Commune – Contrat de concession – Rejet implicite – Secrets d'affaires – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
la Ville de Wavre,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel que modifié pour la dernière fois le 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courriel le 18 septembre 2019 ;
Vu l’accusé de réception et la demande d’information adressée par courrier recommandé à la partie adverse le 19 septembre 2019 ; vu l’accusé de réception de ce courrier daté du 20 septembre ;
Vu la réponse de la partie adverse du 26 septembre 2019.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande initiale du 11 août 2019 porte sur la communication des pièces du dossier concernant la privatisation de la gestion des parkings de la ville de Wavre. Elle porte sur l’obtention d’une copie des documents suivants :
- « cahier des charges de l’appel d’offres
- liste des sociétés contactées
- offre des soumissionnaires
- rapport d’analyse des offres
- procèsverbal du choix du contractant
- contrat signé avec le contractant ».
3. Le 2 septembre, la Ville de Wavre adresse une demande de consultation à la Commission, concernant le même objet. Cette demande est fondée sur l’article L3231-5, § 2, du CDLD, encore en vigueur au moment du dépôt de la demande.
Cette disposition a cependant été abrogée par le nouveau décret du 2 mai 2019, qui institue un droit de recours devant la Commission, et qui lui octroie à cette fin un pouvoir décisionnel, décret entré en vigueur le 9 septembre 2019. La possibilité de demander un avis préalable à la Commission dans un dossier spécifique ne serait en effet, notamment, pas compatible avec l’exercice de la mission de celle-ci « de manière indépendante et impartiale », comme l’exige l’article 8sexies du décret du 30 mars 1995, tel qu’il a été inséré par le nouveau décret.
La Commission examine d’abord le présent recours.
4. La demande initiale, datant du 11 août 2019, a été rejetée implicitement par la Ville de Wavre qui n’a pas donné suite à celle-ci endéans les 30 jours.
La Ville reconnaît n’avoir communiqué aucun motif d’ajournement ou de rejet à la partie demanderesse ; elle n’a notamment pas invoqué la demande d’avis du 2 septembre 2019 à la Commission. La Ville de Wavre ne peut donc bénéficier d’une prolongation du délai de réponse, au sens de l’article L3231-3, alinéa 3, du CDLD. Dès lors, la demande initiale du 11 août 2019 est réputée avoir été rejetée le 10 septembre, conformément à l’article L3231-3, dernier alinéa, du CDLD.
Enfin, la partie requérante a introduit son recours endéans les 30 jours du rejet implicite de la Ville de Wavre (intervenu le 10 septembre 2019).
5. En ce qui concerne les modalités d’introduction du recours, la partie requérante n’a pas introduit son recours par recommandé, ni par tout autre moyen conférant date certaine à l’envoi. En soi, le simple courrier électronique n’est pas de nature à conférer une date certaine.
Toutefois, la date du courrier recommandé envoyé à la partie adverse en application de l’article 8bis, alinéa 3, du décret du 30 mars 1995, confère, le cas échéant, date certaine au recours. La Commission attire l’attention sur le risque que prend la partie requérante en termes d’expiration du délai de recours dans un tel cas.[1]
En l’espèce, la date certaine de l’envoi du recours est le 19 septembre 2019. Ce recours devait être envoyé dans un délai de trente jours prenant effet « le lendemain de l’expiration du délai visé à l’article 6, §5 ou à l’article 7, alinéa 2 », soit le 11 septembre 2019. Le dernier jour utile pour introduire le présent recours à la Cada était le 10 octobre 2019. Le présent recours a été introduit de manière certaine le 19 septembre 2019, soit dans le délai légal de 30 jours, de sorte qu’il est recevable ratione temporis.
Le recours est donc recevable.
Examen du recours
6. La partie adverse est une commune wallonne, soumise au Code de la démocratie locale et de la décentralisation. Selon l’article L3231-1 de ce Code, « le droit de consulter un document administratif d’une autorité administrative provinciale ou communale et de recevoir une copie du document consiste en ce que chacun, selon les conditions prévues par le présent livre, peut prendre connaissance sur place de tout document administratif, obtenir des explications à son sujet et en recevoir communication sous forme de copie ».
Le recours vise à obtenir la communication de six documents différents : le cahier des charges de l’appel d’offres, la liste des sociétés contactées, les offres des soumissionnaires, le rapport d’analyse des offres, le procès-verbal du choix du contractant et le contrat signé avec le contractant.
7. En ce qui concerne le cahier des charges de l’appel d’offre, s’agissant d’une procédure d’attribution d’un contrat de concession avec publicité, celui-ci a été rendu public sur le site internet officiel des marchés publics (E-procurement[2]). Le recours concernant ce document est donc sans objet.
8. Le deuxième document sollicité est la liste des sociétés qui ont été contactées par la Ville. S’agissant d’une procédure avec publicité, fondée sur la loi du 17 juin 2016 relative aux contrats de concession, aucune société n’a pu être contactée par la partie adverse. Le recours concernant ce document est irrecevable dès lors que le document est inexistant.
9. Le troisième document a pour objet l’offre des soumissionnaires. Les offres sont composées de nombreux documents reprenant des informations relatives à l’essence même de leurs services et constituent des informations d’entreprises confidentielles.
Ces informations sont protégées entre autres par le respect de la vie privée des personnes morales et des secrets d’affaires.
En effet, le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires. Ce principe général de droit a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Selon la Commission européenne, ce principe protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».[3] Il est également protégé par les articles XI.332/1 et suivants du Code de droit économique. L’article I.17/1, 1° du Code de droit économique définit d’ailleurs le secret d’affaires comme suit :
« information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
En l’espèce, les offres des soumissionnaires sont très détaillées et comprennent un grand nombre d’informations techniques, commerciales et stratégiques. Il en résulte que ces documents bénéficient de l’exception relative à la protection des secrets d’affaire, déduite de l’atteinte à la vie privée. Si le principe devrait être celui de la communication des informations non protégées par les secrets d’affaire contenues dans les offres, vu le travail considérable nécessaire pour assurer une telle communication (plus de 800 pages à analyser), la publicité de ces informations doit néanmoins être considérée comme suffisamment assurée par la publicité du rapport d’analyse des offres et du procès-verbal du choix du contractant (voir ci-après), qui reprennent suffisamment le contenu de ces informations.
10. Les quatrième et cinquième documents concernent le rapport d’analyse des offres et le procès-verbal du choix du contractant. Le rapport d’analyse compare les deux soumissionnaires par rapport aux critères d’attribution du marché ; le procès-verbal reprend pratiquement l’ensemble du rapport d’analyse des offres et officialise l’attribution du marché à l’un des soumissionnaires. Ces documents ne reprennent pas les spécifications techniques des différentes offres, mais énoncent certains chiffres ou certaines caractéristiques qui pourraient relever du secret des affaires des soumissionnaires (par exemple les tranches de calcul de la redevance – mais pas le montant total[4] ; ou les noms des opérateurs de paiement mobile avec lesquels les soumissionnaires ont des accords). Ils établissent sur cette base une cotation objective de chacun des critères d’attribution.
Dès lors, la Commission relève que l’exception relative aux secrets d’affaires ne peut s’appliquer que partiellement. Les documents doivent donc être communiqués en occultant les quelques informations relevant du secret des affaires des soumissionnaires.
11. Le dernier document demandé est le contrat signé avec le contractant. Selon le préambule de celui-ci, « les Parties ont repris dans le présent Contrat les dispositions des Documents de Concession et de l’Offre finale du Concessionnaire ». Aucun élément du contrat ne semble relever des secrets d’affaires à l’exception des tranches de calcul de la redevance. La communication de ce document ne peut se voir opposer aucune autre exception ; celui-ci doit donc être communiqué en occultant les quelques informations relevant du secret des affaires des soumissionnaires.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le rapport d’analyse des offres, le procès-verbal du choix du contractant et le contrat signé doivent être communiqués, dans un délai de 20 jours, en occultant les informations relatives aux secrets d’affaires qu’ils contiennent.