Commune – Dossier personnel – Décisions communales – Descriptifs de fonction – Barème – Document à caractère personnel (non) – Vie privée (oui) – Demande manifestement abusive (non) – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La commune de Trooz,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel et courrier simple le 15 septembre 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 19 septembre 2023 et reçue le 20 septembre 2023,
Vu la réponse de la partie adverse du 6 octobre 2023.
- Objet de la demande
- La demande porte sur la communication d’une copie des documents suivants :
« - une copie intégrale du dossier administratif personnel [de la partie requérante] ;
-l’intégralité des décisions du Collège communal et/ou du Conseil communal de la Commune de Trooz procédant aux désignations dans des fonctions supérieures de […], depuis le mois de janvier 2021 jusqu’à ce jour ;
-les descriptifs de fonction des fonctions exercées par [la partie requérante], […] ;
-tout document permettant d’établir le montant du barème appliqué aux […] agents précités et de l’allocation pour exercice de fonction supérieure qui leur est octroyée, ainsi que la date à partir de laquelle l’allocation leur a été octroyée ».
- Compétence de la Commission
- La Commission est compétente pour connaître du recours.
- Recevabilité du recours
- L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
- La demande a été adressée à la partie adverse le 9 août 2023.
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 23 août 2023.
La partie requérante a introduit son recours le 15 septembre 2023, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995 et rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
- Selon l’article L3211-3, 3°, du CDLD, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ».
En l’espèce, la partie requérante sollicite notamment la copie de l’intégralité des décisions du collège communal et/ou du conseil communal de la commune de Trooz procédant aux désignations dans des fonctions supérieures de trois agents, lesquels comportent une appréciation ou un jugement de valeur de la partie adverse relatif à ces trois agents nommément désignés. Ces documents constituent, par conséquent, des documents à caractère personnel pour lesquels la partie requérante doit justifier d’un intérêt.
Elle justifie son intérêt à obtenir la communication des documents sollicités par le fait qu’elle « estime être victime d'une violation des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination en ce que trois de ses collègues, qui prestent des fonctions d'un niveau équivalent et assument des responsabilités équivalentes, perçoivent une allocation pour exercice de fonction supérieure liquidée sur la base d'un barème plus avantageux » et qu’ « afin de pouvoir vérifier ce qu'il en est et faire valoir utilement ses droits, [elle] doit avoir accès à l'ensemble des documents qui concernent la désignation et le barème appliqué à ses 3 collègues de travail par rapport auquel elle s'estime discriminée ».
Dans la mesure où la partie requérante justifie sa demande par sa volonté de pouvoir vérifier si elle n’est pas discriminée et, le cas échéant, de pouvoir faire valoir utilement ses droits, elle dispose de l’intérêt requis.
Les autres documents sollicités ne constituent pas des documents à caractère personnel au sens de l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD. La partie requérante ne doit dès lors pas justifier d’un intérêt pour en obtenir copie.
Dès lors, le recours est également recevable sur ce point.
- Examen au fond
- La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
Sur le premier objet :
- En l’espèce, en ce qui concerne la demande portant sur la copie intégrale du dossier administratif personnel de la partie requérante, la partie adverse précise communiquer à la Commission l’ensemble des documents en sa possession, à savoir « les documents figurant depuis fin 2010 dans [le] dossier « électronique » [de la partie requérante], tous les documents étant en effet scannés depuis cette époque ».
La partie adverse explique, pour le surplus, que son administration a été inondée en juillet 2021 et « qu’une partie des documents a été noyée et est toujours actuellement congelée pour être récupérée. Le solde des documents ont été emballés aléatoirement dans des caisses et sont stockés dans un bâtiment qui depuis a été incendié ». La partie adverse indique que, suite à cela, il lui est compliqué d’accéder à ces documents et que « la recherche d’un document précis implique des heures de travail dans des conditions insalubres ». Elle précise que c’est la raison pour laquelle elle sollicite « depuis des mois de [la partie requérante] une demande plus précise que "tout son dossier" ». La partie adverse ajoute que « de plus [la partie requérante] était en charge du classement de ces dossiers avant d’être transférés au service population », de sorte qu’« elle a donc parfaitement connaissance des éléments présents dans son dossier jusqu’à cette date ».
- Concernant les documents du dossier administratif personnel de la partie requérante communiqués à la Commission, la partie adverse n’invoque aucune exception pour s’opposer à la communication des documents sollicités.
Il appartient néanmoins à la Commission d’examiner si l’une des exceptions légales n’est pas susceptible de s’appliquer, dont l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ; […] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
En l’espèce, la Commission constate, à l’analyse du document intitulé « délibé nomination », que celui-ci contient des mentions relevant de l’exception relative à la protection de la vie privée, telle que les noms et les adresses complets des lauréats à l’examen de recrutement.
Afin de respecter le droit à la vie privée de ces personnes, il convient d’occulter toutes informations permettant de rendre ces personnes identifiables. Pour ce faire, la partie adverse doit occulter les noms et prénoms et les adresses des lauréats, hormis les informations concernant la partie requérante.
Les autres mentions figurant dans les documents transmis ne portent pas atteinte, à la connaissance de la Commission, à la vie privée. La partie adverse doit néanmoins le vérifier avant de transmettre les documents à la partie requérante.
- Concernant les autres documents du dossier administratif personnel de la partie requérante non communiqués à la Commission, il ressort des explications fournies par la partie adverse que celle-ci entend soulever l’exception de la demande manifestement abusive, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 3°, du CDLD.
L’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme il suit :
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
3° est manifestement abusive ou répétée ».
La Commission rappelle qu’« une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement de la commune. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive »[1].
Il a, par ailleurs, été jugé par le Conseil d’Etat[2] que :
« Peut être considérée comme manifestement abusive […] et comme justifiant que lui soit opposée l’exception ainsi visée par cette disposition, la demande dont le traitement a pour conséquence de compromettre le bon fonctionnement de l’autorité qui en est saisie. Toutefois, cette exception au droit d’accès, qui est un droit fondamental, est d’interprétation stricte et l’autorité qui entend l’opposer à la demande dont elle est saisie doit la fonder sur les éléments propres au cas d’espèce et aptes à justifier concrètement le recours à cette hypothèse légale d’exception. Ces éléments doivent ressortir de la motivation formelle de la décision de refus ».
En l’espèce, la partie adverse n’affirme pas que les documents sollicités par la partie requérante feraient partie des documents qui ont été noyés suite aux inondations de juillet 2021 et qu’ils seraient toujours actuellement congelés, ni qu’ils auraient été détruits suite à l’incendie du bâtiment où le solde des documents emballés aléatoirement dans des caisses étaient stockés. En effet, la partie adverse fait valoir que le fait qu’une partie des documents de l’administration ait été noyée suite aux inondations et est toujours actuellement congelée et que le reste des documents ont été emballés aléatoirement dans des caisses stockées dans un bâtiment qui a depuis été incendié, rend l’accès à ces documents compliqué et que la recherche d’un document précis implique des heures de travail dans des conditions insalubres.
Ce faisant, la Commission constate que la partie adverse n’affirme pas qu’il serait impossible de communiquer à la partie requérante les documents sollicités en raison de leur congélation ou de leur destruction. En réalité, la partie adverse se retranche derrière un manque de classement des documents suite aux inondations de juillet 2021 qui engendrerait des complications et des heures de travail de recherche afin de ne pas procéder à cette recherche et, par conséquent, de ne pas donner suite à la demande. Outre que la réalité et l’ampleur des complications invoquées ne sont pas concrètement démontrées, une telle justification, qui est susceptible de s’appliquer de manière générale à toute demande de publicité passive relative aux documents concernés par les inondations de juillet 2021, ne peut pas être admise. Depuis les inondations de juillet 2021, la partie adverse a disposé d’un délai de plus de deux ans pour procéder au classement des documents touchés, ce qui aurait dû, sauf circonstances particulières, lui permettre de procéder à la recherche des documents sollicités par la partie requérante sans complication ni heures de travail excessives.
Partant, l’exception n’est pas fondée.
Il y a donc lieu de communiquer les documents sollicités à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du même décret. Vu la situation particulière décrite par la partie adverse, il convient toutefois de laisser à cette dernière un délai de 60 jours à compter de la notification de la présente décision pour la communication des documents concernés.
Sur le deuxième objet :
- En ce qui concerne la demande portant sur « l’intégralité des décisions du collège communal et/ou du conseil communal de la commune de Trooz procédant aux désignations dans des fonctions supérieures [des trois agents visés] depuis le mois de janvier 2021 jusqu’à ce jour », la partie adverse précise communiquer à la Commission « les différentes délibérations concernant les fonctions supérieures de [la partie requérante] et [les trois agents visés], comme demandé ».
Les désignations dans des fonctions supérieures [des trois agents visés] depuis le mois de janvier 2022 jusqu’à ce jour par le collège communal ont bien été communiquées à la Commission par la partie adverse. En revanche, ces désignations sont manquantes en ce qui concerne la période du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2021.
Concernant les documents communiqués à la Commission, la partie adverse n’invoque aucune exception pour s’opposer à la communication des documents sollicités à la partie requérante. A l’analyse de ces documents, la Commission n’aperçoit aucune mention susceptible de relever de l’exception relative à la protection de la vie privée ou d’une autre exception légale. La partie adverse doit communiquer les documents sollicités à la partie requérante.
Concernant les documents manquants, la partie adverse ne précise pas qu’ils n’existent pas et n’invoque aucune exception qui justifie qu’ils n’aient pas été communiqués à la Commission. La Commission constate que la partie adverse n’a pas répondu à la demande d’information qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995, de telle sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer la mission qui lui est dévolue.
Aucune exception à cette obligation de collaboration dans l’instruction du dossier n’est prévue par le décret.
Dès lors, conformément à l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer les documents à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du même décret.
Sur le troisième objet :
- En ce qui concerne la demande portant sur « les descriptifs de fonctions des fonctions exercées par [la partie requérante] et [les agents visés] », la partie adverse indique qu’ « il n’y a pas, à ce jour, de descriptifs de fonctions arrêtés ».
Partant, le recours est sans objet pour ce point de la demande.
Sur le quatrième objet :
- En ce qui concerne la demande portant sur « tout document permettant d’établir le montant du barème appliqué aux trois agents précités et de l’allocation pour exercice de fonction supérieure qui leur est octroyée, ainsi que la date à partir de laquelle l’allocation leur a été octroyée », la partie adverse répond qu’« il s’agit des échelles RGB C3/A1 comme dans toutes les communes, bien connues de [la partie requérante] ».
La Commission constate que, concernant cette demande spécifique, la partie adverse ne communique aucun document autre que ceux communiqués dans le cadre des autres objets de la demande. Si les décisions de désignations dans des fonctions supérieures des trois agents communiquées à la Commission permettent de déterminer le barème appliqué à ces trois agents, elles ne permettent pas, en revanche, de déterminer le montant de l’allocation pour exercice de fonction supérieure qui leur a été octroyée, ni la date à partir de laquelle cette allocation leur a été octroyée.
Dès lors qu’aucun document ne lui a été communiqué à ce sujet, la Commission ne peut que constater que la partie adverse n’a pas répondu à la demande d’information qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995, de telle sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer la mission qui lui est dévolue.
Pour rappel, aucune exception à cette obligation de collaboration dans l’instruction du dossier n’est prévue par le décret.
Par conséquent, conformément à l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer les documents à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du même décret.
Par ces motifs, la Commission décide :
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Le recours est sans objet en tant qu’il porte sur les descriptifs de fonction des fonctions exercées par la partie requérante et les agents visés par la demande.
Pour le surplus, le recours est fondé.
La partie adverse communique à la partie requérante les documents suivants :
- La copie du dossier administratif personnel électronique de la partie requérante en occultant, dans le document intitulé « délibé nomination », les noms, prénoms et adresses des lauréats, hormis les informations concernant la partie requérante ;
- Les décisions du collège communal de la commune de Trooz procédant aux désignations dans des fonctions supérieures des trois agents visés depuis le mois de janvier 2022 jusqu’à ce jour ;
- La copie intégrale du dossier administratif personnel de la partie requérante ne se présentant pas sous forme électronique ;
- Les décisions du collège communal et/ou du conseil communal de la commune de Trooz procédant aux désignations dans des fonctions supérieures des trois agents visés par la demande pour l’année 2021 ;
- tout document permettant d’établir le montant de l’allocation pour exercice de fonction supérieure qui est octroyée aux trois agents visés par la demande, ainsi que la date à partir de laquelle l’allocation leur a été octroyée.