SPW TLPE – Lettre de plainte concernant un supérieur hiérarchique – Extension de la demande – Irrecevabilité partielle – Document à caractère personnel – Vie privée – Liberté et droits fondamentaux – Communication partielle
En cause :
[…],
Partie requérante,
Contre :
Le Service Public de Wallonie Territoire, Logement, Patrimoine, Energie (SPW TLPE),
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 1er, alinéa 1er, et l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 17 mai 2022,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 9 juin 2022 et reçue le 10 juin 2022,
Vu la réponse de la partie adverse du 17 juin 2022,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet du recours
- La partie requérante demande que lui soient communiqués :
- « la lettre de plainte de février qui a été adressée à son employeur » ;
- « tout autre document en relation ou en complément à cette plainte, dont le cas échéant, la ou les notes internes de sa direction relatives à ces questions ».
II. Compétence de la Commission
- La Commission est compétente ratione materiae et ratione personae pour connaître du présent recours.
III. Recevabilité du recours
- La demande a été adressée à la partie adverse le 12 avril 2022.
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 19 avril 2022.
La partie requérante a introduit son recours le 16 mai 2022, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du même décret.
Dès lors, le recours est recevable ratione temporis.
- La Commission constate un hiatus entre, d’une part, le libellé de la demande d’accès adressée à la partie adverse le 12 avril 2022, à savoir :
« (…) je demande à pouvoir avoir accès à mon dossier administratif qui doit normalement contenir la lettre d’une plainte à mon encontre » (la Commission souligne),
et, d’autre part, celui de la requête introduite devant la Commission, à savoir :
« […] sollicite que la lettre de plainte de février qui a été adressée à son employeur lui soit communiquée, ainsi que tout autre document en relation ou en complément à cette plainte, dont le cas échéant, la ou les notes internes de sa direction relatives à ces questions » (la Commission souligne).
Or, il n’est pas permis d’étendre l’objet de la demande d’accès lors de l’introduction d’un recours contre la décision de rejet de cette demande. En effet, pour qu’un recours soit recevable, la partie requérante doit fournir la preuve qu’elle a formulé une demande d’accès aux documents visés par le recours auprès de la partie adverse[1].
Compte tenu de ce qui précède, le recours est recevable uniquement en ce qui concerne la lettre de plainte à l’encontre de la partie requérante.
Pour le surplus, le recours est irrecevable.
- Le document demandé est un document à caractère personnel au sens de l’article 1er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995, dès lors qu’il comporte « une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ». La partie requérante justifie nécessairement d’un intérêt à prendre connaissance de ce document, conformément à l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, dès lors que ces éléments la concernent personnellement.
IV. Examen du recours
- La Commission rappelle tout d’abord que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
- En l’espèce, la partie requérante fait valoir que la décision de rejet prise par la partie adverse :
- N’est pas motivée et est dès lors entachée de nullité ;
- N’a pas été adoptée par l’autorité compétente.
Ces deux éléments n’ont pas d’incidence sur le caractère communicable ou non des documents sollicités ; il n’est pas du ressort de la Commission d’en examiner le fondement, ni du reste les conséquences.
- La partie adverse refuse la communication du document en invoquant l’exception visée à l’article 6, § 2, 1° (respect de la vie privée) et § 3, 2° (avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel à l’entité) du décret du 30 mars 1995.
Pour qu’un avis ou une opinion puisse être qualifié de « confidentiel », la mention de ce caractère confidentiel doit émaner de son auteur, de manière expresse et concomitante à la communication. Tel n’est pas le cas dans le document sollicité, que ses signataires qualifient de « note interne » et de « note collective formelle ». L’exception relative à l’avis ou opinion communiqué librement et à titre confidentiel à l’entité n’est, en conséquence, pas applicable.
- Le respect de la vie privée peut inclure les avis et les opinions relatifs à un cadre professionnel[2]. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce. Le document sollicité porte en effet exclusivement sur le contexte professionnel et les conditions de travail des agents de la direction concernée.
L’exception prise de la protection de la vie privée ne peut dès lors pas être retenue.
- Il y a cependant lieu de tenir compte de l’exception tirée de la protection des libertés et droits fondamentaux des administrés, visée à l’article 6, § 1er, 2°, du décret du 30 mars 1995, qui comprennent notamment la liberté d’expression et la liberté d’opinion. L’entité doit rejeter la demande de communication si elle a constaté que l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur la protection des libertés et droits fondamentaux des administrés.
En l’espèce, compte tenu du climat tendu qui caractérise l’affaire, il n’est pas déraisonnable de considérer que la transmission, par la partie adverse, de la plainte en l’état, telle qu’elle lui a été adressée par plusieurs agents, risque de porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux de ceux-ci, dès lors qu’une telle divulgation pourrait exposer certains agents signataires de la plainte à des mesures de représailles ou les dissuader d’exprimer leur point de vue à l’avenir.
Il peut se concevoir que la protection de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion d’agents qui se plaignent de la manière dont la directrice d’une direction administrative, qui peut être leur supérieure hiérarchique directe, dirige sa direction auprès du supérieur hiérarchique de celle-ci, implique à tout le moins que l’anonymat de ces agents soit préservé, quand bien même ils n’auraient pas expressément demandé le bénéfice de la confidentialité.
La protection des libertés et droits fondamentaux des administrés ne va cependant pas jusqu’à empêcher une divulgation partielle du document demandé. Il s’agit en effet également de tenir compte du droit de la partie requérante de se défendre contre les accusations dont elle fait l’objet dans la plainte. Dès lors que le document sollicité est rédigé en des termes généraux et qu’il ne comprend pas d’exemple précis susceptible en soi de révéler l’identité de l’un ou l’autre agent signataire, il doit être communiqué à la partie requérante en occultant le nom de ses signataires, en ce compris celui de la personne de contact, conformément à l’article 6, § 4, du décret du 30 mars 1995.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable en ce qui concerne la lettre de plainte à l’encontre de la partie requérante.
Le recours est irrecevable pour le surplus.
Le recours est partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le document sollicité en occultant le nom des signataires, en ce compris celui de la personne de contact, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.