Agence du Numérique – Documents relatifs à des marchés publics – Secret d'affaires – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
L’Agence du Numérique,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 1er, alinéa 1er, et l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article 3, § 1er, 5°, du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public,
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courrier recommandé déposé auprès des services postaux le 21 septembre 2022,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 16 novembre et reçue le 7 décembre 2022,
Vu la réponse de la partie adverse les 8, 23 décembre 2022, 3, 4, 6 et 11 janvier 2023,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
- Objet de la demande
- La demande porte sur l’obtention d’une copie des documents suivants pour la période allant de juillet 2017 à juillet 2022 :
- L’ensemble des avis de marché, publiés ou non, relatifs à des prestations de services (consultance, formation, organisations d’évènements,…) en lien avec les activités de l’Agence ;
- L’ensemble des cahiers des charges dans ces marchés ;
- L’ensemble des rapports d’attributions dans ces marchés ;
- L’ensemble des décisions d’attribution dans ces marchés.
- Compétence de la Commission
- La Commission est compétente pour connaître du recours.
- Recevabilité du recours
- La demande a été adressée à la partie adverse le 26 juillet 2022.
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 24 août 2022.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 21 septembre 2022, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995.
- La partie adverse remet en cause, à diverses reprises dans sa décision de refus du 24 août 2022 et dans sa note d’observations, l’intérêt à la demande de publicité administrative dans le chef de la partie requérante.
- Selon l’article 1er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995 prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ».
Il s’agit de la seule hypothèse légalement prévue où le demandeur doit justifier d’un intérêt à sa demande de publicité administrative.
En l’espèce, la demande ne porte pas sur des documents à caractère personnel, au sens de l’article 1er, alinéa 2, 3°, précité.
Il s’ensuit que la partie requérante n’a pas à justifier d’un intérêt à sa demande de publicité administrative dans le cadre du présent recours.
- Dès lors, le recours est recevable.
- Examen du recours
- La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics : c'est la règle consacrée à l'article 32 de la Constitution. Par conséquent, pour pouvoir rejeter une demande d’accès à un document administratif, une entité doit nécessairement se baser sur l’un des motifs d'exception visés par les textes applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. À défaut, elle est tenue de faire droit à la demande qui lui est soumise.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif.
- La Commission constate que la partie adverse n’a pas répondu dans le délai imparti à la demande d’informations qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995.
La partie adverse précise n’avoir reçu le courrier envoyé par la Commission notifiant le recours de la partie requérante que le 7 décembre 2022. Elle indique qu’il « s’était égaré dans les couloirs d’une administration fédérale qui occupe le même immeuble que l’Agence ».
Rien ne permet de remettre en cause l’exactitude de ces affirmations. Ces circonstances sont indépendantes de la volonté de la partie adverse, en sorte qu’il y a lieu de prendre en compte la date du 7 décembre 2022 pour l’application de l’article 8ter du décret du 30 mars 1995.
- La partie adverse invoque une exception à la publicité prise de la formulation manifestement trop vague de la demande, prévue à l’article 6, § 3, 4°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que « la société […] opère une confusion dans la terminologie spécifique à la réglementation des marchés publics. La société […] exige l’accès aux documents administratifs dans des ″procédures restreintes‶, qui sont supposées être exceptionnelles. La procédure restreinte qui est visée à l’article 37 de la Loi Marchés publics est toutefois une procédure standard, et non pas une procédure d’exception ». Dès lors, l’Agence du numérique soutient qu’elle « ne comprend pas sur quelles procédures la demande porte et ne sait par conséquent pas à quoi se rapportent les documents demandés ».
La Commission rappelle qu’est considéré comme vague « ce qui est confus, imprécis, incertain, indécis, indéfini, indéterminé »[1]. De plus, on ne peut pas considérer comme manifestement trop vague une demande qui permet d’identifier sans équivoque l’objet de celle-ci[2].
En l’espèce, la demande de publicité vise, pour une période de cinq ans, « l’ensemble des avis de marché, publiés ou non, relatifs à des prestations (consultance, formation, organisation d’événements,…) en lien avec les activités de l’agence, […] l’ensemble des cahiers de charges dans ces marchés, […] l’ensemble des rapports d’attributions dans ces marchés, […] l’ensemble des décisions d’attributions dans ces marchés ».
Cette demande porte sur des documents aisément identifiables. La partie adverse a d’ailleurs pu identifier les documents visés par la demande, qu’elle a communiqués à la Commission.
Cette exception à la publicité administrative ne peut pas être accueillie.
- La partie adverse relève également, dans sa note d’observations, que « tous les documents relatifs aux marchés passés par une procédure ouverte, une procédure restreinte, une procédure concurrentielle avec négociation ou via une procédure négociée directe avec mise en concurrence préalable » ont été publiés dans le Bulletin des adjudications et/ou le Journal officiel de l’Union européenne. Elle précise que sont visés « les avis de marchés, le cahier de charges, ainsi que, le cas échéant, les avis d’attribution ». Elle en déduit que ces documents ne doivent pas être communiqués.
La Commission estime que doit être considérée comme abusive la demande de publicité qui vise des documents publiés et accessibles sans difficulté pour la partie requérante[3], tels ceux publiés sur le site internet de la partie adverse.
En l’espèce, la demande de publicité est abusive en tant qu’elle vise les avis de marchés et les cahiers spéciaux de charges portant sur les marchés publics de la partie adverse qui ont spécifiquement fait l’objet d’une publication au Bulletin des adjudications ou au Journal officiel de l’Union européenne. En effet, la partie requérante peut aisément prendre connaissance de ces documents administratifs par la consultation des sites internet concernés.
L’exception à la publicité administrative est admise dans la mesure précisée ci-dessus.
- La partie adverse soutient, dans sa note d’observations, que le régime des articles 7 et 8 de la loi du 17 juin 2013 « relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » consiste en une lex specialis, qui constitue une exception à la législation relative à la publicité administrative.
Les articles 7, 7/1 et 8 de la loi du 17 juin 2013 prévoient ce qui suit :
« Art. 7. § 1er. Lorsque la procédure de passation du marché ou de la concession comprend une première phase impliquant l'introduction de demandes de participation, dès qu'elle a pris la décision motivée de sélection, l'autorité adjudicatrice communique à tout candidat non sélectionné :
1° les motifs de sa non-sélection, extraits de cette décision;
2° en cas de limitation, sur la base d'un classement, du nombre des candidats sélectionnés, la décision motivée de sélection.
L'invitation à présenter une offre ne peut être adressée aux candidats sélectionnés avant l'envoi de ces informations.
§ 2. En cas d'établissement et de gestion d'un système de qualification, dès qu'elle a pris la décision motivée de qualification, l'autorité adjudicatrice communique à tout candidat non qualifié, les motifs de sa non-qualification, extraits de cette décision. Cette communication a lieu dans les moindres délais et au plus tard dans les quinze jours à compter de la date de la décision.
Préalablement au retrait de la qualification d'un entrepreneur, d'un fournisseur ou d'un prestataire de services, l'autorité adjudicatrice communique à celui-ci cette intention et les raisons la justifiant au moins quinze jours avant la date prévue pour mettre fin à la qualification, ainsi que de la possibilité de faire part de ses observations dans ce même délai.
§ 3. En cas de dialogue compétitif, dès qu'elle a pris la décision portant sur la ou les solutions susceptibles de répondre à ses besoins et à ses exigences, l'autorité adjudicatrice communique la décision motivée relative à ce choix aux participants dont la solution n'est pas retenue.
§ 4. En cas de système d'acquisition dynamique, dès qu'elle a pris la décision motivée, l'autorité adjudicatrice communique à tout participant non admis, les motifs de sa non-admission, extraits de la décision motivée.
Art. 7/1. En cas de marché passé selon une procédure concurrentielle avec négociation, une procédure négociée sans publication préalable, une procédure négociée avec ou sans mise en concurrence préalable, un dialogue compétitif ou un partenariat d'innovation, l'autorité adjudicatrice communique, à la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre régulière ou de tout participant ayant proposé une solution, les informations relatives, selon le cas, au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue avec les soumissionnaires ou participants et ce, dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception d'une demande écrite du soumissionnaire ou du participant concerné.
Art. 8. § 1er. Dès qu'elle a pris la décision d'attribution motivée, l'autorité adjudicatrice communique :
1° à tout soumissionnaire non sélectionné, les motifs de sa non-sélection, extraits de la décision motivée;
2° à tout soumissionnaire dont l'offre a été jugée irrégulière ou non conforme, les motifs de son éviction, extraits de la décision motivée;
3° à tout soumissionnaire dont l'offre n'a pas été choisie et au soumissionnaire retenu, la décision motivée.
La communication comprend également, le cas échéant :
1° la mention précise de la durée exacte du délai visé à l'article 11, alinéa 1er;
2° la recommandation d'avertir l'autorité adjudicatrice dans ce même délai, par télécopieur, par courrier électronique ou le cas échéant, par les plateformes électroniques visées à l'article 14, § 7, de la loi relative aux marchés publics ou les moyens de communication électroniques visés à l'article 32 de la loi relative aux concessions, dans le cas où l'intéressé introduit une demande de suspension conformément à l'article 15;
3° la mention du numéro de télécopieur ou l'adresse électronique à laquelle l'avertissement visé à l'article 11, alinéa 3, peut être envoyée.
§ 2. La communication visée au § 1er ne crée aucun engagement contractuel à l'égard du soumissionnaire retenu et suspend le délai durant lequel les soumissionnaires restent engagés par leur offre, pour autant qu'un tel délai et l'article 11 soient applicables.
Pour l'ensemble des offres introduites pour ce marché ou cette concession, la suspension de ce délai prend fin :
1° à défaut de demande de suspension visée à l'article 11, alinéa 2, à l'issue du dernier jour de la période visée à l'article 11, alinéa 1er;
2° en cas de demande de suspension visée à l'article 11, alinéa 2, au jour de la décision de l'instance de recours visée à l'article 15;
3° en tout cas au plus tard 45 jours après la communication visée au § 1er ».
Si, par la décision n° 216 du 6 décembre 2021, la Commission a considéré que la législation relative aux marchés publics constitue une lex specialis au régime général de la publicité de l’administration, il reste que les dispositions qui précèdent n’interdisent pas qu’une personne tierce à une procédure de marché public puisse obtenir les décisions intervenues dans ce cadre à l’occasion d’une demande de publicité administrative[4].
L’exception est rejetée.
- La partie adverse soutient encore que les décisions d’attribution porteraient sur des éléments confidentiels, couverts par le secret d’affaires.
« (…) secret d’affaires : information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
Le secret d’affaires protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise »[5].
Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, « peuvent contenir des informations relevant du secret des affaires, les offres déposées dans le cadre de la procédure d’attribution du marché litigieux ou d’un marché antérieur, ainsi que les documents établis dans le cadre des échanges ultérieurs entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires, relatifs soit à des demandes de précisions et aux réponses apportées à celles-ci, soit à l’invitation à déposer de nouvelles offres et à la suite réservée à celle-ci, particulièrement, […] dans le cadre d’une procédure négociée au cours de laquelle des offres améliorées ont pu être déposées à la suite de négociations »[6].
La Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé les contours du secret d’affaires et la manière avec laquelle les autorités doivent procéder à la balance des intérêts en présence[7].
Spécifiquement en matière de marchés publics, il est prévu des règles de confidentialité applicables au pouvoir adjudicateur à l'article 13, § 2, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, qui prévoit :
« § 2. Sans préjudice des obligations en matière de publicité concernant les marchés publics attribués et l'information des candidats, des participants et des soumissionnaires, l'adjudicateur ne divulgue pas les renseignements que l'opérateur économique lui a communiqué à titre confidentiel, y compris, les éventuels secrets techniques ou commerciaux et les aspects confidentiels de l'offre.
Il en est de même pour toute personne qui, en raison de ses fonctions ou des missions qui lui ont été confiées, a connaissance de tels renseignements confidentiels. »
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
En l’espèce, les courriers de la partie adverse de notification aux soumissionnaires des décisions d’attribution ne comportent pas d’information relevant du secret d’affaires. En revanche, il ressort des rapports d’attribution et des rapports de comparaison des offres fondant les décisions d’attribution que certaines des informations mises en exergue par le pouvoir adjudicateur pour justifier les comparaisons et les cotes obtenues pour les critères d’attribution pourraient relever du secret d’affaires. Il s’ensuit que les rapports d’attribution et les rapports de comparaison des offres, en ce compris les éventuelles annexes auxquels ceux-ci renvoient explicitement, doivent être communiqués, sauf les informations y reprises relevant du secret d’affaires, s’agissant donc de celles qui répondent bien aux trois conditions cumulatives prévues à l’article 1.17/1, 1°, du Code de droit économique. Ces dernières informations doivent être occultées.
A titre illustratif, la Commission précise que le rapport d’attribution dans le cadre du marché public « Start up 2018 03 » et celui relatif à l’attribution du marché public « Coworking rural 2018 05 » ne comportent pas d’information relevant du secret d’affaires.
- Sous réserve de ce qui précède, aucune autre exception légale ne fait obstacle à la communication des documents sollicités.
- Au vu de l’examen qui doit être opéré par la partie adverse quant au contenu des rapports d’attribution et des rapports de comparaison des offres en exécution du point 12, la partie adverse dispose d’un délai de 30 jours pour communiquer les documents administratifs concernés.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable.
Le recours est partiellement fondé.
La partie adverse communique à la partie requérante les documents de marchés qui n’auraient pas fait l’objet d’une publication au Bulletin des adjudications et/ou au Journal officiel de l’Union européenne (avis de marché et cahiers spéciaux de charges), les courriers de notification des décisions d’attribution, ainsi que, sous réserve des informations relevant du secret d’affaires, les rapports d’attribution et les rapports de comparaison des offres sollicités, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.