En cause:
la question préjudicielle concernant les articles 56bis, §§ 1er et 2, alinéa 4, et 58, alinéa 1er, de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939, posée par la Cour du travail de Liège, division de Neufchâteau.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, J. Moerman, Y. Kherbache et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par arrêt du 27 mars 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 avril 2019, la Cour du travail de Liège, division de Neufchâteau, a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 56bis, § 1er, 56bis, § 2, alinéa 4, et 58, alinéa 1er, de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 2, 3 et 26.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant,
- en ce qu'ils excluent du bénéfice de l'allocation familiale majorée au taux prévu à l'article 50bis de cette loi l'enfant qui a été abandonné par ses deux parents dès sa naissance, alors que l'enfant dont un parent est décédé peut en bénéficier ?
- en ce qu'ils excluent du bénéfice de l'allocation familiale majorée au taux prévu à l'article 50bis de cette loi l'enfant qui a été abandonné par ses deux parents dès sa naissance, alors que l'enfant dont un parent est déclaré absent conformément aux dispositions du Code civil peut en bénéficier ?
- en ce que la situation d'abandon n'est prise en compte que lorsqu'elle affecte un enfant orphelin abandonné par son auteur survivant, alors qu'un enfant abandonné par ses deux parents subit tout aussi durement la situation d'abandon ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- l'Agence fédérale pour les allocations familiales (FAMIFED), assistée et représentée par Me M. Kaiser, Me M. Verdussen et Me D. Neven, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me M. Kaiser, Me M. Verdussen et Me D. Neven;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me T. Moonen, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- l'Agence fédérale pour les allocations familiales (FAMIFED);
- le Gouvernement wallon.
Par ordonnance du 16 juin 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 30 juin 2021 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le 30 juin 2021.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
A.G. naît le 4 juillet 2010 en Belgique. Ses parents l'abandonnent aussitôt. Le mois suivant, ils quittent le Royaume avec leurs deux premiers enfants, pour s'installer sur une île de l'Océan indien. Le 3 octobre 2011, le Tribunal de première instance de Liège, division de Marche-en-Famenne, constate l'« impossibilité durable d'exercer l'autorité parentale » au sens de l'article 389 de l'ancien Code civil, en raison de l'éloignement géographique durable des père et mère d'A.G. Il décide aussi, en application de l'article 1236bis du Code judiciaire, que cette impossibilité entraîne, pour ces parents, la perte de leur droit de jouir des biens de leur fils, que l'article 384 de l'ancien Code civil leur reconnaissait. Par une ordonnance du 28 novembre 2011, le juge de paix du quatrième canton de Liège nomme la tante paternelle de A.G. comme tutrice de l'enfant.
En septembre 2016, en sa qualité d'allocataire des allocations familiales de A.G., la tutrice de ce dernier perçoit encore l'allocation mensuelle prévue par l'article 40, 1°, de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 (ci-après : la LGAF). Le 17 décembre 2016, son époux, qui est l'attributaire des allocations familiales, demande à l'Agence fédérale pour les allocations familiales (FAMIFED) qu'A.G. puisse, à partir du mois de décembre 2016, bénéficier de l'allocation familiale mensuelle prévue pour l'orphelin par l'article 50bis de la LGAF, au motif que les parents de l'enfant n'ont plus de relations avec lui et ne contribuent plus aux frais de son entretien. Le 20 décembre 2016, FAMIFED motive son refus de faire droit à cette demande par la circonstance qu'A.G. n'est pas un orphelin au sens des articles 50bis et 56bis de la LGAF, puisque son père et sa mère sont encore en vie.
Par jugement du 12 avril 2018, le Tribunal du travail de Liège, division de Marche-en-Famenne, rejette le recours que la tutrice et son époux avaient introduit contre cette décision.
Saisie de l'appel de ce jugement, la Cour du travail de Liège, division de Neufchâteau, constate que le refus de FAMIFED est conforme aux articles 56bis, § 1er, et 58, alinéa 1er, de la LGAF. Elle remarque cependant que la situation d'A.G., domicilié en région de langue française, est comparable à celle d'un orphelin, puisque ses parents n'ont jamais contribué à ses frais d'entretien et ne lui ont jamais témoigné d'affection. Elle se demande donc si la différence de traitement qui résulte de la LGAF entre, d'une part, l'orphelin et, d'autre part, l'enfant abandonné de la sorte, n'est pas discriminatoire. La Cour du travail décide donc de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
II En droit
A Argument
A.1. L'Agence fédérale pour les allocations familiales (FAMIFED), le Gouvernement flamand et le Gouvernement wallon considèrent que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.2. FAMIFED et le Gouvernement wallon précisent que les prestations familiales dues aux enfants qui sont nés avant le 1er janvier 2020 et qui sont domiciliés sur le territoire de la région de langue française restent réglées par la LGAF, telle qu'elle a été quelque peu modifiée par la Région wallonne, qui est devenue compétente en la matière à la suite de la sixième réforme de l'État.
Quant à l'absence de comparabilité des situations identifiées par la question préjudicielle
A.3. FAMIFED, le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand exposent que la situation de l'enfant abandonné à la naissance par ses deux parents qui sont encore vivants ne peut être comparée à la situation des trois autres catégories d'enfants définies par la question préjudicielle.
A.4. FAMIFED et le Gouvernement wallon considèrent que l'abandon d'un enfant par ses père et mère n'est comparable, ni au décès du père ou de la mère de l'enfant, ni à l'absence du père ou de la mère, qui a été déclarée par une juridiction en application de l'article 118 de l'ancien Code civil. Ils relèvent d'abord, à ce sujet, qu'à la différence du décès et de l'absence d'un parent, l'abandon est un fait aux contours flous, auquel l'ancien Code civil n'attache plus aucun effet juridique depuis l'abrogation des articles 370bis à 370quater de ce Code par la loi du 7 mai 1999 « abrogeant la déclaration d'abandon et le transfert de l'autorité parentale ». FAMIFED et le Gouvernement wallon soulignent ensuite qu'à la différence du décès d'un parent ou de son absence au sens de l'ancien Code civil, l'abandon n'est pas une situation définitive ou présumée telle.
A.5.1. Le Gouvernement flamand observe que tant le décès que l'absence d'un parent empêchent celui-ci d'assumer ses responsabilités parentales. Il considère qu'au regard d'une allocation qui a pour but de compenser les difficultés matérielles et morales d'un enfant privé d'un parent, ces deux situations sont fondamentalement différentes de celle des parents dont on sait qu'ils sont encore en vie.
A.5.2. Le Gouvernement flamand observe aussi que la situation de l'enfant abandonné par ses deux parents encore en vie ne peut être comparée à la situation de l'enfant abandonné par le parent survivant visée par l'article 56bis, § 2, alinéa 4, de la LGAF, qui a droit à l'allocation d'orphelin. Il remarque que si ce dernier enfant bénéficie de cette allocation, ce n'est pas parce qu'il a été abandonné, mais avant tout parce qu'un de ses parents est décédé. Il rappelle que cette disposition corrige la règle énoncée à l'article 56bis, § 2, alinéa 1er, de la LGAF, qui constitue elle-même une dérogation au principe de l'attribution à l'orphelin d'une allocation familiale d'un montant supérieur.
Le Gouvernement flamand ajoute que l'enfant abandonné par ses deux parents encore en vie n'est, en réalité, pas moins bien traité par la loi que l'enfant abandonné visé par l'article 56bis, § 2, alinéa 4, de la LGAF. Il déduit, à cet égard, de l'arrêt de la Cour n° 13/2005 du 19 janvier 2005 que l'allocation d'orphelin peut être refusée à ce dernier lorsqu'il est accueilli dans une autre famille et que son parent survivant lui verse une contribution alimentaire suffisamment importante. Il observe en outre que, même lorsque les deux parents vivants d'un enfant abandonné qui est accueilli dans une autre famille résident à l'étranger, il n'est pas impossible de leur réclamer une contribution alimentaire.
Quant à la justification raisonnable des différences de traitement en cause
A.6.1. À titre subsidiaire, FAMIFED et le Gouvernement wallon exposent que le montant plus élevé de l'allocation d'orphelin visée aux articles 50bis et 56bis de la LGAF a pour but de compenser les difficultés matérielles et morales que l'enfant bénéficiaire est présumé rencontrer en raison du décès ou de l'absence de l'un de ses parents. Ils estiment qu'il est dès lors pertinent de ne pas octroyer cette allocation à un enfant abandonné à la naissance dont les parents sont encore en vie et localisés, puisque les difficultés rencontrées par cet enfant sont d'une autre nature que celles que l'allocation précitée a pour but de compenser.
A.6.2. FAMIFED et le Gouvernement wallon exposent ensuite que les différences de traitement identifiées par la question préjudicielle n'ont pas d'effets disproportionnés.
Ils rappellent d'abord que l'enfant qui ne peut bénéficier de l'allocation d'orphelin visée aux articles 50bis et 56bis de la LGAF peut quand même bénéficier de l'allocation de base instaurée par l'article 40 de la même loi, et que les suppléments prévus par les articles 41 et 42bis de cette loi peuvent s'ajouter à cette dernière allocation, afin de tenir compte de certaines situations socialement moins favorables. Ils remarquent que ces suppléments ne peuvent être octroyés à l'enfant attributaire d'une allocation d'orphelin. Ils observent aussi que, lors de la détermination du « rang » des enfants d'un ménage qui bénéficient de l'allocation de base et de certains suppléments d'allocations, l'article 42, § 3, de la LGAF exclut la prise en compte de l'enfant bénéficiaire d'une allocation d'orphelin.
FAMIFED et le Gouvernement wallon relèvent ensuite que l'enfant abandonné par ses deux parents conserve le droit de leur réclamer, par la voie d'une action en justice, l'exécution de leurs obligations alimentaires énoncées par les articles 203 et suivants de l'ancien Code civil, alors que l'enfant orphelin ne peut évidemment plus réclamer à son parent décédé le respect de ces obligations. Ils observent aussi que la solidarité collective qu'exprime l'instauration d'un système d'allocations familiales doit toujours conserver son caractère subsidiaire par rapport à la solidarité familiale qu'expriment les obligations d'entretien des enfants qui pèsent sur leurs parents.
FAMIFED et le Gouvernement wallon estiment enfin que le pouvoir législatif a raisonnablement pu considérer qu'il n'était pas nécessaire d'énoncer une règle particulière au profit d'un enfant abandonné par ses deux parents, dès lors que cette situation est relativement rare et que le pouvoir législatif peut, en la matière, appréhender la diversité des situations familiales avec un certain degré d'approximation.
A.7. Le Gouvernement flamand expose que la différence de traitement qui résulte des dispositions en cause entre, d'une part, l'enfant dont l'un des parents est décédé ou déclaré absent conformément à l'ancien Code civil et, d'autre part, l'enfant abandonné à la naissance par ses deux parents qui sont encore vivants est raisonnablement justifiée.
Il estime que, même si aucun de ces parents n'assume effectivement ses responsabilités parentales, seuls ceux qui sont décédés et déclarés absents sont objectivement dans l'incapacité de le faire.
Le Gouvernement flamand remarque qu'il existe, à côté des situations de décès ou d'absence d'un parent, un très grand nombre de situations de fait très diverses dans lesquelles un enfant n'a plus de rapport moral, affectif ou financier avec ses parents ou avec l'un d'eux (détention, internement, …). Il estime que la seule circonstance que, durant une période plus ou moins longue, les parents d'un enfant sont éloignés de celui-ci ne les dispense pas définitivement de leurs responsabilités parentales. Il en déduit qu'on ne peut raisonnablement reprocher au pouvoir législatif de ne pas avoir étendu aux enfants dans ces situations le bénéfice de l'allocation d'orphelin prévue pour les cas de décès ou d'absence d'un parent.
Le Gouvernement flamand ajoute qu'un enfant qui a été abandonné par ses deux parents encore en vie et qui vit dans une famille d'accueil peut bénéficier d'allocations familiales d'un montant identique à celui des allocations dont bénéficient tous les enfants vivants avec leurs parents. Il estime qu'étendre le bénéfice de l'allocation d'orphelin à cet enfant abandonné ferait naître d'autres différences de traitement contestables.
Quant à la compatibilité des dispositions en cause avec la Convention relative aux droits de l'enfant
A.8. Le Gouvernement flamand soutient que les dispositions en cause ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2, 3 et 26, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant, parce que ces dispositions ne sont pas incompatibles avec le principe d'égalité et de non-discrimination et que le pouvoir législatif a déterminé les bénéficiaires de l'allocation d'orphelin en prenant en considération les intérêts de l'enfant.
Quant à l'éventuel constat d'une lacune
A.9. À titre infiniment subsidiaire, FAMIFED et le Gouvernement wallon exposent que, si la Cour devait répondre affirmativement à la question préjudicielle, la lacune qui découlerait du constat de discrimination ne pourrait être comblée que par le pouvoir législatif.
Ils précisent, à ce sujet, qu'il y aurait lieu de modifier la loi en prenant en considération toutes les spécificités de la situation de l'enfant abandonné par ses deux parents encore en vie tout en évitant de créer de nouvelles discriminations à l'égard de l'enfant placé dans une institution ou dans une famille d'accueil en raison du fait que ses parents, ou celui de ses parents encore en vie, ne peuvent exercer leur autorité parentale pour un motif indépendant de leur volonté, comme l'incarcération ou l'internement.
B Point de vue de la cour
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1. L'article 40, 1°, de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 (ci-après : la LGAF), tel qu'il a été modifié par l'article 13 de l'arrêté royal du 11 décembre 2001 « relatif à l'uniformisation des indices-pivot pour les matières visées à l'article 78 de la Constitution et relevant du Ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l'Environnement », prévoit, « pour le premier enfant », une « allocation mensuelle de […] 68,42 EUR ».
L'article 50bis de la même loi, tel qu'il a été modifié par l'article 14 du même arrêté royal, dispose :
« L'allocation familiale mensuelle dont bénéficie l'orphelin visé à l'article 56bis, § 1er, s'élève à 262,84 EUR ».
Les montants précités des articles 40, 1°, et 50bis de la LGAF varient en fonction des fluctuations de l'indice des prix à la consommation (article 76bis de cette loi).
B.2.1. Depuis sa modification par l'article 10 de l'accord de coopération du 14 juillet 2016 entre la Communauté flamande, la Région wallonne, la Commission communautaire commune et la Communauté germanophone « concernant les modifications à apporter à la réglementation relative aux allocations familiales », l'article 56bis de la LGAF dispose :
« § 1er. Est attributaire des allocations familiales aux taux prévus à l'article 50bis, l'orphelin, si au moment du décès de l'un de ses parents, un attributaire visé à l'article 51, §§ 3 et 4, a satisfait aux conditions pour prétendre à au moins six allocations forfaitaires mensuelles en vertu de la présente loi, au cours des douze mois précédant immédiatement le décès.
§ 2. Les allocations familiales prévues au § 1er sont toutefois accordées aux taux prévus à l'article 40, lorsque l'auteur survivant est engagé dans les liens d'un mariage ou forme un ménage de fait avec une personne autre qu'un parent ou allié jusqu'au 3e degré inclusivement.
La cohabitation de l'auteur survivant avec une personne autre qu'un parent ou allié jusqu'au 3e degré inclusivement, fait présumer, jusqu'à preuve du contraire, l'existence d'un ménage de fait.
Le bénéfice du § 1er peut être invoqué à nouveau si l'auteur survivant ne cohabite plus avec le conjoint avec lequel un nouveau mariage a été contracté ou avec la personne avec laquelle un ménage de fait a été formé. La séparation de fait doit apparaître par la résidence principale séparée des personnes en cause, au sens de l'article 3, alinéa 1er, 5°, de la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques, exception faite des cas dans lesquels il ressort d'autres documents officiels produits à cet effet, que la séparation de fait est effective bien qu'elle ne corresponde pas ou plus avec l'information obtenue auprès dudit registre.
Le présent paragraphe n'est pas applicable lorsque l'orphelin est abandonné par son auteur survivant ».
B.2.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que, selon une circulaire ministérielle du 9 novembre 1981, un enfant dont le parent survivant n'entretient plus de relations avec lui et ne contribue plus financièrement à ses frais d'entretien est un enfant « abandonné » au sens de l'article 56bis, § 2, de la LGAF.
B.3.1. L'article 58, alinéa 1er, de la LGAF, tel qu'il a été rétabli par l'article 16 de l'arrêté royal n° 534 du 31 mars 1987 « modifiant le régime d'allocations familiales pour travailleurs salariés », dispose :
« Pour l'application des articles 56bis, […] la déclaration d'absence conforme aux dispositions du Code civil, est assimilée au décès ».
B.3.2. La déclaration d'absence d'une personne est une décision que le tribunal de la famille peut prendre lorsqu'il s'est écoulé cinq ans depuis un jugement qui a constaté la présomption d'absence de cette personne, ou sept ans depuis les dernières nouvelles reçues de cette personne (article 118 de l'ancien Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 12 de la loi du 9 mai 2007 « modifiant diverses dispositions relatives à l'absence et à la déclaration judiciaire de décès », puis modifié par l'article 9, 1°, de la loi du 30 juillet 2013 « portant création d'un tribunal de la famille et de la jeunesse »).
Le juge de paix peut constater la présomption d'absence d'une personne, lorsque celle-ci a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence depuis plus de trois mois sans que
l'on ait eu de ses nouvelles pendant au moins trois mois et qu'il en découle une incertitude quant à sa vie ou à sa mort (article 112, § 1er, du même Code, tel qu'il a été remplacé par l'article 4 de la loi du 9 mai 2007, puis modifié par l'article 5, 1°, de la loi du 30 juillet 2013).
Lorsque la décision judiciaire déclarative d'absence est coulée en force de chose jugée, l'officier de l'état civil compétent établit immédiatement un acte d'absence (article 121, § 1er, du même Code, tel qu'il a été modifié par l'article 5 de la loi du 18 juin 2018 « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges »). La décision judiciaire produit tous les effets du décès à la date de l'établissement de l'acte d'absence (article 121, § 2, du même Code, tel qu'il a été modifié par l'article 5 de la loi du 18 juin 2018).
Quant aux deux premières différences de traitement
B.4. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est, d'abord, invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 56bis, § 1er, et 58, alinéa 1er, de la LGAF, en ce que ces dispositions font naître une différence de traitement entre des catégories d'enfants bénéficiaires d'allocations familiales en application de cette loi : d'une part, l'enfant dont l'un des deux parents est décédé ou a été déclaré absent en application de l'article 118 de l'ancien Code civil, qui bénéficie de l'allocation d'orphelin visée à l'article 50bis de la LGAF, et, d'autre part, l'enfant abandonné par ses deux parents encore vivants, qui bénéficie de l'allocation d'un montant inférieur visée à l'article 40, 1°, de la même loi.
B.5. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de
non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.1. L'octroi d'allocations familiales au sens de la LGAF vise à contribuer aux frais d'entretien et d'éducation des enfants. Il offre une compensation partielle à l'augmentation des charges supportées par le ménage lorsque celui-ci s'agrandit.
B.6.2. L'allocation attribuée à l'orphelin en application des articles 50bis et 56bis de la LGAF est une allocation spéciale qui vise à compenser, sur le plan matériel, la perte que constitue le décès d'un parent et à permettre à l'enfant bénéficiaire de continuer à pourvoir aux besoins de son existence malgré ce décès, qui entraîne la perte d'une importante source de revenus utiles à son entretien. Cette allocation est attribuée quelle que soit la situation économique dans laquelle le décès place l'orphelin.
B.7. Le législateur dispose d'une marge d'appréciation étendue en matière sociale et économique. La Cour ne peut sanctionner le choix politique du législateur ainsi que les motifs qui le fondent que s'ils sont dépourvus de justification raisonnable.
B.8.1. Comme cela ressort de ce qui est dit en B.6.2, la supériorité du montant de l'allocation d'orphelin par rapport au montant de l'allocation déterminé par l'article 40,1°, de la LGAF est justifiée par la circonstance que l'orphelin est privé d'une source de financement de son entretien.
B.8.2. Les père et mère d'un enfant sont tenus d'assumer son entretien (article 203, § 1er, de l'ancien Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 19 mars 2010 « visant à promouvoir une objectivation du calcul des contributions alimentaires des père et mère au profit de leurs enfants »).
B.8.3. L'enfant dont le parent est décédé a définitivement perdu ce parent.
Comme il est dit en B.3.2, la déclaration d'absence d'une personne en application de l'article 118 de l'ancien Code civil est une décision juridictionnelle relative à une personne dont on est sans nouvelles depuis de nombreuses années et qui produit tous les effets du décès.
B.8.4. L'enfant orphelin qui bénéficie de l'allocation spéciale visée par l'article 50bis de la LGAF est un enfant qui ne peut plus compter sur le parent décédé pour pourvoir à son entretien. L'enfant qui bénéficie de la même allocation en raison de l'absence judiciaire déclarée de l'un de ses parents ne peut pas non plus compter sur ce parent pour pourvoir à son entretien.
En revanche, l'enfant abandonné dont les deux parents sont encore vivants peut encore compter sur l'obligation d'entretien, que la loi impose à ceux-ci d'assumer. À la différence de l'enfant orphelin et de l'enfant dont l'un des parents a été déclaré absent, cet enfant abandonné peut demander à la juridiction compétente qu'elle condamne ses parents à exécuter leur obligation légale d'entretien, en nature ou par équivalent.
B.9. La différence de traitement décrite en B.4 n'est donc pas dénuée de justification raisonnable eu égard à l'objectif poursuivi par l'allocation d'orphelin.
Quant à la troisième différence de traitement
B.10. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est ensuite invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 56bis, § 2, alinéa 4, de la LGAF, en ce que cette disposition fait naître une différence de traitement entre deux catégories d'enfants abandonnés bénéficiaires d'allocations familiales en application de cette loi : d'une part, l'enfant abandonné par celui de ses deux parents qui, à la suite du décès de l'autre, s'est marié ou a formé un ménage de fait avec une personne autre qu'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclusivement, qui bénéficie de l'allocation d'orphelin visée à l'article 50bis de la LGAF, et, d'autre part, l'enfant abandonné par ses deux parents encore vivants, qui bénéficie de l'allocation d'un montant inférieur visée à l'article 40, 1°, de la même loi.
B.11. Comme il est dit en B.6.2, le montant supérieur de l'allocation attribuée à l'orphelin en application des articles 50bis et 56bis de la LGAF vise à compenser, sur le plan matériel, la perte que constitue le décès d'un parent et à permettre à l'enfant bénéficiaire de continuer à pourvoir aux besoins de son existence malgré ce décès, qui entraîne la perte d'une source de revenus utiles à son entretien.
B.12. L'enfant orphelin abandonné par son parent survivant ne peut plus compter sur l'obligation d'entretien que son parent décédé était tenu d'assumer vis-à-vis de lui en application de l'article 203 de l'ancien Code civil.
À la différence de cet enfant, l'enfant abandonné dont les deux parents sont encore vivants peut demander à la juridiction compétente qu'elle condamne ceux-ci à exécuter leur obligation légale d'entretien, en nature ou par équivalent.
B.13. Eu égard à l'objectif poursuivi par le montant supérieur de l'allocation d'orphelin, la différence de traitement décrite en B.10 n'est donc pas dénuée de justification raisonnable.
Quant au respect des articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 26, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant
B.14. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est aussi invitée à statuer sur la compatibilité des dispositions en cause précitées de la LGAF avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 26, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant.
B.15. L'article 2, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant dispose :
« Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment […] de leur naissance ou de toute autre situation ».
L'article 3, paragraphe 1, de la même Convention dispose :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
L'article 26, paragraphe 1, de la même Convention dispose :
« Les États parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales […] ».
B.16. L'examen des dispositions en cause au regard des articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 26, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant ne conduit pas à une autre conclusion que ce qui est dit en B.9 et en B.13.
B.17. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Décision
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
En ce qu'ils excluent l'enfant abandonné par ses deux parents encore vivants du bénéfice de l'allocation d'orphelin prévue par l'article 50bis de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939, l'article 56bis, § 1er et § 2, alinéa 4, et l'article 58, alinéa 1er, de la même loi ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 2, 3 et 26, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant.