Province – Documents et explications relatifs à la vente d'un domaine – Incompétence partielle - Irrecevabilité partielle – Recours partiellement sans objet – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
La Province de Luxembourg,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3 ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 16 mai 2022,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 9 juin 2022 et reçue le 11 juin 2022,
Vu la réponse de la partie adverse du 23 juin 2022,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
- Objet du recours
- La demande fait suite à un premier recours qui a donné lieu à la décision de la Commission n° 238 du 12 avril 2022. Elle porte sur l’accès à des documents ainsi que sur l’obtention d’explications suivants, relatifs à la vente du « Domaine de Celly » sis à 6680 Sainte-Ode :
« Q1. J'ai remarqué, de prime abord, que les parcelles mentionnées dans le projet d'acte de transfert entre le CHSO et l'ASBL SOSB ne correspondaient pas toutes à la destination renseignée sur WalOnMap et que, par exemple, certaines étaient reprises en parcelles de bois ou de terre sur l'acte alors que ce sont des prés, des étangs ou des bâtis (château, maison, garage, ....)
Pouvez-vous me dire si cela peut induire une erreur tangible nécessitant rectification et/ou amener à une différence notable, notamment fiscale ?
Q2. De plus et sauf erreur de ma part, lorsque j'y compare les parcelles cadastrales, je remarque que la parcelle 2eDIV LAVACHERIE A 93L (avec bâti supplémentaire dont je ne connais pas la nature) n'est pas reprise sur l'appel à manifestation d'intérêt, ni sur les 3 avant-dernières versions de compromis de vente.
Pour information, cette parcelle de +/-2ha05 est reprise en zone agricole et non en bois (comme noté sur l'acte), si je ne m'abuse.
Pouvez-vous, dès lors, me renseigner si cette parcelle reste dans l'escarcelle de l'ASBL SOSB ou si elle va faire l'objet d'une vente ?
Q3. Si oui, suivra-t-elle la procédure d'un autre appel à manifestation et à quel prix ?
Q4. En sus, totalement enclavées dans cette parcelle 2eDIV LAVACHERIE 93L, se situent les parcelles 2eDIV LAVACHERIE A 99E et 99F; elles contiennent le captage d'eau et la cabine électrique qui n'étaient pas repris sur l'appel à manifestation, mais apparaissent sur les compromis.
Ma question est donc de savoir si ces 2 parcelles ont fait objet de négociations différentes avec Mamm-Ut Invest pour se retrouver sur les compromis ?
Q5. Si oui, à quel prix avez-vous négocié cet or bleu et quelles servitudes prévoyez-vous pour leur accès ?
Q6. Comme vous me mentionnez que les 83 ha en vente ne représentent qu'une partie de l'actif net de la FUP CHSO, puis-je en connaitre les surplus détaillés et quelle(s) destination(s) vous désirez leur attribuer ?
Q7. J'ai connaissance aussi et maintenant que l'ancien "Sanatorium Belgica", actuelle Séniorerie de Sainte-Ode, est, ou deviendra, propriété de "Sainte-Ode & Sana Belgica" puisqu'un droit de préférence sur ce bien a été accordé à Mamm-Ut Invest par cette Asbl SOSB dans les diverses versions de compromis.
Ce bien immeuble (et parcelles associées) fait-il partie d'un prochain transfert de la FUP CHSO ou bien d'une autre association ?
Q8. Si ce n'est pas la FUP CHSO, merci de me préciser le nom de cette association, les origines de propriété et les procédures envisagées pour sa vente.
Q9. Est-il possible de recevoir la dernière version de ce compromis entre l'ASBL SOSB et Mamm-Ut validée par vos instances le 25/03/22 ?
Q10. Pouvez-vous également me dire quand il est prévu qu'il soit signé, car, à la lecture de la dernière version amendée par le Promoteur-acquéreur, je remarque qu'une subtilité à l'article 8 dudit compromis a été ajoutée par le Promoteur (lui-même, semble-t-il) ?
Q11. Je me demande, dans le cas du maintien de cet article et à l'étude de la jurisprudence, si cet ajout respecte la législation et la procédure en cours ?
Q12. Ne serait-il pas plus qu'opportun d'étudier cette question très sérieusement avant tout engagement avec l'acquéreur ?
Q13. Comme trouvé sur le MB, les statuts du CHSO que vous m'avez envoyés ne semblent pas les derniers puisque si j'ai bien retenu, en cas de dissolution de la FUP CHSO, les biens meubles et immeubles sont affectés à l'ASBL SOSB et non plus à la Province de Luxembourg.
La lettre du 20/04/99 de la Fondation CHSO envers le Ministre de la Justice que vous m'avez fournie signalant ce changement n'étant pas signée, pourriez-vous me la faire parvenir en bonne et due forme ?
Q14. Par la même occasion et en rappel de ma lettre du 27/01/22, pourriez-vous également me faire parvenir toutes conventions existantes entre l'ASBL et votre Province ?
Q15. M'en référant au courrier de Monsieur Le Ministre Collignon du 18/03/22 en réponse aux réclamations émises par Monsieur Maziers, l'ASBL SOSB est dite 'Provinciale'.
Cela veut-il dire que cette ASBL est de droit public ?
Q16. Qu'elle est sa largeur d'autonomie par rapport à la Province ?
Q17. Doit-elle obéir au Code de décentralisation ?
Q18. Si oui, l’article L2223-13 du code de la démocratie locale et de la décentralisation imposant aux provinces wallonnes de conclure un contrat de gestion de trois ans, renouvelable, avec les ASBL et les autres associations dont elles sont membres a-t-il été établi et renouvelé ?
Q19. Puis-je recevoir ce(s) contrat(s) de gestion qui précise(nt) la nature et l'étendue des tâches de service public qu'elle devra assumer ?
Q20. Quelles ont été, et sont donc, actuellement les activités de cette ASBL ?
Q21. Qu'en est-il du nombre ne pouvant pas dépasser un cinquième du nombre des conseillers provinciaux au sein du conseil d'administration de l'A.S.B.L. ?
Q22. En référence à votre réponse n° 8 dans votre lettre datée du 10/02/22 et dans laquelle vous signalez que la Province a estimé (en son temps ...) ne pas pouvoir conserver ce patrimoine (le Celly), pouvez-vous m'éclairer de façon circonstanciée sur les motivations de la Province de Luxembourg a créer en 1999, cette ASBL, que l'on pourrait taxer d'intermédiaire et qui prévoit dans ses statuts de transférer, en cas de dissolution, son actif net à la Province de Luxembourg, alors que la FUP CHSO prévoyait initialement de déjà céder celui-ci à la même Province (voir les statuts que vous m'avez fournis) ?
Q23. Les comptes de cette ASBL SOSB ont-ils été publiés, car je ne les trouve ni au MB, ni au Greffe de Neufchâteau ?
Q24. Si leurs publications ou dépôts aux greffes sont obligatoires comme pour toutes autres associations, pouvez-vous, dès lors, m'en envoyer copies ?
Q25. Les membres du CA de cette ASBL étant tous désignés par la Province de Luxembourg et certains étant (ayant été) des membres du Collège provincial ou du Conseil, pouvez-vous m'expliquer comment les votes au sein de cette structure sont effectués afin que les protagonistes ne soient pas à la fois juges et parties, sauf si cela est permis ?
Q26. Puis-je, à cet effet, recevoir le listing des votes nominatifs de l'ASBL afin de savoir, concernant toutes les décisions sur la vente du domaine du Celly,
Q27. Puis-je à cet effet savoir comment les votes se sont déroulés ?
Q28. Ainsi que me préciser le quorum qui devait être représenté pour chaque décision ?
Q29. J'aimerais aussi que vous me fournissiez tous les baux (emphytéotiques et autres) qui ont été conclus, dans un sens ou un autre, avec la Province concernant le Domaine du Celly, même s'ils sont terminés (sic).
Q30. Ainsi que demander à qui de droit pourquoi et avec quels droits, la société Manaux est domiciliée au Celly depuis la date de sa constitution (voir MB), c'est-à-dire le 02/11/22, avant la RIP.
Q31. Je vous saurais gré également de me faire parvenir copie de l'avis de principe favorable du fonctionnaire délégué de la RW aux candidats "Mamm-Ut Invest" et "Svasta". »
II. Compétence de la Commission
- L’article L3211-3, 2°, du CDLD définit le document administratif comme « toute information, sous quelque forme que ce soit, dont une autorité dispose ».
Par ailleurs, conformément à l’article L3231-1, alinéa 1er, du même Code, « Le droit de consulter un document administratif d'une autorité administrative provinciale ou communale et de recevoir une copie du document consiste en ce que chacun, selon les conditions prévues par le présent livre, peut prendre connaissance sur place de tout document administratif, obtenir des explications à son sujet et en recevoir communication sous forme de copie ».
Le droit d’obtenir des explications au sujet d’un document administratif est une des modalités de la publicité passive prévue par toutes les législations relatives à la publicité de l’administration.
Selon les travaux préparatoires de la loi fédérale, ce droit d’explications s’impose car « dans la plupart des cas, la publicité sans explications resterait lettre morte en raison du caractère administratif du langage utilisé ou de la technicité des documents » (Doc.parl., Chambre, sess. 1992-1993, n° 1112/1, p. 14).
Selon la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs, « le droit d’explication comprend seulement la possibilité pour le demandeur d’obtenir des informations dans un langage compréhensible au sujet du contenu d’un texte existant et se limite à cela » (avis n° 2014/64 du 28 juillet 2014). Elle précise par ailleurs que toute question (et donc toute demande d’explication) doit porter sur un document existant, et dont l’information est matérialisée sur un support (avis n° 2014/48 du 2 juin 2014).
La Commission régionale d’accès à l’information environnementale (CRAIE) rejette systématiquement les demandes d’explications lorsque « la réponse à ces demandes d’explications ou de précisions implique l’établissement d’un document nouveau » (décisions de la CRAIE n° 609 du 11 juin 2013, et n° 629 du 8 novembre 2013). L’information doit donc préexister à l’explication, et l’autorité peut donc légitimement rejeter « les demandes qui impliqueraient un réel travail de consolidation, d’analyse ou d’interprétation de données de la part de l’autorité publique qui en est saisie » (M. Delnoy, R. Smal, « La publicité de l’information en matière environnementale », dans V. Michiels (dir.), La publicité de l’administration, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 280-281, et les nombreuses références citées).
Il s’ensuit que les explications qui doivent être données par les autorités administratives se limitent strictement au contenu du document demandé, et ne devraient porter que sur l’explication des termes administratifs, juridiques ou techniques utilisées dans ce document. Il est néanmoins possible que, dans ce cadre, des étapes de l’instruction du dossier doivent parfois être expliquées[1].
Par conséquent, le droit d’obtenir des explications au sujet d’un document administratif suppose que ce document soit identifié et existant, et ne peut être interprété comme ouvrant un droit général à interroger une entité sur une thématique donnée, par le biais de questions ouvertes appelant des justifications ou explications d’ordre général.
La Commission rappelle, par ailleurs, que les entités administratives ne sont pas tenues de créer un document administratif nouveau pour remplir leurs obligations relatives à la publicité passive[2].
- En l’espèce, les questions nos 1 à 8, nos 10 à 12, nos 15 à 18, nos 20 à 22, no 25, nos 27 à 28 et no 30 formulées par la partie requérante ne visent pas à obtenir des explications dans un langage compréhensible au sujet du contenu d’un document administratif identifié et préexistant, mais bien à :
- Obtenir des informations, sans qu’il soit toujours avéré que celles-ci concernent un document administratif existant ;
- Interroger l’entité sur sa politique ou sur une thématique donnée ;
- Obtenir des justifications quant au respect de la légalité ou de procédures applicables.
Pour répondre à ces questions, l’autorité à laquelle elle est adressée doit par ailleurs nécessairement établir un document nouveau.
Compte tenu de ce qui précède, la demande, pour ce qui concerne les questions susvisées, ne relève pas de la mise en œuvre du « droit de consulter un document administratif » tel que garanti par l’article 32 de la Constitution et modalisé par l’article L3231-1 du CDLD, de telle sorte que la Commission n’est pas compétente ratione materiae pour en connaître.
- En ce qui concerne les autres questions, la Commission est compétente ratione materiae pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
- En ce qui concerne la question n° 31, celle-ci excède l’objet de la demande initiale qui a été adressée à la partie adverse et ne peut donc pas avoir fait l’objet d’une décision de rejet, même implicite, de la partie adverse préalable au présent recours.
L’article 8bis du décret du 30 mars 1995 exige, pour l’introduction d’un recours devant la présente Commission, l’existence d’une décision de rejet, explicite ou implicite, d’une demande d’accès aux documents administratifs.
Une telle décision étant inexistante concernant la question n° 31, le recours est irrecevable à son égard[3].
A toutes fins utiles, la Commission précise que la partie adverse lui a indiqué ne pas être en possession des documents visés par cette question, lesquels seraient détenus selon elle par Monsieur Janssens, administrateur de la société MAMM-UT INVEST.
- En ce qui concerne les questions qui subsistent (questions nos 9, 13, 14, 19, 23, 24, 26 et 29), la demande a été adressée à la partie adverse le 9 avril 2022.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 10 mai 2022, conformément à l’article 6, § 5, du décret du 30 mars 1995.
La partie requérante a introduit son recours le 16 mai 2022, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du même décret.
Dès lors, concernant ces questions, le recours est recevable ratione temporis.
IV. Examen du recours
- En ce qui concerne la question n° 13, la partie adverse précise ce qui suit :
« Nous ne disposons pas des archives. S’adresser à Maître Joël Baudoin, liquidateur de la Fondation ».
Il en résulte que la partie adverse n’est pas en possession du document sollicité, de telle sorte que le recours est sans objet pour ce qui concerne ce document.
- En l’espèce, en ce qui concerne les questions portant respectivement les nos 14, 19, 23, 24 et 26, la partie adverse précise ce qui suit dans sa réponse du 23 juin 2022 :
- « Q14. Il n’y a pas de convention » ;
- « Q19. Sans objet » ;
- « Q23. Non. Ils sont en constitution. (…) » ;
- « Q24. Cfr réponse de Q23 » ;
- « Q26. Les PV ne reprennent pas les votes de façon nominative ».
Il en résulte que les documents sollicités n’existent pas, de sorte que le recours est sans objet en ce qui concerne ces questions.
- Pour ce qui concerne les questions qui subsistent (questions nos 9 et 29), la Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
- La partie adverse ne soulève aucune exception légale qui empêcherait la communication des documents administratifs visés à la question n° 9 (« dernière version de ce compromis entre l’ASBL SOSB et Mamm-UT validée par vos instances le 25/03/22 ») et à la question n° 29 (« J’aimerais aussi que vous me fournissiez tous les baux (emphytéotiques et autres) qui ont été conclus, dans un sens ou un autre, avec la Province concernant le Domaine du Celly, même s’ils sont terminés (sic) »).
La Commission relève, par ailleurs, qu’aucune exception légale ne s’oppose à la communication de ces documents.
Il y a donc lieu de communiquer ces documents à la partie requérante. Vu l’absence d’éléments à occulter, la communication des documents qui précèdent doit être faite dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
Par ces motifs, la Commission décide :
La Commission est incompétente rationae materiae en ce qui concerne les questions nos 1 à 8, nos 10 à 12, nos 15 à 18, nos 20 à 22, no 25, nos 27 à 28 et no 30, et compétente pour le surplus ;
Le recours est irrecevable en ce qui concerne la question no 31, et recevable pour le surplus.
Le recours est sans objet en ce qui concerne les questions nos 13, 14, 19, 23, 24 et 26.
Pour le surplus, le recours est fondé.
La partie adverse doit communiquer les documents visés aux questions nos 9 et 29, et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.