20 février 2024 -
CADA - Décision n° 380 : OTW – Procès-verbal de carence – Vie privée – Secret d'affaires – Recevabilité partielle – Communication
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OTW – Procès-verbal de carence – Vie privée – Secret d'affaires – Recevabilité partielle – Communication
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
L’Opérateur de Transport de Wallonie (en abrégé « OTW »),
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article 3, § 1er, 19°, du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public,
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel et courrier recommandé le 29 décembre 2023,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 3 janvier 2024 et reçue le 4 janvier 2024,
Vu la réponse de la partie adverse en date du 18 janvier 2024.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie des « procès-verbaux de carence établis et notifiés au transporteur en charge du circuit […] en date des 16 octobre, 21 novembre, 27 novembre et 11 décembre 2023 (pour l’année scolaire en cours), en raison des manquements à la continuité des services ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article 8
bis, alinéa 1
er, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« Le recours devant la Commission peut être introduit par tout demandeur n'ayant pas obtenu satisfaction auprès de l'entité compétente par requête adressée au secrétariat de la Commission par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de trente jours, qui en fonction du cas prend effet :
- le lendemain de la réception de la décision de rejet ;
- le lendemain de l'expiration du délai visé à l'article 6, § 5, ou à l'article 7, alinéa 2 ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 1
er décembre 2023.
La partie adverse a explicitement rejeté cette demande par un courrier daté du 20 décembre 2023.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 29 décembre 2023, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995.
Dès lors, le recours est recevable ratione temporis.
5. La demande initiale portait sur l’obtention d’une copie « des procès-verbaux de carence dressés à charge de l’entreprise ».
A l’occasion de son recours devant la Commission, la partie requérante sollicite, outre les procès-verbaux de carence précités, l’obtention « des éventuels courriers d’observations transmis par le transporteur en réponse auxdits procès-verbaux dès lors qu’ils en constituent le complément indispensable ».
La demande initiale de publicité passive auprès de la partie adverse ne portait pas sur l’obtention d’une copie de ces éventuels courriers d’observations. Or, il ne relève pas de la compétence de la Commission de statuer sur une demande nouvelle de publicité administrative.
Il s’ensuit que le présent recours n’est pas recevable en tant qu’il porte sur ces documents.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C’est le principe consacré à l’article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l’un des motifs d’exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n’est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d’accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7. La Commission constate que la partie adverse a répondu à la demande d’informations qui lui a été adressée en application de l’article 8
ter, alinéa 1
er, du décret du 30 mars 1995, par une note d’observations mais n’a pas communiqué les documents dont la publicité est sollicitée de telle sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer, en pleine connaissance de cause, la mission qui lui est dévolue.
Dans ces conditions, la Commission ne peut que se limiter à des appréciations générales au regard des seuls éléments portés à sa connaissance.
8. En l’espèce, la partie adverse invoque l’exception relative à « la vie privée du transporteur », prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que la communication des procès-verbaux de carence est susceptible de porter atteinte aux aspects de la « vie privée du transporteur » suivants : « (i) le droit à la confidentialité des informations relatives à l’exécution de ses conventions commerciales; (ii) le droit à la protection de sa réputation professionnelle et commerciale; (iii) le droit à la confidentialité de ses correspondances; (iv) le droit à la préservation de ses données dans le cadre de l’évaluation administrative de ses manquements d’exécution ».
9. Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
10. Le secret d’affaires
est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
Selon la jurisprudence du Conseil d’État, « peuvent contenir des informations relevant du secret des affaires, les offres déposées dans le cadre de la procédure d’attribution du marché litigieux ou d’un marché antérieur, ainsi que les documents établis dans le cadre des échanges ultérieurs entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires, relatifs soit à des demandes de précisions et aux réponses apportées à celles-ci, soit à l’invitation à déposer de nouvelles offres et à la suite réservée à celle-ci, particulièrement, […] dans le cadre d’une procédure négociée au cours de laquelle des offres améliorées ont pu être déposées à la suite de négociations »[1].
La Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé les contours du secret d’affaires et la manière avec laquelle les autorités doivent procéder à la balance des intérêts en présence[2].
Spécifiquement en matière de marchés publics, il est prévu des règles de confidentialité applicables au pouvoir adjudicateur à l'article 13, § 2, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, qui prévoit :
« § 2. Sans préjudice des obligations en matière de publicité concernant les marchés publics attribués et l'information des candidats, des participants et des soumissionnaires, l'adjudicateur ne divulgue pas les renseignements que l'opérateur économique lui a communiqué à titre confidentiel, y compris, les éventuels secrets techniques ou commerciaux et les aspects confidentiels de l'offre. Il en est de même pour toute personne qui, en raison de ses fonctions ou des missions qui lui ont été confiées, a connaissance de tels renseignements confidentiels ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
11. La Commission estime utile de préciser que le seul fait que les documents demandés aient trait à un marché public n’implique pas, en soi, qu’ils contiennent nécessairement des informations couvertes par l’exception relative au secret des affaires. Il convient en effet d’examiner, au cas par cas, si les documents en question contiennent ou non des informations susceptibles de relever de cette notion.
12. Concernant le droit à la protection de la réputation professionnelle et commerciale de l’adjudicataire, la Commission constate que, contrairement à ce qu’affirme la partie adverse, la Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas tranché la question de savoir si la notion de vie privée garantie à l’article 8 de la Convention protège ou non la réputation d’une personne morale [3]. Ce faisant, la partie adverse ne peut trouver un argument dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour refuser l’accès aux documents administratifs concernés.
13. La partie adverse invoque encore le secret de la correspondance, tant en ce qui la concerne qu’en ce qui concerne l’adjudicataire.
A cet égard, la Commission a déjà estimé que le secret des lettres n’est pas absolu et doit être lu au regard du droit fondamental que constitue le droit d’accès aux documents administratifs, consacré par l’article 32 de la Constitution[4]. A défaut de disposer des pièces concernées, la Commission n’est pas en mesure de déterminer si le respect du secret des lettres s’oppose à la communication des documents.
14. Enfin, concernant les arguments relatifs au « droit à la préservation de ses données dans le cadre de l’évaluation administrative de ses manquements d’exécution », la Commission n’aperçoit à première vue pas en quoi cet argument se rapporte à l’une des exceptions limitativement énumérées par le décret du 30 mars 1995. Ce constat est cependant effectué sous l’importante réserve liée au fait que la Commission n’a pas eu accès aux documents sollicités et ne peut donc confronter cet argument à leur contenu.
15. En l’espèce, la partie adverse doit donc communiquer les documents sollicités sous ces réserves et moyennant le respect des exceptions reprises à l’article 6 du décret du 30 mars 1995.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement recevable.
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, pour autant qu’ils existent et moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] C.E., arrêt S.A. REALDOLMEN et consorts, n° 235.748 du 13 septembre 2016.
[2] C.J.U.E., 17 novembre 2022, C-54/21, Antea Polska S.A. e.a.
[3] Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, mis à jour au 31.08.2023, p. 63, § 219, disponible sur https://ks.echr.coe.int/documents/d/echr-ks/guide_art_8_fre
[4] CADA Wallonne, décision n° 18 du 11 janvier 2021.