Zone de police pluricommunale – Incompétence de la CADA – Commune – Factures d'avocat – Secret professionnel – Force majeure – Absence de collaboration- Communication (non)
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
La zone de police Vesdre,
Et
La Ville de Verviers
Parties adverses,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD) ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courriel le 1er aout 2021 ;
Vu les demandes d’information adressées aux parties adverses le 3 aout 2021 et reçues le 4 aout 2021 ;
Vu la réponse de la première partie adverse du 11 aout 2021 ;
Vu la réponse de la seconde partie adverse du 5 aout 2021 ainsi que les échanges ultérieurs.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande porte sur l’obtention d’une « copie numérique des factures introduite par le bureau d’avocat [désigné dans le recours] auprès de la Ville de Verviers et de la Zone de police Vesdre pour la période du 1 janvier 2019 à ce jour [24 juin 2021] ».
2. En ce qui concerne les modalités d’introduction du recours, la partie requérante a introduit son recours par courriel. Or, en principe, le simple courrier électronique n’est pas de nature à conférer une date certaine.
Toutefois, la date du courrier recommandé envoyé à la partie adverse en application de l’article 8bis, alinéa 3, du décret du 30 mars 1995[1], confère, le cas échéant, date certaine au recours.
La Commission attire l’attention sur le risque que prend la partie requérante en termes d’expiration du délai de recours dans un tel cas[2].
3. En l’espèce, le courrier recommandé en application de l’article 8bis, alinéa 3, susmentionné a été envoyé à la partie adverse le 3 aout 2021. Dès lors, il y a lieu de considérer cette date certaine comme celle du présent recours. La demande date du 24 juin 2021, et a été rejetée implicitement par les entités concernées le 26 juillet 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain du rejet implicite.
4. La partie requérante a envoyé, par un même courriel à l’attention du directeur financier de la seconde partie adverse, une demande d’accès à des documents administratifs concernant deux entités (la zone de police Vesdre et la Ville de Verviers). Il s’agit de documents différents pour chaque entité. Le directeur financier a directement répondu à la partie requérante, par retour de courriel, que :
« Toute copie de documents administratifs doit faire l’objet d’une demande formelle auprès de la Directrice générale (pour la Ville) et auprès de la Secrétaire de Zone (pour la Zone de police Vesdre). »
Après un nouveau courriel de la partie requérante, le Directeur financier de la seconde partie adverse lui a répondu :
« Pour ce qui est de la Ville, la loi a prévu une procédure qui est de demander les documents administratifs au Directeur général, seule personne habilitée à traiter votre demande. »
Or l’article L3231-2, alinéa 1, du CDLD dispose :
« La consultation d’un document administratif, les explications y relatives ou sa communication sous forme de copie ont lieu sur demande. La demande indique clairement la matière concernée, et si possible, les documents administratifs concernés, et est adressée par écrit à l’autorité administrative provinciale ou communale, même si celle-ci a déposé le document aux archives. »
Dès lors, aucune obligation de demande formelle auprès du Directeur général ne découle de l’article L3231-2 du CDLD. S’il n’appartenait pas au Directeur financier de traiter la demande d’accès, il devait la transférer en interne afin que celle-ci soit prise en charge.
Cependant, une demande d’accès adressée uniquement et personnellement au Directeur financier d’une commune sur son adresse professionnelle, ne peut valoir comme demande d’accès à une autre autorité administrative que la commune, même dans le cas où cette personne exercerait également une activité dans cette autre autorité administrative. D’autant plus si, pour cette autre entité, le Directeur financier a renvoyé, sans délai, la partie requérante vers le secrétariat de celle-ci.
La demande de la partie requérante en ce qui concerne la première partie adverse ne peut donc pas être assimilée à une demande d’accès au sens du décret du 30 mars 1995, l’entité n’ayant pas été valablement saisie au préalable par la requérante.
L’article 8bis du décret du 30 mars 1995 exige à cet égard une décision, le cas échéant implicite, de rejet d’une demande d’accès aux documents administratifs adressée en ce sens à l’entité concernée, dans le cadre de la procédure administrative d’accès aux documents[3].
Par conséquent le recours est irrecevable en ce qu’il vise la première partie adverse.
5. Par ailleurs, ce recours est irrecevable à un second titre. En effet, la première partie adverse est une zone de police pluricommunale[4]. Sur la base de l’article 9, alinéa 2, de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, une telle zone est dotée de la personnalité juridique.
Dans son arrêt n° 232.974 du 20 novembre 2015[5], le Conseil d’État a jugé ce qui suit :
« Considérant que la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration s’applique aux autorités administratives fédérales, et aux autorités administratives autres que les autorités administratives fédérales, mais uniquement dans la mesure où, pour des motifs relevant des compétences fédérales, cette loi interdit ou limite la publicité de documents administratifs ; que les zones de police pluricommunales sont, de par leur organisation, des institutions qui relèvent des pouvoirs subordonnés ; qu’au sujet de ceux-ci, l’article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, place dans les compétences régionales :
‘‘VIII. En ce qui concerne les pouvoirs subordonnés : ...
1° la composition, l’organisation, la compétence et le fonctionnement des institutions provinciales et communales et des collectivités supracommunales, à l’exception : ...
- de l’organisation de et de la politique relative à la police, en ce compris l’article 135, § 2, de la nouvelle loi communale, et aux services d’incendie’’ ;
Considérant que si la compétence des régions connaît une exception à l’égard de la police, c’est que celle-ci est restée de la compétence fédérale ; que la zone de police est, au sens de la loi de 1994, une des ‘‘autorités administratives autres que les autorités administratives fédérales’’, auxquelles la loi s’applique ‘‘mais uniquement dans la mesure où, pour des motifs relevant des compétences fédérales, la présente loi interdit ou limite la publicité de documents administratifs’’ ; qu’il s’ensuit que les restrictions à la publicité sont applicables aux documents des zones de police, mais que les procédures dites de ‘‘publicité passive’’ ne le sont pas ».
Il découle de ce qui précède que les articles 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 et L3231-5 du CDLD ne sont pas applicables en l’espèce. Dès lors, la Commission n’est pas compétente pour connaître du recours de la partie requérante[6].
6. Néanmoins, la Commission souhaite insister sur le fait que cela n’exclut pas que la partie requérante puisse directement faire un recours non seulement auprès du Conseil d’État, mais également auprès des tribunaux de l’ordre judiciaire, lorsqu’une zone de police pluricommunale refuse de donner accès aux documents administratifs demandés (ce qui toutefois n’a pas été le cas en l’espèce).
En effet, la Commission rappelle, à l’instar de son homologue fédérale[7], que les parties requérantes peuvent invoquer l’article 32 de la Constitution devant les juridictions judiciaires et administratives, qui produit des effets directs, et selon lequel « Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 ».
S’agissant d’un droit fondamental, la notion de document administratif visé à l’article 32 de la Constitution doit être interprétée très largement[8].
La Commission entend également souligner qu’une zone de police pluricommunale, telle la première partie adverse, est incontestablement une autorité administrative, au sens de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Par conséquent, elle doit communiquer tout document administratif en sa possession, conformément à l’article 32 de la Constitution, et ne peut refuser cette communication que sur la base des motifs d’exceptions légales prévus notamment à l’article 6, §§ 1er et 2, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, lesquels s’appliquent en effet à la fois aux autorités administratives fédérales et non fédérales et, par conséquent, aussi aux zones de police pluricommunales, « dans la mesure où, pour des motifs relevant des compétences fédérales, la [loi précitée] interdit ou limite la publicité de documents administratifs ».
Examen du recours en ce qu’il est dirigé contre la seconde partie adverse
7. La seconde partie adverse n’a pas communiqué les documents à la Commission avançant que :
« Suite aux inondations, et aux nouvelles tâches dévolues (fonds des calamités et tickets de transports), nous n’avons pas encore eu le temps matériel de rechercher les factures précitées dans nos archives.
Il faut bien comprendre que les tâches de base de nos services ne sont plus toutes rencontrées pour l’instant. »
8. La Commission constate que la partie adverse n’a pas répondu à la demande d’information dans le délai visé à l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995 tel qu’inséré par le décret du 2 mai 2019[9]. Comme le prévoit l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la Commission doit dès lors faire « d'office droit au recours et décide[r], moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du présent décret, la production du document demandé ».
9. Aucune exception à cette obligation de collaboration dans l’instruction du dossier n'est prévue par le décret. L’absence de collaboration de la partie adverse avec la Commission est toutefois compréhensible au vu des circonstances invoquées, assimilables à un cas de force majeure.
10. En tout état de cause, après analyse des factures communiquées par la première partie adverse, la Commission estime que de telles factures relèvent de l’exception relative à une obligation de secret prévue à l’article 6, §2, 2°, du décret, et prévue par l’article 458bis du Code pénal, à savoir le secret professionnel :
« le secret professionnel de l’avocat peut constituer une exception au sens des législations relatives à la publicité de l’administration. Si ce secret est au cœur des règles déontologiques relatives à la profession d’avocat, il peut aussi trouver son fondement à l’article 458 du Code pénal ainsi que dans les droits fondamentaux protégés par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme »[10].
(…)
« la protection du secret professionnel des avocats s’étend essentiellement aux documents émanant des avocats eux-mêmes (…) le secret professionnel de l’avocat a pour objectif de permettre à l’avocat et à son client de communiquer en toute liberté, sans crainte de voir le contenu de ces échanges divulgué à des tiers »[11].
Donc les documents sollicités ne doivent pas être communiqués.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est irrecevable en ce qui concerne la première partie adverse.
Les documents ne doivent pas être communiqués en ce qui concerne la seconde partie adverse.