Province – Avis du Directeur financier – Demande abusive – Recherche ou poursuite de fait punissable – Secret des affaires – Vie privée – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
Province du Brabant wallon, représentée par son conseil, […],
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995) tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de la Région wallonne ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD), les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 11 novembre 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 23 novembre 2021 et reçue le 24 novembre 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 9 décembre 2021 ;
Vu la note d’observation envoyée aux conseils de la partie requérante le 14 décembre 2021 ;
Vu l’article 8quinquies du décret du 30 mars 1995 qui prévoit une prolongation d’office de 15 jours du délai dont dispose la Commission pour se prononcer en cas d’audition, ici remplacé par une procédure écrite avec échange de conclusions ;
Vu les conclusions de la partie requérante datées du 14 janvier 2022 ;
Vu les conclusions en réponse de la partie adverse datées du 21 janvier 2022 ;
Vu les conclusions additionnelles de synthèse de la partie requérante datées du 28 janvier 2022.
Objet et recevabilité du recours
1. La demande du 15 octobre 2021 porte sur l’obtention « des avis émis par le Directeur financier, depuis 2015, au sujet des conventions intervenues entre la Province et [la partie requérante] concernant le Château d’Hélécine, ainsi que leurs éventuels avenants ».
2. La demande a été rejetée explicitement par le conseil de l’entité concernée le 4 novembre 2021. La partie requérante a donc introduit valablement son recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain de la réception du rejet explicite.
3. La Commission constate que la partie adverse n’a pas indiqué les voies éventuelles de recours dans son refus. Or l’article L3221-1, alinéa 1er, 4°, du CDLD dispose :
« 4° tout document, par lequel une décision ou un acte administratif à portée individuelle émanant d’une autorité administrative provinciale ou communale est notifié à un administré, indique les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours ».
Il y a dès lors lieu de considérer que la notification de la décision de refus d’accès au document administratif est irrégulière et qu’elle n’a pu, partant, faire courir le délai prévu à l’article 8bis du décret du 30 mars 1995.
4. La partie adverse invoque que « l’objet de la demande est à ce point indéterminé qu’elle doit être considérée comme irrecevable ».
La partie adverse précise que :
« Suivant l’article L3231-2 du CDLD, la demande portant sur la consultation d’un document administratif « indique clairement la matière concernée et si possible les documents administratifs concernés, et est adressée par écrit à l’autorité administrative provinciale ou communale, même si celle-ci a déposé le document aux archives ».
Or, la demande porte sur la production de documents administratifs et en particulier des avis émis par le Directeur financier depuis 2015 au sujet de conventions intervenues depuis cette date jusqu’au 15 octobre 2021 entre la Province et la société [partie requérante] ou encore entre la Province et [la personne physique, partie requérante] agissant à titre personnel.
Or, comme il a été exposé ci-avant, outre le contrat de concession de services publics et de concession domaniale, sur la mise à disposition et l’exploitation Horeca du site du domaine provincial d’Hélécine adopté par la Province en septembre 2016, un précédent contrat frappé de caducité par la décision de la tutelle était intervenu en 2015 et par ailleurs, un grand nombre de marchés publics liés à des évènements provinciaux organisés sur le site du Domaine provincial d’Hélécine ont été attribués à [la société partie requérante].
La demande fait par ailleurs état sans aucune précision de marchés qui auraient été attribués personnellement à [la personne physique, partie requérante] (?). La concluante ignore de quels marchés il s’agit ! »
La partie requérante conteste dans ses conclusions de synthèses et précise que :
« La demande vise en effet à obtenir des documents précisément identifiés, à savoir tous les avis émis par le Directeur financier, depuis 2015, au sujet des conventions intervenues entre la Province et les requérants concernant le Château d’Hélécine, ainsi que leurs éventuels avenants.
Cette demande précise :
- la nature des documents (des avis)
- leur auteur (le Directeur financier)
- la période temporelle (du 1er janvier 2015 jusqu’au 15 octobre 2021) ;
- l’objet des avis (les relations entre les parties).
Elle vise en outre tant [la personne physique, partie requérante] que la société [partie requérante], de sorte que tous deux sont incontestablement visés en tant qu’objet des décisions. Si aucune décision ne visait [la personne physique, partie requérante] personnellement, il est évident qu’aucune décision ne pourrait être transmise.
La demande est en réalité et en d’autres termes fort simple et vise tous les avis portant sur des conventions (en ce compris les marchés publics donc mais pas exclusivement) impliquant [la partie requérante et son représentant].
Ainsi que les requérants y reviendront, la Province du Brabant wallon a manifestement parfaitement compris l’objet de la demande et elle évoquait elle-même dans sa note d’observation transmise le 14 décembre 2021 aux requérants, un total de quelques 70 pièces.
Il convient de relever que le propos de la Province du Brabant wallon selon lequel « un grand nombre de marchés publics liés à des événements provinciaux organisés sur le site du Domaine Provincial d’Hélécine ont été attribués à [la société, partie requérante] » (p. 4 de ses conclusions) est contradictoire avec les développements figurant dans l’exposé des faits figurant dans les mêmes conclusions, qui évoque – très précisément – 14 marchés distincts de 2015 à 2020 et deux autres marchés pour l’année 2021.
Au demeurant, l’un des deux évènements programmés en 2021 a été annulé, de sorte qu’il n’est question que d’un total de 15 marchés de 2015 à 2021 …
La demande est donc strictement définie, limitée, comprise par la partie adverse, facile à remplir et recevable. »
La Commission constate que la demande adressée à l’entité administrative concernée a un objet déterminé, de sorte que la demande est recevable.
Examen du recours
5. Dans sa réponse à la Commission, la partie adverse avance l’exception prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 3°, du CDLD relative à une demande manifestement abusive. En effet, la partie adverse soutient que la demande telle que formulée « porte sur plusieurs dizaines de documents établis sur une durée de 7 ans, ce qui regroupe un nombre très important de pages à traiter par les services de la Province ».
La partie adverse précise encore que si elle répondait positivement :
« chacune de ces pages devrait être traitée individuellement de sorte que la sélection et l’examen de chacun des documents susvisés relèverait d’une logistique très conséquente notamment en termes de temps, de moyens financiers et de vérification au regard des différentes législations à respecter. En effet, plusieurs points présents dans les documents sollicités sont susceptibles de contenir des informations relatives à des marchés publics, au secret des affaires ou à la vie privée de différentes personnes physiques. »
La partie requérante rappelle :
« que les documents concernés par la demande ont manifestement été parfaitement compris par la Province du Brabant wallon, qui évoquait quelques 70 pièces dans son premier argumentaire. La demande ne vise pas des documents indifférenciés (« en bloc » ou « en général ») mais des avis concernant un sujet précis, sur une période déterminée ».
La partie requérante n’aperçoit pas « la nature des éléments confidentiels qui pourraient figurer dans les avis émis par le directeur financier, dès lors qu’il exerce un contrôle de légalité et de régularité comptable ». Elle sollicite pour autant que besoin que :
« les documents sollicités leur soient communiqués après soustraction des éléments confidentiel éventuels, conformément à l’article L3231-3, al. 2, du CDLD.
L’omission des éventuels éléments couverts par le secret des affaires – soit essentiellement des prix - est parfaitement possible, d’autant qu’il n’est pas affirmé qu’ils concerneraient nécessairement tous les documents. »
La partie adverse a transmis en réponse à la demande d’information du 23 novembre 2021, un fichier numérique contenant 3383 pages. La plupart des documents présents dans ce fichier ne répondent pas à la demande de la partie requérante mais y sont liés. Les passages répondant à la demande de la partie requérante ne concernent que partiellement 98 pages.
La Commission a déjà admis que le travail de vérification des exceptions légales pouvait constituer une demande manifestement abusive, au sens de l’article L3231-3 du CDLD, tout en rappelant que : « Une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement de la commune. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive »[1].
Il a par ailleurs été jugé par le Conseil d’État[2] que :
« L'examen auquel il doit ainsi être procédé, d'abord pour vérifier si une pièce contient des informations environnementales, et ensuite, le cas échéant, pour déterminer s'il y a lieu d'y appliquer l'une ou l'autre des restrictions au droit d'accès aux informations environnementales, ne se réduit pas à une simple opération matérielle consistant à extraire des pièces des dossiers. Il faut aussi dresser la liste précise des pièces retirées des dossiers et rendre compte de manière concrète et pertinente des motifs pour lesquels elles le sont. Vu le nombre de pièces en cause et la minutie qui doit présider à l'examen auquel il y a lieu de procéder, la charge de travail qu'occasionne celui-ci est d'une ampleur considérable.
Compte tenu de ce qui précède, réserver une suite favorable à une demande d'information qui, comme en l'espèce, porterait, selon la partie intervenante, sur pas moins de 10.000 pages, lesquelles ne sont pas toutes rédigées dans une des langues nationales, impliquerait une charge de travail disproportionnée au regard des intérêts en cause. Il convient en effet d'avoir égard au fait que les missions dont ce service est chargé présentent un caractère d'intérêt général et qu'il importe de veiller à ce que leur exercice ne soit pas entravé ou déraisonnablement perturbé. Si l'information du public doit faire partie des préoccupations de l'autorité administrative, toutefois, celle-ci ne peut être tenue de consacrer une charge de travail d'une ampleur de celle décrite ci-dessus, en vue de répondre à la demande de la partie requérante, fût-elle une association de défense de l'environnement. Si légitimes que soient les intérêts de cette dernière, ils ne suffisent pas à justifier que soient mises à la charge du S.P.F. concerné des obligations d'une telle ampleur ».
En l’espèce, la demande n’implique pas une quantité de travail excessive. L’ampleur du travail nécessaire n’aboutit pas à considérer que la demande est manifestement abusive.
6. La partie adverse soulève aussi l’exception prévue à l’article 6, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relative à la protection de l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables :
« Cette exception se justifie par le souci de préserver un « intérêt supérieur », à savoir la bonne marche de la justice, et plus particulièrement l’efficacité du traitement des infractions et de la politique répressive.
En l’espèce, une information judiciaire a été ouverte par le Parquet de Nivelles suite à un avis de l’autorité de tutelle consécutif à un article paru dans le magazine Le Vif L’Express en date du 22 octobre 2020 faisant état d’un potentiel conflit d’intérêt entre la directrice générale de la Province du Brabant wallon et le gérant de la société [partie requérante].
En effet, dans le cadre de son article, la journaliste […] soutenait que [la partie requérante] bénéficierait de traitements de faveur dans l’attribution de certains marchés de la part de la Directrice générale.
Cette information judiciaire est actuellement toujours pendante (NI.25.RL.110539/2020), et certains députés provinciaux et membres de l’administration ont été auditionnés en qualité de témoin par la DJSOC.
Une visite a également eu lieu fin juin 2021 dans les bureaux de la province et l’ensemble des dossiers relatifs [à la société, partie requérante,] a été transmis au Parquet du Brabant wallon.
En l’espèce, le Directeur financier pourrait avoir un rôle au cours de l’information pénale si celui-ci venait à être appelé à témoigner sur le dossier qu’il a constitué.
Enfin, de manière plus générale, transmettre à ce stade ce type d’informations porterait atteinte à la présomption d’innocence dont les personnes intéressées bénéficient tout au long de la procédure administrative et pénale ».
La partie requérante ne comprend pas « comment la transmission des pièces pourrait interférer avec la présomption d’innocence dont bénéficie chacun ou avec un potentiel théorique futur témoignage du Directeur financier ».
En ce qui concerne cette exception, toute information « qui pourrait porter atteinte à la recherche et à la poursuite de faits punissables tombe sous le coup de l’exception, […] »[3].
En l’espèce, la partie adverse n’a pas démontré in concreto en quoi la publicité des documents sollicités porterait atteinte à cet intérêt.
Par conséquent, l’intérêt de la publicité l’emporte sur l’intérêt de la recherche ou la poursuite de faits punissables.
7. La demande porte sur des avis de légalité du directeur financiers de la province. Il s’agit d’avis prévu par l’article L2212-65, § 2, 8°, du CDLD qui dispose :
« §2. Le directeur financier est chargé :
8° de remettre, en toute indépendance, un avis de légalité écrit préalable et motivé sur tout projet de décision du conseil provincial ou du collège provincial ayant une incidence financière ou budgétaire supérieure à 22.000 euros (hors TVA), dans les dix jours ouvrables de la réception du dossier contenant le projet et ses annexes explicatives éventuelles ».
Cette obligation légale renforce le caractère public de ces documents.
Cependant, certaines informations contenues peuvent relever du secret des affaires et de la vie privée.
8. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, en occultant les éventuelles mentions soumises au secret des affaires et à la protection de la vie privée, et ce, vu le travail d’occultation nécessaire et le nombre de documents, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé.
La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, en occultant les éventuelles mentions soumises au secret des affaires et à la protection de la vie privée, et ce, vu le travail d’occultation nécessaire et le nombre de documents, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.