Province – Marché public – Exécution – Documents à caractère personnel – Avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel – Secrets d'affaires – Secret professionnel – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
La Province de Liège, […],
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD), les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 7 septembre 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 9 septembre 2021 et reçue le 10 septembre 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 27 septembre 2021.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 7 juillet 2021 porte sur la copie des documents suivants :
- « Les clauses techniques du marché HVAC, en particulier en ce que ces clauses concernent la fourniture et la pose des 'caissons de ventilation autonomes' ;
- Le ou les texte(s) fixant les relations contractuelles entre la Province de Liège et la société […] ;
- Les actes ou écrits par lesquels la Province de Liège a posé des questions à la société […] au sujet de la solution technique proposée par […], puis demandé à […] de garantir 'l’absence de toute contrefaçon' et les performances de cette solution ;
- Les copies des courriers de […] et de ses conseils (avocats ou conseils techniques) à la Province de Liège ;
- Les échanges d’écrits, que cela soit par courriers, courriels, ou toute autre forme, entre […] et la Province de Liège, entre […] et entre la Province de Liège et […] au sujet de la solution technique proposée par […] ;
- Les échanges d’écrits, que cela soit par courriers, courriels, ou toute autre forme, entre […] et la Province de Liège, entre […] et entre la Province de Liège et […] au sujet de la solution technique proposée par […] ».
2. Une demande complémentaire du 23 juillet 2021 porte sur l’obtention d’une copie :
- « Des échanges d’écrits, que cela soit par courriers, courriels, ou toute autre forme, entre […] et la société […] et entre la Province de Liège et la société […] au sujet de la solution technique proposée par […];
- Des échanges d’écrits, que cela soit par courriers, courriels, ou toute autre forme, entre […] et la société […] et entre la Province de Liège et la société […] au sujet de la solution technique proposée par […]».
3. Les documents sollicités sont, dès lors qu’ils existent et sont en possession de la partie adverse, des documents administratifs au sens de l’article L3211-3, 2°, du CDLD.
4. Les demandes ont été rejetées explicitement par l’entité concernée le 12 août 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain de la réception du rejet explicite.
5. La Commission rappelle qu’en ce qui concerne les documents à caractère personnel, la justification d’un intérêt constitue une condition de recevabilité de la demande d’accès, et, partant, du recours. Néanmoins, contrairement à ce qu’avance la partie adverse, la notion de document à caractère personnel est définie par le décret du 30 mars 1995 et le CDLD comme « un document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » (article 1er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995 et article L3211-3 CDLD).
6. En l’espèce, la Commission constate que les documents sollicités ne constituent pas des documents à caractère personnel, dans la mesure où ils ne portent aucune appréciation ou jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne.
La partie requérante ne doit donc pas justifier d’un intérêt afin d’obtenir la copie de ces documents.
Examen du recours
7. La partie adverse invoque en ce qui concerne « les clauses techniques du marché HVAC », l’exception de la demande manifestement abusive en ce que les documents devraient être en possession de la partie requérante.
A défaut de prouver cette situation, la partie adverse ne peut invoquer ce motif d’exception. Aucun autre motif d’exception ne peut être reconnu pour ces documents, piliers d’une procédure de marché public soumise à publicité.
8. En en ce qui concerne « le ou les texte(s) fixant les relations contractuelles entre la Province de Liège et la sociète […] », il s’agit d’un marché public passé par appel d’offre ouvert, le cahier spécial des charges et la décision motivée d’attribution de ce marché en ce compris le montant auquel le marché a été attribué ne sont en rien couverts par la confidentialité.
Aucun autre motif d’exception ne peut être reconnu pour ces documents, piliers d’une procédure de marché public soumise à publicité.
9. En ce qui concerne la majorité des documents en possession de la Province adressés à ou reçus de la société momentanée et de la société […], la partie adverse considère que ces échanges sont des opinions communiquées librement et à titre confidentiel au sens de l’article L3231-3 du CDLD.
10. L’exception relative à l’avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel à l’autorité nécessite la réunion de plusieurs conditions cumulatives :
- seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ;
- l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’autorité administrative, en l’absence de toute obligation légale ;
- l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’autorité administrative ;
- la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitant à la communication de l’avis ou de l’opinion.
12. Par contre, plusieurs documents touchent, aux yeux de la Commission, à l’exception relative à la vie privée et au secret des affaires, prévue à l’article 6, §2, 1°, du décret du 30 mars 1995 auquel l’article L3231-3 du CDLD renvoie notamment.
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires. Ce principe général de droit , reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007, protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Il est également protégé par le Code de droit économique dont L’article I.17/1, 1° définit le secret d’affaires comme suit : « information qui répond à toutes les conditions suivantes : a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ; b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ; c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
Partant, les fiches techniques, les échanges de question et réponse concernant les techniques de fabrication et les coûts y relatifs ne doivent pas être communiqués.
13. En outre, plusieurs documents sollicités émanent d'avocats et de leur client, de sorte que le secret professionnel s'oppose à la communication de ces documents, « la protection du secret professionnel des avocats s'étend essentiellement aux documents émanant des avocats eux-même (...) le secret professionnel de l'avocat a pour objectif de permettre à l'avocat et à son client de communiquer en toute liberté, sans crainte de voir le contenu de ces échanges divulgué à des tiers ».
14. La Commission relève, au surplus, que la partie requérante a reçu via la note d’observation de la partie adverse un relevé des documents existants.
Par ces motifs, la Commission décide :
La partie adverse doit communiquer les clauses techniques du marché HVAC attribué par la province à la société momentanée […] ainsi que le CSC et la décision motivée d’attribution du marché public attribuée par la Province de Liège à la société […].
La partie adverse doit également communiquer les échanges écrits intervenus entre la province, la société momentanée, la société […]et la société […] au sujet de la solution technique proposée par […] à l’exception des documents ou parties de documents relevant du secret professionnel des avocats et du secret des affaires.