Gouverneur de province – Election du conseil d'administration d'une synagogue – Comptes annuels – Recherche ou poursuite de faits punissables (non) – Vie privée – RGPD – Communication partielle
En cause :
[…],
Parties requérantes,
Contre :
Le Gouverneur de la province de Liège,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution ;
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après : le décret du 30 mars 1995) tel qu’il a été modifié par le décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de la Région wallonne ;
Vu le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, les articles L3231-1 et suivants ;
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 24 janvier 2022 ;
Vu la demande d’information adressée à la partie adverse le 1er février 2022 et reçue le 2 février 2022 ;
Vu la réponse de la partie adverse du 14 février 2022 ;
Vu la décision de proroger de 15 jours le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet du recours
- Par un courriel du 6 janvier 2022, les parties requérantes ont demandé la communication d’une copie des pièces transmises à la partie adverse par les représentants de la synagogue de Liège dans le cadre du traitement d’une réclamation que les parties requérantes ont introduite auprès de la partie adverse contre les décisions du conseil d’administration de la synagogue de Liège du 5 septembre 2021 « de procéder au renouvellement partiel de ses membres par voie d’élections, d’entériner le résultat de ces élections et d’approuver la nouvelle composition de ses membres » et « d’approuver les comptes de la synagogue pour les années 2015 à 2020 ».
II. Compétence matérielle de la Commission
- La Commission est compétente ratione materiae pour connaître du présent recours.
III. Recevabilité du recours
- La partie adverse a rejeté explicitement la demande par un courrier daté du 7 janvier 2022, reçu par les parties requérantes le 19 janvier suivant. Dès lors, les parties requérantes ont introduit valablement leur recours dans le délai de 30 jours visé à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, prenant cours le lendemain de la réception du rejet explicite.
IV. Examen du recours
- La partie adverse justifie le refus de communication d’une copie des pièces par le fait que celles-ci contiennent des données à caractère personnel (noms, prénoms, adresses mail, adresses) relatives à des personnes de conviction juive en raison de leur qualité de membres de l’assemblée générale de la synagogue de Liège. La partie adverse considère que la transmission de ces données contreviendrait à l’article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui interdit en principe le traitement portant sur les données à caractère personnel sensibles. La partie adverse signale également l’existence d’une pièce reprenant des déclarations sur l’honneur d’un membre de l’assemblée générale dont la transmission risquerait d’envenimer une situation déjà tendue au sein de la communauté juive de Liège. La partie adverse signale enfin que des plaintes au civil et au pénal auraient été déposées dans le cadre de ce dossier et que les parties requérantes ont introduit un recours devant le Conseil d’État. La partie adverse affirme que, vu la complexité et la sensibilité du dossier, il lui a semblé plus prudent de ne pas transmettre les pièces demandées.
- La partie adverse n’identifie pas les cas spécifiques, visés dans l’article 6 du décret du 30 mars 1995, qui justifient en l’espèce le rejet de la demande de communication. Il semble ressortir des explications qui précèdent que la partie adverse invoque en substance les exceptions prévues à l’article 6, § 2, 1° (protection de la vie privée) et à l’article 6, § 1er, 4° (recherche ou poursuite de faits punissables) du décret du 30 mars 199
- L’existence d’une procédure judiciaire, civile ou pénale, ou d’une procédure devant le Conseil d’État ne constitue pas, à elle seule, un motif suffisant de refus de communication.
Par ailleurs, le rejet d’une demande de communication sous forme de copie d’un document administratif sur la base de l’article 6, § 1er, 4°, du décret du 30 mars 1995 suppose que l’entité concernée constate que l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur la protection de l’intérêt lié à la recherche ou à la poursuite de faits punissables. Tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que la partie adverse n’établit pas que la communication des pièces demandées compromettrait la recherche ou la poursuite de faits punissables. Le fait que la communication d’une pièce risque « d’envenimer une situation déjà tendue » n’est pas un motif de refus admissible.
- Il reste à examiner si la partie adverse invoque à bon escient l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 (protection de la vie privée).
Les documents qui font l’objet de la demande de communication concernent principalement les comptes de la synagogue de Liège sur plusieurs années et l’organisation de l’élection en vue du renouvellement partiel des membres du conseil d’administration de cette synagogue.
Parmi les documents concernant l’organisation de l’élection figure le procès-verbal de l’assemblée générale du 5 septembre 2021, dont les annexes - dont la partie adverse ne dispose toutefois pas - comprennent la liste des membres et celle des membres cotisants.
Les documents relatifs à l’élection mentionnent plusieurs noms. Il s’agit généralement des noms de membres du conseil d’administration, de membres cotisants ou non de la synagogue, ainsi que de plusieurs autres personnes vraisemblablement non-membres.
- Les noms de personnes physiques identifiées dans les documents sollicités sont des informations à caractère personnel dont la divulgation pourrait porter atteinte à leur vie privée.
En outre, le simple fait que ces noms soient mentionnés dans les documents relatifs à l’élection en vue du renouvellement partiel des membres du conseil d’administration de la synagogue de Liège est de nature à indiquer la conviction religieuse de ces personnes.
- Pour apprécier si les données en question sont couvertes par l’exception relative à la protection de la vie privée, visée à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, il y a lieu de tenir compte de l’article 9 du RGPD qui, en son paragraphe 1, interdit en principe le traitement des données à caractère personnel qui révèlent les convictions religieuses de personnes physiques.
- La CADA relève d’abord que l’annexe 3 des documents qui lui ont été transmis par le Gouverneur mentionne le nom de personnalités dont les convictions religieuses, du fait des fonctions officielles qu’elles exercent et du rôle public qu’elles ont dans l’organisation du culte israélite en Belgique, sont notoirement connues. S’agissant de données qui ont été manifestement rendues publiques par les personnes concernées, ces noms ne sont pas couverts par l’exception relative à la protection de la vie privée (voy. l’article 9, paragraphe 2, e), du RGPD).
- La question se pose de savoir si l’exception relative à la protection de la vie privée s’applique à l’égard des noms des autres personnes mentionnées dans les documents sollicités, dont les membres de l’assemblée générale et du conseil d’administration de la synagogue de Liège.
En règle générale, la CADA considère que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques (voy. en ce sens la décision n° 171 du 23 août 2021, point 10).
À cet égard, l’on pourrait donc s’interroger sur le caractère confidentiel ou non du nom des membres du conseil d’administration de la synagogue de Liège, qui est un établissement chargé de la gestion du temporel d’un culte reconnu et donc une personne morale de droit public.
En l’espèce, il y a toutefois lieu de tenir compte du fait que, comme il a été dit au point 8, ces noms sont des données à caractère personnel qui révèlent les convictions religieuses de personnes physiques dont le traitement est en principe interdit par l’article 9, paragraphe 1, du RGPD. Même si ces noms sont ceux de personnes qui exercent un mandat public, ces noms, à la connaissance de la CADA, ne sont pas des données librement accessibles. Enfin, il n’apparaît pas qu’une des exceptions, visées à l’article 9, paragraphe 2, du RGPD, à l’interdiction de principe des traitements de données à caractère personnel sensibles, s’applique en l’espèce en ce qui concerne le nom des membres du conseil d’administration de la synagogue de Liège.
Il s’ensuit que le nom des membres du conseil d’administration de la synagogue de Liège est couvert par l’exception relative à la protection de la vie privée.
Il en va de même, a fortiori, pour le nom des autres personnes mentionnées dans les documents sollicités et qui n’exercent pas de fonction publique.
- Les noms des personnes mentionnées dans les documents sollicités, à l’exception des noms des personnes mentionnées dans l’annexe 3 précitée, ne doivent dès lors pas être divulgués.
Sous réserve de l’occultation de ces noms, les documents sollicités doivent être communiqués aux parties requérantes, conformément à l’article 6, § 4, du décret du 30 mars 1995. Vu le travail d’occultation requis, la partie adverse dispose d’un délai de 15 jours à cet effet.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable et partiellement fondé.