Région wallonne – Fichier central de la délinquance environnementale – Autorité publique – Informations environnementales – Incompétence
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Région wallonne, le SPW Agriculture, Ressources naturelles et Environnement, Département du Développement, de la Ruralité, des Cours d’eau et du Bien-être animal,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu les articles 1er et 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 30 janvier 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 2 février 2023 et reçue le 3 février 2023,
Vu la réponse de la partie adverse du 3 mars 2023,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
- Objet de la demande
- La demande porte sur l’obtention d’une copie « des informations enregistrées dans le Fichier central de la délinquance environnementale concernant […] ».
- Compétence de la Commission
- L'article 2, § 1er, du décret du 30 mars 1995 dispose que :
« Le présent décret ne s'applique pas aux informations environnementales définies à l'article D.6., 11°, du Livre 1er du Code de l'Environnement ».
Selon l’article D.6, 11°, du Code de l’Environnement, la notion d’« information environnementale » est définie comme étant :
« toute information, détenue par une autorité publique ou pour son compte, disponible sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle, concernant :
a. l'état des éléments de l'environnement, tels que l'air et l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages et les sites naturels, y compris les biotopes humides, les zones côtières et marines, la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, ainsi que l'interaction entre ces éléments ;
b. des facteurs, tels que les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements ou les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets dans l'environnement, qui ont ou sont susceptibles d'avoir des incidences sur les éléments de l'environnement visés au point a. ;
c. les mesures, y compris les mesures administratives, telles que les politiques, les dispositions législatives, les plans, les programmes, les accords environnementaux et les activités ayant ou susceptibles d'avoir des incidences sur les éléments et les facteurs visés aux points a. et b., ainsi que les mesures ou activités destinées à protéger ces éléments ;
d. les rapports sur l'application de la législation environnementale ;
e. les analyses coûts-avantages et autres analyses et hypothèses économiques utilisées dans le cadre des mesures et activités visées au point c. ;
f. l'état de la santé humaine, la sécurité, y compris, le cas échéant, la contamination de la chaîne alimentaire, le cadre de vie, le patrimoine, pour autant qu'ils soient ou puissent être altérés par l'état des éléments de l'environnement visés au point a., ou, par l'intermédiaire de ces éléments, par l'un des facteurs, mesures ou activités visés aux points b. et c. ; ».
Ainsi, en vertu de l’article D.6, 11°, c., du Code de l’Environnement, la notion d’« information environnementale » couvre toute information détenue par une autorité publique, concernant les mesures et les activités ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement ou destinées à protéger celui-ci[1].
De manière constante, la Commission considère que lorsque les documents ou informations faisant l’objet du recours constituent des informations environnementales telles que définies par l’article D.6, 11°, du Code de l’environnement, elle n’est pas compétente et seule la Commission de recours pour le droit d’accès à l’information environnementale (CRAIE) est susceptible d’être compétente. Il ressort, en effet, des travaux parlementaires que l’intention des auteurs de l’avant-projet devenu le Code de l’Environnement est établie en ce sens que l’application des textes généraux relatifs à la publicité de l’administration (notamment pour les pouvoirs locaux) ne s’étend pas aux matières environnementales[2].
Cette exclusion de la compétence de la Commission au bénéfice de la CRAIE a été renforcée par le décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs de la Région wallonne, lequel a complété l’article 2, § 1er, du décret du 30 mars 1995 par un second alinéa rédigé comme suit :
« La commission de recours visée à l'article D.20.3, § 1er, du Livre 1er du Code de l'Environnement est chargée de l'application du présent décret pour les documents administratifs dans les recours qu'elle a à connaitre au titre de la procédure de rectification et de recours prévue au sein de la Section 3, du Chapitre II, du Titre 1er, de la Partie III du même Code ».
À ce sujet, les travaux parlementaires précisent :
« Concrètement, cela signifie dès lors que : d’une part, si une personne demande à se voir communiquer un élément de nature non-environnementale présent dans un document de nature environnementale et que celui-ci introduit un recours devant la CADA, celle-ci devra inviter ladite personne à introduire son recours non pas devant la CADA mais devant la CRAIE ; d’autre part, lors de ce recours, la CRAIE aura potentiellement à connaitre des demandes de ladite personne traitant d’informations environnementales (matière réglée par le Code de l’Environnement) et des demandes de cette même personne traitant d’informations non-environnementales réglées par le présent décret »[3],[4].
- Parallèlement au présent recours, la partie requérante a introduit un recours auprès de la CRAIE sur la base de l’article D.20.6 du livre 1er du Code de l’environnement par une requête du 27 janvier 2023 contre « la réponse communiquée par l’opérateur du Fichier central du département de la Police et des Contrôles du SPW ARNE à la suite de sa demande adressée à la partie adverse le 20 décembre 2022 de lui communiquer une "copie des données relatives à […] et à ses administrateurs qui ont fait l’objet d’un enregistrement dans le fichier central de la délinquance environnementale" ».
Par une décision du 17 mars 2023 (recours n° 1297), la CRAIE s’est déclarée incompétente pour connaître de ce recours, pour les motifs suivants :
« Considérant que selon l’article D.20.6., alinéa 1er, du livre 1er du code de l’environnement :
"Tout demandeur qui considère que sa demande d'information a été ignorée, abusivement ou indûment rejetée, en tout ou en partie, ou bien qu'elle a été insuffisamment prise en compte ou n'a pas été traitée conformément au présent chapitre, peut introduire un recours auprès de la Commission de recours pour le droit d'accès à l'information en matière d'environnement contre les actes ou omissions de l'autorité publique concernée."
Que cette disposition est située, dans la partie III, titre 1er, chapitre 2 du livre 1er du code, lequel a trait, comme l’indique son intitulé à "l’information passive sur demande"; que l’article D.12, du même livre 1er, qui constitue la première disposition dudit chapitre 2, dispose que "[s]ous réserve des exceptions prévues aux articles D.18, § 1er, et D.19, § 1er, le droit visé à l'article D.10, alinéa 1er, est assuré conformément au présent chapitre" ; que le droit visé à l’article D.10, alinéa 1er, du livre 1er du code de l’environnement est "[l]e droit d'accès à l'information relative à l'environnement détenue par les autorités publiques [qui] est assuré à tout membre du public, sans qu'il soit obligé de faire valoir un intérêt ; "
Que, comme il ressort en particulier des articles D.10 et D.12 du livre 1er du code de l’environnement, le chapitre 2 du titre 1er de la partie III du livre 1er du code, organise le régime du droit d’accès du public en général aux informations environnementales, public lui-même définit très largement par l’article D.6., 17°, du livre 1er du code comme étant "une ou plusieurs personnes physiques ou morales, ainsi que les associations, organisations et groupes rassemblant ces personnes" ; que la compétence de la Commission, telle que définie par l’article D.20.6. , alinéa 1er, ci-avant - disposition qui figure également dans la partie III, titre 1er, chapitre 2 du Code - se limite à connaître des recours et des procédures de rectification en relation avec l’exercice de ce droit d’accès du public aux informations environnementales, dans les cas et selon les procédures réglées au même chapitre 2, du titre 1er, de la partie III du livre 1er du code ;
Que la Commission est par contre sans compétence pour connaître de recours, demandes de rectification ou autres réclamations en lien avec l’exercice de droits d’accès à des données prévus et organisés dans d’autres parties du Code ;
Considérant que, comme mentionné ci-avant, dans sa demande d’accès originaire à l’information, la partie requérante a, selon ses propres termes, entendu "exercer son droit d’accès aux informations enregistrées à son sujet dans le fichier central que lui reconnaissent les articles D.144, § 3, alinéa 2, 6°, et R.98. §1er, alinéa 1er du Livre 1er du Code de l’environnement" ;
Que l’article D. 144, du livre 1er du Code de l’environnement se situe pour sa part dans la partie VIII du livre Ier du code de l’environnement, consacrée aux "recherche, constatation, poursuite, répression et mesures de réparation des infractions en matière d'environnement", et plus précisément dans le chapitre 3 de cette partie, relatif, selon son intitulé, aux "Objectifs et [à la] coordination de la politique répressive environnementale" ;
Que selon ledit article D.144, §1er,
"§1er. L'Administration établit et gère un fichier central de la délinquance environnementale, ci-après dénommé le "fichier central". Ce fichier central a pour finalité de permettre aux personnes dument habilitées en vertu du paragraphe 2 à mutualiser leurs connaissances relatives à des situations infractionnelles dans l'optique d'assurer une meilleure coordination et effectivité de la politique répressive environnementale.
Le fichier central est institué sous la forme d'une plateforme électronique dont l'accès est strictement réservé aux personnes visées au paragraphe 2. [...]".
Que selon les paragraphes 2 et 3 du même article,
"§2. Les données du fichier central ne sont pas accessibles au public et peuvent être utilisées uniquement par les agents constatateurs ayant la qualité d'officier de police judiciaire, par les bourgmestres, par les fonctionnaires de police, par les fonctionnaires sanctionnateurs ainsi que par les magistrats du ministère public.
§ 3. Lorsqu'un contrevenant est, pour la première fois, enregistré dans le fichier, il en est informé sans délai par le responsable du traitement selon les modalités déterminées par le Gouvernement.
Cette information mentionne :
1° les coordonnées d'une personne de contact ;
2° la base légale ou réglementaire de la collecte des données ;
3° la finalité en vue de laquelle les données recueillies sont utilisées ;
4° les données à caractère personnel qui concernent le contrevenant ;
5° l'adresse de l'Autorité de protection des données ;
6° l'existence du droit d'accès aux données, du droit de rectification de celles-ci ainsi que les modalités d'exercice desdits droits ;
7° le délai endéans lequel les données seront effacées du fichier central.
En application de l'alinéa 2, 6°, le Gouvernement détermine les modalités et conditions permettant l'exercice du droit d'accès aux données et du droit de rectification de celles-ci".
Que l’article R.98 du livre 1er du code de l’environnement procure exécution à cette disposition décrétale, spécialement le paragraphe 3, alinéa 2 ; que ledit article R.98 prévoit en son paragraphe 1er, alinéa 1er, que "toute personne peut, sans devoir justifier d'un intérêt particulier, solliciter l'accès à toutes données qui la concerne au sein du Fichier central. Pour ce faire, elle en adresse la demande expresse, par courrier recommandé, au Directeur général de l'Administration ou directement à l'opérateur renseigné" ;
Considérant que le régime de l’exercice du droit d’accès aux "données du fichier central" vise des données déterminées et ce, en outre, dans la seule mesure où ces données constituent des composantes du fichier central et sont accessibles via une plateforme électronique précise ; que le régime de l’exercice de ce droit d’accès est organisé dans la partie VIII du livre du livre 1er du code de l’environnement, en particulier par les articles D. 144 et R. 98 du livre Ier du code ; que ce régime est étranger au régime de l’exercice du droit d’accès aux informations environnementales organisé par la partie III du même livre 1er ;
Que par conséquent, la Commission n’est pas compétente pour connaître des recours qui ont trait à l’exercice du droit d’accès aux données du fichier central conféré par ces dispositions aux contrevenants qui sont inscrits dans ce fichier ; ».
- La CRAIE s’est ainsi déclarée incompétente au terme d’une motivation qui n’implique pas pour autant que la Commission soit, elle-même, compétente pour connaître du présent recours.
Au vu de la nature dudit fichier (« fichier central de la délinquance environnementale »), lequel est « institué sous la forme d’une plateforme électronique », de la finalité que ce fichier poursuit (« permettre aux personnes dument habilitées en vertu du § 2 à mutualiser leurs connaissances relatives à des situations infractionnelles dans l’optique d’assurer une meilleure coordination et effectivité de la politique répressive environnementale ») et de son contenu (« ce fichier central recense, pour chaque contrevenant identifié suite à la constatation d’un fait infractionnel visé par la présente partie, les différents actes, décisions ou documents visés à l’alinéa 3 produits dans le cadre de la répression des infractions environnementales »), les données du fichier central auxquelles la partie requérante demande à avoir accès peuvent être qualifiées comme concernant des « mesures, y compris les mesures administratives, telles que les politiques, les dispositions législatives, les plans, les programmes, les accords environnementaux et les activités ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments et les facteurs visés aux points a. et b., ainsi que les mesures ou les activités destinées à protéger ces éléments » visées au point c) de l’article D.6, 11°, du livre 1er du Code de l’environnement.
- Afin de pouvoir être qualifiées d’informations environnementales au sens de l’article D.6, 11°, du livre 1er du Code de l’environnement, encore convient-il également que les données du fichier central puissent être qualifiées de « toute information, détenue par une autorité publique ou pour son compte, disponible sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle ». S’agissant d’un fichier central « institué sous la forme d’une plateforme électronique », les données qu’il contient peuvent, sans difficulté particulière, être considérées comme disponibles « sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle ».
Afin de déterminer ce qu’est une « autorité publique » au sens de cette disposition, il convient de se référer à la définition contenue à l’article D.11, 1°, du livre 1er du Code de l’environnement, lequel dispose comme il suit :
« Au sens du présent titre, on entend par :
1° "autorité publique" : l'une des personnes ou institutions suivantes, relevant des compétences de la Région wallonne :
a. toute personne de droit public, toute autorité administrative, tout service administratif ou tout organe consultatif public;
b. tout particulier ou toute personne morale de droit privé qui gère un service public en rapport avec l'environnement.
Les personnes et institutions précitées ne sont pas des autorités publiques au sens du présent titre lorsqu'elles exercent une fonction juridictionnelle ou collaborent à l'administration de la justice; (…) ».
Au sujet de cette définition, la CRAIE s’exprime comme il suit :
« Considérant que les dispositions du livre Ier du code de l’environnement qui consacrent le droit d’accès à l’information s’appliquent dans l’hypothèse où une information environnementale est détenue par ou pour le compte d’une "autorité publique" ;
Considérant qu’en vertu de l’article D.11, 1°, alinéa 2, du livre 1er du code de l’environnement, une personne ou une institution qui exerce une fonction juridictionnelle ou qui collabore à l’administration de la justice n’est pas une autorité publique soumise aux dispositions précitées ;
Considérant que l’article D.11, 1°, alinéa 2, du livre 1er du code de l’environnement trouve son origine dans les dispositions qui, à l’article 2, § 2, alinéa 2, de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et ratifiée par la Belgique, et à l’article 2, 2), alinéa 2, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, prévoient ou permettent de prévoir que la notion d’ « autorité publique » n’englobe pas les organes ou institutions "agissant dans l’exercice de pouvoirs judiciaires" ; qu’il résulte en effet des travaux préparatoires du décret du 16 mars 2006, qui a inséré l’article D.11, 1°, alinéa 2, dans le livre 1er du code de l’environnement, qu’en faisant état des "personnes et institutions [qui] exercent une fonction juridictionnelle ou collaborent à l’administration de la justice", le législateur a entendu "désigner de manière adéquate les ‘organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs judiciaires’" mentionnés par la Convention d’Aarhus et par la directive 2003/4/CE, tout "en utilisant [...] une terminologie plus proche de celle qui a cours en droit interne[5]" ;
Considérant que, lors des travaux préparatoires du décret du 16 mars 2006, il a été donné comme exemple de personnes collaborant à l'administration de la justice "les fonctionnaires chargés de rechercher et de constater les infractions[6]" ;
Considérant qu’en effet, lorsque des fonctionnaires exercent une mission de recherche et de constatation éventuelle d’infractions susceptibles de donner lieu à une décision prononcée par une juridiction, ils exercent une mission de police judiciaire ; que, ce faisant, ils prêtent leur concours au pouvoir judiciaire et collaborent ainsi à l’administration de la justice ; ».
En l’espèce, le fichier central de la délinquance environnementale est établi et géré par l’« Administration », définie par l’article D.141, alinéa 1er, 1°, du livre 1er du Code de l’environnement comme étant « le Service public de Wallonie Agriculture, Ressources naturelles et Environnement ».
Ce fichier est régi par l’article D.144, du livre 1er du Code de l’environnement.
Il résulte de cette disposition que le fichier central se limite à compiler les différents actes, décisions ou documents « produits dans le cadre de la répression des infractions environnementales » en vue de mutualiser des « connaissances relatives à des situations infractionnelles dans l’optique d’assurer une meilleure coordination et effectivité de la politique répressive environnementale ». Ce faisant, il consiste en un canal permettant aux différents acteurs de la politique environnementale d’être mieux coordonnés et effectifs, sans pour autant participer directement à cette politique répressive environnementale. L’Administration qui établit et gère ce fichier ne peut, par conséquent, pas être qualifiée d’autorité qui « collabore à l’administration de la justice ». Partant, il s’agit bien d’une autorité publique au sens de l’article D.6, 11°, du Code de l’Environnement.
- Il en résulte que l’information sollicitée par la partie requérante constitue une information environnementale au sens de l’article D., 11°, du livre 1er du Code de l’environnement.
Il s’ensuit que la Commission est incompétente pour connaître du recours.
Par ces motifs, la Commission décide :
La Commission est incompétente.