En cause:
la demande de suspension partielle du décret de la Région wallonne du 9 mars 2023 « relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique », introduite par l'ASBL « Recupel » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 5 octobre 2023 et parvenue au greffe le 10 octobre 2023, une demande de suspension partielle du décret de la Région wallonne du 9 mars 2023 « relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique » (publié au Moniteur belge du 31 juillet 2023; erratum au Moniteur belge du 25 octobre 2023) a été introduite par l'ASBL « Recupel », l'ASBL « Bebat », l'ASBL « Recytyre », l'ASBL « Techlink », l'ASBL « Agoria », l'ASBL « Traxio », l'ASBL « Groupement professionnel belge des Importateurs et Concessionnaires d'Usines d'Outillage », l'ASBL « Fédération Belge des Fournisseurs de Machines, Bâtiments et Equipements et services connexes pour l'Agriculture et les Espaces verts » et la SA « Sortbat », assistées et représentées par Me D. Lagasse, avocat au barreau de Bruxelles.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l'annulation partielle du même décret.
Par ordonnance du 18 octobre 2023, la Cour a fixé l'audience pour les débats sur la demande de suspension au 22 novembre 2023, après avoir invité les autorités visées à l'article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 16 novembre 2023 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d'un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes, ainsi qu'au greffe de la Cour par courriel, à l'adresse « griffie@const-court.be ».
Des observations écrites ont été introduites par :
- la SA « Signify Belgium », la SA « TP Vision Belgium », la SA « BSH Home Appliances », la SA « Miele » et la SRL « Bebat PRO », assistées et représentées par Me D. Lagasse (parties intervenantes);
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me J.-F. Cartuyvels, avocat au barreau du Luxembourg.
À l'audience publique du 22 novembre 2023 :
- ont comparu :
. Me D. Lagasse et Me S. Perin, avocate au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes et les parties intervenantes;
. Me J.-F. Cartuyvels, pour le Gouvernement wallon;
- les juges-rapporteurs M. Plovie et W. Verrijdt ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II En droit
A Argument
Quant à la recevabilité de la demande de suspension et de l'intervention
A.1.1. Les trois premières parties requérantes sont des ASBL qui assument, pour le compte des producteurs qui leur sont affiliés, la mise en œuvre de la responsabilité élargie des producteurs en matière de gestion des déchets. Elles exposent qu'elles sont actives sur l'ensemble du territoire belge. Les quatrième à huitième parties requérantes sont des ASBL qui défendent les intérêts collectifs des producteurs assumant une responsabilité élargie en ce qui concerne la gestion des déchets. La neuvième partie requérante est une société anonyme qui a été créée par la deuxième partie requérante pour gérer une usine de tri de certains déchets.
A.1.2. Les quatre premières parties intervenantes sont des sociétés anonymes, productrices d'équipements électriques et électroniques (EEE), soumises à la responsabilité élargie des producteurs en matière de déchets. Moyennant le versement de cotisations, elles ont confié à la première partie requérante la mise en œuvre de leurs obligations. La cinquième partie intervenante est une société à responsabilité limitée, filiale de la deuxième partie requérante, via laquelle cette dernière exerce des activités opérationnelles.
Quant à la demande de suspension fondée sur l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle
A.2.1.1. À titre principal, les parties requérantes demandent la suspension de l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret de la Région wallonne du 9 mars 2023 « relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique » (ci-après : le décret du 9 mars 2023), en application de l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour Constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989). Elles rappellent que la Cour, par son arrêt n° 37/2018 du 22 mars 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.037), a annulé l'article 79 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 « modifiant le Code de l'Environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement » (ci-après : le décret du 23 juin 2016), en ce qu'il insérait dans le décret du 27 juin 1996 « relatif aux déchets » (ci-après : le décret du 27 juin 1996) un article 8bis, § 1er, alinéa 1er, lequel renvoyait à la définition du producteur donnée par l'article 2, 20°bis, du décret de la Région wallonne du 27 juin 1996. Elles exposent que la Cour a annulé cette disposition parce que cette dernière permettait au Gouvernement wallon de mettre en place des régimes de responsabilité élargie des producteurs sans avoir préalablement conclu avec les autres régions un accord de coopération portant sur la définition de la notion de producteur, alors que le marché des produits est de nature transrégionale, ce qui implique une cohérence entre les critères délimitant la compétence territoriale de chaque région. Elles ajoutent que, par son arrêt n° 163/2020 du 17 décembre 2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.163), la Cour a annulé l'article 76, 1°, du décret-programme de la Région wallonne du 17 juillet 2018 « portant des mesures diverses en matière d'emploi, de formation, d'économie, d'industrie, de recherche, d'innovation, de numérique, d'environnement, de transition écologique, d'aménagement du territoire, de travaux publics, de mobilité et de transports, d'énergie, de climat, de politique aéroportuaire, de tourisme, d'agriculture, de nature, de forêt, des pouvoirs locaux et de logement », au motif que le législateur décrétal wallon avait défini la notion de producteur soumis à la responsabilité élargie, sans se concerter préalablement avec les deux autres régions.
Les parties requérantes font valoir que, bien que l'article attaqué ne soit identique ni à l'article 79 du décret du 23 juin 2016 ni à l'article 2, 20°bis, du décret du 27 juin 1996, il adopte une définition du producteur soumis à la responsabilité élargie des producteurs, sans qu'un accord de coopération ait été conclu avec les autres régions. Elles en déduisent que cet article est similaire à l'article 8bis, § 1er, alinéa 1er, inséré dans le décret du 27 juin 1996 par l'article 79 du décret du 23 juin 2016, et qu'il est entaché de la même inconstitutionnalité. Elles considèrent en effet que, dans les deux cas, ce ne sont pas les termes de la définition du producteur qui posent problème, mais la circonstance que le législateur décrétal a adopté cette définition sans qu'un accord de coopération ait été préalablement conclu avec les deux autres régions. Elles en déduisent que le législateur décrétal a méconnu l'autorité de la chose jugée des arrêts de la Cour nos 37/2018 et 163/2020.
Elles indiquent que la suspension par la Cour de l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret du 9 mars 2023 permettrait de rendre inapplicable l'entièreté du titre 2 de ce décret.
A.2.1.2. Les parties intervenantes soutiennent cette demande de suspension.
A.2.2. Le Gouvernement wallon ne conteste pas que la Cour, par les arrêts nos 37/2018 et 163/2020 précités, a déjà annulé des dispositions similaires à celles dont la suspension est demandée. Il convient que, dans ces deux arrêts, la Cour a jugé que le législateur décrétal ne pouvait pas adopter un régime de responsabilité élargie des producteurs sans avoir préalablement conclu un accord de coopération interrégional définissant la notion de producteur, et il renvoie aussi à l'avis rendu par la section de législation du Conseil d'État sur les dispositions attaquées, qui rappelle l'obligation pour la Région d'envisager la définition du « producteur soumis à la responsabilité élargie des producteurs » en concertation avec les législateurs des autres régions.
A.2.3. Le Gouvernement wallon fait valoir qu'au moment de l'adoption du décret du 9 mars 2023, un accord de coopération portant sur la définition du « producteur soumis à la responsabilité élargie des producteurs » était en cours de négociation avec les deux autres régions. Il indique que, le 20 juillet 2023, il a approuvé en deuxième lecture le projet d'accord de coopération interrégional « concernant le cadre de la responsabilité élargie des
producteurs pour certains flux de déchets et pour les déchets sauvages » et que ce texte a été transmis pour avis à la section de législation du Conseil d'État. Il indique que l'avis est attendu pour le 21 novembre 2023.
A.2.4. Le Gouvernement wallon ne conteste pas l'obligation qui lui incombe d'adopter la définition du « producteur » en concertation avec les législateurs des deux autres régions. Il expose que les définitions des dispositions attaquées sont identiques aux définitions contenues dans le projet d'accord de coopération précité. Il fait valoir que l'adoption du décret du 9 mars 2023 et la négociation du projet d'accord de coopération ont évolué en parallèle et il observe que les législateurs régionaux ne disposent que d'une marge de manœuvre limitée, dès lors que les définitions concernées sont largement déterminées par le droit européen. À cet égard, il fait valoir que les définitions attaquées sont, à l'évidence, conformes au droit européen.
A.2.5. Reconnaissant que le décret du 9 mars 2023 anticipe la conclusion de l'accord de coopération précité, le Gouvernement wallon s'en réfère à la sagesse de la Cour quant à l'application de l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Il fait cependant valoir qu'eu égard à la marge de manœuvre réduite dont disposent les entités fédérées pour transposer les définitions européennes en droit interne, le décret du 9 mars 2023, en anticipant la conclusion de l'accord de coopération pour se conformer immédiatement au droit européen, ne constituerait qu'une violation limitée du principe de la loyauté fédérale et uniquement dans l'hypothèse où cet accord comporterait des définitions différentes de celles qui figurent dans les dispositions attaquées.
B Point de vue de la cour
Quant à la demande de suspension
B.1.1. À titre principal, les parties requérantes demandent la suspension de l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret de la Région wallonne du 9 mars 2023 « relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique » (ci-après : le décret du 9 mars 2023). Cette demande de suspension est fondée sur l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989).
À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent la suspension des articles 123, § 1er, 24° à 28°, 127, § 1er, 128, § 2, 129, § 1er, 132, § 1er, 137, § 1er, 138, § 1er, 6° et 7°, 140, 159, 2°, 160, 1° et 9°, 204, 39°, 269 et 271, § 1er, du décret du 9 mars 2023. Cette demande de suspension est fondée sur l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
B.1.2. Les parties requérantes affirment que la suspension de l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret du 9 mars 2023, qu'elles demandent à titre principal, permettrait de rendre inapplicable l'entièreté du titre 2 de ce décret. Le Gouvernement wallon ne contredit pas cette affirmation.
Quant au titre 2 du décret du 9 mars 2023
B.2.1. Le décret du 9 mars 2023 abroge et remplace le décret de la Région wallonne du 27 juin 1996 « relatif aux déchets » (ci-après : le décret du 27 juin 1996), afin de moderniser la législation de la Région wallonne en matière de droit des déchets et d'intégrer dans la législation décrétale wallonne les nombreuses dispositions de droit européen qui ont été adoptées en cette matière (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1180/1, p. 4). Le titre 2 du décret du 9 mars 2023 réforme le système de la responsabilité élargie des producteurs de produits, lequel trouve son origine dans la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 « relative aux déchets et abrogeant certaines directives », modifiée par la directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 « modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets ».
B.2.2. Le régime de la responsabilité élargie des producteurs de produits est constitué d'un « ensemble de mesures prises pour veiller à ce que les producteurs de produits assument la responsabilité financière ou la responsabilité financière et organisationnelle de la gestion de la phase ‘ déchets ' du cycle de vie d'un produit » (article 123, § 1er, 1°, du décret du 9 mars 2023). Ce régime s'applique à l'égard des déchets énumérés à l'article 121, § 2, du décret du 9 mars 2023, dont les déchets d'équipements électriques et électroniques (EEE), les déchets de piles et accumulateurs et les véhicules hors d'usage. Ce régime impose un certain nombre d'obligations aux producteurs de produits visés.
Conformément à l'article 127, § 2, du décret du 9 mars 2023, le producteur peut soit remplir ses obligations lui-même, via un plan stratégique individuel, soit faire exécuter ses obligations via « un organisme agréé en matière de responsabilité élargie des producteurs de produits par l'administration ou par le Gouvernement sur recours administratif, conformément au chapitre 2, section 5, et au chapitre 5, du [titre 2] et leurs mesures d'exécution, et auquel il a adhéré, auquel cas il est réputé satisfaire à ses obligations dès et tant qu'il établit avoir contracté avec ledit organisme agréé directement ou par l'intermédiaire d'une personne habilitée à le représenter ».
Quant à la demande de suspension à titre principal
En ce qui concerne la disposition attaquée
B.3. La demande de suspension à titre principal vise l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret du 9 mars 2023. L'article 123 contient les définitions qui sont spécifiques au titre 2 du décret.
Les 24° à 28° du paragraphe 1er de cet article définissent :
« 24° le ‘ producteur de produits ' : toute personne visée aux 25°, 26°, 27° ou 28° selon le régime de responsabilité élargie des producteurs de produits concerné;
25° le ‘ producteur d'EEE ' : toute personne physique ou morale qui, quelle que soit la technique de vente utilisée, y compris par vente à distance conformément aux dispositions de l'article I.8, 15°, du Code de droit économique :
est établie sur le territoire belge et fabrique des EEE sous son propre nom ou sa propre marque, ou fait concevoir ou fabriquer des EEE, et les commercialise sous son propre nom ou sa propre marque sur le territoire belge;
est établie sur le territoire belge et y revend, sous son propre nom ou sa propre marque, des équipements produits par d'autres fournisseurs, le revendeur ne devant pas être considéré comme ‘ producteur ' lorsque la marque du producteur figure sur l'équipement conformément au point a);
est établie sur le territoire belge et met sur le marché belge, à titre professionnel, des EEE provenant d'un pays tiers; ou;
est établie en dehors du territoire belge et vend des EEE, par vente à distance au sens de l'article I.8, 15°, du Code de droit économique, directement ou par le biais d'une place de marché en ligne, aux ménages privés ou à d'autres utilisateurs que des ménages privés en Belgique;
26° le ‘ producteur de piles ou d'accumulateurs ' : toute personne qui, indépendamment de la technique de vente utilisée, y compris les techniques de vente à distance conformément aux dispositions de l'article I.8, 15°, du Code de droit économique, met des piles ou des accumulateurs, y compris ceux qui sont intégrés dans des appareils ou des véhicules, sur le marché pour la première fois sur le territoire belge à titre professionnel, que ce soit ou non pour son propre usage;
27° le ‘ producteur de véhicules ' : le constructeur d'un véhicule ou l'importateur professionnel d'un véhicule sur le territoire belge;
28° le ‘ producteur d'autres produits ' : toute personne physique ou morale qui, quelle que soit la technique de vente, y compris par vente à distance au sens de l'article I.8, 15°, du Code de droit économique :
est établie sur le territoire belge et fabrique un produit autre que visé aux 5° à 7° sous son propre nom ou sa propre marque, ou le fait concevoir ou fabriquer et le commercialise sous son propre nom ou sa propre marque sur le territoire belge;
est établie sur le territoire belge et y revend, sous son propre nom ou sa propre marque, un produit autre que visé aux 5° à 7° fabriqué par d'autres fournisseurs, le revendeur ne devant pas être considéré comme producteur lorsque la marque du producteur figure sur ledit produit, conformément au point a);
est établie sur le territoire belge et met sur le marché, à titre professionnel, un produit autre que visé aux 5° à 7° provenant d'un pays tiers;
est établie sur le territoire belge et fabrique ou importe un produit autre que visé aux 5° à 7° et l'affecte à son propre usage, à titre professionnel sur le territoire belge; ou;
est établie en dehors du territoire belge et vend un produit autre que visé aux 5° à 7° par une technique de vente à distance au sens de l'article I.8, 15°, du Code de droit économique, directement ou par l'intermédiaire d'une place de marché en ligne aux ménages privés ou à des utilisateurs autres que les ménages privés sur le territoire belge ».
En ce qui concerne les conditions de la suspension
B.4.1. Les parties requérantes fondent leur demande de suspension sur l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, qui dispose :
« Sans préjudice de l'article 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et de l'article 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, la suspension ne peut être décidée que :
[...]
2° si un recours est exercé contre une norme identique ou similaire à une norme déjà annulée par la Cour constitutionnelle et qui a été adoptée par le même législateur ».
B.4.2. L'amendement qui a abouti à l'ajout, par la loi spéciale du 9 mars 2003, des mots « ou similaire » dans le texte de l'article 20, 2°, était ainsi motivé :
« Cette modification vise à renforcer l'autorité des arrêts de la Cour, en rendant une suspension aussi possible lorsqu'une instance législative tente de se soustraire à cette autorité en édictant de nouvelles normes, qui, s'il est vrai qu'elles ont été légèrement modifiées, ne permettent toujours pas, sur le fond, de lever les objections qui ont conduit la Cour d'arbitrage à prendre un précédent arrêt d'annulation. En pareil cas, il n'y a aucune raison d'exclure la procédure de suspension, ce que l'on faisait jusqu'à présent, en raison de la rigidité de la formulation de l'article 20 » (Doc. parl., Sénat, 2001-2002, n° 2-897/4, p. 10).
B.4.3. Lorsque la suspension est demandée sur la base de l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour ne doit examiner ni le caractère sérieux des moyens ni l'existence d'un risque de préjudice grave difficilement réparable, mais elle doit rechercher si la disposition attaquée est identique ou similaire à une disposition prise par le même législateur et précédemment annulée par la Cour.
En ce qui concerne le caractère identique ou similaire aux normes annulées de la norme attaquée
B.5.1. Par son arrêt n° 37/2018 du 22 mars 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.037), la Cour a annulé l'article 79 du décret de la Région wallonne du 23 juin 2016 « modifiant le Code de l'environnement, le Code de l'Eau et divers décrets en matière de déchets et de permis d'environnement », en ce qu'il insérait l'article 8bis, § 1er, alinéa 1er, dans le décret de la Région wallonne du 27 juin 1996.
L'article 8bis, § 1er, alinéa 1er, du décret du 27 juin 1996 annulé par la Cour disposait :
« Le Gouvernement peut soumettre au régime de la responsabilité élargie des producteurs les personnes visées à l'article 2, 20° [lire : 20°bis], qui mettent sur le marché en Wallonie des biens, produits ou matières premières ».
B.5.2. Par cet arrêt, la Cour a jugé :
« B.9.1. Il résulte de la combinaison de la disposition attaquée avec l'article 2, 20°bis, du décret du 27 juin 1996 que la responsabilité élargie des producteurs instituée par le décret attaqué s'impose à ‘ toute personne physique ou morale qui fabrique ou importe un produit sous sa propre marque ou non et soit l'affecte à son usage propre au sein de ses établissements industriels ou commerciaux, soit le met sur le marché wallon, quelle que soit la technique de vente utilisée, à distance ou non ', et à toute ‘ personne physique ou morale qui revend des produits fabriqués par d'autres fournisseurs sous sa propre marque ', dès le moment où elles mettent sur le marché wallon des biens, produits ou matières premières.
B.9.2. Agissant dans le cadre de la compétence en matière de déchets qui lui est attribuée par l'article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, le législateur décrétal est compétent pour assurer la transposition des directives européennes précitées relatives à la gestion de certains flux de déchets pour lesquels existe une obligation de reprise devant être mise à charge des producteurs. Il lui revient, dans ce cadre, de déterminer avec précision quelles sont les personnes soumises à la responsabilité élargie des producteurs qui doivent être considérées comme responsables pour la reprise des déchets concernés.
B.10.1. L'article 10 de la directive 2006/66/CE précitée et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2012/19/UE précitée établissent chacun des objectifs à atteindre annuellement par les Etats membres en termes de pourcentage de, respectivement, piles et accumulateurs usagés et déchets d'équipements électriques et électroniques qui doivent être collectés par rapport aux produits correspondants mis sur le marché de chaque Etat membre.
B.10.2. Compte tenu du fait qu'il n'y a pas de sous-marchés régionaux pour les produits visés, que les taux de collecte imposés par les directives européennes doivent être atteints sur l'ensemble du territoire belge et que l'obligation de reprise doit s'imposer à tous les producteurs, il apparaît inévitable que les régions adoptent de manière concertée des définitions de la personne, considérée comme le producteur, responsable de la collecte et du traitement de tout équipement électrique ou électronique et de toute pile ou de tout accumulateur mis sur le marché belge, de sorte que les obligations afférentes à tout déchet soumis à la responsabilité élargie du producteur soient prises en charge par une personne désignée comme en étant le producteur responsable. Il en va d'autant plus ainsi que la responsabilité élargie du producteur peut également comporter une obligation financière, sous la forme de cotisations payées à l'éco- organisme auquel le producteur s'est affilié. Dès lors que, sous réserve de ce qui sera examiné ci-après, les régions sont compétentes pour prendre des dispositions réglant notamment le financement de l'obligation des producteurs et le calcul des cotisations payées aux éco- organismes assurant cette obligation, il s'indique que toute situation relevant de la législation décrétale relative aux déchets soumis à l'obligation de reprise soit réglée par un seul législateur régional, ce qui implique que les critères permettant de délimiter la compétence territoriale de chacun d'eux soient cohérents entre eux.
B.10.3. L'adoption par le législateur décrétal de la Région wallonne, sans concertation préalable avec les législateurs des autres régions, d'une définition du producteur soumis à la responsabilité élargie, dans la mesure où elle risque de gêner la réalisation par l'Etat belge des objectifs qui lui sont imposés par l'Union européenne, viole le principe de loyauté fédérale
garanti par l'article 143, § 1er, de la Constitution, combiné avec les dispositions invoquées au moyen ».
B.6.1. Par son arrêt n° 163/2020 du 17 décembre 2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.163), la Cour a annulé l'article 76, 1°, du décret-programme de la Région wallonne du 17 juillet 2018 « portant des mesures diverses en matière d'emploi, de formation, d'économie, d'industrie, de recherche, d'innovation, de numérique, d'environnement, de transition écologique, d'aménagement du territoire, de travaux publics, de mobilité et de transports, d'énergie, de climat, de politique aéroportuaire, de tourisme, d'agriculture, de nature, de forêt, des pouvoirs locaux et de logement ».
L'article 76, 1°, du décret-programme du 17 juillet 2018 annulé par la Cour insérait, à l'article 8bis, § 1er, du décret du 27 juin 1996, un alinéa 1er rédigé comme suit :
« Le Gouvernement peut mettre en place des régimes de responsabilité élargie des producteurs ».
B.6.2. Par cet arrêt, la Cour, se référant à l'arrêt n° 37/2018 précité, a jugé :
« B.9. La disposition attaquée habilite le Gouvernement wallon à mettre en place des régimes de responsabilité élargie des producteurs en ce qui concerne des déchets qui sont également soumis ou susceptibles d'être soumis à un tel régime de responsabilité élargie du producteur dans les autres régions. Dans ces circonstances, indépendamment de toute norme spécifique du droit de l'Union imposant des objectifs en termes de taux de collecte de déchets par État membre, il s'impose que les régions adoptent de manière concertée des définitions de la notion de ‘ producteur ', de sorte que toute situation relevant de la législation décrétale relative aux déchets soumis à la responsabilité élargie du producteur soit réglée par un seul législateur régional et que toutes les obligations, notamment financières, afférentes à tout déchet soumis à la responsabilité élargie du producteur soient prises en charge par une seule personne désignée comme étant le producteur responsable.
B.10. Pour les motifs précités, ainsi que pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés dans l'arrêt de la Cour n° 37/2018, cité en B.7, le moyen unique est fondé ».
B.7.1. La disposition attaquée a pour objet de définir la notion de « producteur soumis à la responsabilité élargie des producteurs de produits » en matière de gestion des déchets. Comme la Cour l'a jugé par les deux arrêts précités, le respect de la loyauté fédérale imposé
par l'article 143, § 1er, de la Constitution implique que les régions doivent adopter ces définitions de manière concertée, afin que toute situation relevant de la législation décrétale relative aux déchets soumis à la responsabilité élargie des producteurs soit réglée par un seul législateur régional et que toutes les obligations, notamment financières, afférentes à tout déchet soumis à la responsabilité élargie des producteurs soient prises en charge par une seule personne désignée comme étant le producteur responsable.
B.7.2. Il n'apparaît pas que le projet qui a abouti au décret du 9 mars 2023 ait été transmis aux deux autres régions en vue d'une concertation et que ces régions aient eu la possibilité d'adopter une position au sujet des définitions qu'il contient. S'il ressort de l'avis de la section de législation du Conseil d'État et des explications du Gouvernement wallon que des négociations avec les deux autres régions en vue de conclure un accord de coopération portant, entre autres, sur la définition de la notion de « producteur de produits soumis à la responsabilité élargie des producteurs de produits » étaient en cours au moment de la procédure législative qui a abouti à l'adoption du décret du 9 mars 2023, cet accord de coopération n'avait pas encore, au moment de l'adoption du décret, été signé et, a fortiori, il n'avait pas reçu les assentiments parlementaires. Il en résulte que l'on ne saurait considérer que la disposition attaquée a été adoptée après qu'une concertation avec les deux autres régions a eu lieu au sujet de la définition du « producteur soumis à la responsabilité élargie des producteurs de produits ».
B.8. La disposition attaquée peut donc être considérée comme similaire, au sens de l'article 20, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, aux dispositions annulées par les arrêts nos 37/2018 et 163/2020, dès lors qu'elle a le même objet que ces dispositions et qu'elle est entachée du même vice d'inconstitutionnalité que celui qui a été constaté par la Cour à deux reprises, dans les arrêts précités.
B.9.1. La demande de suspension à titre principal est fondée. Il y a lieu de suspendre l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret du 9 mars 2023.
B.9.2. En conséquence, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de suspension à titre subsidiaire.
Décision
Par ces motifs,
la Cour
suspend l'article 123, § 1er, 24° à 28°, du décret de la Région wallonne du 9 mars 2023 « relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique ».
NDLR : COMMUNIQUE DE PRESSE