité de travailleur indépendant pouvant justifier l'exercice d'une activité professionnelle réelle dans l'État dans lequel le véhicule utilisé a été immatriculé, relèvent de cette dernière catégorie, ainsi que les associés actifs et les mandataires d'une société, à condition d'être rémunérés pour leur activité.
En ce qui concerne la condition relative à l'utilisation du véhicule « dans l'exercice de sa profession et accessoirement à titre privé », la circulaire précise que si la personne qui donne droit à l'exonération de la taxe n'est pas le conducteur du véhicule concerné, la soumission à la taxe dépend de la question de savoir si le conducteur est domicilié ou non à la même adresse que la personne ouvrant le droit à une exemption de l'obligation d'immatriculer le véhicule en Belgique : ce n'est que si le conducteur est domicilié à la même adresse que la personne ouvrant le droit à l'exonération de la taxe que celle-ci s'applique également à ce conducteur.
B.10.3. L'exonération de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation, qui est valable en principe pour les personnes précitées, est toutefois liée à la condition prévue par l'article 3, § 2, 2°, de l'arrêté royal du 20 juillet 2001, selon laquelle « une copie du contrat de travail ou de l'ordre [se trouve] à bord du véhicule, ainsi qu'un document établi par l'employeur ou le donneur d'ordre étranger montrant que celui-ci a mis le véhicule à disposition de cette personne ». La circulaire du 30 mars 2018, précitée, précise cette condition pour les différentes catégories de personnes qui entrent en considération pour l'exonération de la taxe.
Ainsi qu'il ressort également de la circulaire du 30 mars 2018, la circonstance que les documents précités ne se trouvent pas à bord du véhicule entraîne la soumission du conducteur du véhicule à la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et à la taxe de mise en circulation.
B.10.4. Lorsque les documents précités ne se trouvent pas à bord du véhicule, les fonctionnaires compétents sont autorisés, aux termes de la disposition en cause, à se faire acquitter immédiatement entre leurs mains le montant des taxes, majoré d'une amende administrative, lors d'un contrôle sur la voie publique et, en cas de refus de paiement, à mettre en œuvre les mesures de rétention, de saisie et de vente du véhicule, prévues par cette disposition.
B.11. Il découle de ce qui précède que les personnes qui, en raison des circonstances particulières dans lesquelles elles se trouvent, entrent en principe en considération pour bénéficier d'une exonération de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation, perdent cette exonération lorsqu'à la suite d'un contrôle sur la voie publique, il est constaté que les documents précités ne se trouvent pas à bord du véhicule, et qu'elles peuvent, par conséquent, être soumises par les fonctionnaires compétents au paiement immédiat des taxes, majorées d'une amende administrative, le véhicule pouvant, en cas de refus de paiement, être retenu, saisi et, le cas échéant, vendu dans les circonstances décrites dans la disposition en cause.
B.12. Compte tenu du fait que les personnes qui résident en Belgique et qui sont professionnellement actives à l'étranger entrent en principe en considération pour être exonérées des taxes visées, en ce qui concerne l'utilisation en Région wallonne du véhicule immatriculé à l'étranger qui est mis à leur disposition dans le cadre de leur activité professionnelle, ainsi que de la nature substantielle du montant des taxes à s'acquitter immédiatement entre les mains des fonctionnaires compétents, et des répercussions importantes que la disposition en cause associe au refus de payer immédiatement ce montant, la disposition en cause n'est pas proportionnée à l'objectif consistant à aboutir à la perception correcte de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation. En effet, la soumission aux taxes visées, la perception immédiate du montant des taxes à payer et, en cas de refus de paiement, la mise en œuvre des mesures relatives à la rétention, à la saisie et à la vente du véhicule, découlent en réalité à l'égard des personnes précitées uniquement de l'absence de certains documents à bord du véhicule. En ce que la disposition en cause ne permet pas aux personnes concernées de démontrer ultérieurement à l'aide des documents précités qu'elles sont exonérées de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation, cette disposition rompt le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la protection du droit de propriété.
B.13. À l'égard des personnes physiques qui résident en Région wallonne, et qui utilisent dans cette Région, dans le cadre de leur profession et accessoirement à titre privé, un véhicule immatriculé à l'étranger, qui a été mis à leur disposition par un employeur ou donneur d'ordre étranger, la disposition en cause n'est pas compatible, pour les motifs précités, avec le droit de propriété, tel qu'il est garanti par l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
B.14. Compte tenu de ce constat d'inconstitutionnalité, il n'est pas nécessaire d'examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les autres normes de référence visées dans les première et deuxième questions préjudicielles, dès lors que cet examen ne saurait conduire à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.
Décision
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L'article 11bis, § 4, d), du décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 « relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes » viole l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition autorise les fonctionnaires compétents de la Région wallonne à se faire acquitter immédiatement entre leurs mains le montant de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et de la taxe de mise en circulation, majoré d'une amende administrative, lors du constat sur la voie publique d'une infraction à la règle contenue dans l'article 3, § 2, b), de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 « relatif à l'immatriculation de véhicules », concernant la présence à bord du véhicule des documents libellés dans cet article, à l'égard de personnes physiques qui résident en Belgique et qui, dans le cadre de leur profession et accessoirement à titre privé, utilisent en Région wallonne un véhicule qui est immatriculé à l'étranger et qui est mis à leur disposition par un employeur ou un donneur d'ordre étranger, et, en cas de refus de paiement, à mettre en œuvre les mesures prévues par ledit article 11bis, § 4, d), relatives à la rétention, à la saisie et à la vente du véhicule.