En cause:
le recours en annulation des articles D.2, 56°bis, D.33/1, D.34, D.37 et D.40, § 1er, du Livre II du Code de l'Environnement constituant le Code de l'Eau, tel qu'il a été modifié par le décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « modifiant divers textes, en ce qui concerne les cours d'eau », introduit par la SA « Immobilière de Famelette ».
La Cour constitutionnelle,
composée du président L. Lavrysen, des juges R. Leysen, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et S. de Bethune, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 mai 2019 et parvenue au greffe le 4 juin 2019, la SA « Immobilière de Famelette », assistée et représentée par Me P. Lejeune et Me N. Schynts, avocats au barreau de Liège, a introduit un recours en annulation des articles D.2, 56°bis, D.33/1, D.34, D.37 et D.40, § 1er, du Livre II du Code de l'Environnement constituant le Code de l'Eau, tel qu'il a été modifié par le décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « modifiant divers textes, en ce qui concerne les cours d'eau » (publié au Moniteur belge du 5 décembre 2018).
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Depré et Me E. de Lophem, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me L. Renoy, avocat au barreau du Luxembourg;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me K. Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles.
La partie requérante a introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 16 juin 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 30 juin 2021 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le 30 juin 2021.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II En droit
A Argument
Quant à la recevabilité du recours
A.1.1. La SA « Immobilière de Famelette », partie requérante, expose qu'elle est propriétaire de plusieurs terrains situés en bord d'un cours d'eau non navigable de première catégorie. En cette qualité de propriétaire, elle est directement affectée dans ses droits, en particulier dans son droit de propriété et dans son droit de pêche, par les dispositions attaquées.
A.1.2. L'article 6 du décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « modifiant divers textes, en ce qui concerne les cours d'eau » (ci-après : le décret du 4 octobre 2018), modifiant l'article D.2, 56°bis, du Livre II du Code de l'Environnement constituant le Code de l'Eau (ci-après : le Code de l'Eau) affecterait la partie requérante en ce qu'il établit une nouvelle définition de la notion de « lit mineur ». La partie requérante estime en effet que le législateur décrétal, en optant pour le principe du « plenissum flumen », acception du lit mineur qui comprend le chenal ordinaire d'écoulement et les berges jusqu'à la crête de berge, a choisi une définition du lit mineur qui est extensive par rapport au sens usuel de cette notion, lequel découle également des règlementations existantes. Ainsi, les dictionnaires et écrits spécialisés démontrent que le sens usuel du lit mineur d'un cours d'eau désigne uniquement son chenal ordinaire d'écoulement, tel qu'il est visé à l'article D.2, 56°bis, du Code de l'eau. La partie requérante souligne également que tant l'article 1er du Règlement provincial de Liège relatif aux cours d'eau non navigables que le Guide juridique de la Région wallonne relatif aux cours d'eau non navigables prévoient la même définition minimaliste, et non la définition maximaliste prônée dans les dispositions attaquées. Certes, le principe du « plenissum flumen » n'est pas inconnu et est notamment présent en droit français dans la loi du 18 avril 1898, mais la référence à cette ancienne loi est inopportune, puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux voies navigables. La partie requérante relève par ailleurs que la nouvelle définition est à tout le moins marquée d'une certaine opacité, dès lors qu'elle ne correspond pas au schéma des travaux préparatoires censé l'illustrer. L'extension de la définition affecte donc manifestement les droits de la partie requérante sur le lit de la Mehaigne.
A.1.3. L'article 24 du décret du 4 octobre 2018, qui modifie l'article D.34 du Code de l'Eau, affecterait la partie requérante en ce qu'il instaure une présomption de propriété des cours d'eau non navigables et qu'il soumet ceux-ci au régime de la domanialité publique.
La partie requérante estime devoir d'abord lever l'opacité qui entoure la question de la propriété des cours d'eau. Dans les travaux préparatoires du décret du 4 octobre 2018, il est fait mention d'une controverse doctrinale quant à la propriété des cours d'eau entre les tenants des thèses privatiste, communiste et domaniste, une controverse qui aurait été définitivement réglée par un arrêt rendu par la Cour de cassation en 1948 (Cass., 2 décembre 1948, Pas., 1948, I, p. 687). Selon la partie requérante, cette affirmation est contraire à la réalité. L'arrêt de la Cour de cassation n'est pas aussi décisif que les travaux préparatoires le laissent penser. Ainsi, l'article 538 de l'ancien Code civil ne comprend pas les cours d'eau non navigables. De plus, la partie requérante soutient que la présomption de propriété du lit mineur des cours d'eau non navigables dans le chef du gestionnaire, instaurée par l'article 24 du décret du 4 octobre 2018, lequel reproduit l'article 16 de la loi du 28 décembre 1967 « relative aux cours d'eau non navigables » (ci-après : la loi du 28 décembre 1967), et par l'article 42 du Livre II du Code de l'Environnement, est incompatible avec certaines dispositions de l'ancien Code civil, en ce qu'elle annihile indirectement les droits de riveraineté, tels qu'ils sont notamment prévus aux articles 560, 561 et 644 de l'ancien Code civil. Enfin, il convient de souligner que, jusqu'ici, la Région wallonne admettait l'affirmation selon laquelle les berges étaient la propriété des riverains. Or la nouvelle définition va clairement à l'encontre de cette affirmation.
En ce qui concerne l'assujettissement des cours d'eau non navigables au régime de la domanialité publique, la partie requérante souligne qu'avant l'entrée en vigueur du décret attaqué, la domanialité des cours d'eau non navigables était contestée. Il existe, dans les travaux préparatoires, un paradoxe quant au rapport juridique entre domanialité et propriété. Bien qu'il y soit mentionné que les deux notions sont distinctes, le décret du 4 octobre 2018 semble également prévoir que la propriété est une condition nécessaire de la domanialité; cette dernière peut compléter la propriété, s'y superposer ou la paralyser. Selon la partie requérante, toute domanialité suppose une appropriation préalable. Un bien appartient au domaine public lorsqu'il est affecté à l'usage de tous ou à un service public (Cass., 15 mars 2018, F.16.0141.N). Ce régime implique l'inaliénabilité, l'imprescriptibilité et l'insaisissabilité des biens. Or, selon la partie requérante, tel n'est pas le cas en ce qui concerne les cours d'eau non navigables. D'une part, l'affectation à l'usage de tous n'est pas forcément possible pour tous les cours d'eau non navigables. D'autre part, l'affectation à un service public doit également être questionnée, dans la mesure où le cours d'eau non navigable n'est pas en soi un bien dont on peut faire usage mais une valeur à protéger.
Pour toutes ces raisons, la partie requérante soutient que la disposition attaquée l'affecte suffisamment dans son droit de propriété et qu'elle justifie d'un intérêt au recours.
A.1.4. La partie requérante s'estime en outre affectée en ce que les dispositions attaquées la privent de ses droits de riveraineté. La partie requérante constate que les travaux préparatoires du décret du 4 octobre 2018 mentionnent que l'inaliénabilité inhérente à la domanialité ne fait pas obstacle à l'octroi d'autorisations domaniales et que les droits de riveraineté sont maintenus et restent inchangés. Ces droits de riveraineté comprennent classiquement le droit de pêche. Il est également reconnu que les droits de riveraineté sont des droits réels immobiliers qui sont des accessoires du droit de propriété des riverains de cours d'eau non navigables. En dépit des affirmations faites dans les travaux préparatoires, la partie requérante soutient que le décret du 4 octobre 2018 a pour effet de supprimer purement et simplement les droits de riveraineté, puisque leur exercice est un obstacle à l'usage de tout ce qui découle désormais du régime de domanialité. La conclusion manifeste est que le droit de pêche appartient désormais à la Région wallonne ou qu'il est à tout le moins extrêmement précarisé dans le chef des riverains. En effet, l'exercice par la partie requérante de son droit de pêche dans la Mehaigne suppose la réalisation de travaux. Alors qu'auparavant la partie requérante pouvait user de son droit d'effectuer les travaux utiles, ces derniers sont rendus impossibles en vertu des articles 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, puisqu'ils doivent dorénavant être effectués par le gestionnaire, sauf adoption d'une liste dérogatoire, laquelle n'existe pas. Quand bien même cette liste existerait, elle n'enlèverait rien à la précarité nouvelle du droit de pêche. Cette précarisation résulte également, selon la partie requérante, de l'absence d'intégration de la législation idoine dans les réflexions sur la réforme des cours d'eau non navigables. Auparavant, la police des cours d'eau non navigables se contentait des objectifs de facilitation de l'écoulement et de prévention des inondations. L'approche multifonctionnelle actuelle (qui comprend des objectifs écologiques, socio-économiques et socio-culturels) a, par définition, une prétention à l'exhaustivité. Or la pêche y a été complètement oubliée. Pour la partie requérante, le résultat est clair, elle est purement et simplement privée de son droit de pêche.
A.1.5. Enfin, la partie requérante s'estime affectée en ce que les dispositions attaquées la privent du droit d'user d'un gué. La partie requérante est propriétaire de deux parcelles se situant de part et d'autre de la Mehaigne dont l'unique accès à la seconde consiste en un gué datant du dix-neuvième siècle. Celui-ci, indispensable à la partie requérante, appartient désormais au domaine public, en vertu des dispositions attaquées. Dès lors que l'article 36 du décret du 4 octobre 2018 soumet l'usage privatif des cours d'eau non navigables à une autorisation domaniale, l'usage dudit gué est dorénavant soumis à l'appréciation discrétionnaire et par nature précaire de l'autorité publique. Par conséquent, l'usage de ce gué historique, qui avait été construit sans infraction, est remis en cause.
A.2.1. Le Gouvernement wallon conteste l'intérêt de la partie requérante au recours. Il constate que le législateur décrétal a mis fin à une insécurité juridique, ce qui ne peut causer un préjudice à la partie requérante. En outre, le Gouvernement wallon estime que la partie requérante ne saurait être affectée par une mesure qui était déjà d'application. La présomption réfragable de propriété était en effet présente tant dans la loi du 28 décembre 1967 qu'à l'article 42 du Code de l'Environnement. En ce qui concerne le grief selon lequel la partie requérante serait privée de toute possibilité d'effectuer des travaux, il importe de souligner que les nouvelles dispositions ne l'empêchent nullement d'effectuer les travaux d'entretien qui lui sont utiles, dès lors que l'obligation de disposer d'une autorisation vise uniquement des travaux de plus grande ampleur. De la même manière, il est inexact d'affirmer que la partie requérante serait privée de ses droits de riveraineté, puisque les travaux préparatoires du décret attaqué mentionnent expressément que ceux-ci sont laissés intacts par les nouvelles mesures.
A.2.2. Le Gouvernement wallon observe que la partie requérante attaque une définition en particulier, à savoir celle de « lit mineur », en faisant abstraction des autres définitions, comme celles de « cours d'eau » et de « crête de berge ». Or ces définitions sont interdépendantes et doivent être prises dans leur ensemble. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, le législateur décrétal a voulu mettre fin à une insécurité juridique en optant pour la définition usuelle du lit mineur. En effet, il convient de relever que cette acception de la notion de lit mineur est appuyée par l'interprétation relative à la loi du 28 décembre 1967, par la doctrine, par la jurisprudence des cours et tribunaux, par la position du Service public de Wallonie, ainsi que par le règlement de la Province de Liège, que la partie requérante cite d'ailleurs de manière incorrecte. Le Gouvernement wallon remarque qu'à aucun moment les travaux préparatoires n'ont mentionné la loi française du 18 avril 1898 comme étant le fondement du choix de cette définition. La définition du lit mineur est par conséquent adéquate et conforme à ce que la notion a toujours recouvert. Elle ne peut donc, à ce titre, affecter la partie requérante.
A.2.3. Le Gouvernement wallon conteste également l'apparente incertitude soulevée par la partie requérante quant à la présomption de propriété. L'article 24 du décret du 4 octobre 2018, qui modifie l'article D.34 du Code de l'eau, est une reprise de l'article 16 de la loi du 28 décembre 1967. Cette présomption existait donc déjà, elle est simplement maintenue. Tant la doctrine spécialisée sur le sujet que l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 1948 confirment cette analyse (Cass., 2 décembre 1948, Pas., 1948, I, p. 687). Cette présomption n'est en aucun cas contraire aux droits de riveraineté, puisqu'elle s'applique sans préjudice des articles 561 et 644 de l'ancien Code civil. Le Gouvernement wallon en conclut que la présomption ne réduit ni ne supprime les droits et obligations des propriétaires riverains.
A.2.4. En ce qui concerne la domanialité, le Gouvernement wallon rappelle tout d'abord que droit de propriété et domanialité ne se confondent pas. Ainsi, la présomption de propriété peut être renversée s'il existe un titre contraire, de sorte qu'elle ne s'assimile pas à une expropriation. Dans le même temps, le cours d'eau conserve son statut domanial. Ce n'est en effet pas l'accès au lit d'un cours d'eau qui constitue le critère de la domanialité, mais le droit qu'a tout citoyen de tirer du domaine public l'utilisation correspondant à son affectation.
A.2.5. Dans le prolongement de ce raisonnement, le Gouvernement wallon souligne que ni la présomption de propriété ni le régime de domanialité ne sont contraires au droit de pêche. L'eau étant une chose commune, selon un enseignement constant, les riverains des cours d'eau non navigables bénéficient du droit de pêche en vertu de l'article 4 du décret du 27 mars 2014 « relatif à la pêche fluviale, à la gestion piscicole et aux structures halieutiques » (ci-après : le décret du 27 mars 2014). Ceci n'a toutefois jamais empêché que l'exercice des droits de riveraineté puisse être soumis à des règles de police ou à une autorisation préalable. Si la Région wallonne n'a pas modifié le décret du 27 mars 2014, c'est parce qu'elle n'a pas souhaité brider le droit de pêche des riverains, ce que les travaux préparatoires montrent clairement. Quant au grief selon lequel le législateur décrétal n'aurait pas tenu compte du droit de pêche dans son approche multifonctionnelle des cours d'eau, il ne peut être suivi. L'objectif de la Région wallonne était en effet de concilier tous les usages des cours d'eau non navigables, y compris sa fonction socio-culturelle. Or celle-ci comprend la pêche.
A.2.6. Enfin, le Gouvernement wallon tient à rectifier l'affirmation de la partie requérante selon laquelle il est désormais requis d'obtenir une autorisation préalable pour utiliser un gué. L'autorisation est uniquement requise pour l'exécution de travaux, à l'exclusion de l'usage et de l'occupation.
A.2.7. Par conséquent, le Gouvernement wallon demande à la Cour de déclarer le recours en annulation irrecevable, faute pour la partie requérante de justifier d'un intérêt.
A.3.1. Le Gouvernement flamand aussi demande à la Cour de déclarer le recours en annulation irrecevable, faute pour la partie requérante de justifier d'un intérêt. Le décret du 4 octobre 2018 se borne en effet à introduire une présomption réfragable de propriété. Il est toujours possible, pour les riverains, de faire valoir un titre de propriété pour renverser la présomption. Mais le Gouvernement flamand se montre sceptique sur la capacité de la partie requérante à faire valoir un titre de propriété sur tout ou partie du lit de la Mehaigne. La conclusion est simple : si la partie requérante est propriétaire du cours d'eau non navigable et qu'elle renverse la présomption, il ne peut être question d'une quelconque affectation de son droit de propriété, alors que, si elle n'est pas propriétaire, elle ne saurait être affectée par les dispositions attaquées. Quant à l'argument selon lequel ce serait la domanialité, et non la présomption de propriété, qui fonderait la partie requérante à être affectée par les dispositions attaquées, il ne peut pas davantage être invoqué. Le Gouvernement flamand relève que, s'il apparaissait que le lit de la Mehaigne (ou une partie de celui-ci) n'appartient pas au gestionnaire, l'affectation domaniale pourrait tout au plus mener à une servitude d'utilité publique, laquelle ne constitue pas une atteinte au droit de propriété.
A.3.2. Du reste, les éléments avancés par la partie requérante en ce qui concerne l'atteinte à ses divers droits de riveraineté ne justifient pas davantage son intérêt au recours. Le Gouvernement flamand affirme en effet que le décret du 4 octobre 2018 n'a pas modifié ces droits. Ainsi, il a toujours été reconnu que la domanialité n'était pas un obstacle aux droits de riveraineté. De même, la circonstance que les articles 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018 confient au gestionnaire l'accomplissement de certains travaux n'est pas de nature à grever la partie requérante, puisque, d'une part, les petits travaux et travaux d'entretien, dont ceux qui sont utiles pour la pêche, peuvent être effectués par d'autres personnes moyennant une déclaration préalable, et que, d'autre part, les travaux plus importants peuvent être concédés par l'autorité publique et doivent en tout état de cause être réalisés par le
gestionnaire dans le respect du principe d'égalité, de la liberté de commerce et d'industrie et de l'utilisation adéquate du domaine public. Enfin, ces travaux sont toujours susceptibles d'être attaqués devant les tribunaux.
A.4.1. En réponse au Gouvernement flamand, la partie requérante fournit un acte notarié qui confirme, selon elle, sa propriété sur les deux rives de la Mehaigne.
A.4.2. La partie requérante insiste, en réponse aux arguments développés par les Gouvernements wallon et flamand, sur le fait qu'il est incorrect de considérer que l'état du droit antérieur était homogène. Hormis la présomption de propriété, tout est nouveau. Le fait que la présomption de propriété existait déjà ne fait pas obstacle au recours, puisqu'il s'agit ici d'une « codification créatrice » et d'une « nouvelle manifestation de volonté », selon les travaux préparatoires (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 5), et non d'une intervention purement légistique.
A.5. Le Gouvernement wallon se borne à répliquer que la partie requérante ne répond pas sérieusement au moyen d'irrecevabilité soulevé.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.6. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par les articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 39, 134 et 143, § 1er, de la Constitution et des articles 6, § 1er, II, 1°, 6, § 1er, III, 6° et 8°, 10, 19, §§ 1er et 2, et 79, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), ainsi que du principe général de proportionnalité.
A.7. Le Gouvernement flamand, qui ne voit pas pourquoi les articles 6, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018 cités au moyen par la partie requérante seraient pertinents, soulève l'irrecevabilité partielle du moyen. L'article 6 introduit une nouvelle définition. La partie requérante ne démontre pas en quoi la Région wallonne serait incompétente pour adopter une définition. De la même manière, la partie requérante n'indique pas en quoi les articles 32 et 36, qui concernent respectivement les petits travaux et l'autorisation domaniale, relèveraient de la compétence de l'autorité fédérale. En conséquence, le premier moyen n'est recevable qu'en ce qu'il porte sur l'article 24 du décret du 4 octobre 2018.
A.8. La partie requérante répond que l'irrecevabilité partielle soulevée par le Gouvernement flamand est non fondée car toutes les dispositions visées participent à l'atteinte aux droits de propriété et de riveraineté.
A.9. Dans son mémoire en réplique, le Gouvernement flamand s'étonne que la partie requérante explique pour la première fois dans son mémoire en réponse en quoi les articles 6, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018 violeraient les normes visées au premier moyen. Dès lors que cette explication ne figurait pas dans la requête et que la partie requérante ne peut étendre sa requête en cours de procédure, conformément à la jurisprudence de la Cour (arrêt n° 79/2019 du 23 mai 2019), il convient de constater qu'il s'agit d'une extension non autorisée de l'objet de la requête. Si la Cour devait aboutir au constat inverse, le Gouvernement flamand estime que la circonstance que ces dispositions « participeraient » à la violation est insuffisante pour conclure à la recevabilité du moyen pour ces articles.
En ce qui concerne la première branche du premier moyen
A.10.1. Dans une première branche, la partie requérante soutient que, par les dispositions attaquées, la Région wallonne a empiété sur les compétences dévolues à l'autorité fédérale. Elle reconnaît que la Région wallonne est effectivement compétente en matière d'environnement et de politique de l'eau (article 6, § 1er, II, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980), de pêche fluviale (article 6, § 1er, III, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980), ainsi que de cours d'eau non navigables (article 6, § 1er, III, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980). Toutefois, ces compétences doivent être exercées sans préjudice des compétences réservées à la loi (article 19, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980). La partie requérante estime que les dispositions attaquées empiètent
manifestement sur la compétence résiduelle de l'autorité fédérale en matière de droit civil. Il en résulte selon elle que la Région wallonne n'est pas compétente pour adopter les dispositions attaquées.
A.10.2. Quand bien même la Région wallonne pourrait-elle faire usage de la faculté, offerte par l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, de recourir aux pouvoirs implicites, la partie requérante estime que les conditions de cet usage ne sont pas remplies. Il y a lieu de souligner que le législateur décrétal n'a pas expressément voulu recourir aux pouvoirs implicites, de sorte que l'on peut tout au plus deviner une motivation dudit usage. La partie requérante estime que le recours à l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 n'est pas nécessaire, puisqu'il rend impossible l'exercice par l'autorité fédérale de sa propre compétence, que les mesures prises sont contraires à l'ancien Code civil et que la question de l'incidence des mesures sur l'ancien Code civil n'a pas été abordée par le législateur décrétal.
A.11.1. Le Conseil des ministres examine uniquement le premier moyen de la partie requérante. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres, se référant aux travaux préparatoires du décret du 4 octobre 2018, reconnaît que l'appartenance des cours d'eau non navigables au domaine public est contestée. Selon certains auteurs, ces cours d'eau seraient la propriété des riverains; selon les auteurs les plus récents et selon la jurisprudence, la domanialité publique prévaudrait. L'article 16 de la loi du 28 décembre 1967 prévoit déjà que le lit d'un cours d'eau non navigable est présumé appartenir à l'État. Le Conseil des ministres relève que la Région wallonne présente l'assujettissement des cours d'eau non navigables à un régime de domanialité publique par le décret attaqué comme la confirmation d'une situation antérieure, découlant de l'ancien Code civil, tout en reconnaissant qu'il demeure une incertitude doctrinale et jurisprudentielle sur ce point. La Région wallonne reconnaît dès lors elle-même qu'elle agit en matière de droit civil et qu'elle empiète probablement sur les compétences de l'autorité fédérale.
A.11.2. Quand bien même la Région wallonne voudrait faire application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, les conditions fixées par ce dernier pour recourir aux pouvoirs implicites ne sont pas remplies en l'espèce. D'une part, l'utilisation de ces compétences accessoires implique que, dans le champ de l'empiètement des compétences sur celles de l'autorité fédérale, cette dernière n'est plus fondée à intervenir. Or tel n'est pas le cas en l'espèce, selon le Conseil des ministres. D'autre part, la condition de l'incidence marginale de l'empiètement n'est en tout état de cause pas remplie.
A.12. Le Gouvernement wallon réfute le premier moyen formulé par la partie requérante, en ses deux branches. En ce qui concerne la première branche de ce moyen, le Gouvernement wallon estime que la Région wallonne n'a pas excédé sa compétence en la matière, dès lors que les dispositions attaquées peuvent être intégralement liées à la compétence de la Région en matière de cours d'eau non navigables et de leurs berges (article 6, § 1er, III, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980). En dépit de ce que la partie requérante soutient, les articles 561 et 644 de l'ancien Code civil ne sont pas en contradiction avec les dispositions attaquées, lesquelles ne font pas obstacle à leur application. Pour le surplus, le Gouvernement wallon souligne que le législateur décrétal a bel et bien examiné l'incidence des nouvelles mesures sur le Code civil, ce qui est attesté dans les travaux préparatoires (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 11).
A.13.1. Le Gouvernement flamand réfute le premier moyen formulé par la partie requérante, en ses deux branches. En ce qui concerne la première branche, le Gouvernement flamand rappelle à titre liminaire que les compétences régionales doivent être interprétées largement, le Constituant et le législateur spécial étant présumés avoir équipé les régions pour exercer au mieux leurs compétences matérielles. Une interprétation contraire serait incompatible avec le principe de la loyauté fédérale.
A.13.2. Le Gouvernement flamand estime que la première branche du premier moyen n'est pas fondée, en ce que la Région wallonne était compétente pour adopter la disposition attaquée. En effet, l'article 6, § 1er, III, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980 mentionne expressément les cours d'eau non navigables et leurs berges. Interprété largement, ce cadre de compétences inclut naturellement, selon le Gouvernement flamand, la capacité d'introduire une présomption de propriété ainsi que celle d'inclure certains de ces biens dans le domaine public. La compétence résiduelle de l'autorité fédérale en matière de droit civil n'enlève rien à cette constatation. Les régions restent compétentes pour adopter des règles spécifiques qui complètent le droit commun ou s'en écartent, conformément à l'adage lex specialis derogat legi generali, qui est amplement reconnu par la jurisprudence et par la doctrine. Cette compétence inclut le droit de propriété, y compris pour les cours d'eau. Les mêmes arguments peuvent être avancés en ce qui concerne le domaine public. Le Gouvernement flamand souligne d'ailleurs que la section de
législation du Conseil d'État n'a rien trouvé à redire sur l'affectation au domaine public des cours d'eau non navigables en Flandre (avis du Conseil d'État n° 64.588/1-3 du 17 janvier 2019). Il est en effet reconnu, et ce également par la doctrine, que les régions sont compétentes pour adopter des règles de droit domanial relatives aux biens à l'égard desquels elles exercent leurs compétences matérielles. Ceci n'est qu'une conséquence nécessaire de l'exercice par les régions de leurs propres compétences. Dès lors que la Région wallonne était compétente pour adopter la disposition attaquée, elle ne devait pas recourir aux pouvoirs implicites. Il ne saurait davantage être question, selon le Gouvernement flamand, d'une violation du principe de la loyauté fédérale. Il n'est en effet pas démontré que la compétence résiduelle de l'autorité fédérale serait rendue plus difficile ou impossible à exercer par la disposition attaquée.
A.14.1. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante s'interroge sur la manière dont l'ancien Code civil peut continuer à s'appliquer, en dépit des dispositions attaquées. Selon elle, le Gouvernement wallon n'explique pas en quoi les droits tirés notamment de l'article 644 de l'ancien Code civil pourraient continuer à être praticables si la propriété des cours d'eau non navigables est désormais celle du gestionnaire. De plus, le Gouvernement wallon insiste sur la notion de « propriétaire riverain » sans jamais préciser ce que celle-ci recouvrirait.
A.14.2. En réponse à l'argument du Gouvernement flamand selon lequel il n'y aurait pas modification du droit de propriété, mais tout au plus du champ d'application du Livre II de l'ancien Code civil, dont les cours d'eau non navigables sont exclus, la partie requérante estime qu'une telle lecture est infirmée par les faits. D'une part, le décret du 4 octobre 2018 ne prévoit pas cette exclusion du champ d'application existant. D'autre part, une telle modification, quand bien même ne serait-elle confinée qu'à un champ d'application, reste malgré tout une modification de l'ancien Code civil. La partie requérante en veut d'ailleurs pour preuve la récente loi du 4 février 2020 « portant le livre 3 ‘ Les biens ' du Code civil » (ci-après : la loi du 4 février 2020), qui modifie le droit d'accession immobilière naturelle, faisant passer la propriété des riverains propriétaires à celle du propriétaire du cours d'eau. Cette nouvelle loi confirme, d'un côté, qu'il existe une incompatibilité entre les dispositions attaquées et l'article 561, actuel, de l'ancien Code civil et, d'un autre côté, que ces questions ressortissent manifestement de la compétence de l'autorité fédérale, arguments auxquels le Conseil des ministres se rallie.
A.14.3. Concernant l'examen de l'incidence sur les droits de riveraineté, la partie requérante répond au Gouvernement wallon que, contrairement aux dires de ce dernier, il n'en a pas du tout été tenu compte, puisque l'impact sur le droit de propriété demeure. Certes, la réforme n'a pas pour objet la modification des droits de propriété et de riveraineté, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un de ses effets.
A.14.4. En ce qui concerne les contrôles de nécessité et de proportionnalité, la partie requérante répond au Gouvernement flamand que si on admet, comme elle l'estime, que la Région wallonne peut déroger à l'ancien Code civil, il s'impose alors d'examiner la compétence qui est affectée de manière prépondérante, pour déterminer qui dispose de la compétence de principe. Or le Gouvernement flamand reconnaît par-là que la Région wallonne empiète sur les compétences de l'autorité fédérale en matière de droit civil. Partant, il convenait de procéder aux contrôles de nécessité et de proportionnalité des mesures et de les justifier, ce que la Région wallonne s'est gardée de faire. Cela n'a pas été abordé par le Gouvernement flamand dans son mémoire. Au surplus, la partie requérante conteste la référence à l'avis du Conseil d'État relatif au décret de la Région flamande du 26 avril 2019 « portant diverses dispositions en matière d'environnement, de nature et d'agriculture » (ci-après : le décret de la Région flamande du 26 avril 2019), qui n'aurait pas émis d'objection quant à la répartition des compétences. Par ledit avis, le Conseil d'État a précisément observé que ce point méritait une clarification dans les travaux préparatoires.
A.15. Dans son mémoire en réplique, le Gouvernement wallon précise que la notion de domaine public est postérieure à l'ancien Code civil et que la catégorie du domaine public naturel, opposé au domaine public artificiel, a toujours compris des cours d'eau non navigables. Le gestionnaire dispose ainsi d'un privilège permanent, qui consiste à délimiter son domaine public, ce qui inclut le fait de fixer la ligne entre la rive et la rivière. Dès lors que la Région wallonne, qui est compétente pour les cours d'eau non navigables, délimite le lit mineur et précise son appartenance au domaine public, il ne peut y avoir empiètement sur l'ancien Code civil. Le Gouvernement wallon mentionne par ailleurs en parallèle l'article 2 du décret du 19 mars 2009 « relatif à la conservation du domaine
public régional routier et des voies hydrauliques ». En ce qui concerne l'accession naturelle relative aux îles et atterrissements, le Gouvernement wallon s'en réfère à la doctrine qui soutient que l'accession ne profite pas aux pouvoirs publics propriétaires des cours d'eau non navigables, mais bien aux riverains dont les alluvions viennent augmenter les fonds. Ceci confirme la compatibilité des dispositions attaquées avec l'article 561 de l'ancien Code civil, d'autant qu'il est reconnu que le domaine public ne comprend pas l'eau du cours d'eau en soi, qui reste une res communis.
A.16. Selon le Gouvernement flamand, la partie requérante semble penser que la Région wallonne ne serait pas compétente pour adopter une mesure qui aurait une quelconque incidence sur l'ancien Code civil. Un tel raisonnement est incorrect. La seule compétence résiduelle de l'autorité fédérale en matière de droit civil n'implique pas que les Régions ne seraient jamais compétentes pour adopter, dans l'exercice de leurs propres compétences matérielles, des règles qui affecteraient le Livre II de l'ancien Code civil. Le fait que le législateur fédéral ait récemment modifié le régime de droit des biens n'y change rien. En outre, cette loi nouvelle n'est pas entrée en vigueur et elle ne peut donc utilement être mise sur le même pied que les dispositions attaquées. Au contraire, le Gouvernement flamand insiste sur le fait qu'il est généralement admis que les régions peuvent adopter des règles spécifiques dans l'exercice de leurs compétences respectives qui complètent ou diffèrent du droit commun. Il en va de la philosophie même du législateur spécial de confier aux entités fédérées des paquets homogènes de compétences.
En ce qui concerne le recours aux pouvoirs implicites, le Gouvernement flamand rappelle qu'il est inutile, puisque la Région wallonne est déjà compétente. Quand bien même devrait-on examiner cette question, il convient de remettre en cause l'argument du Conseil des ministres, qui ne se focalise que sur l'incidence des mesures, passant sous silence la nécessité de celles-ci, sans expliquer pourquoi cette incidence serait plus que marginale. Ce n'est pas parce que la Région wallonne a choisi d'établir un cadre général que l'incidence de ce dernier est forcément non marginale. En effet, c'est l'incidence sur les compétences fédérales qui doit être analysée. Or l'autorité fédérale n'est plus compétente pour les cours d'eau non navigables. Par conséquent, le Gouvernement flamand n'aperçoit pas en quoi les dispositions attaquées pourraient, en tant que telles, avoir une incidence sur le droit civil.
En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen
A.17. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient que la définition nouvelle du lit mineur du cours d'eau non navigable est assimilable à une expropriation, au sens de l'article 79 de la loi spéciale du 8 août 1980. Si, en vertu de cet article, les régions se sont vu confier la possibilité d'effectuer des expropriations pour cause d'utilité publique, elles doivent toutefois opérer dans le champ de leurs compétences matérielles et respecter les procédures y afférentes, ainsi que l'obligation de juste et préalable indemnité. Or, outre le fait que la Région wallonne n'a pas respecté les conditions substantielles et procédurales relatives à l'expropriation, elle a utilisé ce pouvoir en matière de droit civil, une matière qui ne fait pas partie de ses compétences matérielles, mais qui est dévolue à l'autorité fédérale. La Région wallonne a dès lors excédé ses compétences.
A.18. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Conseil des ministres estime que la Région wallonne ne peut pas procéder à une expropriation dans le cadre de cette politique, dès lors que le régime juridique des cours d'eau non navigables ne fait pas partie des compétences de la Région wallonne.
A.19. Concernant cette seconde branche toujours, le Gouvernement wallon pointe une erreur d'analyse dans l'argumentation de la partie requérante. En effet, il existe bien un mécanisme d'expropriation, prévu à l'article D.44 du Code de l'eau (Livre II du Code de l'Environnement). Les expropriations mises en œuvre en application de cette disposition sont poursuivies selon les règles ad hoc. L'article D.34 nouveau du même Code, considéré par la partie requérante comme établissant un mécanisme d'expropriation, ne vise qu'une présomption de propriété. Non seulement celle-ci n'est valable que jusqu'à preuve du contraire, possibilité ouverte à la partie requérante, mais la présomption de propriété n'entraîne pas en soi un transfert de propriété.
A.20. Selon le Gouvernement flamand, la seconde branche du premier moyen manque en fait et en droit. Il relève en effet que cette branche est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle la disposition attaquée doit être qualifiée d'expropriation.
A.21. La partie requérante tient à préciser son argumentaire en réponse aux Gouvernements wallon et flamand. Ceux-ci semblent penser que le simple fait que la présomption de propriété soit réfragable annihilerait toute possibilité que les dispositions attaquées restreignent le droit de propriété et consistent en une expropriation. La partie requérante souligne à l'inverse que si la preuve contraire est théoriquement admise, elle reste en pratique extrêmement difficile à apporter, eu égard à la controverse déjà évoquée. Il s'agit ni plus ni moins d'une probatio diabolica. Pour la partie requérante, il faut considérer les terrains situés de part et d'autre du cours d'eau non navigable comme un ensemble, lorsqu'on évalue la mutation immobilière qui prend place. Par conséquent, il est bel et bien question d'une expropriation ou à tout le moins d'une restriction du droit de propriété.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.22. La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, de l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, et de l'article 79 de la loi spéciale du 8 août 1980, ainsi que du principe général de proportionnalité.
A.23. Le Gouvernement flamand soulève l'irrecevabilité partielle du moyen. L'article 10 du décret du 4 octobre 2018, qui ne fait qu'énoncer des objectifs généraux, ne saurait en effet en aucun cas être analysé comme affectant le droit de propriété. En conséquence, le deuxième moyen n'est recevable qu'en ce qu'il porte sur les articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018.
A.24. La partie requérante conteste l'irrecevabilité partielle du moyen. Selon elle, l'article 10 du décret du 4 octobre 2018 est la manifestation du fait que les droits de pêche des riverains n'ont pas été pris en considération par le législateur décrétal.
En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen
A.25. Dans une première branche, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées constituent une atteinte directe au droit de propriété, tel qu'il est protégé par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. En outre, ces mesures, qui constituent une expropriation, ne remplissent pas les conditions y afférentes, notamment celle de la juste et préalable indemnité. L'effet des dispositions attaquées sur le droit de propriété de la partie requérante peut être assimilé à une expropriation, pour une série de raisons.
Premièrement, la présomption de propriété créée par le législateur décrétal, bien que réfragable, rend extrêmement malaisée la preuve contraire et n'est en tout état de cause pas raisonnablement justifiée eu égard aux objectifs visés.
Deuxièmement, l'assujettissement de tous les cours d'eau non navigables au régime de la domanialité revient à donner un droit de propriété au gestionnaire sans faire usage des voies d'acquisition ordinaires de propriété.
Troisièmement, l'extension de la limite géographique du lit mineur des cours d'eau non navigables au « plenissum flumen », c'est-à-dire au-delà de son acception usuelle, restreint fortement le droit de propriété des riverains et les prive de la propriété des berges, sans qu'existe une justification à cet égard.
Quatrièmement, le droit d'accession naturelle des riverains de cours d'eau non navigables en vertu de l'article 561 de l'ancien Code civil est rendu impossible par les dispositions attaquées. Il en découle que les droits de riveraineté ne peuvent pas non plus être exercés.
Cinquièmement, le droit de pêche de la partie requérante, qui doit être considéré comme un bien au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, est rendu précaire par le décret du 4 octobre 2018. En effet, l'impossibilité pour les propriétaires riverains de faire procéder aux travaux nécessaires au maintien d'un parcours de pêche revient à nier le droit de pêche ou, à tout le moins, à le rendre beaucoup plus difficile, d'autant que les objectifs du législateur décrétal sur ce point manquent de clarté.
Enfin, sixièmement, le droit d'utiliser un gué, qui plus est historique, est désormais soumis à une autorisation domaniale, par nature discrétionnaire, ce qui rend ce droit d'usage particulièrement précaire. Alors que les propriétaires riverains pouvaient auparavant se fonder sur l'article 644 de l'ancien Code civil, cette possibilité n'est désormais plus envisageable, et aucune mesure transitoire n'a été adoptée face à cette situation.
A.26. Le Gouvernement wallon réfute le deuxième moyen de la partie requérante, en ses deux branches. En ce qui concerne la première branche, le Gouvernement wallon rappelle que la présomption de propriété n'est pas une expropriation déguisée, étant donné son caractère réfragable. Elle ne constitue, ipso facto, pas non plus une atteinte aux biens. L'assujettissement des cours d'eau non navigables au régime de la domanialité publique ne change rien à ce constat, puisque, comme le Gouvernement wallon l'a déjà soulevé, la propriété et la domanialité ne se confondent pas. Au surplus, la partie requérante ne saurait tirer argument de sa propre définition du lit mineur pour justifier une éventuelle atteinte aux biens, puisque cette définition n'est pas la définition usuelle, comme le Gouvernement wallon l'a déjà démontré. En ce qui concerne le droit de pêche et les gués, il importe de souligner que l'exercice de l'un et l'usage des autres ne sont pas soumis à autorisation préalable et ne peuvent donc pas être considérés comme amputés.
A.27. Le Gouvernement flamand réfute le deuxième moyen formulé par la partie requérante, en ses deux branches. Concernant la première branche, il soutient que les mesures prises par la Région wallonne ne constituent pas une expropriation. En effet, ces mesures n'entraînent aucun transfert obligatoire de propriété. À partir du moment où il ne peut s'agir d'une expropriation, il n'est pas question d'une obligation de juste et préalable indemnité. Pour les mêmes raisons, les dispositions attaquées ne peuvent être assimilées à une atteinte aux biens, au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Citant la jurisprudence de la Cour (arrêt n° 170/2014 du 17 novembre 2014), le Gouvernement flamand souligne que l'on peut tout au plus considérer qu'il s'agit d'une utilisation régulée du droit de propriété en rapport avec l'intérêt général. La première branche du deuxième moyen est par conséquent non fondée.
A.28.1. La partie requérante oppose au Gouvernement wallon que si la propriété et la domanialité doivent être distinguées, le décret du 4 octobre 2018 fait manifestement l'inverse, puisqu'il superpose la domanialité à la propriété. En outre, l'inaliénabilité, qui est une caractéristique propre à la domanialité, suppose nécessairement la propriété de l'autorité publique.
A.28.2. En ce qui concerne les limites géographiques du lit mineur incluant les berges, la partie requérante conteste les arguments du Gouvernement wallon et du Gouvernement flamand selon lesquels la nouvelle définition du lit mineur est à la fois celle du sens courant et celle de la législation existante. Elle rappelle que le Gouvernement wallon a lui-même reconnu que la notion de cours d'eau non navigable n'a jamais été définie et que le Guide juridique relatif aux cours d'eau non navigables ainsi que la doctrine soutenaient que le « plenissum flumen » n'était pas l'acception la plus courante. Quant à la Région flamande, la partie requérante pointe qu'elle a longtemps légiféré en sens contraire, par exemple dans le décret du 18 juillet 2003 « relatif à la politique intégrée de l'eau ». Le législateur décrétal a dès lors choisi une situation d'exception. Certes, comme le relève le Gouvernement flamand, il s'agit d'un choix d'opportunité du législateur, mais, dans ce cas, il aurait dû le justifier, y compris sur la question de la juste et préalable indemnité.
A.28.3. En ce qui concerne la règle de l'accession et les autres droits de riveraineté, la partie requérante précise qu'actuellement, l'accession naturelle ne vaut que pour les propriétaires riverains d'un cours d'eau non navigable non dépendant du domaine public. Partant, il est incorrect de soutenir, comme le Gouvernement wallon le fait, que ce droit serait maintenu nonobstant l'affectation de tous les cours d'eau non navigables wallons au domaine public. Ceci est par ailleurs confirmé par la récente loi du 4 février 2020, affirmation à laquelle se rallie le Conseil des ministres. Par analogie, la même conclusion peut être tirée pour les autres droits de riveraineté.
A.28.4. En ce qui concerne le droit de pêche, la partie requérante s'étonne de l'argument du Gouvernement wallon, tiré de l'article 4 du décret du 27 mars 2014, qui prouverait le maintien du droit de pêche sans altération. La partie requérante prend précisément un grief de la non-harmonisation de la nouvelle réforme avec le décret du 27 mars 2014. Désormais, il faut effectivement obtenir une autorisation pour tout usage privatif d'une portion du
domaine public, et non plus uniquement pour l'exécution de travaux. La partie requérante souligne qu'un parcours de pêche suppose un entretien récurrent de débroussaillage, qui dépend dorénavant d'une appréciation discrétionnaire de l'autorité. Par conséquent, il convient de réaffirmer que le droit de pêche est altéré par les dispositions attaquées.
A.28.5. Enfin, en ce qui concerne les gués, il est inexact de soutenir, comme le Gouvernement wallon le fait, que l'usage d'un gué ne suppose aucune autorisation. À cet égard, la partie requérante pointe l'affirmation inverse dans les travaux préparatoires (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 98). Le passage est désormais précaire, même en cas de servitude. De même, les travaux d'entretien de ce gué sont désormais soumis à autorisation. La partie requérante déplore que, dans sa propre situation, la précarité nouvelle qui résulte des dispositions attaquées constitue une atteinte particulièrement grave à son droit de propriété, d'autant que le gué constitue le seul accès à ses parcelles. Auparavant, l'article 644 de l'ancien Code civil suffisait.
En ce qui concerne la seconde branche du deuxième moyen
A.29. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient qu'à défaut de constituer une expropriation, les dispositions attaquées constituent à tout le moins une atteinte disproportionnée aux biens, au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Elle relève que les riverains sont déjà soumis à de multiples polices administratives, de sorte que les buts poursuivis par le nouveau décret peuvent être atteints par ces polices existantes, moins attentatoires à la propriété. Il n'était pas nécessaire d'établir une présomption de propriété, ni de soumettre l'intégralité des cours d'eau non navigables au régime de la domanialité pour atteindre les objectifs poursuivis. Aucun avantage ne saurait être tiré de ces deux mesures. De la même manière, rien ne démontre, selon la partie requérante, la nécessité d'attribuer la propriété au gestionnaire, ni celle de modifier la limite géographique du lit mineur au-delà de son acception usuelle, ni encore les incidences importantes sur le droit de pêche et sur le droit d'effectuer de petits travaux et la mise en péril des gués historiques.
A.30. Le Gouvernement wallon estime que le deuxième moyen, en sa seconde branche, n'est pas pertinent, dans la mesure où il n'est pas question d'une privation du droit de propriété.
A.31.1. De la même manière, le Gouvernement flamand estime qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée aux biens. Il conteste l'argumentation de la partie requérante, qui n'oppose en réalité qu'une critique d'opportunité au législateur décrétal quant à un choix politique. En effet, outre le fait de n'être couplée à aucune norme de référence spécifique, la seconde branche du moyen revient en substance à demander à la Cour de se substituer à la Région wallonne, ce qu'elle ne peut faire. Il appartient à la seule Région wallonne de fixer le cadre de la politique des cours d'eau non navigables, ainsi que les moyens adéquats pour l'atteindre. Au surplus, le Gouvernement flamand rappelle que le droit de propriété n'est pas absolu et que la notion d'intérêt général doit être interprétée largement.
A.31.2. En ce qui concerne la notion de lit mineur, le Gouvernement flamand constate que la Région wallonne est compétente pour adopter une définition. Par cette définition, le législateur décrétal a voulu éviter l'insécurité juridique et a opté pour la définition, à la fois courante et soutenue par la doctrine et par la jurisprudence, du « plenissum flumen ». Le Gouvernement flamand souligne l'usage courant de cette acception en Flandre, puisque la loi du 28 décembre 1967 est interprétée en ce sens et que cette définition est présente tant dans les travaux préparatoires du décret de la Région flamande du 26 avril 2019 que dans la circulaire de la Province de Flandre Orientale du 10 mars 1992 relative aux cours d'eau non navigables. La définition emporte une ligne de démarcation claire entre la propriété présumée du gestionnaire jusqu'aux crêtes de berges et la propriété des riverains. Enfin, le Gouvernement flamand insiste sur le caractère réfragable de la présomption.
A.31.3. En ce qui concerne l'affectation au domaine public, le Gouvernement flamand rappelle que la domanialité et la propriété ne se confondent pas, la première n'ayant aucune incidence sur l'éventuel droit de propriété que l'on pourrait faire valoir sur tout ou partie d'un cours d'eau non navigable. La jurisprudence tant de la Cour de cassation que du Conseil d'État, suivie par la doctrine, reconnaît en effet qu'il est possible d'être propriétaire d'un bien du domaine public (Cass., 4 octobre 1974, R.W., 1974-1975, pp. 1248-1249; C.E., 8 février 2000, n° 85.175 ). Il n'est donc pas exclu que le lit mineur appartienne à un particulier. Dans ce cas, sa propriété
sera grevée d'une servitude d'utilité publique. Un bien appartient au domaine public car il est destiné à l'usage de tous, par décision implicite ou explicite de l'autorité publique, en l'espèce par décision de la Région wallonne. Cette décision n'implique pas l'obligation pour la Région wallonne de s'occuper des modes d'acquisition des terrains appartenant à des particuliers. Ainsi, le gestionnaire peut, s'il l'estime nécessaire, procéder à une véritable expropriation par les moyens adéquats. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, une telle expropriation n'est pas automatique.
A.31.4. En ce qui concerne les droits de riveraineté, le Gouvernement flamand soutient que les dispositions attaquées n'y portent pas atteinte et que cela ressort expressément des travaux préparatoires. Il en est ainsi de l'accession naturelle des îles et atterrissements (article 561 de l'ancien Code civil), pour lesquels la présomption de propriété n'est pas applicable, puisqu'il n'y a aucune raison de les inclure dans la notion de lit mineur. Il en va de même du droit de pêche, protégé en Région wallonne par l'article 4 du décret du 27 mars 2014. Le droit de pêche reste un droit accessoire au droit de propriété des riverains et n'est pas affecté par les dispositions attaquées. Il est inexact de soutenir notamment que le droit de pêche serait désormais soumis à une autorisation domaniale, dès lors que cette autorisation est réservée aux gros travaux et à l'usage strictement privé. Le Gouvernement flamand relève que le droit de pêche n'est pas un usage privatif, mais s'inscrit dans les objectifs récréatifs et sportifs des cours d'eau. À l'affirmation de la partie requérante selon laquelle l'exercice du droit de pêche suppose l'élimination des végétations, qui est exclusivement confiée au gestionnaire, le Gouvernement de la Communauté flamande répond qu'il n'en est rien. Tout d'abord, tous les types d'élimination de la végétation ne relèvent pas forcément du champ d'application de l'article D.37 du Code de l'eau. Ensuite, la compétence de principe du gestionnaire ne signifie pas automatiquement que le droit de pêche devient précaire. Au contraire, les travaux doivent toujours être effectués dans le but de garantir les fonctions, entre autres socio-culturelles, des cours d'eau non navigables, y compris le droit de pêche. Enfin, l'article D.37, § 3, du Code de l'eau précise que d'autres personnes peuvent être chargées de ces travaux. Le dernier droit de riveraineté allégué, à savoir l'utilisation d'un gué, n'est pas plus affecté que les autres, selon le Gouvernement flamand. Il n'y a aucune raison de croire que l'usage d'un gué, fût-il historique, devienne précaire ou sujet à une autorisation domaniale par la seule affectation des cours d'eau non navigables au domaine public. Quant à la situation de la partie requérante, deux hypothèses sont envisageables. Soit elle est propriétaire du lit sur lequel le gué se situe, auquel cas elle peut utiliser ce gué pour accéder à sa propriété, pour autant que l'usage soit compatible avec l'objectif de domanialité publique; soit elle n'est pas propriétaire du lit sur lequel le gué se situe, auquel cas elle ne bénéficie pas de la protection du droit de propriété, mais peut toujours invoquer une servitude de passage qui ne vaudra que s'il s'agit du seul accès à sa parcelle.
A.32. La partie requérante conteste l'affirmation du Gouvernement wallon selon laquelle cette branche serait dénuée de pertinence. À partir du moment où l'on constate une atteinte aux biens, au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, il faut examiner les mesures à l'aune du contrôle de proportionnalité. Or, force est de constater que les objectifs fixés auraient pu être atteints par d'autres moyens moins attentatoires, notamment par le Code du Développement territorial, par les permis d'urbanisme, par le régime Natura 2000 ou par la police des cours d'eau. L'atteinte aux biens est manifestement disproportionnée, dès lors que les cours d'eau non navigables bénéficiaient déjà d'un niveau de protection environnementale adéquat.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.33. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
A.34. Le Gouvernement flamand estime tout d'abord qu'il n'appartient pas à la Cour de se substituer à l'appréciation du législateur quant au choix du critère de distinction, sauf en cas d'erreur manifeste. Il soutient ensuite que le moyen doit être déclaré partiellement irrecevable. En effet, l'article 10 du décret du 4 octobre 2018 ne fait qu'énumérer des objectifs généraux et ne peut donc, en soi, être susceptible de violer la Constitution. Le moyen n'est dès lors recevable qu'en ce qui concerne les articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018.
A.35. La partie requérante conteste l'irrecevabilité partielle du moyen. Selon elle, l'article 10 du décret du 4 octobre 2018 est la manifestation du fait que le droit de pêche des riverains n'a pas été pris en considération par le législateur décrétal et il participe donc à la différence de traitement.
En ce qui concerne la première branche du troisième moyen
A.36.1. Dans une première branche, la partie requérante soutient qu'il existe une différence de traitement injustifiée entre des catégories de personnes qui se trouvent dans des situations comparables, à savoir les riverains d'un cours d'eau non navigable et d'autres propriétaires qui se trouvent dans la même situation d'expropriation. La partie requérante estime que l'argumentation développée à l'égard du second moyen démontre à suffisance l'existence d'une rupture d'égalité en ce que les dispositions attaquées créent une incertitude quant aux droits de propriété et de pêche. Selon elle, il est possible d'identifier une catégorie de personnes comparable à celle des propriétaires riverains pour chaque situation d'inégalité. En ce qui concerne l'expropriation, les riverains des cours d'eau non navigables sont traités différemment des autres propriétaires qui sont expropriés pour cause d'utilité publique. À défaut d'une qualification d'expropriation, les riverains des cours d'eau non navigables sont, en ce qui concerne l'atteinte aux biens, traités différemment des autres propriétaires frappés d'une mesure restrictive concernant leurs biens. Enfin, en ce qui concerne le droit de pêche, les riverains des cours d'eau non navigables sont traités différemment des autres titulaires de droits de riveraineté.
A.36.2. Si les différences de traitement ainsi mises en exergue sont fondées sur un critère objectif, à savoir le fait d'être propriétaire riverain d'un cours d'eau non navigable, la partie requérante estime qu'elles ne sont pas raisonnablement justifiées. Les objectifs du législateur semblent être l'harmonisation de la gestion des cours d'eau, ainsi que la protection de l'environnement. Le législateur décrétal a choisi deux types de moyens pour atteindre ces objectifs, à savoir la présomption de propriété et l'assujettissement au régime de la domanialité publique. Or, la partie requérante remarque qu'il n'était nullement nécessaire d'adopter ces mesures, puisque d'autres législations existent déjà, qui peuvent répondre adéquatement auxdits objectifs. Ainsi, l'article 10 de l'arrêté royal du 5 août 1970 « portant règlement général de police des cours d'eau non navigables » prévoit déjà une interdiction de dégradation et une obligation d'entretien corrélative, l'article 17 de la loi du 28 décembre 1967 instaure un droit de passage pour les agents et fonctionnaires et l'article 35 du Code rural apporte une restriction à certaines plantations et constructions. La partie requérante cite encore deux instruments juridiques abrogés, à savoir le décret de la Région wallonne du 7 octobre 1985 « sur la protection des eaux de surface contre la pollution » et l'arrêté de l'Exécutif régional wallon du 4 juillet 1991 « réglementant les modalités d'épandage des affluents d'élevage ». Quant à la pêche fluviale, ses aspects sont réglés par la loi du 1er juillet 1954 « sur la pêche fluviale » et par l'arrêté du Gouvernement wallon, désormais abrogé, du 11 mars 1993 « portant exécution de la loi du 1er juillet 1954 sur la pêche fluviale ». Rien n'explique, selon la partie requérante, en quoi ces règles seraient insuffisantes. Une expropriation doit être nécessaire à la réalisation de l'objectif d'intérêt général fixé. Or si les propriétaires sont prêts à réaliser eux-mêmes l'objectif, il n'est plus nécessaire d'adopter la mesure d'expropriation. La partie requérante insiste sur le fait que la Cour elle-même a soutenu ce raisonnement (arrêt n° 143/2018 du 18 octobre 2018).
A.36.3. Quand bien même la nécessité des différences de traitement pourrait être reconnue, la partie requérante estime que la présomption de propriété et l'assujettissement au régime de la domanialité publique constituent des moyens manifestement disproportionnés aux objectifs poursuivis, compte tenu de leurs effets importants sur le droit de propriété des riverains, ainsi que sur leur droit de pêche. L'absence de juste et préalable indemnité renforce encore le caractère disproportionné des mesures.
A.37. Le Gouvernement wallon réfute les deux branches du troisième moyen formulé par la partie requérante. En ce qui concerne la première branche, le Gouvernement wallon se contente de rappeler qu'une présomption de propriété ne peut en aucun cas être assimilée à une expropriation. Il ne peut dès lors y avoir de différence de traitement.
A.38. Toujours en ce qui concerne la première branche du troisième moyen, le Gouvernement flamand ne voit pas en quoi les dispositions attaquées seraient incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution. L'argument est fondé sur la prémisse inexacte selon laquelle les dispositions attaquées introduisent un mécanisme d'expropriation. De plus, il convient de déclarer cette branche irrecevable en ce que la partie requérante n'identifie pas de manière assez précise les catégories de personnes à comparer.
A.39. La partie requérante réagit à l'affirmation du Gouvernement flamand selon laquelle les catégories à comparer ne seraient pas suffisamment identifiées. Les propriétaires riverains des cours d'eau expropriés et les autres propriétaires expropriés sont des catégories tout à fait précises et comparables. Au surplus, la partie requérante rappelle que la jurisprudence de la Cour n'impose pas un degré de précision important (arrêt n° 132/2014 du 25 septembre 2014).
A.40. Le Gouvernement wallon réplique, en ce qui concerne le grief selon lequel la nécessité de la réforme n'a pas été expliquée, que cette nécessité est avérée à plus d'un titre, notamment en vertu des obligations internationales et européennes qui imposent aux États de garantir la qualité hydromorphologique des cours d'eau.
En ce qui concerne la seconde branche du troisième moyen
A.41.1. En ce qui concerne la première égalité de traitement, la partie requérante estime que la Région wallonne a entendu aligner le régime des cours d'eau non navigables sur celui des cours d'eau navigables. Or, ces catégories ne sont pas comparables. Elles sont tout d'abord traitées différemment par l'ancien Code civil. Il faut ensuite relever que les cours d'eau non navigables ne sont pas des voies naturelles de communication. De plus, la possible affectation à un service public des cours d'eau non navigables doit être remise en question. Enfin, le droit de pêche est traité différemment dans les deux régimes, puisqu'il appartient à la Région wallonne pour les cours d'eau navigables et aux riverains pour les cours d'eau non navigables. Il n'existe, selon la partie requérante, aucune justification raisonnable à cette égalité de traitement, d'autant que les objectifs du législateur décrétal pouvaient être atteints par des mesures de police ad hoc.
A.41.2. En ce qui concerne la seconde égalité de traitement, la partie requérante estime que la situation des propriétaires de gués historiques est désormais profondément affectée par les dispositions attaquées, puisque, dorénavant, ces propriétaires auront besoin d'une autorisation domaniale pour en faire usage. Or les gués historiques ne sont pas comparables aux gués nouveaux, puisque les premiers ont été érigés à une époque immémoriale et sans infraction pour assurer aux propriétaires riverains un accès à leur bien, tandis que les seconds, par définition, n'existent pas encore. Selon la partie requérante, les conséquences d'une autorisation relative aux gués historiques sont disproportionnées à l'avantage poursuivi par l'assujettissement des cours d'eau non navigables au régime de la domanialité publique, d'autant que l'autorisation couvre la possibilité, pour l'autorité publique, d'ordonner la destruction du gué.
A.42. Concernant cette deuxième branche, le Gouvernement wallon estime que les travaux préparatoires du décret du 4 octobre 2018 démontrent clairement l'absence de volonté d'« aligner » le régime des cours d'eau non navigables sur celui des cours d'eau navigables. Ce n'est pas la navigabilité, mais bien la pluralité d'autres affectations, propres aux cours d'eau non navigables, qui justifie leur assujettissement au régime de la domanialité publique. En effet, même bordés de propriétés privées, les cours d'eau non navigables peuvent être utilisés par tous. Comme il a déjà pu le souligner, le Gouvernement wallon relève que les dispositions attaquées n'ont en rien modifié les droits de riveraineté, y compris le droit de pêche. Quant à l'éventuelle problématique des gués nouveaux et des gués historiques, elle n'existe pas, puisque la partie requérante se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle l'utilisation d'un gué est soumise à une autorisation domaniale. Dans la pratique, dès lors que le décret du 4 octobre 2018 est entré en vigueur le 15 décembre 2018, l'aménagement « historique » d'un gué existant ne pouvait en tout état de cause être soumis rétroactivement aux dispositions attaquées. Il ne peut par conséquent être question d'une égalité de traitement injustifiée, tant en ce qui concerne le régime de la domanialité que la situation des gués.
A.43. Quant à la seconde branche du troisième moyen, le Gouvernement flamand relève, en ce qui concerne l'identité de traitement entre les cours d'eau navigables et les cours d'eau non navigables, que le point de vue selon lequel le législateur décrétal aurait accordé les deux régimes doit être nuancé. Les deux types de cours d'eau restent
régis par des règles juridiques distinctes (Chapitre II et Chapitre III du Titre V du Code de l'eau), même s'il est vrai qu'ils relèvent désormais du domaine public. De plus, nonobstant leur destination publique, il importe de constater que leurs affectations sont différentes; alors que la navigabilité constitue l'affectation principale pour la première catégorie, la seconde comprend une série d'affectations variées, dans le cadre desquelles s'inscrivent les objectifs socio-culturels qui incluent la pêche. Pour les raisons déjà évoquées lors de la réfutation des moyens précédents, il n'est pas question d'une quelconque violation du principe d'égalité et de non-discrimination dans ce cas. En ce qui concerne les gués historiques et les gués nouveaux, le Gouvernement flamand rappelle qu'il n'est pas nécessaire de disposer d'une autorisation domaniale pour utiliser les gués. La prétendue identité de traitement entre des catégories non comparables est donc un argument absurde dans la pratique.
A.44. La partie requérante constate que tant le Gouvernement wallon que le Gouvernement flamand soutiennent qu'une des caractéristiques du domaine public est l'accessibilité à tous. Or une telle affirmation est contredite par l'arrêté du Gouvernement wallon du 19 mars 2009 « réglementant la circulation sur et dans les cours d'eau », qui concerne notamment l'accès des plongeurs ou de certaines embarcations à certains cours d'eau non navigables. La Mehaigne fait d'ailleurs partie de cette catégorie. Les usages non récréatifs ou touristiques ne peuvent matériellement être le fait de citoyens non riverains n'ayant pas accès aux cours d'eau non navigables.
A.45. Le Gouvernement wallon réplique que l'arrêté du Gouvernement wallon du 19 mars 2009 précité, mentionné par la partie requérante, n'a nullement pour effet d'annihiler le principe d'appartenance au domaine public, dont l'usage peut toujours être réglementé.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.46.1. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 7bis, 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2, 3, 5, 6, 8 et 9 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 « relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement » (ci-après : la directive 2001/42/CE) et avec l'article 7 de la Convention du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée à Aarhus (ci-après : la Convention d'Aarhus).
A.46.2. Les dispositions attaquées violent les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, en ce qu'elles n'ont pas été précédées d'une étude d'incidence et en ce qu'elles n'incluent pas une procédure de participation du public. En effet, la partie requérante estime que les mesures prises par le législateur décrétal doivent être assimilées à des « plans et programmes relatifs à l'environnement », au sens de la directive 2001/42/CE et de la Convention d'Aarhus. Il est reconnu que la directive 2001/42/CE doit être interprétée largement, en fonction de sa finalité. Selon la partie requérante, les dispositions attaquées sont des plans et programmes qui ont manifestement une incidence sur l'environnement, puisqu'elles délimitent une étendue de territoire (plus de 25 000 kilomètres de cours d'eau), qu'elles définissent des règles et des procédures relatives au secteur de l'eau, qu'elles modifient les plans de secteur, ce qui a été reconnu lors des travaux préparatoires, et qu'elles s'apparentent à des mesures de police des cours d'eau, qui avaient déjà été considérées comme des plans et programmes par le Conseil d'État (avis n° 60.677/4 du 27 février 2017). Enfin, les dispositions attaquées, pour les raisons déjà évoquées dans les moyens précédents, altèrent substantiellement le cadre de vie des riverains.
A.47. Le Gouvernement wallon réfute le quatrième moyen formulé par la partie requérante. Les dispositions attaquées contiennent des définitions, des objectifs généraux et des prescriptions générales et elles habilitent le Gouvernement pour le surplus. Elles ne sauraient par conséquent être assimilées à des actes qui établissent, « en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement », pour reprendre la définition utilisée par la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 11 septembre 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a., C-43/10). Le Gouvernement wallon se réfère à ce propos à l'arrêt de la Cour n° 33/2019 du 28 février 2019, dont il ressort clairement que l'objectif du législateur européen n'est pas de viser indistinctement toutes les législations susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. La référence, faite par la partie requérante, à l'avis du Conseil d'État n° 60.677/4 du 27 février 2017 est dénuée de pertinence, puisqu'à aucun moment le Conseil d'État n'assimile les dispositions attaquées à des plans et programmes au sens de la directive 2001/42/CE . Le Conseil d'État lui-même souligne qu'il reste « extrêmement prudent » et il formule en tout état de cause ses observations à propos de dispositions qui ne sont pas attaquées.
A.48. Le Gouvernement flamand réfute le quatrième moyen formulé par la partie requérante et estime que les dispositions attaquées ne peuvent pas être analysées comme étant des plans et programmes au sens de la directive 2001/42/CE. Sont en effet des plans et programmes en ce sens les mesures qui, d'une part, remplissent les conditions de l'article 2 de la directive 2001/42/CE et, d'autre part, peuvent avoir des effets substantiels sur l'environnement. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, les dispositions attaquées ne peuvent pas être assimilées à ce que la Cour de Justice de l'Union européenne considère comme des plans et programmes aux seuls motifs qu'elles modifieraient une partie du territoire de la Région wallonne et que celui-ci recevrait une destination particulière. Le Gouvernement flamand insiste sur l'arrêt de la Cour n° 33/2019, dont le raisonnement est applicable en l'espèce.
A.49. La partie requérante prend acte de la référence à l'arrêt de la Cour n° 33/2019, mais pointe le fait que, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire qui a abouti à cet arrêt, le moyen repose en l'espèce aussi sur la Convention d'Aarhus. Or la Cour recommande une interprétation large des « plans et programmes » au regard de cette Convention (arrêt n° 144/2018 du 18 octobre 2018). La partie requérante insiste également sur le fait qu'elle n'a jamais été, en tant que riveraine, invitée à s'exprimer lors de l'élaboration du décret du 4 octobre 2018.
B Point de vue de la cour
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1.1. Les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « modifiant divers textes, en ce qui concerne les cours d'eau » (ci-après : le décret du 4 octobre 2018), attaqués, s'inscrivent dans le cadre d'une réforme globale de la gestion des cours d'eau en Région wallonne.
Cette réforme « vise à fournir aux gestionnaires de cours d'eau un arsenal juridique complet et cohérent qui régisse concrètement tous les usages et tous les enjeux des cours d'eau, non seulement la protection des biens et des personnes mais aussi la préservation ou la restauration de la qualité des cours d'eau » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 2). En outre, elle « tend en tout cas à s'appliquer à tous les cours d'eau non navigables et à tous les cours d'eau non classés par le Gouvernement, ces derniers bénéficiant dorénavant d'une réglementation spécifique et harmonisée » (ibid., p. 7).
Par ailleurs, la Région wallonne a entendu réagir à l'adoption, au niveau international et au niveau européen, d'un certain nombre d'instruments juridiques, dont la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 « établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau » et la directive 2007/60/ CE du Parlement
européen et du Conseil du 23 octobre 2007 « relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation ». Les travaux préparatoires mettent en lumière les préoccupations suivantes :
« [Ces directives ont] provoqué une restructuration profonde du droit de l'eau : dorénavant, de nouveaux objectifs assignés aux masses d'eau doivent être atteints en mettant en œuvre de nouvelles planifications à l'échelon des bassins et sous-bassins hydrographiques. Dans ce cadre, plusieurs mesures à adopter concernent l'hydromorphologie des cours d'eau, telles que la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, l'instauration d'un débit écologique minimum, la protection et la restauration des ripisylves, la coordination entre gestionnaires lors de la réalisation de travaux sur les cours d'eau, etc. […] La présente réforme a donc pour ambition de parachever le Code de l'eau en y introduisant un cadre global et transversal de la gestion de tous les cours d'eau wallons, à savoir tant les voies hydrauliques, que les cours d'eau non navigables et les cours d'eau non classés, en ce compris les wateringues, afin notamment de rencontrer au mieux les objectifs environnementaux en ce qui concerne les eaux de surface et les zones protégées, ainsi que les objectifs appropriés en matière de gestion des risques d'inondation. Il s'agit dorénavant de considérer les cours d'eau comme des écosystèmes complexes, tant aquatiques que terrestres, superficiels et souterrains, dépendant les uns des autres, et qui doivent être envisagés comme un tout. Toute intervention en un point quelconque du cours d'eau est susceptible de connaître des répercussions sur le fonctionnement de l'ensemble » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, pp. 4-5).
Les dispositions attaquées concernent plus particulièrement les cours d'eau non navigables.
B.1.2.1. L'article 6 du décret du 4 octobre 2018 établit une série de définitions. Il est attaqué en ce qu'il modifie l'article D.2, 56°bis, du Livre II du Code de l'Environnement constituant le Code de l'Eau (ci-après : le Code de l'eau), qui définit la notion de « lit mineur ». Du fait de cette modification, l'article D.2, 56°bis du Code de l'eau dispose :
« Pour l'application du présent livre, on entend par :
[…]
56°bis « lit mineur » : surface du territoire, artificialisée ou non, occupée par les plus hautes eaux d'un cours d'eau avant débordement, comprenant le chenal ordinaire d'écoulement et les berges jusqu'à la crête de berge;
[…] ».
B.1.2.2. Les travaux préparatoires justifient le choix de cette définition comme suit :
« Les définitions nouvelles nécessaires à l'exacte compréhension de la présente réforme ont été introduites dans cet article. Ces définitions constituent la seule et unique référence à la terminologie utilisée dans les dispositions décrétales du Livre II du Code de l'environnement.
[…]
La notion de ‘ cours d'eau ' n'a jamais été définie de manière explicite par le législateur. Ce dernier s'est jusqu'ici borné à distinguer les voies hydrauliques et les cours d'eau non navigables et à établir un système de catégorisation des cours d'eau non navigables qui implique une différenciation des gestionnaires, des droits de propriété et des droits de riveraineté.
[…]
Étant utilisée dans la définition du cours d'eau, la notion de ‘ lit mineur ' est également définie au sens habituel dans le langage technique. Il en va de même des notions de ‘ berge ' et de ‘ crête de berge ' qui sont complémentaires à la définition du ‘ lit mineur '.
A la question d'un parlementaire quant à la définition exacte du terme ‘ lit d'un cours d'eau non navigable ', le ministre de l'agriculture avait déjà répondu le 27 décembre 1968 que ‘ le lit d'un cours d'eau se compose du plafond et de la partie des talus situés au-dessous de la limite la plus haute, atteinte par les eaux courantes sans inondation '. En ce sens, ‘ Le lit d'une rivière s'entend du plenissum flumen et non des eaux moyennes '. Le ‘ plenissum flumen ' correspond au niveau maximal d'un cours d'eau juste avant le débordement général. J.-F. NEURAY expose également que ‘ le lit d'un cours d'eau a été défini par M. Vauthier comme '' tout le terrain que les eaux recouvrent dans leur développement périodique et normal, et sans qu'il y ait inondation ou débordement '' (Précis de droit administratif de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 3e éd., 1950, n° 280) '. Lorsqu'aucun débordement du cours d'eau n'est jamais intervenu, étant donné l'absence de crêtes de berges, il appartient alors de prendre en considération le niveau des plus hautes eaux enregistrées » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, pp. 22-23).
B.1.3.1. L'article 10 du décret du 4 octobre 2018 détermine les objectifs généraux de la réforme des cours d'eau. Il insère dans le Code de l'eau un article D.33/1, qui dispose :
« Les dispositions du présent titre ont pour objet une gestion intégrée, équilibrée et durable des cours d'eau. Cette gestion vise à satisfaire ou à concilier les principales fonctions suivantes des cours d'eau :
1° hydraulique, par la conservation du libre écoulement des eaux et la gestion des risques d'inondation;
2° écologique, par la préservation, l'amélioration et la restauration de la qualité hydromorphologique des masses d'eau de surface, afin d'assurer notamment une meilleure fonctionnalité de l'écosystème aquatique et le respect des objectifs établis pour les zones protégées visées à l'article D.18;
3° socio-économique;
4° socio-culturelle ».
B.1.3.2. Les travaux préparatoires justifient cette approche multifonctionnelle comme suit :
« Sous une nouvelle section intitulée ‘ Objectifs ', est insérée une nouvelle disposition instaurant la gestion intégrée, équilibrée et durable des cours d'eau. Cet objectif se veut complémentaire de l'article D.1er du Code de l'eau, qui énonce que ‘ le cycle de l'eau est géré de façon globale et intégrée, dans le constant souci d'assurer à la fois la qualité et la pérennité de la ressource, dans le cadre d'un développement durable ', ce dernier comportant une dimension environnementale, économique, sociale et culturelle.
La gestion intégrée a pour vocation de concilier les intérêts multiples et parfois contradictoires qui peuvent s'exprimer relativement aux cours d'eau. L'affirmation du principe de la multifonctionnalité des cours d'eau met en évidence les relations existantes entre les différents enjeux, leurs effets réciproques ainsi que les effets de compensation, de synergie et d'antagonisme qui peuvent intervenir entre eux.
La gestion équilibrée doit permettre de satisfaire ou de concilier tous les usages de l'eau, sans établir de hiérarchie dans les priorités. Il importe dès lors de se placer dans une logique d'arbitrage qui incite les usagers à accepter de se restreindre eux-mêmes : il s'agit, par la régulation, de répartir et de lisser l'effort de limitation sur l'ensemble des usagers.
La fonction socio-économique correspond notamment à l'alimentation en eau destinée à la consommation humaine ou à l'agriculture, le transport, l'industrie ou la production d'énergie, tandis que la fonction socio-culturelle, mais aussi patrimoniale et récréative peut concerner la navigation de plaisance, la pêche, le tourisme, la baignade ou les sports nautiques » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 24).
B.1.4.1. L'article 24 du décret du 4 octobre 2018 concerne la propriété des cours d'eau non navigables ainsi que leur régime de domanialité publique. Il remplace l'article D.34 du Code de l'eau, qui dispose désormais :
« Le lit mineur d'un cours d'eau non navigable est présumé appartenir au gestionnaire désigné en vertu de l'article D.35, et relève du domaine public.
Pendant six mois à dater de la notification qui leur est transmise par le gestionnaire du cours d'eau non navigable, tout riverain du lit mineur dont le tracé a été artificiellement modifié a la faculté de se faire autoriser à disposer en pleine propriété du terrain devenu libre, en s'engageant à en payer, à dire d'experts, soit la propriété, soit la plus-value ».
B.1.4.2. Les travaux préparatoires justifient cette disposition en ces termes :
« Le principe selon lequel le lit mineur d'un cours d'eau non navigable est présumé appartenir au gestionnaire de ce cours d'eau est maintenu. La notion de ‘ lit mineur ' d'un cours d'eau est d'ailleurs définie à l'article D.2, 56°bis, et comprend les berges jusqu'à la crête de berge. Autrement dit, sauf titre contraire, le lit mineur, en ce compris les berges du cours d'eau, appartient au gestionnaire.
Le second alinéa du nouvel article D.34 est une adaptation de l'article 16, alinéa 2 de la loi du 28 décembre 1967 relative aux cours d'eau non navigables : le riverain d'un lit dont le tracé a été modifié par le fait de l'homme peut dorénavant obtenir la pleine propriété du terrain devenu libre. S'il advenait que le riverain renonce à solliciter la propriété du terrain devenu libre ou ne le fasse pas dans le délai légal, l'assiette de l'ancien cours d'eau doit alors être considérée comme abandonnée, et dans ce cas les biens dits ‘ sans maître ' tombent dans le domaine public, en application des articles 539 et 713 du Code civil.
En revanche, lorsque le cours d'eau abandonne naturellement son lit, c'est alors l'article 563 du Code civil qui trouve à s'appliquer. La Cour de cassation a d'ailleurs jugé que le mécanisme de l'article 563 du Code civil empêchait les gestionnaires d'inclure dans leur domaine, outre le lit nouveau, le lit abandonné » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 28).
B.1.5.1. L'article 32 du décret du 4 octobre 2018 établit, en ce qui concerne les cours d'eau non navigables, un régime relatif aux travaux d'entretien et de petite réparation. Il remplace l'article D.37 du Code de l'eau, qui dispose désormais :
« § 1er. Les travaux d'entretien et de petite réparation correspondent aux travaux qui se reproduisent à intervalle régulier afin d'assurer les objectifs hydrauliques, écologiques, socio- économiques et socio-culturels assignés aux cours d'eau non navigables, et notamment :
1° le nettoyage des cours d'eau non navigables, y compris dans les parties voutées, et notamment le curage, la remise sous profils ainsi que la collecte de débris, de branchages, d'embâcles et de matériaux encombrants;
2° l'entretien et la petite réparation des ouvrages appartenant aux gestionnaires qui sont situés dans les cours d'eau non navigables, en ce compris la consolidation des berges affaissées au droit de ces ouvrages et l'enlèvement des atterrissements liés à ces ouvrages, sans préjudice de l'application de l'article D.39 ;
3° l'entretien et l'élimination de la végétation située sur les berges des cours d'eau non navigables, notamment par débroussaillage, abattage, débardage, recépage, ébranchage, déchiquetage, dessouchage, plantation, échardonnage, faucardage, et la destruction des plantes invasives ;
4° la petite réparation et le renforcement des digues qui existent le long des cours d'eau non navigables et l'enlèvement de tout ce qui s'y trouve, que ces digues appartiennent à des personnes de droit privé ou public;
5° l'entretien, la petite réparation et les mesures propres à assurer le fonctionnement normal des stations de pompage en lien avec les cours d'eau non navigables, que celles-ci appartiennent à des personnes de droit privé ou public.
§ 2. Les gestionnaires désignés en vertu de l'article D.35 exécutent les travaux d'entretien et de petite réparation, conformément à un règlement général sur les cours d'eau non navigables arrêté par le Gouvernement.
Sur les cours d'eau de la troisième catégorie, les travaux d'entretien et de petite réparation sont exécutés après avoir sollicité l'avis du gestionnaire des cours d'eau non navigables de deuxième catégorie.
Par dérogation à l'alinéa 1er, les étangs, les plans d'eau et les réservoirs de barrage qui sont traversés par un cours d'eau non navigable sont entretenus et réparés par ceux à qui ils appartiennent, à défaut de quoi le gestionnaire du cours d'eau non navigable peut mettre en demeure le propriétaire d'exécuter les travaux d'entretien et de petite réparation endéans un délai déterminé.
En cas d'extrême urgence, le gestionnaire peut exécuter les travaux d'entretien et de petite réparation aux étangs, plans d'eau et réservoirs de barrage qui ne lui appartiennent pas, sans au préalable mettre en demeure le propriétaire à cet effet. Dans ce cas, le coût des travaux est récupéré à charge du propriétaire sur simple état dressé par le gestionnaire qui aura procédé aux travaux.
§ 3. Par dérogation au paragraphe 2, certains travaux d'entretien et de petite réparation peuvent être exécutés par d'autres personnes que les gestionnaires, après avoir fait l'objet d'une déclaration préalable.
Sans préjudice de l'envoi par voie électronique, la déclaration est envoyée par recommandé avec accusé de réception ou par tout envoi conférant date certaine ou remise contre récépissé au gestionnaire concerné.
Le Gouvernement arrête la liste des travaux d'entretien et de petite réparation qui peuvent être exécutés par d'autres personnes que les gestionnaires, ainsi que la forme et le contenu de la déclaration.
La déclaration est irrecevable si elle a été envoyée ou remise en violation de l'alinéa 2 ou s'il manque des renseignements ou des documents requis en vertu de l'alinéa 3. Si la déclaration est irrecevable, le gestionnaire envoie au déclarant une décision mentionnant les motifs de l'irrecevabilité dans les quinze jours à compter de la date de réception de la déclaration.
Si la déclaration est recevable, le gestionnaire en informe le déclarant dans les quarante- cinq jours à compter de la date de réception de la déclaration, et peut prescrire des conditions complémentaires d'exécution des travaux d'entretien et de petite réparation. A défaut d'envoi dans ce délai, la déclaration est réputée recevable sans conditions complémentaires.
Le déclarant peut passer à l'exécution des travaux :
1° quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle la déclaration est reçue si celle-ci n'a pas été déclarée irrecevable conformément à l'alinéa 4 ;
2° soixante jours à compter de la date à laquelle la déclaration est reçue si l'autorité compétente prescrit des conditions complémentaires d'exécution conformément à l'alinéa 5 ».
B.1.5.2. Les travaux préparatoires expliquent et justifient ce nouveau régime comme suit :
« La notion de travaux d'entretien et de petite réparation remplace désormais celle de travaux ordinaires de curage, d'entretien et de réparation visés à l'article 6 de la loi du 28 décembre 1967. Ces travaux sont exécutés d'initiative par les gestionnaires. Loin de se vouloir exhaustive (sic), l'article D.37 en projet comporte une énumération de travaux d'entretien et de petite réparation :
– l'entretien des cours d'eau non navigables visés aux 1° et 2° relève pour les pouvoirs publics autant de la préservation de l'intérêt général que d'une gestion en bon père de famille du lit mineur qui leur incombe en tant que propriétaire présumé du bien. Tel ne sera néanmoins pas le cas en ce qui concerne la maintenance des ouvrages liés aux cours d'eau qui appartiennent à d'autres personnes que les gestionnaires, en vertu de l'article D.39, alinéa 2. Les précisions apportées à cet égard dans les travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1967 sont toujours d'actualité : ‘ en ce qui concerne plus spécialement les ouvrages d'art, les travaux aux parties voûtées ou aux ouvrages d'art comme tels, ne sont pas compris dans l'entretien. Celui-ci est à charge du propriétaire. Normalement, l'ouvrage d'art n'a pas été conçu au profit du cours d'eau, mais en raison de son existence au profit d'une voie qui le franchit, d'un captage d'eau, etc. ';
– l'entretien et l'élimination de la végétation présente sur les berges du cours d'eau doivent être réalisés, y compris la destruction des plantes invasives;
– la charge de l'entretien de certains types d'ouvrages - les digues et les stations de pompage visées aux 4° et 5° - est fonction non pas de l'identité de leurs propriétaires mais de leur finalité, étant donné que ces ouvrages participent de la gestion des risques d'inondation. Les digues dont il est question ne sont pas celles dont traite la loi du 18 juin 1979 sur les digues, mais bien celles visées à l'article D.53-3 du Code de l'eau et définies à l'article D.2, 27°bis du même code comme étant ‘ tout remblai insubmersible, aménagé le long d'un cours d'eau ou à l'intérieur des terres afin de retenir les crues du cours d'eau '.
N'est plus considéré comme un travail d'entretien et de petite réparation, le dragage du cours d'eau jusqu'au plafond ferme, qui n'a jamais été pratiqué dans les cours d'eau non navigables, mais bien le curage. Par contre, l'enlèvement des dépôts qui se forment sur les berges du cours d'eau et sur les saillies, ainsi que le curage des passages du cours d'eau sous les ponts et dans les parties voûtées font partie intégrante du nettoyage du lit mineur.
C'est en principe aux gestionnaires qu'il incombe de réaliser les travaux d'entretien et de petite réparation. Leur responsabilité se trouvera engagée si le défaut d'exécution ou la mauvaise exécution de travaux publics entraîne des conséquences dommageables. S'agissant d'étangs, de plans d'eau ou de réservoirs de barrage aménagés en travers d'un cours d'eau non navigable, l'entretien et la réparation en incombe à leur propriétaire, nonobstant le fait que le chenal ordinaire d'écoulement du cours d'eau continue à traverser ces aménagements. Il est aussi dorénavant prévu que par exception, le gestionnaire peut directement réaliser les travaux d'entretien et de petite réparation à ces étangs, plans d'eau ou réservoirs de barrage, sans devoir au préalable mettre en demeure le propriétaire, lorsque l'extrême urgence le nécessite.
Le deuxième paragraphe de l'article D.37 en projet introduit la notion de règlement général sur les cours d'eau non navigables. Celui-ci doit contenir les précisions utiles quant aux travaux d'entretien et de petite réparation. Est également maintenue la tutelle technique a priori des gestionnaires des cours d'eau de la deuxième catégorie - à savoir les provinces désignées en vertu de l'article D. 35 - qui émettent un avis simple sur les travaux d'entretien et de petite réparation à mener sur les cours d'eau de la troisième catégorie.
Le troisième paragraphe vise l'hypothèse de travaux d'entretien et de petite réparation que d'autres personnes que les gestionnaires souhaiteraient réaliser, et dont la liste doit être précisée par le Gouvernement. Dans ce cas, un régime de déclaration préalable auprès du gestionnaire est organisé, à l'instar du régime de la déclaration environnementale visée à l'article 14 du décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, pp. 29-30).
B.1.6.1. L'article 36 du décret du 4 octobre 2018 établit, en ce qui concerne les cours d'eau non navigables, le régime de l'autorisation domaniale requise pour la réalisation d'autres types de travaux. Il remplace l'article D.40 du Code de l'eau, qui dispose désormais :
« § 1er. L'autorisation domaniale, préalable et écrite du gestionnaire désigné en vertu de l'article D.35 est requise pour tous travaux tels qu'approfondissement, élargissement, rectification et généralement toutes modifications sous, dans ou au-dessus du lit mineur du cours d'eau non navigable ou des ouvrages y établis, ainsi que la suppression ou la création de tels cours d'eau.
§ 2. Le gestionnaire peut accorder son autorisation domaniale sous la forme d'un acte unilatéral ou sous celle d'un contrat, pour une durée déterminée ou indéterminée, et le cas échéant moyennant le respect de certaines conditions.
§ 3. L'autorisation domaniale délivrée sous la forme d'un acte unilatéral est toujours accordée à titre précaire.
Le gestionnaire envoie sa décision au demandeur, ainsi qu'à chaque instance consultée dans les cent vingt jours à partir du premier jour suivant la réception de la demande.
Elle est censée être refusée à défaut de l'envoi de la décision dans le délai prévu à l'alinéa 2. L'autorisation domaniale peut être retirée, modifiée ou suspendue, sans indemnité au profit du titulaire.
Le bénéficiaire est responsable vis-à-vis des tiers et de la Région wallonne des pertes, dégâts, accidents ou dommages pouvant résulter de l'usage de l'autorisation domaniale.
§ 4. Le Gouvernement fixe la procédure de délivrance de l'autorisation domaniale et la composition du dossier à joindre à la demande, ainsi que l'étendue des droits et obligations découlant de l'autorisation domaniale. Le Gouvernement définit également la procédure de modification, de suspension ou de retrait de l'autorisation domaniale délivrée sous la forme d'un acte unilatéral ».
B.1.6.2. Les travaux préparatoires justifient cette disposition comme suit :
« D. LAGASSE enseigne que ‘ l'usager doit utiliser le domaine public conformément à sa destination et ne peut donc empêcher autrui de l'utiliser conformément à sa destination. Sinon, une autorisation domaniale est nécessaire '.
En cas d'utilisation privative du domaine public, qui doit rester exceptionnelle, une décision administrative autorisant expressément l'occupation durable et exclusive d'une portion du lit mineur du cours d'eau non navigable est nécessaire. Le gestionnaire dispose d'une compétence discrétionnaire pour délivrer l'autorisation domaniale sollicitée, ce qui signifie que le gestionnaire se voit reconnaître un pouvoir d'appréciation quant à la délivrance ou au refus de l'autorisation. La mise en œuvre de cette compétence discrétionnaire n'en demeure pas moins soumise au contrôle éventuel du juge administratif ou judiciaire. Lors de l'octroi d'une autorisation domaniale, le gestionnaire doit être attentif au respect notamment des principes d'égalité, de la liberté de commerce et d'industrie ainsi qu'à l'adéquate gestion du domaine public.
Cette autorisation domaniale peut prendre la forme d'un acte unilatéral par lequel le gestionnaire autorise un usager déterminé à faire des travaux à titre exclusif sur une parcelle délimitée du lit mineur, et ce de façon précaire et révocable. Ou bien un contrat - dénommé ‘ concession domaniale ' - est conclu, qui confère un droit d'utilisation privative du domaine public. Dans le premier cas, intervient une relation hiérarchique alors que dans le second, il s'agit plutôt d'une relation de partenariat. Une autre différence tient au caractère précaire de la décision, puisque l'autorisation unilatérale est révocable sans préavis, ni indemnité et est modifiable par le gestionnaire sans que le préjudice en résultant soit en principe indemnisable, alors qu'en cas de concession domaniale, la modification de celle-ci ou sa révocation par le gestionnaire intervient moyennant dédommagement de l'éventuel préjudice pour le concessionnaire. En tout état de cause, ‘ l'acte retirant ou limitant une autorisation domaniale ne peut être pris qu'après une procédure respectant les principes généraux du droit administratif et doit reposer sur des motifs matériellement exacts, pertinents et légalement admissibles '.
En outre, les travaux soumis à autorisation domaniale correspondent notamment aux travaux extraordinaires tels qu'ils étaient visés à l'article 10 de la loi du 28 décembre 1967. Il s'agit de travaux modifiant soit le lit mineur du cours d'eau, soit les ouvrages y établis, y compris les canalisations de prise ou de rejet d'eau. A cet égard, la réfection d'un voûtement existant de manière régulière n'est pas soumise à autorisation domaniale. Les travaux soumis à autorisation domaniale ne correspondent pas aux travaux d'entretien et de petite réparation visé à l'article D.37 en projet. Sont dorénavant aussi visées toutes modifications sous ou au-dessus du lit mineur, étant donné les conséquences qu'elles sont susceptibles d'engendrer sur la gestion du cours d'eau non navigable.
Le gestionnaire qui octroie une autorisation domaniale peut subordonner celle-ci à certaines conditions, telle l'imposition d'un débit réservé conformément à l'article D.33/11 en projet. Le Gouvernement est notamment habilité à fixer les conditions pouvant assortir une autorisation domaniale et la procédure de délivrance de cette autorisation. Ces conditions peuvent être imposées dans l'intérêt général, la sécurité publique, la préservation du lit mineur, et, le cas échéant, elles peuvent également revêtir la forme d'obligations de service public, tel que le curage dans les parties voûtées du cours d'eau. Au demeurant, le gestionnaire est tenu de faire respecter les conditions imposées dans l'autorisation délivrée, au besoin en retirant cette autorisation, sous peine d'engager sa responsabilité.
Il revient également au Gouvernement d'établir les modalités procédurales de modification, de suspension ou de retrait de l'autorisation domaniale délivrée sous la forme d'un acte unilatéral, conformément à l'enseignement du Conseil d'État, qui considère les mesures de modification, de suspension ou de retrait comme des mesures graves impliquant qu'elles ne peuvent être décidées que dans le respect du principe général de droit administratif ‘ audi alteram partem '.
Dans son avis, la section de législation du Conseil d'État recommande de s'assurer que l'autorisation domaniale délivrée par le gestionnaire et qui porterait sur des actes et travaux inclus dans le champ d'application de la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, feraient effectivement l'objet des mesures d'évaluation des effets sur l'environnement requises par cette directive. Or, la rubrique 61.20.02 de l'annexe I de l'arrêté du Gouvernement wallon du 4 juillet 2002 arrêtant la liste des projets soumis à étude d'incidences et des installations et activités classées, soumet déjà à étude d'incidences sur l'environnement la ‘ construction de voies navigables, ouvrages de canalisation et de régularisation des cours d'eau permettant l'accès des bateaux de plus de 300 t ', telle que visée à l'annexe II, 10° de la directive 2011/92/UE » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, pp. 31-32).
Quant à la recevabilité
B.2.1. Le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand estiment que le recours est irrecevable, au motif que la partie requérante ne justifierait pas d'un intérêt à agir. Elle ne
démontrerait pas en quoi elle pourrait être directement et défavorablement affectée, puisque les dispositions attaquées soit ne lui sont pas applicables, soit ne modifient en rien la situation juridique qui était la sienne avant l'adoption du décret du 4 octobre 2018. Le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand insistent principalement sur le fait que la partie requérante ne pourrait démontrer qu'elle dispose d'un titre de propriété sur le lit de la Mehaigne.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.
B.2.3. La SA « Immobilière de Famelette » est une société qui est propriétaire de terrains bordant le cours d'eau non navigable qu'est la Mehaigne. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la partie requérante peut se prévaloir d'un titre de propriété sur le lit du cours d'eau non navigable précité, il peut être constaté que la partie requérante répond à la définition de « propriétaire riverain » et qu'elle justifie, à ce titre, de l'intérêt requis pour introduire un recours contre des dispositions décrétales qui ont une incidence sur les droits de riveraineté. Dès lors que l'examen de la portée de ces règles se confond avec celui du fond, il suffit de constater que ces dispositions sont susceptibles d'affecter défavorablement la situation de la partie requérante.
B.2.4. L'exception est rejetée.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.3. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 39, 134 et 143, § 1er, de la Constitution et des articles 6, § 1er, II, 1°, 6, § 1er, III, 6° et 8°, 10, 19, §§ 1er et 2, et 79, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).
B.4.1. Le Gouvernement flamand soulève l'irrecevabilité partielle du moyen en ce que ce dernier porte sur les articles 6, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018. L'article 6 introduit une nouvelle définition, tandis que les articles 32 et 36 concernent respectivement les petits travaux et le régime de l'autorisation domaniale requise pour la réalisation d'autres types de travaux. La partie requérante ne démontrerait pas en quoi la Région wallonne ne serait pas compétente pour adopter ces dispositions.
B.4.2. L'article 6 du décret du 4 octobre 2018 adopte de nouvelles définitions relatives aux cours d'eau non navigables, dont celle de « lit mineur ». L'article 32 du même décret porte sur la réalisation de travaux d'entretien et de petite réparation, tandis que l'article 36 dudit décret établit le régime de l'autorisation domaniale requise pour la réalisation d'autres types de travaux. En ce que le moyen vise la compétence de la Région wallonne quant à la définition du régime de propriété et de domanialité des cours d'eau et en ce que les dispositions précitées ont trait tantôt à l'étendue géographique de l'objet de la propriété tantôt à la gestion des travaux sur ces cours d'eau, qui découlent de leur régime de domanialité, les mesures attaquées sont indissociables.
B.4.3. L'exception est rejetée.
Première branche
B.5. Dans une première branche, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées relèvent du droit civil et, par conséquent, de la compétence résiduelle du législateur fédéral, ou qu'elles empiètent à tout le moins sur la compétence de celui-ci sans respecter les conditions de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.6. L'article 6, § 1er, III, 6° et 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980, dispose :
« Art. 6. § 1. Les matières visées à l'article 39 de la Constitution sont :
[…]
III. En ce qui concerne la rénovation rurale et la conservation de la nature :
[…]
6° La pêche fluviale;
[…]
8° L'hydraulique agricole et les cours d'eau non navigables en ce compris leurs berges ».
Les travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1980 précisent : « les Régions sont compétentes pour les cours d'eau non navigables et l'hydraulique agricole, notamment la loi du 28 décembre 1967 relative aux cours d'eau non navigables » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1979, n° 261/1, p. 22). La disposition a ensuite été modifiée par l'article 4, § 5, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1988 « modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles », par l'insertion des mots « en ce compris leurs berges ».
B.7. Dans l'exercice de leurs compétences, les régions peuvent confier certaines missions à des autorités administratives et régler la manière dont ces missions doivent être accomplies. Elles peuvent apporter des limitations au droit de propriété lorsqu'elles opèrent dans le cadre d'une matière qui leur a été transférée. Les régions peuvent aussi procéder à des expropriations en vertu de l'article 79, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.8. Le champ d'application du décret attaqué n'excède pas la matière des cours d'eau non navigables et de leurs berges, pour lesquels la Région wallonne est compétente. La mise en œuvre d'une politique intégrée des cours d'eau non navigables telle qu'elle a été adoptée par le législateur décrétal implique que des limites soient apportées à l'exercice du droit de propriété sur les cours d'eau concernés. Ainsi, le droit de gestion publique instauré par les dispositions attaquées prévoit un partage des tâches entre le gestionnaire et les propriétaires riverains en ce qui concerne la réalisation de travaux. En outre, le décret du 4 octobre 2018 confirme la présomption de propriété au bénéfice du gestionnaire public qui était déjà contenue dans la loi du 28 décembre 1967 « relative aux cours d'eau non navigables ». Ces mesures n'entraînent pas une modification du droit de propriété tel qu'il est défini par le Code civil.
B.9. Il découle de ce qui précède que les dispositions attaquées sont conformes aux règles répartitrices de compétences visées au moyen.
B.10. Dès lors que la Région wallonne est compétente pour adopter les dispositions attaquées, la Cour ne doit pas examiner le moyen en ce qu'il est pris de la violation de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.11. Le premier moyen, en sa première branche, n'est pas fondé.
Seconde branche
B.12. Dans une seconde branche, la partie requérante, partant du constat que la définition nouvelle du lit mineur du cours d'eau non navigable est assimilable à une expropriation, soutient que la Région wallonne a outrepassé sa compétence en matière d'expropriation, dès lors qu'elle ne peut procéder à des expropriations dans une matière résiduelle de l'autorité fédérale.
B.13. La question de savoir si la Région wallonne a agi dans le cadre de ses compétences en matière d'expropriation suppose l'examen préalable de la qualification des dispositions attaquées comme constituant une privation de propriété. Dès lors que cette question se confond avec la première branche du deuxième moyen, la Cour les examine conjointement.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.14. Le deuxième moyen est pris de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, de l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, et de l'article 79 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.15.1. Le Gouvernement flamand soulève l'irrecevabilité partielle du moyen en ce que celui-ci porte sur l'article 10 du décret du 4 octobre 2018, qui ne fait qu'énoncer des objectifs généraux et ne peut en aucun cas être analysé comme affectant le droit de propriété.
B.15.2. La Cour détermine l'étendue du recours en annulation en fonction du contenu de la requête et en particulier sur la base de l'exposé du moyen. La Cour limite son examen aux dispositions contre lesquelles des griefs sont effectivement dirigés.
L'article 10 du décret attaqué dispose que la gestion des cours d'eau non navigables doit satisfaire aux fonctions hydraulique, écologique, socio-économique et socio-culturelle de ceux- ci. Étant donné que la partie requérante ne démontrent pas en quoi cette disposition violerait les dispositions constitutionnelles et conventionnelles visées, la Cour limite son examen du moyen aux articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018.
B.16. Dans une première branche, la partie requérante estime que les dispositions attaquées peuvent être assimilées à une expropriation au sens de l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient qu'à défaut de constituer une expropriation, les dispositions attaquées constituent à tout le moins une ingérence dans le droit au respect des biens et à l'usage de ceux-ci, au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour examine ces branches conjointement.
B.17.1. L'article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
B.17.2. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
B.17.3. L'article 79, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Sans préjudice du § 2, les Gouvernements peuvent poursuivre des expropriations pour cause d'utilité publique dans les cas et selon les modalités fixés par décret, dans le respect des procédures judiciaires fixées par le décret visé à l'article 6quater et du principe de la juste et préalable indemnité visé à l'article 16 de la Constitution ».
B.18. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition attaquée.
B.19. Les dispositions attaquées reprennent un mécanisme de présomption réfragable de propriété sur le lit des cours d'eau non navigables que prévoyait déjà la loi du 28 décembre 1967 « relative aux cours d'eau non navigables ». Un tel mécanisme n'entraîne aucun transfert obligatoire de propriété. On ne saurait dès lors prétendre que cette mesure contient une restriction du droit de propriété qui équivaut à une expropriation. Il en va de même pour les dispositions relatives au régime domanial ainsi que pour les droits de riveraineté.
B.20. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, la seule précision par le décret attaqué de l'étendue géographique du « lit mineur » au « plenissum flumen », c'est-à-dire au chenal ordinaire d'écoulement et aux berges jusqu'à la crête de berge, ne peut pas non plus être assimilée à une expropriation. Il ne ressort ni de la définition du lit mineur contenue dans
l'article D.2 du Code de l'Eau, modifié par l'article 6 du décret attaqué, ni des travaux préparatoires que le législateur se serait manifestement écarté de la portée qui était généralement donnée jusqu'alors à la notion de « lit » d'un cours d'eau non navigable.
B.21. Au surplus, le décret attaqué contient un régime spécifique d'expropriation, inscrit à l'article D.44 du Code de l'environnement. Cette disposition ne fait pas l'objet du présent recours.
B.22. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme offre une protection non seulement contre l'expropriation ou contre la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (second alinéa).
Cet article ne porte pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général.
L'ingérence dans le droit au respect des biens n'est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et celles de la protection de ce droit. La Cour européenne des droits de l'homme considère également que les États membres disposent en la matière d'une grande marge d'appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, § 38).
La Cour européenne des droits de l'homme a jugé qu'« une modification législative qui fait disparaître une attente légitime peut constituer en soi une ingérence dans le droit de propriété (voy., mutatis mutandis, Maurice c. France [grande chambre], n° 11810/03, §§ 67-71 et 79, CEDH 2005–IX; Draon c. France [grande chambre], n° 1513/03, §§ 70-72, 6 octobre 2005; et Hasani c. Croatie (déc.), n° 20844/09, 30 septembre 2010) » (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, § 33).
B.23. En l'espèce, la partie requérante soutient que sont constitutifs d'une ingérence injustifiée dans le droit au respect des biens : l'établissement d'une présomption de propriété dans le chef du gestionnaire, l'assujettissement de l'intégralité des cours d'eau non navigables au régime de la domanialité publique, la modification de la limite géographique du lit mineur desdits cours d'eau, ainsi que la modification du régime légal relatif à la pêche, aux travaux et aux gués.
B.24. Ces différentes mesures constituent des réglementations de l'usage des biens au sens du deuxième alinéa de l'article 1er du Premier Protocole additionnel, qu'il convient de combiner avec l'article 16 de la Constitution.
B.25. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.1 que les dispositions attaquées visent, d'une part, à harmoniser de manière complète et cohérente la législation relative aux cours d'eau, en ayant égard à tous ses usages concrets, et, d'autre part, à faire face aux diverses obligations environnementales imposées au niveau international et au niveau européen en ce qui concerne notamment la qualité hydromorphologique des cours d'eau. Ces mesures poursuivent donc des objectifs légitimes dictés par l'intérêt général.
B.26. Comme il est dit en B.20, contrairement à ce que la partie requérante soutient, il ne ressort pas des travaux préparatoires que le choix de la notion de lit d'un cours d'eau introduite par le décret attaqué s'écarte manifestement de l'acception générale de cette notion, de sorte qu'on ne saurait déduire de cette seule définition la disparition d'une attente légitime.
B.27. Comme il est dit en B.19, la présomption de propriété des cours d'eau non navigables au profit du gestionnaire était déjà contenue dans la loi du 28 décembre 1967 « relative aux cours d'eau non navigables ». Elle peut constituer une ingérence dans le droit au respect des biens de la personne qui prétend à la propriété du cours d'eau. En lui permettant de renverser cette présomption par la production d'une preuve contraire, le législateur décrétal maintient le juste équilibre entre le droit au respect des biens et le but légitime qu'il poursuit.
B.28.1. La décision de soumettre les cours d'eau non navigables au régime de la domanialité publique constitue une ingérence à l'égard des propriétaires de ces cours d'eau. En effet, les biens qui sont soumis à ce régime domanial sont indisponibles, inaliénables et imprescriptibles.
Au regard de l'objectif d'une gestion harmonisée des multiples usages des cours d'eau non navigables et afin de garantir que le lit mineur des cours d'eau non navigables puisse « être utilisé par tous conformément à son affectation » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1147/001, p. 15), le législateur a raisonnablement pu estimer que le régime de la domanialité publique était adéquat. Ce régime garantit en effet la conservation de l'affectation du bien qui y est soumis. En outre, ce régime permet la constitution de droits privatifs sur les biens du domaine public dans une mesure compatible avec son affectation. Ainsi, le décret attaqué n'empêche pas l'octroi d'autorisations ou de concessions domaniales.
B.28.2. Les propriétaires riverains qui ne sont pas propriétaires des cours d'eau, quant à eux, voient leur droit de propriété affecté dans une moindre mesure par le régime de domanialité publique des cours d'eau non navigables. Néanmoins, l'usage public des cours d'eau, y compris le droit de pêche et le droit d'usage public d'un gué, est maintenu, voire renforcé par le régime de la domanialité publique, nonobstant le droit qu'ont les autorités de réglementer cet usage pour les besoins de l'intérêt général. Dès lors qu'il s'agit d'une utilisation du domaine relevant en principe de l'usage public, il n'est pas déraisonnable que le législateur soumette la réalisation des travaux relatifs à un gué au contrôle des pouvoirs publics chargés de la gestion du cours d'eau.
B.28.3. Les dispositions attaquées ne sont donc pas disproportionnées aux buts visés.
B.29. La deuxième branche du premier moyen et le deuxième moyen ne sont pas fondés.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.30. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
B.31.1. Le Gouvernement flamand soulève l'irrecevabilité partielle du moyen en ce qu'il porte sur l'article 10 du décret du 4 octobre 2018, qui ne fait qu'énoncer des objectifs généraux et qui ne peut en aucun cas être analysé comme faisant naître une différence de traitement ou une égalité de traitement injustifiée.
B.31.2. La Cour détermine l'étendue du recours en annulation en fonction du contenu de la requête et en particulier sur la base de l'exposé du moyen. La Cour limite son examen aux dispositions contre lesquelles des griefs sont effectivement dirigés. L'article 10 du décret attaqué dispose que la gestion des cours d'eau doit satisfaire aux fonctions hydraulique, écologique, socio-économique et socio-culturelle de ceux-ci. Étant donné que la partie requérante ne démontre pas en quoi cette disposition violerait les dispositions constitutionnelles et conventionnelles visées, la Cour limite son examen du moyen aux articles 6, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018.
Première branche
B.32. Dans une première branche, la partie requérante soutient qu'il existe plusieurs différences de traitement injustifiées entre les riverains d'un cours d'eau non navigable et, respectivement, d'autres propriétaires qui se trouvent dans la même situation d'expropriation, d'autres propriétaires qui subissent une ingérence quant à leurs biens et d'autres titulaires de droits de riveraineté.
B.33. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non- discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.34.1. Comme il est dit en B.19, les riverains d'un cours d'eau non navigable ne subissent pas une expropriation qui résulte du décret attaqué, de sorte que la différence de traitement invoquée par la partie requérante n'existe pas.
B.34.2. En ce qui concerne les autres catégories de personnes visées, comme il est dit en B.25 à B.28, il apparaît que le législateur décrétal a ménagé un juste équilibre par rapport aux buts visés, de sorte que la mesure ne produit pas des effets disproportionnés.
B.34.3. Pour ces raisons, le troisième moyen, en sa première branche, n'est pas fondé.
Seconde branche
B.35. Dans une seconde branche, la partie requérante soutient que le décret attaqué fait naître deux identités de traitement discriminatoires. D'une part, elle estime que la Région wallonne a, sans justification raisonnable, aligné le régime légal des cours d'eau non navigables sur celui des cours d'eau navigables. D'autre part, la partie requérante reproche à la Région wallonne de traiter de façon identique les propriétaires de gués historiques et les propriétaires de gués nouveaux, dans la mesure où ces propriétaires auront besoin, dans le futur, d'une autorisation domaniale pour en faire usage.
B.36. Le principe d'égalité et de non-discrimination s'oppose à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de
non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.37.1. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, le législateur décrétal n'a pas aligné le régime légal des cours d'eau non navigables sur celui des cours d'eau navigables. Ces deux types de cours d'eau sont régis par des normes juridiques distinctes, qui obéissent à des objectifs de gestion différents. La réglementation des cours d'eau navigables est en effet fondée sur le critère de la navigabilité, tandis que celle des cours d'eau non navigables tend à concilier une approche multifonctionnelle pour l'usage de tous. L'identité de traitement dénoncée est donc inexistante.
B.37.2. Contrairement à ce que la partie requérante soutient, les dispositions attaquées ne modifient en rien les règles relatives à l'utilisation d'un gué qui traverse un cours d'eau non navigable. Quelle que soit la date à laquelle ledit gué est créé, son usage reste libre à toute personne qui peut y avoir accès, sans que cette personne doive obtenir une quelconque autorisation de l'autorité publique en application du décret du 4 octobre 2018. Par conséquent, l'identité de traitement dénoncée est fondée sur une prémisse erronée.
B.38. Le troisième moyen, en sa seconde branche, n'est pas fondé.
En ce qui concerne le quatrième moyen
B.39. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation, par les articles 6, 10, 24, 32 et 36 du décret du 4 octobre 2018, des articles 7bis, 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2, 3, 5, 6, 8 et 9 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 « relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement » (ci-après : la directive 2001/42/CE) et avec l'article 7 de la Convention du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée à Aarhus (ci-après : la Convention d'Aarhus). Elle soutient que les dispositions attaquées constituent un plan ou programme au sens de la directive 2001/42/CE précitée et que le législateur décrétal aurait donc dû procéder à une évaluation environnementale.
B.40.1. Aux termes de l'article 2, a), de la directive 2001/42/CE, on entend par « plans et programmes » :
« les plans et programmes, y compris ceux qui sont cofinancés par la Communauté européenne, ainsi que leurs modifications :
- élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et
- exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
L'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/42/CE dispose :
« Sous réserve du paragraphe 3, une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes :
a) qui sont élaborés pour les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme, de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir; ou
b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE ».
L'article 5 de la directive impose, lorsqu'une évaluation environnementale est requise, la rédaction d'un rapport sur les incidences environnementales. L'article 6 de la directive prévoit l'information et la consultation des autorités et du public en ce qui concerne les projets de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales. L'article 8 a trait à la prise en considération du rapport sur les incidences environnementales lors de l'élaboration du plan ou programme. Enfin, l'article 9 règle l'information relative à la décision d'adoption d'un plan ou d'un programme.
B.40.2. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé à plusieurs reprises le champ d'application de la directive visée.
B.40.3. Prenant appui sur les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juin 2010 (C-105/09 et C-110/09, Terre wallonne et Inter Environnement Wallonie), du 22 mars 2012 (C-567/10, Inter-Environnement Bruxelles ASBL e.a.), du 11 septembre 2012 (C-43/10,
Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a.), du 10 septembre 2015 (C-473/14, Dimos Kropias Attikis), du 27 octobre 2016, (C-290/15, D'Oultremont e.a.) du 7 juin 2018 (C-671/16, Inter-Environnement Bruxelles ASBL e.a.) et du 7 juin 2018 (C-160/17, Thybaut e.a.), la Cour constitutionnelle a jugé, par l'arrêt n° 33/2019 du 28 février 2019, que ni les règlementations ni les dispositions législatives, en tant que telles, ne relèvent du champ d'application de la directive 2001/42/CE. La Cour s'est référée à l'objectif du législateur européen, qui visait à ce que, « conformément à la […] directive, certains plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement soient soumis à une évaluation environnementale » (article 1er). L'obligation instaurée par la directive se limite « au niveau de la planification et de la programmation du processus décisionnel et ne s'applique donc pas au niveau politique plus général de prise de décision, au sommet de la hiérarchie décisionnelle » (COM(96)511 final, p. 2).
B.41. Les dispositions attaquées fixent des définitions et des objectifs en matière de cours d'eau non navigables, et consistent pour la plupart à définir les contours des pouvoirs de gestion relatifs à ces cours d'eau. Ces dispositions générales, qui n'ont par ailleurs aucune incidence sur les plans de secteur applicables, ne sauraient être considérées, qu'elles soient examinées séparément ou lues dans leur contexte, comme des actes qui établissent, « en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement », pour reprendre la formulation utilisée par la Cour de justice de l'Union européenne.
B.42. L'examen des dispositions attaquées au regard de la Convention d'Aarhus ne mène pas à une autre conclusion.
B.43. Le quatrième moyen n'est pas fondé.
Décision
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.