Organisme visé par le décret du 12 février 2004 – Bail – Rapports d'analyse des offres – Demande d'accès réitérée – Secret des affaires – Intérêt financier ou économique de la Région – Secret des délibérations du Gouvernement – Avis communiqué librement et à titre confidentiel à l'autorité – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
Immowal S.A., représentée par ses conseils, […]
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995), tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019, l’article 8, § 1er ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 21 octobre 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 26 octobre 2021 et reçue le 27 octobre 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 10 novembre 2021 ;
Vu la réplique de la partie requérante reçue le 1er décembre 2021 ;
La partie requérante a sollicité lors de son recours à être entendue, dans sa réplique, celle-ci y a renoncé.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 2 septembre 2021 porte sur l’obtention d’une copie « de tous les rapports que [la partie adverse] a établis en exécution de cette mission ainsi que toutes les délibérations de son conseil d’administration ou de son comité de gestion ayant décidé d’approuver ces rapports ».
Le recours précise qu’il vise l’obtention des documents suivants :
-
- « Le rapport de première sélection établi par IMMOWAL le 30 novembre 2020 dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt portant sur la “location simple d’un bâtiment destiné aux services de l’’AVIQ et de FAMIWAL” situé dans l’entité de Charleroi ;
- Le rapport de sélection finale après négociations établi par Immowal le 20 avril 2021 dans le cadre de la même procédure de mise en concurrence (p.16)
- Tout autre rapport établi par IMMOWAL dans le cadre de la même procédure et, en particulier, suite à la délibération du Conseil de gestion de l’AVIQ du 22 avril 2021 ».
2. La partie adverse conteste tout d’abord que le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration lui soit applicable. La partie adverse fait en effet valoir qu’elle n’est pas une « autorité administrative » au sens de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État.
La Commission rappelle l’article 1er, 1°, dudit décret :
« Le présent décret s’applique :
1° aux autorités administratives régionales ; aux autorités administratives autres que régionales mais uniquement dans la mesure où, pour des motifs relevant des compétences régionales, le décret interdit ou limite la publicité de documents administratifs ; aux organismes visés par l’article 3 du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public ; aux organismes visés par l’article 3 du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public pour les matières réglées en vertu de l’article 138 de la Constitution ; ci-après, les entités ; » (la Commission souligne).
Le décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public, article 3, § 1er, 37°, dispose :
« §1er. Les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 sont applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires exerçant leurs fonctions dans les personnes morales suivantes :
[…]
37° la Société anonyme IMMOWAL ;
[…] »
Il en découle que la partie adverse, la S.A. IMMOWAL, est soumise au décret du 30 mars 1995.
3. En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis, la partie adverse soulève que la partie requérante a introduit une première demande le 25 juin 2021 à laquelle la partie adverse n’a pas répondu. Elle en conclut qu’un refus implicite est intervenu le 26 juillet 2021 et qu’un recours contre cette décision devait être introduit au plus tard le 25 aout 2021. La partie adverse soutient que la demande du 2 septembre vise les mêmes documents.
Cependant, aucune disposition légale ne prévoit qu’une même demande d’accès ne peut être introduite qu’une seule fois, de sorte que la partie requérante était en droit d’introduire une deuxième demande d’accès auprès de la partie adverse et par conséquent d’ouvrir un nouveau délai de recours suite au refus explicite de la partie adverse.
La dernière demande date du 2 septembre 2021 et a été rejetée explicitement par l’entité concernée le 30 septembre 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain de la réception du rejet explicite.
4. Dans son refus explicite du 30 septembre 2021 à la partie requérante, la partie adverse avance qu’ « Une juridiction étant déjà saisie de la question, toute autre autorité devrait ‘surseoir à statuer’ dans l’attente de la décision du Conseil d’État ».
À cet égard, la Commission rappelle que la circonstance qu’une procédure contentieuse est en cours ne fait pas obstacle à l’exercice de la compétence de la Commission pour statuer sur le présent recours. En effet, ni la loi du 11 avril 1994, ni le décret du 30 mars 1995 ne définissent d’exceptions liées à l’existence d’une procédure contentieuse et, par conséquent, la Commission est compétente nonobstant la saisine d’une juridiction. Il est encore précisé qu’il ne paraît pas contraire au principe de la séparation des pouvoirs que de permettre l’accès aux documents administratifs, d’une part, par la voie administrative et, d’autre part, par la voie juridictionnelle : ces procédures sont distinctes et se fondent sur des législations différentes, quand bien même les mêmes documents sont également sollicités par le même demandeur sur la base de l'article 877 du Code judiciaire ou de l’article 61ter du Code d’instruction criminelle[1] et quand bien même l’article 23, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’État dispose que la section du contentieux administratif a le droit de se faire communiquer, par les autorités et administration, tous documents et renseignements relatifs aux affaires sur lesquelles elle est appelée à statuer.
Il n’y a donc pas lieu de sursoir à statuer.
5. Dans son refus du 30 septembre, la partie adverse répond que le troisième objet de la demande, relatif à “toutes les délibérations de son conseil d’administration ou de son conseil de gestion ayant décidé d’approuver ces rapports” est inexistant.
Il en résulte donc que le document sollicité n’existe pas et ne constitue donc pas un document administratif au sens de l’article 1er, alinéa 2, 2°, du décret du 30 mars 1995. Le recours est donc irrecevable en ce qui concerne son troisième objet.
Le recours serait encore irrecevable s’il devait être interprété, au vu de la différence de libellé entre l’objet de la demande initiale et celui du recours, comme portant sur des éléments qui n’auraient pas été sollicités dans la demande initiale.
Le recours est, par contre, recevable en ce qui concerne ses deux premiers objets.
Examen du recours
6. À titre liminaire, la Commission rappelle que le droit d’accès aux documents administratifs constitue un droit fondamental garanti par l’article 32 de la Constitution. Dès lors, des exceptions au principe de la publicité des documents administratifs ne sont possibles que dans les conditions fixées par la loi, le décret ou l’ordonnance. Elles doivent être justifiées in concreto et sont de stricte interprétation (Doc. parl., Sénat, 1991-1992, n° 100-49/2°, p. 9)[2].
7. La partie adverse soulève tout d’abord l’exception relative au secret des affaires prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires. Ce principe général de droit a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Selon la Commission européenne, ce principe protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Il est également protégé par les articles XI.332/1 et suivants du Code de droit économique. L’article I.17/1, 1° du Code de droit économique définit le secret d’affaires comme suit :
« information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
En l’espèce, les rapports sollicités comprennent des informations soumises au secret des affaires, à avoir le prix de location par m²/an détaillé pour chaque catégorie de l’autre soumissionnaire.
Dès lors, la Commission décide que l’exception relative aux secrets d’affaires doit s’appliquer partiellement, à savoir à la page 9 du premier document sollicité daté du 30/11/2020, en ce qui concerne la case « Coût annoncé » du second soumissionnaire, à la page 18, en ce qui concerne le poste « gratuité », et à la page 19 du second document sollicité daté du 20/04/2021, en ce qui concerne les montants présents dans le tableau, à l’exception du montant total surligné en vert[3].
8. La partie adverse avance également l’exception prévue à l’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995, relatif à la protection d’un intérêt économique ou financier de la Région. La Commission ne perçoit pas, sur base des observations développées par la partie adverse, en quoi les intérêts financiers de la Région pourraient être touchés en cas de communication des documents sollicités.
Cette exception ne peut être retenue.
9. La partie adverse avance ensuite l’exception relative au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du Gouvernement ou auxquelles une autorité régionale est associée, prévue à l’article 6, § 2, 3°, du décret, sans toutefois l’étayer.
Il revient à l’entité de motiver le refus de divulgation de ce document de manière concrète et pertinente. Cette exception vise notamment les points de vue, avis et argumentations tenus ou exprimés à titre personnel, par chacune des parties prenantes à la décision[4].
La Commission n’aperçoit pas en quoi cette exception peut s’appliquer dans ce cas d’espèce.
10. La partie adverse invoque l’exception relative à l’avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel à l’autorité, prévue à l’article 6, § 3, 2°, du décret.
Cette exception nécessite la réunion de plusieurs conditions cumulatives[5] :
- seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ;
- l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’autorité administrative, en l’absence de toute obligation légale ;
- l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’autorité administrative ;
- la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitant à la communication de l’avis ou de l’opinion.
La Commission considère en l’espèce que la condition de la communication libre et spontanée à l’Administration, en l’absence de toute obligation légale, n’est pas remplie. En effet, la partie adverse a agi dans le cadre de l’exécution de missions établies par un mandat de service d’intérêt économique général assigné par le Gouvernement wallon.
11. La partie adverse fait valoir dans son refus du 30 septembre 2021 que :
« les motifs de la non-sélection de [la partie requérante] lui ont été communiqués in extenso, de manière telle que [la partie requérante] n’a aucun intérêt à avoir en sa possession copie des deux rapports précités, qui ne lui permettraient d’ailleurs pas de mieux comprendre ces motifs ni de retrouver une chance de conclure le contrat ».
La Commission rappelle que le requérant ne doit justifier d’un intérêt que lorsqu’il s’agit d’un document à caractère personnel. La notion de document à caractère personnel est définie comme « un document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » par l’article 1er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995.
En l’espèce, les documents sollicités ne constituent pas des documents à caractère personnel, et, dès lors, la partie requérante ne doit pas justifier d’un intérêt.
12. La partie adverse invoque également que
« une analogie avec les règles applicables en matière d’information dans le cadre des marchés publics permet d’asseoir la thèse défendue ci-dessus. En effet, et comme vous ne l’ignorez pas, en matière de marchés publics, quand une entité adjudicatrice attribue son marché, et que certains candidats ne sont pas sélectionnés, l’article 7, §1er, al. 1er, 1° de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, prévoit que ‘dès qu'elle a pris la décision motivée de sélection, l'autorité adjudicatrice communique à tout candidat non sélectionné : 1° les motifs de sa non-sélection, extraits de cette décision’. En d’autres termes, dans cette hypothèse (que l’on peut rapprocher du cas d’espèce), la réglementation prévoit que seuls les motifs de la non-sélection du candidat, extraits de la décision motivée, doivent lui être communiqués. »
Or, comme soulevé devant la procédure devant le Conseil d’État par la partie adverse, l’opération de mise en concurrence dans le cadre de laquelle les documents administratifs demandés ont été émis n’est pas un marché public. Dès lors, la législation relative aux marchés publics n’est pas applicable.
Dès lors que la situation ne relève pas de du champ d’application de la législation relative aux marchés publics, comme cela n’est d’ailleurs pas contesté, qui constitue une lex specialis comme indiqué par la partie adverse, les exceptions qui y sont prévues ne sont pas applicables par analogie pour le régime général de la publicité de l’administration dont relève la demande soumise à la Commission.
13. Au vu de ce qui précède, la partie adverse doit communiquer les documents sollicités à la partie requérante en occultant les informations relevant du secret des affaires telles qu’elles sont précisées dans le point 7 de la présente décision, et ce, vu le peu d’occultation à réaliser, dans un délai de 20 jours à compter de la notification de la décision.
La partie adverse doit communiquer les documents sollicités à la partie requérante en occultant les informations relevant du secret des affaires, telles qu’elles sont précisées dans le point 7 de la présente décision, et ce, dans un délai de 20 jours à compter de la notification de la présente décision.