ASBL communale – Procès-verbal – Jugement – Listes d'acquéreurs et de montants – Documents administratifs non transmis – Vie privée – Avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel – Obligation de secret instaurée par la loi ou le décret – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
L’asbl pluricommunale Sportissimo,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 8 octobre 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse par courrier recommandé le 10 octobre 2023 et par courriel le 18 octobre 2023 et reçue le 18 octobre 2023,
Vu la réponse de la partie adverse du 2 novembre 2023.
- Objet de la demande
- La demande porte sur la communication d’une copie des documents suivants :
« 1. Pv de tous les AG de Sportissimo PDF ;
2. Copie du jugement attribuant les responsabilités partagées ainsi que les motivations ;
3. Liste des éventuels acquéreurs du terrain mis en vente cet été ainsi que les montants proposés ;
4. Date de la prochaine AG ainsi que l’ordre du jour ».
- Compétence de la Commission
- La Commission est compétente pour connaître du recours.
- Recevabilité du recours
- L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
Conformément à l’article L3211-3 du CDLD, les dispositions précitées s’appliquent aux associations communales, dont la partie adverse.
- La demande a été adressée à la partie adverse le 6 septembre 2023.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 6 octobre 2023, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours le 8 octobre 2023, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du même décret, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
- Examen au fond
- La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
Préambule :
- La Commission souligne que la partie adverse n’a pas transmis la copie des documents administratifs sollicités par la partie requérante en méconnaissance de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995. Dans ces conditions, la Commission n’est pas en mesure d’apprécier de manière concrète la pertinence des exceptions invoquées au regard des circonstances de l’espèce.
La Commission, ses membres et son secrétariat sont par ailleurs soumis au secret professionnel visé à l’article 458 du Code pénal, compte tenu de la nature des missions de la Commission, ce qui a été confirmé par la Cour constitutionnelle[1].
Il s’ensuit que la partie adverse doit communiquer les documents demandés à la partie requérante, sous réserve des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et à l’article L3231-3 du CDLD, en ce compris les précisions qui suivent.
Sur le premier objet de la demande :
- Concernant le premier objet de la demande relatif à la demande de communication de tous les procès-verbaux de l’assemblée générale de l’ASBL Sportissimo, la partie adverse invoque plusieurs exceptions.
- La première exception invoquée est relative à un avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, du CDLD.
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
2° Concerne un avis ou une opinion communiqués librement et à titre confidentiel à l’autorité ; […] ».
La Commission rappelle que l’exception visée à l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, du CDLD est facultative et est soumise au respect de conditions cumulatives d’interprétation stricte. Il ressort ainsi d’une jurisprudence constante de la Commission que seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ; que l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’entité, en l’absence de toute obligation légale ; que l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’entité ; que la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitante à la communication de l’avis ou de l’opinion ; enfin, que l’avis ou l’opinion doit émaner de tiers, à l’exclusion donc des fonctionnaires ou préposés de l’entité.
Comme déjà exposé, faute pour la partie adverse d’avoir répondu à la demande d’informations qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995 en adressant les documents administratifs sollicités, la Commission n’est pas en mesure d’exercer la mission qui lui est dévolue.
Dans ce contexte, la Commission décide que la communication des documents demandés doit être assurée conformément aux enseignements qui précèdent.
En tout état de cause, s’il devait y avoir des passages qui répondent à l’exception dans ces procès-verbaux, il appartient alors à la partie adverse de les occulter, sans pouvoir pour autant refuser tout accès à ces documents.
- La partie adverse invoque également les exceptions prévues par l’article L1561-6, alinéa 3, 1°, 2° et 3°, du CDLD.
Cet article prévoit que « l’intercommunale rejette une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif si la publication du document porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf si la personne concernée a préalablement donné son accord par écrit à la consultation ou à la communication sous forme de copie ;
2° à une obligation de secret instaurée par la loi ou le décret ;
3° au caractère par nature confidentiel des informations d’entreprises ou de fabrication communiquées à l’intercommunale ».
S’agissant en l’espèce d’une asbl pluricommunale, il y a lieu d’avoir égard à l’article 6 du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD.
La partie adverse explique qu’à titre d’exemple, la situation comptable exposée dans « le procès-verbal de l’assemblée générale du 19 juin 2023 » est couverte par « le "secret commercial" dans la mesure où elle fait part de données précises sur les finances de [la partie adverse] et notamment sur son chiffre d’affaires et sa comptabilité ». Elle rajoute que « ce même procès-verbal fait également part d’informations confidentielles relatives au litige judiciaire que [la partie requérante] a eu avec des tiers ainsi que de données à caractère personnel (notamment les nom et prénom du comptable de [la partie adverse]) ». De plus, elle indique que « […] est plusieurs fois intervenue en sa qualité de conseil aux termes de réunions de l’assemblée générale de [la partie adverse] de sorte que son avis est susceptible d’être repris dans plusieurs procès-verbaux de l’assemblée générale. Or, les conseils juridiques de l’avocat sont confidentiels puisqu’ils sont couverts par le secret professionnel ».
Tenant compte de ce qui précède, les documents sollicités doivent être communiqués. En tout état de cause, l’exception est invoquée de manière générale pour justifier le refus de communiquer tout procès-verbal, alors que si des éléments couverts par un éventuel secret commercial ou par une éventuelle confidentialité pourraient justifier qu’ils soient occultés, ils ne pourraient justifier l’absence de toute communication.
- La partie adverse soutient que les procès-verbaux de l’assemblée générale contiendraient des éléments confidentiels, couverts par le secret d’affaires.
La protection du secret d’affaires est assurée par les articles XI.332/1 et suivants du Code de droit économique, tandis que l’article I.17/1, 1°, du même Code définit cette notion comme suit :
« (…) secret d’affaires : information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
Le secret d’affaires protège notamment « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise »[2].
Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, « peuvent contenir des informations relevant du secret des affaires, les offres déposées dans le cadre de la procédure d’attribution du marché litigieux ou d’un marché antérieur, ainsi que les documents établis dans le cadre des échanges ultérieurs entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires, relatifs soit à des demandes de précisions et aux réponses apportées à celles-ci, soit à l’invitation à déposer de nouvelles offres et à la suite réservée à celle-ci, particulièrement, […] dans le cadre d’une procédure négociée au cours de laquelle des offres améliorées ont pu être déposées à la suite de négociations »[3].
La Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé les contours du secret d’affaires et la manière avec laquelle les autorités doivent procéder à la balance des intérêts en présence[4].
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
Une nouvelle fois, les documents sollicités doivent être communiqués dans le respect de ce qui précède, le cas échéant en occultant les éléments couverts par le secret d’affaires.
- La partie adverse invoque également, bien qu’implicitement, l’exception relative à la vie privée prévue prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
La Commission rappelle toutefois que toutes les données à caractère personnel au sens du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ne relève pas de la vie privée au sens de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. De manière constante, la Commission considère que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficie pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
En l’espèce, la partie adverse doit communiquer les documents à la partie requérante, moyennant le respect de l’exception relative à la vie privée.
- Enfin, la partie adverse invoque l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ;
[…] ».
A toutes fins utiles, la Commission relève que des correspondances entre une entité et son conseil dans une affaire déterminée peuvent contenir des informations devant être soustraites à la publicité, au regard du secret professionnel de l’avocat[5].
En l’espèce, la partie adverse doit communiquer les documents à la partie requérante, moyennant le respect de l’exception prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
Sur le deuxième objet de la demande :
- Cet objet de la demande est relatif à la copie d’un jugement attribuant les responsabilités partagées ainsi que les motivations. La partie adverse invoque l’exception relative à la demande formulée de façon manifestement trop vague visée à l’article L1561-6, alinéa 1er, 2°, du CDLD. S’agissant en l’espèce d’une asbl pluricommunale, il y a lieu d’avoir égard à l’article L3231-3, alinéa 1er, 4°, du CDLD. Elle explique que la demande est manifestement imprécise en ce que la partie requérante ne précise pas ce qu’il veut dire par « un jugement attribuant les responsabilités partagées » et les « motivations » ni quelles parties sont visées par ce jugement ainsi que la juridiction. La partie adverse indique disposer uniquement d’un jugement mais qui n’attribue pas de responsabilités partagées et les motivations.
Sur le troisième objet de la demande :
- Concernant le troisième objet du recours, soit la « liste des éventuels acquéreurs du terrain mis en vente cet été ainsi que les montants proposés », la partie adverse expose que la procédure de vente a été annulée et relancée compte tenu de l’absence d’offre conforme.
En outre, la partie adverse conteste l’intérêt du requérant à obtenir la liste souhaitée, étant donné que « la première procédure de mise en vente du terrain n’a pas abouti et qu’une nouvelle procédure de mise en vente du terrain est en cours ».
La partie adverse soulève l’exception prévue par l’article 6, § 3, 2°, du décret du 30 mars 1995 et l’article L3231-3, alinéa 1er, 1°, du CDLD, permettent à une autorité de rejeter une demande de communication dans la mesure où la demande « concerne un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet ». Selon elle, les montants proposés pourraient être « source de méprise ou de malentendu puisque aucune offre conforme n’a été déposée ».
Pour pouvoir être soustrait à la publicité, le document doit répondre à deux conditions cumulatives : être inachevé ou incomplet, d’une part, et être source de méprise ou malentendu, d’autre part. Il appartient à l’autorité administrative de motiver in concreto en quoi le document qu’elle refuse de transmettre rencontre ces deux conditions.
En l’espèce, le fait que la première procédure de mise en vente n’a « pas été suivie d’offre conforme » et n’a pas abouti ne confère pas pour autant au document un caractère inachevé et incomplet.
Partant, ce document, pour autant qu’il existe, doit être communiqué.
Sur le quatrième objet de la demande :
- Concernant le quatrième objet de la demande relatif à la date de la prochaine assemblée générale et à son ordre du jour, la partie adverse explique que :
Dans le même ordre d’idées, l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale ne peut pas être communiqué à [la partie requérante] compte tenu de son caractère confidentiel.
Sans aucune reconnaissance préjudiciable, [la partie adverse] tient toutefois à préciser qu’elle organise au minimum deux assemblées générales par an conformément à l’article 17 de ses statuts : (…).
Il ressort en effet de ses statuts qu’une première assemblée générale se tient durant le premier semestre et au plus tard le 30 juin et qu’une deuxième assemblée générale se tient durant le second semestre et au plus tard le 31 décembre (ou le premier lundi du mois de décembre de l’année des élections communales) ».
La Commission constate que le quatrième objet de la demande ne porte pas sur une demande de consultation, d’explication, de communication sous forme de copie d’un document administratif au sens de l’article 4, § 1er, du décret du 30 mars 1995.
Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième objet de la demande.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement fondé.
La partie adverse communique à la partie requérante les documents visés aux termes des premier et troisième objets de la demande, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et à l’article L3231-3 du CDLD, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.