Commune – Audit d'une ASBL communale – Document à caractère personnel – Recherche ou poursuite de faits punissables (oui) – Secret de l'information pénale – Document incomplet ou inachevé (non) – Avis ou opinion communiqué librement à titre confidentiel – Vie privée – Communication (non)
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
Commune de Waterloo,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD), les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courriel le 9 janvier 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 12 janvier 2021 et reçue le 13 janvier 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 26 janvier 2021.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 24 novembre 2020 porte sur l’obtention d’une copie de l’audit concernant l’ASBL […].
2. Le document sollicité est un document administratif au sens de l’article L3211-3 du CDLD s’il existe et est en possession de la partie adverse.
3. En ce qui concerne les modalités d’introduction du recours, la partie requérante a introduit son recours par courriel. Or en principe, le simple courrier électronique n’est pas de nature à conférer une date certaine.
Toutefois, la date du courrier recommandé envoyé à la partie adverse en application de l’article 8bis, alinéa 3, du décret du 30 mars 1995[1], confère, le cas échéant, date certaine au recours. La Commission attire l’attention sur le risque que prend la partie requérante en termes d’expiration du délai de recours dans un tel cas[2].
4. En l’espèce, le courrier recommandé en application de l’article 8bis, alinéa 3, susmentionné a été envoyé à la partie adverse le 12 janvier 2021. Dès lors, il y a lieu de considérer cette date certaine comme celle du présent recours. La demande date du 24 novembre 2020 et a été rejetée implicitement par l’entité concernée le 24 décembre 2020. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain du rejet implicite.
5. La Commission estime que le document sollicité est un document à caractère personnel en ce qui concerne certains passages, pour lesquels il faut justifier d’un intérêt en vertu de l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD.
En effet, la Commission rappelle que le requérant doit justifier d’un intérêt lorsqu’il s’agit d’un document à caractère personnel. Il s’agit d’une condition de recevabilité de la demande d’accès.
La notion de document à caractère personnel est définie comme « un document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » par l’article L3211-3, alinéa 2, 3°, du CDLD.
Dès lors, la partie requérante doit justifier d’un intérêt afin d’obtenir la copie des passages de ce document, en ce que ces extraits constituent des appréciations relatives à une personne physique nommément désignée. La Commission rappelle également que « l’intérêt requis n’est cependant pas nécessairement un intérêt personnel ».
En l’espèce, la partie requérante ne justifie aucun intérêt. Les parties du document sollicité considérées comme un document à caractère personnel ne peuvent donc pas être communiquées.
Examen du recours
6. Dans sa réponse du 26 janvier 2021, la partie adverse avance plusieurs exceptions pour refuser la communication du document sollicité.
7. La partie adverse avance tout d’abord l’exception relative à la recherche ou la poursuite des faits punissables instituée par l’article 6, § 1er, alinéa 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995. La Commission rappelle également, en ce qui concerne cette exception que toute information « qui pourrait porter atteinte à la recherche et à la poursuite de faits punissables tombe sous le coup de l’exception, […] »[3].
En l’occurrence, le document sollicité a été communiqué au Parquet du Brabant wallon et une information pénale est cours. Il faut donc considérer que ce document est protégé par l’exception relative à la protection de l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables prévue à l’article 6, § 1er, alinéa 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995, puisque le fonctionnaire qui a rédigé ce document pourrait être appelé à intervenir au cours de l’information pénale, en témoignant et/ou en déposant le dossier qu’il a constitué.
Enfin, de manière plus générale, transmettre à ce stade ce type d’informations porterait atteinte à la présomption d’innocence dont l’intéressé bénéficie tout au long de la procédure administrative et pénale. Si l’affaire est renvoyée devant les juridictions correctionnelles, les débats seront en principe publics, ce qui permettra à la partie requérante de les suivre et de s’informer sur les infractions qui auraient été commises.
En l’espèce, la partie requérante ne démontre pas que l’intérêt pour elle d’accéder aux documents sollicités l’emporte sur l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables ou sur les droits fondamentaux de la personne qui fait, le cas échéant, l’objet d’une information pénale.
8. En ce qui concerne l’exception invoquée relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret du 30 mars 1995[4].
Il ressort de la réponse de la partie adverse qu’une enquête pénale est en cours.
La Commission constate que le document sollicité a été transmis au procureur du Roi et que, par conséquent, il est couvert par le secret de l’information pénale.
Cette exception est donc soulevée à juste titre par la partie adverse.
9. La partie adverse soulève également l’exception prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 1°, relative à un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet.
La Commission rappelle que cette exception doit réunir deux conditions cumulatives.
Le document doit être inachevé, d’une part, et être source de méprise ou malentendu, d’autre part. Le document sollicité ayant été approuvé et signé par le Directeur financier ff, il ne peut donc s’agir d’un document inachevé. L’exception ne s’applique pas.
10. La partie adverse avance également l’exception prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, relative à un avis ou une opinion, communiqué librement et à titre confidentiel à l’autorité.
L’exception relative à l’avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel à l’autorité n’est pas applicable pour tout le document sollicité en l’espèce. En effet, les conditions cumulatives d’application de cette exception sont :
- seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ;
- l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’autorité administrative, en l’absence de toute obligation légale ;
- l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’autorité administrative ;
- la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitant à la communication de l’avis ou de l’opinion ;
- l’avis ou l’opinion émane de tiers, à l’exclusion donc des fonctionnaires ou préposés de l’autorité administrative[5].
Or, le document sollicité, à l’exception de son annexe 7 contenant des témoignages, contient une énumération de faits, le caractère confidentiel n’en ressort pas expressément et l’opinion n’émane pas d’un tiers mais du directeur financier de l’entité administrative qui a été mandaté par le Collège communal pour établir ce rapport. L’exception n’est pas applicable, sauf en ce qui concerne l’annexe 7 du document sollicité qui répond à toutes les conditions d’application.
11. La partie adverse avance également l’exception relative à la protection de la vie privée prévue à l’article 6, §2, 1°, du décret du 30 mars 1995 notamment concernant l’ASBL concernée.
La Commission rappelle également que les données à caractère personnel, notamment au sens du droit européen[6], sont les informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, et notamment les informations spécifiques propres à l’identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale de la personne concernée.
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires. Ce principe général de droit a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Selon la Commission européenne, ce principe protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Il est également protégé par les articles XI.332/1 et suivants du Code de droit économique.
L’article I.17/1, 1° du Code de droit économique définit le secret d’affaires comme suit :
« information qui répond à toutes les conditions suivantes : a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ; b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ; c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
En l’espèce, le document sollicité comprend des informations financières propres à l’ASBL.
Ces informations répondent aux conditions citées à l’article 1.17/1, 1°, du Code de droit économique en ce qu’elles sont secrètes, qu’elles ne sont pas connues des personnes appartenant au milieu et que cela leur donne une valeur commerciale.
12. Au vu du raisonnement ci-dessus, et des exceptions qui ont été considérées comme étant fondées, le document sollicité ne doit pas être communiqué. De plus, il apparait comme étant impossible de procéder à une communication partielle sans porter atteinte aux intérêts protégés par les exceptions légales applicables.
Décision n° 108 du 11 janvier 2021 de la CADA wallonne.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le document sollicité ne doit pas être communiqué.