Ville – Liste de logements inoccupés – Document à caractère personnel (non) – Vie privée (oui) – Sécurité de la population (non) – Droits fondamentaux des administrés (non) – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Ville de Liège,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 2 juin 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 6 juin 2023 et reçue le 7 juin 2023,
Vu les réponses de la partie adverse des 4 et 7 juillet 2023.
- Objet de la demande
- La demande porte sur l’obtention d’une copie des documents suivants :
« Dans l’optique d’opérer un recensement des logements inoccupés au sein de la commune de Liège, nous souhaitons obtenir la liste des bâtiments résidentiels sur lesquels la taxe relative aux logements inoccupés est actuellement appliquée.
Bien conscients qu’un tel listing peut comporter des données à caractère privé tels que les patronymes des propriétaires, nous vous signalons que toute donnée à caractère confidentiel ne sera pas exploitée ni même divulguée ».
- Compétence de la Commission
- La Commission est compétente pour connaître du recours.
- Recevabilité du recours
- La demande a été adressée à la partie adverse le 19 avril 202
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 19 mai 2023, en application de l’article 6, § 5, du décret du 30 mars 1995.
La partie requérante a introduit son recours le 2 juin 2023, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du même décret.
Dès lors, le recours est recevable.
- La partie adverse soutient cependant que les documents demandés constituent des documents à caractère personnel. Elle affirme que « l'inaction du propriétaire qui a entraîné un délabrement de son immeuble ou son inoccupation » est un comportement de nature à causer un préjudice au propriétaire concerné. Ce préjudice serait lié aux politiques de lutte contre les logements inoccupés.
Selon l’article L3211-3, 3°, du CDLD, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ». La partie adverse soutient donc que la partie requérante doit justifier de cet intérêt.
En l’espèce, le document sollicité ne constitue pas un document à caractère personnel au sens de l’article L3211-3, 3°, précité. D’une part, en effet, la qualification d’immeuble inoccupé résulte d’une situation de fait, décrite à l’article 80 du Code wallon de l’habitation durable, et non de la description d’un comportement personnel du propriétaire. D’autre part, la lutte contre les logements inoccupés n’est pas en soi préjudiciable pour les propriétaires concernés (celle-ci prévoyant au contraire, notamment, la prise en gestion ou en location en faveur du propriétaire, à l’article 81 du même Code).
La partie requérante ne doit donc pas justifier d’un intérêt pour obtenir la communication de celui-ci, et le recours est également recevable sur ce point.
- Examen au fond
- La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
- La Commission constate que la partie adverse n’a pas répondu dans le délai imparti à la demande d’informations qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995.
Néanmoins, la partie adverse a communiqué tardivement à la Commission, par courrier électronique des 4 et 7 juillet 2023, des informations dont il y a lieu, pour des raisons de bonne administration, de tenir compte dans le cadre de l’examen du présent recours.
- En l’espèce, la partie adverse invoque, bien qu’implicitement en se référant au Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (ci-après RGPD), l’exception relative au respect du droit à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que « le listing demandé comprend un certain nombre de données à caractère personnel de citoyens, propriétaires desdits immeubles, identifiés ou identifiables, au sens du RGPD ». Selon elle, « l’identification d’une personne physique, ayant la qualité de propriétaire d’un immeuble, peut aisément être obtenu par recoupement (nom sur les boîtes aux lettres, annuaires inversés, Géoportail de la Région wallonne, etc.) ».
La partie adverse présume que la partie requérante souhaite obtenir cette liste « dans le cadre de ses fonctions d’animateur […] au sein de l’Association sans but lucratif […], association de Promotion du Logement. La Ville suppose que le listing pourrait lui servir dans le cadre de l’une des missions de l’ASBL détaillées sur internet et, le cas échéant, à prendre contact directement ou indirectement avec les propriétaires des immeubles inoccupés, à tout du moins, pour les sensibiliser aux projets de l’ASBL ».
- L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ; […] ».
Le décret wallon du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
En l’espèce, la Commission constate, à l’analyse du document sollicité, que celui-ci contient des mentions relevant de l’exception relative à la protection de la vie privée, telle que l’adresse complète des immeubles concernés sur la Ville de Liège.
En effet, si le document sollicité ne reprend pas l’identité des propriétaires des immeubles listés en tant que telle, l’adresse complète de ces immeubles rend l’identité de ces propriétaires identifiable, notamment par une consultation des données reprises dans des registres publics (la conservation des hypothèques) ou par l’accès aux informations, publiques elles aussi, de l’administration du cadastre[1]. Afin de respecter le droit à la vie privée des personnes propriétaires d’un immeuble inoccupé, il convient d’occulter toute information permettant de rendre ces personnes identifiables.
Pour ce faire, la partie adverse doit occulter les numéros des immeubles visés. Les autres mentions figurant dans le document sollicité ne permettent pas, à la connaissance de la Commission, à tout un chacun d’identifier les propriétaires d’un immeuble inoccupé ou abandonné. La partie adverse doit néanmoins le vérifier avant de transmettre le document à la partie requérante.
- La partie adverse soutient également que la publicité des documents demandés « est de nature à mettre à mal les libertés et droits fondamentaux des administrés, à savoir le droit au respect de la propriété ». Selon elle, cette publicité « pourrait entraîner […] un risque réel de voir ces immeubles squattés, vandalisés, faire objet de vols […] voire, en cas de changement d’état de l’immeuble, de vols avec la mise en danger des nouveaux occupants ».
- L’article 6, § 1er, 1° et 2°, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 1er. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si elle a constaté que l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur la protection de l’un des intérêts suivants :
1° la sécurité de la population ;
2° les libertés et les droits fondamentaux des administrés ; […] ».
En l'espèce, la partie adverse n'avance aucun élément permettant de considérer que ses craintes soient fondées, si ce n’est par un renvoi général aux statistiques des infractions commises sur le territoire de la Ville. Aucun élément de la demande formulée n’indique une intention quelconque d’occupation ou de pénétration dans les logements inoccupés par infraction. L’atteinte à la sécurité de la population ou aux droits des propriétaires est par conséquent purement hypothétique, et ne permet pas de fonder les exceptions visées.
- Sous réserve de ce qui précède, aucune exception légale ne fait obstacle à la communication du document sollicité. En effet, dès lors que, comme précisé au point 4, la partie requérante ne doit pas faire valoir un intérêt pour exercer le droit d’accès au document sollicité, il n’appartient pas à la Commission de préjuger de l’usage qu’elle pourrait éventuellement faire des informations contenues dans ledit document.
Pour le surplus, lors de la communication de ce document, la partie adverse est libre d’attirer l’attention de la partie requérante sur le fait que celui-ci ne distingue pas les logements inoccupés et les immeubles délabrés.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable.
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le document sollicité en occultant les numéros des immeubles visés ainsi que, le cas échéant, tout autre information permettant de rendre les propriétaires de ces immeubles identifiables, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.