Commune – Projet de délibération du conseil communal – Document inachevé ou incomplet – Pièces annexes à l'ordre du jour – Note de synthèse – Demande abusive – Communication (non)
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
la commune d’Ohey,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD), les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courriel le 25 juin 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 25 juin 2021 et reçue le 29 juin 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 30 juin 2021 et les échanges ultérieurs.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 25 mai 2021 porte sur l'obtention d'une copie, par courrier électronique, des « documents suivants concernant les points à l'ordre du jour de la séance publique du conseil communal de ce jeudi 27 mai 2021 :
- Les notes de synthèses explicatives ;
- Les projets de délibération ;
- Les registres des pièces ;
- Les annexes. »
2. Les documents sollicités sont, dès lors qu’ils existent et sont en possession de la partie adverse, des documents administratifs au sens de l’article L3211-3 du CDLD.
3. En ce qui concerne les modalités d’introduction du recours, la partie requérante a introduit son recours par courriel. Or, en principe, le simple courrier électronique n’est pas de nature à conférer une date certaine.
Toutefois, la date du courrier recommandé envoyé à la partie adverse en application de l’article 8bis, alinéa 3, du décret du 30 mars 1995[1], confère, le cas échéant, date certaine au recours. La Commission attire l’attention sur le risque que prend la partie requérante en termes d’expiration du délai de recours dans un tel cas[2].
4. En l’espèce, le courrier recommandé en application de l’article 8bis, alinéa 3, susmentionné a été envoyé à la partie adverse le 25 juin 2021. Dès lors, il y a lieu de considérer cette date certaine comme celle du présent recours. La demande date du 25 mai 2021, et a été rejetée explicitement par l’entité concernée le 26 mai 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain du rejet explicite.
Examen du recours
5. La partie adverse avance dans son refus du 28 juin 2021 :
« Considérant, pour le surplus, qu’aucune obligation de consultation préalable des délibérations des conseils communaux n’est actuellement imposée aux communes vu que cette possibilité est actuellement discutée au niveau de la commission ad hoc du Parlement Wallon (document 224 de la session 2019-2020) ;
Considérant que le Collège communal souhaite uniquement se conformer aux obligations décrétales en la matière qui ne prévoient que la publication a posteriori des procès-verbaux du Conseil communal sur le site internet communal ; »
La partie adverse semble confondre la publicité active avec la publicité passive. Si aucune obligation de publicité active, imposée par une loi ou un décret, n’existe pour les documents sollicités, ceux-ci constituent des documents administratifs au sens de l’article L3211-3 du CDLD.
Par conséquent, les documents sollicités peuvent faire l’objet d’une demande d’accès en vertu des articles L3231-1 et suivants du CDLD régissant la publicité passive ainsi que par le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’administration et en particulier son article 6 relatif aux exceptions applicables.
6. La partie adverse doit dès lors analyser chaque document au regard des exceptions prévues par les différentes législations en la matière dont notamment l’article L3231-3 du CDLD et l’article 6 du décret du 30 mars 1995.
7. La partie adverse soulève l’exception facultative relative à un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 1°, du CDLD.
La Commission rappelle que cette exception doit réunir deux conditions cumulatives.
Le document doit être inachevé, d’une part, et être source de méprise ou malentendu, d’autre part.
La Commission rappelle que, selon sa jurisprudence, le caractère inachevé et incomplet, engendrant un risque de méprise, peut par exemple se dégager du caractère « non officiel » du document, présenté comme un instrument de travail dont toutes les conséquences ne sont pas dégagées, du caractère partiel des informations en possession de l’autorité ou encore de la présentation formelle du document qui peut être source de méprise[3].
Peuvent notamment être source de méprise les projets de délibération[4], qui sont des documents évolutifs, appelés à être modifiés, et qui pourraient être source de méprise pour le citoyen, dès lors que des projets de délibérations pourraient, dans leur présentation formelle, paraître très proches de la délibération définitive.
8. En l’espèce, le projet de délibération à approuver constitue un document inachevé car celui-ci est appelé à être approuvé et pourrait être modifié en séance. Conformément à l’article L3231-3, alinéa 1er, 1°, du CDLD, l’entité peut rejeter la demande s’agissant de telles informations car leur publication peut être source de méprise, le document étant inachevé et incomplet.
9. En ce qui concerne la note de synthèse, ce document ne contient pas de projet de délibération mais un résumé factuel de chaque point à l’ordre du jour. Le document n’étant pas inachevé et ne pouvant pas être source de méprise pour le citoyen, la Commission décide que l’exception relative à un document administratif étant inachevé ou incomplet ne s’y applique pas.
10. En ce qui concerne les registres des pièces et les annexes, ces documents ne remplissent pas les deux conditions cumulatives. L’exception ne s’y applique dès lors pas.
11. La partie adverse soulève également l’exception relative à la demande abusive prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 3°, du CDLD. En effet, statuer sur une demande telle que formulée par la partie requérante, impliquerait de vérifier l’application des exceptions légales applicables à chacun des 87 documents annexes pour les 38 points différents du procès-verbal.
La Commission relève à cet égard, entre autres, que plusieurs points présents dans les documents sollicités, y compris la note de synthèse, sont susceptibles de contenir des informations relatives à des marchés publics ainsi que des informations relatives à la vie privée de différentes personnes physiques.
12. Par ailleurs, l’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme suit :
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande:
3° est manifestement abusive ou répétée (…) »
Eu égard à l’ampleur de la vérification susmentionnée, la Commission rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la communication d’un nombre important de pièces et documents relatifs à un conseil communal[5].
Elle y a notamment admis que le travail de vérification des exceptions légales pouvait constituer une demande manifestement abusive, au sens de l’article L3231-3 du CDLD, tout en rappelant que : « Une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement de la commune. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive » [6].
Il a par ailleurs été jugé par le Conseil d’État[7] que :
« L' examen auquel il doit ainsi être procédé, d'abord pour vérifier si une pièce contient des informations environnementales, et ensuite, le cas échéant, pour déterminer s'il y a lieu d'y appliquer l'une ou l'autre des restrictions au droit d'accès aux informations environnementales, ne se réduit pas à une simple opération matérielle consistant à extraire des pièces des dossiers. Il faut aussi dresser la liste précise des pièces retirées des dossiers et rendre compte de manière concrète et pertinente des motifs pour lesquels elles le sont. Vu le nombre de pièces en cause et la minutie qui doit présider à l'examen auquel il y a lieu de procéder, la charge de travail qu'occasionne celui-ci est d'une ampleur considérable.
Compte tenu de ce qui précède, réserver une suite favorable à une demande d'information qui, comme en l'espèce, porterait, selon la partie intervenante, sur pas moins de 10.000 pages, lesquelles ne sont pas toutes rédigées dans une des langues nationales, impliquerait une charge de travail disproportionnée au regard des intérêts en cause. Il convient en effet d'avoir égard au fait que les missions dont ce service est chargé présentent un caractère d'intérêt général et qu'il importe de veiller à ce que leur exercice ne soit pas entravé ou déraisonnablement perturbé. Si l'information du public doit faire partie des préoccupations de l'autorité administrative, toutefois, celle-ci ne peut être tenue de consacrer une charge de travail d'une ampleur de celle décrite ci-dessus, en vue de répondre à la demande de la partie requérante, fût-elle une association de défense de l'environnement. Si légitimes que soient les intérêts de cette dernière, ils ne suffisent pas à justifier que soient mises à la charge du S.P.F. concerné des obligations d'une telle ampleur ».
À cet égard, la demande implique une quantité de travail importante pour un ensemble de documents volumineux, sollicités en bloc et en général, sans qu’aucune thématique particulière ne soit visée. Cette vérification minutieuse apparaît d’une ampleur telle que la demande peut être considérée comme manifestement abusive, en ce qu’elle porte sur les notes de synthèse, les registres des pièces et les annexes.
13. La partie adverse peut donc refuser la demande d’accès aux documents sollicités.
Par ces motifs, la Commission décide :
Les documents sollicités ne doivent pas être communiqués à la partie requérante.