SPW Agriculture ressources naturelles environnement – Bien-être animal – Rapports d'inspection – Amendes administratives – Échanges avec le parquet – Autorisations de saisie – Document à caractère personnel – Vie privée – Recherche ou poursuite de faits punissables – Secret de l'information pénale – Communication (non)
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
Service public de Wallonie Agriculture, Ressources naturelles et Environnement,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 1er avril 2020 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 3 avril 2020 et reçue le 6 avril 2020 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 15 mai 2020.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 13 février 2020 porte sur l’obtention sous forme de copie des documents suivants :
- Les rapports d’inspections de l’unité bien-être animal rédigés lors d’inspections organisées en 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 auprès d’une entreprise déterminée, ciblée dans la demande et dans le recours ;
- Les demandes de paiement d’amendes administratives envoyées, de 2016 à 2020, à cette même entreprise ;
- Les preuves de paiement des amendes administratives proposées à cette entreprise ;
- Les lettres, ainsi que leurs annexes, envoyées de 2016 à 2020, au Parquet de Tournai dans le dossier contre cette entreprise ;
- Les lettres, ainsi que leurs annexes, envoyées de 2016 à 2020, au Parquet de Mons dans le dossier contre cette entreprise ;
- Les autorisations obtenues auprès du tribunal de police pour procéder à des saisies d’animaux appartenant à cette entreprise.
2. Les documents sollicités sont des documents administratifs au sens de l’article 1er, alinéa 2, 2°, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après : le décret du 30 mars 1995).
3. La demande, datant du 13 février 2020, a été rejetée implicitement par l’entité concernée le 16 mars 2020.
4. Le recours a été introduit le 1er avril 2020. Dès lors, la partie requérante a introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain du rejet implicite.
5. Dans sa réponse du 15 mai 2020, la partie adverse a communiqué à la Commission les documents sollicités, en précisant qu’ils le sont à titre confidentiel.
La Commission tient à rappeler à cet égard qu’il ressort de l’esprit du décret du 30 mars 1995 que les informations obtenues par la Commission dans le cadre de l’instruction du dossier sont confidentielles[1]. La communication des documents sollicités vise à permettre à la Commission d’exercer la mission légale qui lui est dévolue, dans le respect de cette confidentialité.
6. La partie adverse soulève tout d’abord l’irrecevabilité du recours, en ce que les documents seraient des documents à caractère personnel au sens de l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, de sorte que la partie requérante doit justifier d’un intérêt.
La partie adverse souligne à cet égard :
« Bien qu’il s’agisse d’une demande concernant directement une entreprise, les documents sollicités comportant indéniablement plusieurs aspects pénaux, lesquels peuvent ainsi directement concerner les dirigeants de l’entreprise, ils doivent être qualifiés, à notre analyse, de documents à caractère personnel. Dans ces conditions, la demande introduite est incomplète et de ce fait irrecevable dès lors que la demande ne reprend aucun élément justifiant l’intérêt à pouvoir disposer de ces documents administratifs ».
7. En ce qui concerne les documents à caractère personnel, la justification d’un intérêt constitue une condition de recevabilité de la demande d’accès, et, partant, du recours. La notion de document à caractère personnel est définie comme « un document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » par l’article 1er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995.
8. En l’espèce, la Commission estime que les documents sollicités, portant sur des éléments pénaux ou assimilés comme tels, d’une entreprise déterminée, constituent bien des documents à caractère personnel[2], dès lors que leur divulgation peut manifestement causer un préjudice à ses dirigeants, lesquels sont aisément identifiables en l’espèce.
Dès lors, la partie requérante doit justifier d’un intérêt afin d’obtenir la copie de ces documents.
9. En l’espèce, la partie requérante justifie son intérêt à agir en invoquant sa qualité de « plus grande association d’adhérents à la cause animale en Belgique ».
La Commission rappelle à cet égard que « l’intérêt requis n’est cependant pas nécessairement un intérêt personnel ». En l’espèce, en sa qualité de plus grande association d’adhérents à la cause animale en Belgique, la partie requérante a pour objet statutaire la protection des animaux en général.
Dès lors que les documents sollicités sont tous liés à cet objet statutaire, la partie requérante justifie de l’intérêt requis, de sorte que le recours est recevable.
10. Cependant, l’intérêt de la partie requérante n’emporte pas automatiquement la reconnaissance d’un droit dans son chef d’accéder aux documents à caractère personnel sollicités. En effet, les exceptions prévues par le décret peuvent s’appliquer même si l’intérêt de la partie requérante est démontré.
Examen du recours
11. Dans sa réponse du 15 mai 2020, la partie adverse avance trois séries d’exceptions pour justifier le refus de communication.
12. Elle invoque tout d’abord l’exception relative à la protection de l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables, prévue à l’article 6, § 1er, alinéa 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995, et l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, alinéa 1er, 1°, du même décret.
La partie adverse précise encore que, pour les rapports d’inspections et les lettres et ses annexes adressées aux Parquets de Tournai et de Mons dans le cadre de ce dossier, « le contenu de ces éléments est par ailleurs couvert par le secret de l'enquête pénale dont la violation est réprimée par l'article 458 du Code pénal ».
Sans qu’il soit besoin d’examiner si une enquête pénale est actuellement en cours, la Commission constate, au vu du contenu des documents, qu’ils ont été transmis au Procureur du Roi, que la partie adverse n’a pas été informée d’un classement sans suite dans ce dossier, et que, par conséquent, ils sont couverts par le secret de l’information pénale. Cette exception est donc soulevée à juste titre par la partie adverse.
La Commission rappelle également, en ce qui concerne l’exception relative à la recherche ou la poursuite des faits punissables, instituée par l’article 6, § 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995, que toute information « qui pourrait porter atteinte à la recherche et à la poursuite de faits punissables tombe sous le coup de l’exception, […] »[3].
En l’occurrence, il faut considérer que les documents sollicités par la requérante sont protégés par l’exception relative à la protection de l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables prévue à l’article 6, § 1er, alinéa 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995, puisque les fonctionnaires qui ont rédigé ces documents pourraient être appelés à intervenir au cours de l’information pénale, en témoignant et/ou en déposant le dossier qu’ils ont constitué.
Enfin, de manière plus générale, transmettre à ce stade ce type d’informations porterait atteinte à la présomption d’innocence dont l’intéressé bénéficie tout au long de la procédure administrative et pénale. Si l’affaire est renvoyée devant les juridictions correctionnelles, les débats seront en principe publics, ce qui permettra à la partie requérante de les suivre et de s’informer sur les infractions qui auraient été commises.
En l’espèce, la partie requérante ne démontre pas que l’intérêt pour elle d’accéder aux documents sollicités l’emporte sur l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables ou sur les droits fondamentaux de la personne qui fait, le cas échéant, l’objet d’une information pénale.
13. La partie adverse invoque ensuite l’exception relative au droit au respect de la vie privée, notamment des dirigeants de l’entreprise, prévue à l’article 6, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret du 30 mars 1995, et l’impossibilité d’une communication partielle en l’espèce.
La Commission rappelle à cet égard que les données à caractère personnel, notamment au sens du droit européen[4], sont les informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, et notamment les informations spécifiques propres à l’identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale de la personne concernée.
En l’espèce, les documents sollicités concernant une entreprise particulière, clairement identifiée, l’anonymisation des documents sollicités ne peut garantir ni le droit de cette entreprise à une protection de sa réputation ni le droit de son dirigeant, tout aussi clairement identifié, au respect de sa vie privée, laquelle comprend une protection de la vie professionnelle. Les documents sollicités concernent en effet spécifiquement les activités menées dans les locaux d’une entreprise identifiée : dès lors, l’occultation d’éléments relevant de la vie privée (identité, adresse…) ne suffit pas à préserver celle-ci[5].
14. Enfin, concernant les autorisations obtenues auprès du tribunal de police pour procéder à des saisies d’animaux appartenant à l’entreprise visée, la partie adverse précise que :
« […] Il n’en existe en réalité aucune. En effet, les saisies administratives d’animaux peuvent être décidées et mise en œuvre par les agents constatateurs de la Région wallonne conformément à l’article D.149bis du Livre Ier du Code de l’Environnement, et cette procédure légale ne nécessite pas l’autorisation préalable d’un Tribunal. Lorsque la compétence du bien-être animal était encore fédérale, les autorisations de visite domiciliaire devaient être délivrées par ce Tribunal de police. Cette compétence est désormais dévolue au juge d’instruction. Par ailleurs, ces autorisations n’ont pas dû être sollicitées dans le cadre du présent dossier dès lors que l’établissement visé ne constitue pas un domicile et que les contrôles n’ont pas été refusés par l’exploitant ».
Il ressort de ce qui précède que les autorisations sollicitées n’existent pas.
En ce qu’il porte sur de tels documents, qui sont inexistants, le recours est rejeté pour défaut d’objet.
Par ces motifs, la Commission décide :
Les documents sollicités ne doivent pas être communiqués à la partie requérante.