Intercommunale – Décision du conseil d'administration – Convention d'adhésion et de collaboration avec une ASBL – Demande en intervention – Intérêt – Intérêt financier ou commercial de l'intercommunale – Secret des affaires – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
La société coopérative de droit public Intercommunale de santé publique du pays de Charleroi (ISPPC), représentée par ses conseils, […],
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995) tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de la Région wallonne ;
Vu les articles L1561-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD) ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 26 novembre 2021 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 1er décembre 2021 et reçue le 2 décembre 2021 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 17 décembre 2021 ;
Vu la note d’observation envoyée aux conseils de la partie requérante le 21 décembre 2021 ;
Vu l’article 8quinquies du décret du 30 mars 1995 qui prévoit une prolongation d’office de 15 jours du délai dont dispose la Commission pour se prononcer en cas d’audition, ici remplacée, avec l’accord des parties, par une procédure écrite avec échange de conclusions ;
Vu le mémoire de la partie adverse daté du 27 janvier 2022 ;
Vu le mémoire complémentaire de la partie requérante daté du 3 février 2022 ;
Vu le mémoire de synthèse de la partie adverse daté du 7 février 2022 ;
Vu la demande d’intervention de l’ASBL MEDSOC introduite par courrier recommandé le 2 février 2022.
Prolongation du délai de prise de décision
1. Le délai de prise de décision a été prolongé de 15 jours conformément à l’article 8quinquies, du décret du 30 mars 1995 vu les délais nécessaires en l’espèce pour l'échange de conclusions complémentaires entre les parties, en lieu et place d’une audition prévue à l’article 8quater.
Objet et recevabilité du recours :
2. La partie requérante, par un courrier du 28 septembre 2021, demande à la partie adverse la communication des documents suivants :
- « La décision de l’organe compétent de l’ISPPC de devenir membre de l’ASBL MEDSOC ainsi que les décisions et les documents administratifs (notamment les conventions ou les éventuels documents de marché) formalisant cette collaboration entre l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC pour les prestations dénoncées dans les précédents courriers de ma cliente ;
- Les documents administratifs démontrant que cette collaboration a été validée par les différents mécanismes de tutelle applicables aux intercommunales, dont notamment la décision du 13 juillet mentionnée dans votre dernier courrier ;
- Les documents issus des organes compétents de l’ISPPC permettant à l’ASBL MEDSOC, dans le cadre de cette collaboration, de pouvoir présenter le logiciel INFOHOS lors des présentations du module de prescription en question et ce dans le respect des droits de propriété intellectuelle d’INFOHOS ».
Dans ses réponses des 27 et 29 octobre 2021, la partie adverse communique les documents suivants :
- La délibération du CA de l’ISPPC du 17 mai 2020 décidant de devenir membre de l’ASBL MEDSOC ;
- La délibération du CA de l’ISPPC du 13 septembre 2021 marquant accord sur les conventions d’adhésion et de collaboration ;
- La décision de l’autorité de tutelle du 28 octobre 2021, par laquelle celle-ci décide que la délibération du CA de l’ISPPC du 13 septembre 2021 précitée n’appelle aucune mesure de tutelle et est donc devenue pleinement exécutoire.
La partie adverse refuse cependant de transmettre les conventions d’adhésion et de collaboration conclues entre l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC, au motif que celles-ci sont protégées par le secret des affaires.
La partie adverse précise par ailleurs dans son courrier du 27 octobre 2021 qu’elle n’a pas effectué de présentation du logiciel INFOHOS et qu’il n’existe donc pas de document autorisant une telle présentation qu’elle pourrait transmettre à la partie requérante.
Par son recours du 26 novembre 2021, la partie requérante demande à la Commission de statuer sur le refus de la partie adverse de lui communiquer :
- « Les décisions et les documents administratifs (notamment les conventions ou les éventuels documents de marché) formalisant la collaboration entre l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC pour les prestations de commercialisation et de présentation du logiciel « SIM » à des institutions médicales et hospitalières ;
- [Les] documents issus des organes compétents de l’ISPPC permettant à l’ASBL MEDSOC, dans le cadre de cette collaboration, de pouvoir présenter le logiciel INFOHOS lors des présentations du module de prescription en question et ce dans le respect des droits de propriété intellectuelle d’INFOHOS SOLUTIONS S.A. ».
3. La demande a été rejetée explicitement par la partie adverse le 27 octobre 2021.
La partie adverse n’a pas indiqué les voies éventuelles de recours dans son refus. Or l’article L1561-2, alinéa 1er, 4°, du CDLD dispose :
« 4° tout document par lequel une décision ou un acte administratif à portée individuelle émanant d’un de ces services est notifié à un requérant indique les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours ».
La notification de la décision de refus d’accès au document administratif est irrégulière et n’a pas pu, partant, faire courir le délai prévu à l’article 8bis du décret du 30 mars 1995.
La partie requérante a donc introduit valablement son recours.
4. Il ressort des explications de la partie adverse que le logiciel INFOHOS n’a jamais fait l’objet d’une présentation par l’ASBL MEDSOC et qu’il n’existe donc pas de document par lequel l’ISPPC permettrait à l’ASBL MEDSOC d’effectuer une telle présentation. Les documents sollicités ne constituent donc pas des documents administratifs au sens de l’article L1561-1, 1°, du CDLD.
En tant qu’il porte sur ces documents, le recours est sans objet.
5. La partie requérante doit justifier d’un intérêt uniquement lorsqu’il s’agit d’un document à caractère personnel. Il s’agit d’une condition de recevabilité de la demande d’accès. La notion de document à caractère personnel est définie comme « un document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » par l’article L1561-1, alinéa 1er, 2°, du CDLD[1].
Dès lors que les documents sollicités ne constituent pas des documents à caractère personnel, la partie requérante ne doit pas justifier d’un intérêt. N’est à cet égard pas pertinente l’affirmation de la partie adverse selon laquelle la partie requérante n’aurait pas intérêt à la communication des conventions au motif que celles-ci ne lui permettraient pas de vérifier si la relation nouée entre l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC est conforme à la réglementation des marchés publics. Par ailleurs, pour apprécier la recevabilité du recours, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’usage qui sera fait des documents sollicités.
6. Par un courrier du 1er février 2022, l’ASBL MEDSOC a demandé à intervenir dans la procédure pendante devant la Commission, en vue d’éclairer celle-ci sur la protection qu’il convient de conférer, au titre du secret des affaires, aux informations et aux conventions sollicitées par la partie requérante.
La législation applicable ne prévoit pas la possibilité pour un tiers intéressé d’intervenir dans une procédure pendante devant la CADA.
Il n'en demeure pas moins qu'il est de bonne administration que la Commission puisse prendre sa décision de manière éclairée, ce qui justifie qu'elle puisse prendre en compte des informations portées à sa connaissance par tout tiers à la procédure.
En l’occurrence, il y a donc lieu de tenir compte des informations transmises par l’ASBL MEDSOC, en tant que celles-ci sont susceptibles d’éclairer la Commission sur l’admissibilité, en l’espèce, de l’exception invoquée par la partie adverse pour refuser de communiquer les documents sollicités. Du reste, la partie requérante a pu faire valoir ses observations à propos des informations transmises par l’ASBL MEDSOC.
Examen du recours :
7. La partie adverse allègue que les conventions d’adhésion et de collaboration conclues entre elle et l’ASBL MEDSOC sont protégées par le secret des affaires. Elle se prévaut également de l’exception prévue à l’article L1561-6, alinéa 2, 1°, du CDLD, qui permet au conseil d’administration d’une intercommunale de rejeter une demande de publicité s’il constate que l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur la protection de l’intérêt financier ou commercial de l’intercommunale.
8. La protection du secret des affaires est prévue à l’article L1561-6, alinéa 3, 3°, du CDLD qui dispose :
« L’intercommunale rejette une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif si la publication du document porte atteinte :
[…]
3° au caractère par nature confidentiel des informations d’entreprises ou de fabrication communiquées à l’intercommunale ».
Selon la Commission européenne, ce principe protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Le secret des affaires est également protégé par le Code de droit économique, dont l’article I.17/1, 1°, le définit comme suit :
« information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
9. Quant à l’exception prévue à l’article L1561-6, alinéa 2, du CDLD, relative à la protection de l’intérêt financier ou commercial de l’intercommunale, il y a lieu de rappeler que cette exception doit être interprétée restrictivement, dès lors « qu’elle ne peut viser toute activité susceptible d’avoir une répercussion sur les finances de l’intercommunale »[2].
10. Les documents sollicités sont deux conventions conclues par l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC.
La première convention règle l’adhésion de l’ISPPC à l’ASBL MEDSOC et l’utilisation par cette dernière d’un logiciel DPI (dossier patient informatisé) SIM (système d’information médicale), développé à l’origine en interne par l’ISPPC. La seconde convention règle la collaboration entre l’ISPPC et l’ASBL MEDSOC. Elle modalise en particulier les termes de la cession du logiciel DPI et des droits de propriété intellectuelle y afférents.
11. La partie adverse estime ne pas devoir communiquer des informations à valeur commerciale à un concurrent direct de l’ASBL MEDSOC et d’elle-même. Les documents demandés « comportent […] des informations de natures concurrentielles, économiques et techniques.
Il est ainsi question des modalités de cession d’un logiciel DPI et de la question des droits intellectuels afférents, la synthèse des couvertures métier du DPI SIM, le détail des fonctionnalités de ce dernier, le relevé des modules informatiques (applications techniques) du DPI ». L’ASBL MEDSOC allègue quant à elle que les conventions sont couvertes par le secret des affaires dès lors qu’elles contiennent des informations techniques, économiques et commerciales sur la manière dont elle établit ses relations commerciales.
12. Le simple fait que l’ASBL MEDSOC ait établi les conventions et qu’elle les ait communiquées à l’ISPPC ne pourrait avoir pour effet de soustraire l’intégralité de celles-ci à l’exigence de publicité au motif qu’elles contiendraient des informations techniques, économiques et commerciales sur la manière dont elle établit ses relations commerciales. Il y a lieu de vérifier in concreto si les conventions contiennent des éléments couverts par le secret des affaires.
La convention d’adhésion et d’utilisation de logiciels doit être transmise dans son intégralité, à l’exception des éléments du point 4 (Offre financière) de cette convention qui relèvent du secret des affaires, ce qu’il appartient à la partie adverse de vérifier concrètement, point par point, et qui doivent dès lors être occultés.
La convention de collaboration doit également être transmise, à l’exception, d’une part, de ses articles 1 (Cession du logiciel DPI et des droits de propriété intellectuelle y afférents) et 2 (Modalités de la cession du logiciel DPI et des droits de propriété intellectuelle), ainsi que de ses annexes, lesquelles concernent les spécifications techniques, la procédure de coopération et certains prix, qui relèvent indubitablement du secret des affaires, et, d’autre part, des autres éléments spécifiques de cette convention qui relèvent du secret des affaires, ce qu’il appartient ici aussi à la partie adverse de vérifier concrètement, point par point.
Pour le reste, la partie adverse ne démontre pas que la communication de ces documents, sous réserve des exceptions mentionnées, à la partie requérante représente un risque sérieux pour la protection de son intérêt financier ou commercial.
13. Les deux documents précités, sous réserve des exceptions mentionnées, doivent être transmis à la partie requérante et ce, vu le travail d’occultation, dans un délai de 20 jours à compter de la notification de la présente décision.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est sans objet concernant les documents visés au point 4.
La partie adverse communique à la partie requérante les documents visés au point 12, sous réserve des exceptions qui y sont mentionnées, et ce, dans un délai de 20 jours à compter de la notification de la présente décision.