Région Wallonne – Ministre en charge de la Santé – COVID 19 – Contrats d'achats de vaccins – Document en possession de l'autorité (non) – Recours sans objet – Avis ou opinion communiquée librement et à titre confidentiel (non) – Composition Commission d'avis – Vie privée (non) – Communication
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
La Région wallonne, représentée par la ministre de la Santé,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 22 mars 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 24 mars 2021 et reçue le 25 mars 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 6 avril 2021 ainsi que les échanges ultérieurs.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 1er mars 2021 porte sur l’obtention de :
- Une copie des avis rendus par le Comité consultatif de l’AFMPS ayant servi de base aux décisions de la Conférence interministérielle Santé publique (CIM) de souscrire à l’achat des vaccins AstraZeneca, Johnson&Johnson, BioNTech/Pfizer, CureVac, Moderna (deux contrats) et GSK/Sanofi ;
- une copie des contrats d’achat de ces mêmes vaccins ;
- « l’identité des personnes siégeant dans ce Comité consultatif et qui, le cas échéant, négocient au nom de notre pays au niveau européen ».
2. La demande date du 1er mars 2021 et a été rejetée explicitement par l’entité concernée le 10 mars 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain de la réception du rejet explicite.
Examen du recours
3. Concernant les contrats d’achat des vaccins (AstraZeneca, Johnson&Johnson, BioNTech/Pfizer, CureVac, Moderna (2x) et GSK/Sanofi), la partie adverse a informé la Commission qu’elle ne dispose pas de ces contrats dont elle n’est pas signataire.
Dès lors que la partie adverse ne dispose pas de ces documents, ils ne constituent pas des documents administratifs au sens de l’article 1er, 2ème alinéa, 2°, du décret.
Toutefois, conformément à l’article 5, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, « Lorsque la demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie est adressée à une entité qui n'est pas en possession du document administratif, celle-ci en informe sans délai le demandeur et lui communique la dénomination et l'adresse de l'autorité qui, selon les informations dont elle dispose, est détentrice du document ».
La Commission constate que, pour cet élément de la demande, la partie adverse a informé la requérante conformément à cette disposition.
4. Concernant les avis rendus par le Comité consultatif de l’AFMPS ayant servi de base aux décisions de la Conférence interministérielle Santé publique (CIM) de souscrire à l’achat des vaccins susmentionnés, la partie adverse informe la Commission qu’elle ne dispose pas de l’intégralité de ces avis.
Les avis dont elle dispose ont été communiqués à la Commission dans une version en partie occultée, telle qu’elle a été transmise à la partie adverse par l’AFMPS.
La partie adverse invoque l’exception légale liée au caractère confidentiel des avis en cause.
Il ressort des travaux préparatoires que cette exception facultative, initialement prévue par l’article 6, § 3, 2°, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, a pour objectif « d'éviter la création d'un circuit « secret » parallèle d'avis informels, communiqués de manière confidentielle, (qui sont souvent utiles), parce que celui qui les donne, ne veut pas que son identité ou son opinion devienne publique », étant entendu que la protection conférée par cette exception « ne vaut qu'à l'égard d'opinions personnelles, et pas à l'égard de données de faits reprises dans les avis ou opinions » (Doc. parl., Ch. repr., sess.ord. 1992-1993, n° 1112/1, p. 19).
Cette exception n’est pas applicable en l’espèce. En effet, les conditions cumulatives d’application de cette exception sont les suivantes :
- seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ;
- l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’autorité administrative, en l’absence de toute obligation légale ;
- l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’autorité administrative ; la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitante à la communication de l’avis ou de l’opinion ;
- l’avis ou l’opinion émane de tiers, à l’exclusion donc des fonctionnaires ou préposés de l’entité administrative[1].
Or, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments transmis à la Commission que les avis transmis par l’AFMPS l’auraient été librement ou à titre confidentiel. Qui plus est, la partie adverse a indiqué que ces avis feront l’objet d’une publication sur le site de cette Agence.
La Commission attire l’attention de la partie adverse sur l’exception relative à la protection des relations internationales de la Région prévue à l’article 6, § 1er, 5°, du décret du 30 mars 1995, ainsi qu’à l’exception relative à la protection des relations internationales fédérales de la Belgique prévue à l’article 6, § 1er, 3°, de la loi du 12 avril 1994.
La Commission ne perçoit pas d’autre exception qui pourrait s’appliquer aux documents sollicités. Par conséquent, la partie adverse doit communiquer les documents sollicités à la partie requérante.
5. Cependant, parmi les documents transmis par la partie adverse, plusieurs documents, annexes aux avis, ont été établis par un cabinet d’avocat concernant l’analyse des contrats d’achat des vaccins (AstraZeneca, Johnson&Johnson, BioNTech/Pfizer, Moderna).
Or la Commission est d’avis que les correspondances entre le cabinet d’avocat et la partie adverse relèvent de l’exception relative à une obligation de secret instaurée par la loi (secret professionnel) ou le décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
En effet, « le secret professionnel de l’avocat peut constituer une exception au sens des législations relatives à la publicité de l’administration. Si ce secret est au cœur des règles déontologiques relatives à la profession d’avocat, il peut aussi trouver son fondement à l’article 458 du Code pénal ainsi que dans les droits fondamentaux protégés par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
(…)
la protection du secret professionnel des avocats s’étend essentiellement aux documents émanant des avocats eux-mêmes (…) le secret professionnel de l’avocat a pour objectif de permettre à l’avocat et à son client de communiquer en toute liberté, sans crainte de voir le contenu de ces échanges divulgué à des tiers » [2].
Ces annexes ne doivent donc pas être communiquées.
6. Concernant l’identité des personnes siégeant dans le Comité consultatif et qui, le cas échéant, négocient au nom de la Belgique au niveau européen, la partie adverse a communiqué à la Commission un document contenant la composition, à un moment donné, du Comité d’avis pour les achats de vaccins Covid-19.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme suit :
« § 2. L'entité ou l'autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ».
Le décret wallon du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée. La Commission rappelle néanmoins que les données déjà rendues publiques, ou que les données de personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques.
Elle partage également l’avis de l’ancienne Commission de protection de la vie privée, selon laquelle « le fait même d'exercer une fonction publique ou d'utiliser des ressources publiques ne peut pas aboutir à une négation totale du droit au respect de la vie privée des personnes concernées »[3].
S’agissant d’une Commission d’avis mandatée par la Conférence Interministérielle (CIM) Santé Publique, sa composition peut être communiquée.
La partie adverse communiquera à la partie requérante le tableau regroupant les noms des personnes membres de cette Commission d’avis Vaccins Covid-19.
7. Au vu de l’absence de difficulté, les documents seront communiqués dans un délai de 15 jours à partir de la notification de la présente décision.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est irrecevable en ce qui concerne les contrats sollicités.
Le recours est rejeté en ce qui concerne les consultations d’avocats annexées aux avis du Comité consultatif.
Le recours est fondé pour le surplus. La partie adverse communiquera les documents sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.