[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Société publique de Gestion de l’Eau (en abrégé « SPGE »),
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu les articles 1er, alinéa 1er, et 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article 3, § 1er, 31°, du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public,
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 3 décembre 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 5 décembre 2023 et reçue le 6 décembre 2023,
Vu la réponse de la partie adverse du 20 décembre 2023.
I. Objet de la demande
1. La demande initiale de publicité passive auprès de la partie adverse porte sur la communication d’une copie du dossier administratif relatif à la construction d’une station de pompage et d’un collecteur d’eaux usées sur les parcelles de terrain que la partie adverse a acquise en 2018 dans le domaine du Bonsoy, à Hastière, le long de la Meuse.
La partie requérante précise que « seul le volet administratif portant sur les analyses cadastrales, notariales, juridiques, de propriétés, d’indemnisation du/des propriétaire(s), etc emporte [son] intérêt », sachant qu’elle dit ne pas avoir « d’intérêt dans les aspects purement techniques relatifs à la station de pompage en elle-même ni dans les plans d’exécution ».
La partie requérante souhaite donc obtenir la copie de « l’ensemble des documents en possession de la [partie adverse] relatif à ces sujets (dossiers, analyses, études, rapports, courriers/courriels échangés, actes notariés, etc) ».
2. L’objet du présent recours coïncide avec la demande de publicité précitée.
La partie requérante a également saisi la Commission de recours pour le droit d’accès à l’information environnementale (CRAIE) d’un recours ayant le même objet.
II. Compétence de la Commission
3. L'article 2, § 1er, du décret du 30 mars 1995 dispose :
« Le présent décret ne s'applique pas aux informations environnementales définies à l'article D.6., 11°, du Livre 1er du Code de l'Environnement ».
Selon l’article D.6, 11°, du livre Ier du Code de l’Environnement, la notion d’« information environnementale » est définie comme étant :
« toute information, détenue par une autorité publique ou pour son compte, disponible sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle, concernant :
a. l'état des éléments de l'environnement, tels que l'air et l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages et les sites naturels, y compris les biotopes humides, les zones côtières et marines, la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, ainsi que l'interaction entre ces éléments ;
b. des facteurs, tels que les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements ou les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets dans l'environnement, qui ont ou sont susceptibles d'avoir des incidences sur les éléments de l'environnement visés au point a. ;
c. les mesures, y compris les mesures administratives, telles que les politiques, les dispositions législatives, les plans, les programmes, les accords environnementaux et les activités ayant ou susceptibles d'avoir des incidences sur les éléments et les facteurs visés aux points a. et b., ainsi que les mesures ou activités destinées à protéger ces éléments ;
d. les rapports sur l'application de la législation environnementale ;
e. les analyses coûts-avantages et autres analyses et hypothèses économiques utilisées dans le cadre des mesures et activités visées au point c. ;
f. l'état de la santé humaine, la sécurité, y compris, le cas échéant, la contamination de la chaîne alimentaire, le cadre de vie, le patrimoine, pour autant qu'ils soient ou puissent être altérés par l'état des éléments de l'environnement visés au point a., ou, par l'intermédiaire de ces éléments, par l'un des facteurs, mesures ou activités visés aux points b. et c. ; ».
Ainsi, en vertu de l’article D.6, 11°, c., du livre Ier du Code de l’Environnement, la notion d’« information environnementale » couvre toute information détenue par une autorité publique, concernant les mesures et les activités ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement ou destinées à protéger celui-ci[1].
Lorsque les documents ou informations faisant l’objet du recours constituent des informations environnementales telles que définies par l’article D.6, 11°, du livre Ier du Code de l’Environnement, la Commission n’est pas compétente et seule la Commission de recours pour le droit d’accès à l’information environnementale (CRAIE) est susceptible d’être compétente. Il ressort, en effet, des travaux parlementaires que l’intention des auteurs de l’avant-projet devenu le Code de l’Environnement est établie en ce sens que l’application des textes généraux relatifs à la publicité de l’administration (notamment pour les pouvoirs locaux) ne s’étend pas aux matières environnementales[2].
Cette exclusion de la compétence de la Commission au bénéfice de la CRAIE a été renforcée par le décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs de la Région wallonne, lequel a complété l’article 2, § 1er, du décret du 30 mars 1995 par un second alinéa rédigé comme suit :
« La commission de recours visée à l'article D.20.3, § 1er, du Livre 1er du Code de l'Environnement est chargée de l'application du présent décret pour les documents administratifs dans les recours qu'elle a à connaitre au titre de la procédure de rectification et de recours prévue au sein de la Section 3, du Chapitre II, du Titre 1er, de la Partie III du même Code ».
À ce sujet, les travaux parlementaires précisent :
« Concrètement, cela signifie dès lors que : d’une part, si une personne demande à se voir communiquer un élément de nature non-environnementale présent dans un document de nature environnementale et que celui-ci introduit un recours devant la CADA, celle-ci devra inviter ladite personne à introduire son recours non pas devant la CADA mais devant la CRAIE ; d’autre part, lors de ce recours, la CRAIE aura potentiellement à connaitre des demandes de ladite personne traitant d’informations environnementales (matière réglée par le Code de l’Environnement) et des demandes de cette même personne traitant d’informations non-environnementales réglées par le présent décret »[3],[4].
4. En l’espèce, si la vente des terrains litigieux est intervenue dans le cadre du projet de construction d’une station de pompage et un collecteur d’eaux usées, lequel projet relève en tant que tel d’une information environnementale au sens de l’article D.6, 11°, du livre Ier du Code de l’Environnement, il reste que le requérant circonscrit sa demande de publicité administrative au seul « volet administratif » du projet, portant sur « les analyses cadastrales, notariales, juridiques, de propriétés, d’indemnisation du/des propriétaire(s), etc ». Ces documents administratifs ne consistent pas, par eux-mêmes, en une information environnementale.
La Commission ne doit pas, par effet d’absorption de la qualification d’informations environnementales du projet de construction d’une station de pompage et un collecteur d’eaux usées, se déclarer incompétente quant à l’objet du présent recours.
Dès lors, l’objet du recours relève bien de la compétence de la Commission.
III. Recevabilité du recours
5. La demande a été adressée à la partie adverse le 4 novembre 2023.
La partie adverse a explicitement rejeté cette demande le 28 novembre 2023.
La partie requérante a introduit son recours le 3 décembre 2023, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7.La partie adverse explique que la demande « porte sur la communication de documents qui contiennent des données à caractère personnel ». Elle fait valoir que ces données sont protégées par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et qu’« aucune base de traitement ne permet à [la partie adverse] de les communiquer ».
Il ressort des explications fournies par la partie adverse que celle-ci entend soulever l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité administrative de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
La Commission rappelle toutefois que toutes les données à caractère personnel au sens du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ne relèvent pas de la vie privée au sens de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
Il ressort de la jurisprudence de la Commission[5] renvoyant à la jurisprudence du Conseil d’Etat, que « la propriété immobilière […] est établie par des registres publics – la conservation des hypothèques – et reprise dans les informations, publiques elles aussi, de l’administration du cadastre ; que les titres de propriété sont accessibles au public et ne sont pas couverts par le droit au respect de la vie privée »[6].
La Commission n’aperçoit pas dans l’argumentation de la partie adverse quelles autres informations seraient susceptibles de rentrer dans la notion de vie privée au sens de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’exception est donc rejetée.
8.La partie adverse invoque également l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ;
[…] ».
La partie adverse soulève cette exception en se référant à la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, en faisant valoir que les documents administratifs dont il est demandé la communication contiennent des données à caractère personnel.
La partie adverse ne précise toutefois pas quelles informations ressortant des documents administratifs, autres que celles visées sous le point 7, pourraient être qualifiées de données à caractère personnel au sens de la loi du 30 juillet 2018, en sorte que cette exception doit être rejetée pour les raisons exposées sous le point 7.
9.La Commission n’aperçoit pas quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication des documents concernés ou pour en restreindre davantage la communication.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voir en ce sens : CRAIE, décision n° 1240 du 21 juin 2022.
[2] Voir en ce sens : CADA, décisions n° 101 et n° 104 du 11 janvier 2021, et n° 118 du 1 er mars 2021.
[3] Décret du 2 mai 2019 modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de la Région wallonne, amendements, Doc., Parl. w., 2018-2019, n°1075/11, p. 3.
[4] Voir en ce sens : CADA, décision n° 211 du 9 novembre 2021.
[5] CADA, avis n° 233 du 15 octobre 2018.
[6] C.E., arrêts n° 239.399, 239.400, 239.401, 239.402, 239.402, 239.403 et 239.404 du 13 octobre 2017. Voy. également l’avis n° 2018-64 du 4 juin 2018 de la CADA fédérale.