En cause de : |
Madame … et Monsieur … ayant pour conseils Maîtres … et .. Requérants |
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Contre : |
la ville de Charleroi Place Charles II, 14-15 6000 CHARLEROI Partie adverse |
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Vu la requête du 1er septembre 2023, réceptionnée en date du 4 septembre 2023, par laquelle les requérants ont introduit le recours prévu à l’article D.20.6 du livre Ier du code de l’environnement, contre la décision de la partie adverse de leur réclamer le paiement d’un montant de 287,10 euros pour la délivrance d’une copie du dossier de demande de permis unique ayant pour objet la démolition de l’ancien théâtre et des bâtiments voisins, la reconstruction d’un nouveau théâtre, la construction d’atelier et résidence artistique, l’aménagement d’une place publique et l’exploitation d’un théâtre composé de deux salles de spectacle, rue de Montigny à Charleroi ;
Vu l’accusé de réception de la requête du 6 septembre 2023 ;
Vu la notification de la requête à la partie adverse en date du 6 septembre 2023 ;
Vu la décision de la Commission du 28 septembre 2023 prolongeant le délai pour statuer ;
- Les faits de la cause et l’objet du recours
Considérant que les requérants ont demandé à la partie adverse de leur communiquer une copie, sous format électronique, du dossier de demande de permis unique ayant pour objet la démolition de l’ancien théâtre et des bâtiments voisins, la reconstruction d’un nouveau théâtre, la construction d’atelier et résidence artistique, l’aménagement d’une place publique et l’exploitation d’un théâtre composé de deux salles de spectacle, rue de Montigny à Charleroi ;
Considérant que, le 18 août 2023, la partie adverse a indiqué aux requérants qu’elle leur enverra le dossier via un lien WeTransfer lorsqu’ils lui auront payé la somme de 287,10 euros, justifiée comme suit :
« • Frais de recherches = 25,00 €
- A4 : 206 X 0,15 € = 30,90 €
- A3 : 236 X 0,70 € = 165,20 €
- Plans : 66 X 1,00 € = 66,00 € » ;
Considérant qu’il est constant que, ce faisant, la partie adverse a entendu faire application de l’article 3 du règlement de la ville de Charleroi du 30 septembre 2019 établissant, pour les exercices 2020 à 2025, une redevance communale sur la délivrance de copies de documents, laquelle disposition est rédigée comme suit :
« La redevance est fixée sur la base des frais réellement engagés, avec les minima forfaitaires suivants :
- 0,15 euros par page pour les copies ou les numérisations de documents de format A4,
- 0,70 euros par page pour les copies ou les numérisations de documents de format A3,
- 0,62 euros par page pour les copies ou les numérisations en couleur de documents de format A4,
- 1,04 euros par page pour les copies ou les numérisations en couleur de documents de format A3,
- 1,00 euro du m² pour les copies ou les numérisations de plans,
- 10,00 euros du m² pour les contre-clichés.
Toute demande de copie introduite auprès de la Cellule d'Accès aux Documents Administratifs de la Ville de Charleroi donne lieu à la perception d'une redevance pour les travaux administratifs liés à la recherche de 25 euros par heure entamée.
Les frais éventuels d'affranchissement de la correspondance pour l'envoi des copies seront facturés au prix réel (basés sur l’évolution des prix des services postaux). » ;
Considérant qu’il ressort de la requête, d’une part, que les requérants ont d’ores et déjà déboursé la somme mentionnée par la partie adverse, et ce afin de pouvoir rédiger une réclamation circonstanciée dans le cadre de l’enquête publique sur la demande de permis unique précitée et, d’autre part, qu’ils ont reçu via WeTransfer le dossier qu’ils avaient sollicité ;
Considérant que les requérants contestent cependant le montant qui leur a été réclamé ; qu’ils estiment qu’en leur réclamant ce montant, la partie adverse méconnaît la disposition qui, à l’article D.13, alinéa 3, du livre Ier du code de l’environnement, prévoit que « [l]e prix éventuellement réclamé pour la délivrance d’une information environnementale ne peut dépasser le coût du support de l’information et de sa communication » ; que c’est pour ce motif - et uniquement pour ce motif - qu’ils introduisent le présent recours ; que, comme ils l’indiquent dans la requête, celle-ci vise donc à obtenir le remboursement de la somme réclamée par la partie adverse ;
- Les frais de numérisation ou de copie
Considérant que, dans la requête, les requérants contestent le fait que la partie adverse leur réclame le paiement de frais de numérisation - couvrant les documents A4 et A3 et les plans figurant dans le dossier de demande de permis unique - pour un montant total de 262,10 euros ;
Considérant qu’à l’appui de cette critique, ils soutiennent que l’envoi du dossier de demande de permis unique par voie électronique n’a engendré aucun frais dans le chef de la partie adverse ; qu’ils expliquent à ce sujet que les services de la partie adverse n’ont pas dû procéder à une numérisation particulière du dossier pour pouvoir leur envoyer celui-ci, dès lors que le demandeur de permis avait déjà préalablement réalisé lui-même ladite numérisation ; qu’ils ajoutent que, « même à considérer qu’une numérisation du dossier litigieux a effectivement été réalisée - quod non -, celle-ci n’a été réalisée qu’une seule fois », de sorte que « le coût de numérisation ne peut, en tout état de cause, pas être répercuté sur l’ensemble des demandeurs d’accès à cette information environnementale » ; que, par ailleurs, ils relèvent qu’en l’espèce, le recours au site WeTransfer pour la communication du dossier a pu se faire gratuitement ;
Considérant qu’après l’introduction du recours, dans un courrier du 11 septembre 2023 adressé aux conseils des requérants, la partie adverse leur a indiqué qu’ « [a]près étude de [leur] requête et consultation de [ses] juristes, il a été décidé que les frais de copie seraient remboursés intégralement » ;
Considérant que, dans un courriel du 25 septembre 2023, les requérants ont, par la voie de leurs conseils, signalé à la Commission qu’ils avaient bien reçu le remboursement des frais de copie pour un montant de 262,10 € ;
Considérant qu’en conséquence, sur ce point, le recours est devenu sans objet ;
III. Les frais de recherches
- Exposé des thèses en présence
- Considérant que, dans la requête, les requérants estiment que le tarif de 25 euros par heure entamée, retenu pour fixer le montant de la redevance due au titre de frais de recherches, n’est pas admissible au regard de l’article D.13, alinéa 3, du livre Ier du code de l’environnement ;
Considérant qu’ils se prévalent à cet égard d’une décision par laquelle la Commission a, à propos d’une disposition d’un règlement de la ville de Liège au contenu analogue à celui de l’article 3, alinéa 2, du règlement dont la partie adverse se prévaut dans la présente affaire, critiqué le caractère forfaitaire d’un tel tarif, dans lequel il n’est pas fait de distinction selon que la recherche à réaliser ne demande pas plus que quelques instants ou quelques minutes ou requiert près d’une heure [1] ; que, selon les requérants, « l’on ne perçoit pas les motifs susceptibles de justifier, en l’espèce, de grandes recherches dans les archives et/ou dans le serveur dans la mesure où le dossier était soumis à enquête publique durant la période du 30 juillet 2023 au 30 août 2023, de sorte que celui-ci était facilement accessible » ; qu’« [a]utrement dit, la communication du dossier litigieux n’a manifestement pas sollicité près d’une heure de recherches, à tout le moins quelques minutes [2] » ;
Considérant que, par ailleurs, en se fondant sur la même décision de la Commission, les requérants jugent « incontestable que ce montant de 25€, qui a été ajouté aux frais de numérisation des documents (frais qui ne se justifient pas – cf. ci-avant), est particulièrement dissuasif et de nature à limiter le droit d’accès à l’information et ne peut donc être tenu pour raisonnable » ;
- Considérant que, dans le courrier qu’elle a adressé aux conseils des requérants le 11 septembre 2023, la partie adverse écrit ceci :
« Concernant la redevance forfaitaire de 25€ fixée dans le règlement communal et portée à la connaissance des demandeurs au moment de la signature du formulaire CADAC, elle est maintenue.
Votre argumentaire se fonde sur la décision de la CRAIE (n°1142 du 11 mai 2021) traitant un cas similaire (Ville de Liège). Toutefois, cette décision ne semble pas transposable au cas d'espèce. Qu'importe l'accessibilité du dossier eu égard à la récente enquête publique, il n'appartient pas aux demandeurs d'en estimer le temps de recherche. Il s'agit de frais forfaitaires (tel n'était pas le cas dans la décision de la CRAIE).
Par ailleurs, s'il n'est plus additionné aux frais de copies, le montant de 25€ n'est en rien dissuasif ou de nature à limiter l'accès à l'information. » ;
- Considérant que, dans un courriel du 18 septembre 2023, les requérants ont, par la voie de leurs conseils, indiqué à la Commission qu’ils maintiennent le recours en ce qui concerne le montant des frais de recherches réclamés par la ville de Charleroi ;
- Examen
- Considérant que l’article D.13, alinéa 3, du livre Ier du code de l’environnement, que les requérants estiment être méconnu dans la présente affaire, tend à mettre en œuvre l’article 6, § 8, de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et ratifiée par la Belgique, suivant lequel « chaque Partie peut autoriser les autorités publiques qui fournissent des informations à percevoir un droit pour ce service mais ce droit ne doit pas dépasser un montant raisonnable » ; que la disposition précitée du livre Ier du code de l’environnement vise aussi à transposer l’article 5, § 2, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, en vertu duquel « les autorités publiques peuvent subordonner la mise à disposition des informations environnementales au paiement d’une redevance, pourvu que son montant n’excède pas un montant raisonnable » ;
Considérant qu’il ressort du préambule de la directive 2003/4/CE que l’article 5, § 2, de celle-ci « implique que, en principe, les redevances ne peuvent excéder les coûts réels de production du matériel en question » (considérant 18 du préambule) ; que, de même, l’exposé des motifs du projet devenu le décret du 16 mars 2006 - lequel a inséré dans le livre Ier du code de l’environnement la version actuelle de l’article D.13, alinéa 3 - précise que l’intention du législateur régional wallon a été de garantir que le prix éventuellement réclamé par l’autorité publique pour la délivrance de copies ne puisse dépasser « le coût réel de production du matériel en question » (Doc. Parl. wallon, sess. 2005-2006, n° 309/1, page 8) ;
Considérant que, dans un arrêt du 6 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que « les coûts relatifs à la « mise à disposition » d’informations environnementales, qui sont exigibles sur le fondement de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/4, englobent non seulement les frais postaux et de photocopie, mais également les coûts imputables au temps passé par le personnel de l’autorité publique concernée pour répondre à une demande d’informations individuelle, ce qui comprend, notamment, le temps pour chercher les informations en question et pour les mettre dans le format demandé » ; que. par contre, selon le même arrêt, « les frais engendrés par la tenue d’une base de données qui est utilisée par l’autorité publique afin de répondre aux demandes d’informations environnementales ne peuvent pas être pris en considération lors du calcul d’une redevance pour la « mise à disposition » d’informations environnementales » ; qu’en ce qui concerne l’exigence selon laquelle le montant de la redevance réclamée par l’autorité publique ne peut excéder un montant raisonnable, le même arrêt a souligné qu’il convenait « d’exclure toute interprétation de la notion de « montant raisonnable » susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les personnes souhaitant obtenir des informations ou de limiter le droit d’accès à celles-ci » (C-71/14, East Sussex County Council c/Information Commissioner) ;
Considérant qu’il incombe à la Commission, au vu et en tenant compte de ce qui précède, de s’assurer que les frais réclamés pour la mise à disposition d’informations environnementales déterminées ne dépassent pas le coût réel de production du matériel en question et n’excèdent pas un montant raisonnable ;
- Considérant que, dans une décision prise le même jour que la décision, relative à un règlement de la ville de Liège, dont les requérants font état, la Commission a déjà eu à examiner la validité de l’article 3, alinéa 2, du règlement dont la partie adverse se prévaut dans la présente affaire, au regard des dispositions à respecter pour déterminer le montant des frais au paiement desquels les autorités publiques peuvent subordonner la mise à disposition d’informations environnementales ; qu’à cette occasion, la Commission s’est prononcée comme suit :
« Considérant qu’en ce qui concerne le montant de 25 € réclamé au titre de frais de recherche, le préambule du règlement communal du 30 septembre 2019, auquel la partie adverse s’est référée dans la note d’observations qu’elle a adressée à la Commission le 14 avril 2021 et dans un courriel qu’elle a adressé à celle-ci le 3 mai 2021, comporte les indications suivantes :
‘Considérant que les demandes de copies de documents nécessitent des travaux administratifs particuliers, notamment des recherches dans les archives ou auprès de différents services de la Ville ;
Que ces prestations sortent du cadre habituel des services rendus par la commune ;
Qu’il convient dès lors de récupérer les frais engagés par la commune lors de ces demandes ;
Considérant qu’un tarif de 25 € par heure entamée semble dès lors raisonnable ;
Considérant que, vu la situation financière de la Ville de Charleroi, il convient […] de fixer une redevance pour les travaux administratifs liés notamment à la recherche des documents dont il est demandé copie’ ;
Considérant qu’il convient de constater que, pour l’application du tarif prévu par le règlement communal, il n’est pas fait de distinction selon que la recherche à réaliser ne demande pas plus que quelques instants ou quelques minutes ou requiert près d’une heure ; que, de ce fait, ledit tarif présente, pour une part non négligeable, un caractère forfaitaire ; qu’il ne tient pas suffisamment compte du temps réellement passé pour effectuer une recherche déterminée ; que les explications figurant dans le préambule du règlement communal, et auxquelles s’est référée la partie adverse pour justifier l’application, en l’espèce, du tarif prévu par le règlement, sont extrêmement générales ; qu’elles ne suffisent pas à justifier concrètement qu’un montant de 25 € soit réclamé au titre de la recherche qu’implique le traitement de la demande d’information de la partie requérante ;
Considérant que la Commission ne peut donc faire application du règlement communal sur ce point sans méconnaître les dispositions à respecter pour déterminer le montant des frais au paiement desquels les autorités publiques peuvent subordonner la mise à disposition d’informations environnementales, spécialement l’article 5, § 2, de la directive 2003/4/CE ; que, pour éviter toute critique au regard du droit européen, la Commission se doit de respecter et de faire respecter les obligations qu’il impose, en écartant des dispositions de droit interne - en l’occurrence des dispositions d’un règlement communal - qui y sont contraires (voir sur ce point la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’arrêt du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103/88, Rec., p. 1839) ; que la circonstance, invoquée par la partie adverse dans sa note d’observations, que le règlement communal a été approuvé par les autorités de tutelle est, à cet égard, indifférente » [3] ;
Considérant que la Commission confirme cette analyse pour l’application de l’article 3, alinéa 2, du règlement communal du 30 septembre 2019 dans la présente affaire ;
Considérant que le caractère forfaitaire des frais de recherches, qu’invoque la partie adverse pour soutenir qu’il n’y aurait pas lieu de tenir compte du temps de recherche dont elle a eu besoin pour avoir accès au dossier litigieux, est précisément l’un des éléments qui contribuent à rendre la disposition précitée dudit règlement critiquable au regard des dispositions à respecter pour déterminer le montant des frais au paiement desquels les autorités publiques peuvent subordonner la mise à disposition d’informations environnementales ;
Considérant qu’en l’espèce, l’application du tarif forfaitaire fixé par la partie adverse est d’autant plus critiquable qu’il ne peut être raisonnablement soutenu que la partie adverse a dû faire d’importantes recherches pour avoir accès au dossier dont les requérants ont sollicité une copie, dès lors que, comme elle le reconnaît elle-même, ledit dossier faisait l’objet, au moment de la demande d’information, d’une « récente enquête publique » et que, de ce fait, le temps de recherche dont elle a eu besoin pour avoir accès au dossier en question n’a raisonnablement pu dépasser quelques minutes tout au plus ;
Considérant, au vu de ce qui précède, que le montant de 25 euros réclamé aux requérants excède le montant raisonnable dû pour couvrir le coût réel des frais de recherche du dossier litigieux ;
Considérant que, si la partie adverse estime qu’il y a lieu de réclamer des frais de recherches aux requérants, il lui appartiendra de fixer le montant raisonnable dû à cette fin, en se limitant bien entendu aux frais liés à la seule recherche du dossier concerné ;
PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION DECIDE :
Article 1er : Il n’y a plus lieu de statuer sur le recours en tant qu’il visait à obtenir le remboursement des frais de numérisation ou de copie, d’un montant de 262,10 euros, dont la partie adverse a demandé le paiement aux requérants le 18 août 2023.
Article 2 : Le recours est recevable et fondé pour le surplus.
Dans les huit jours de la notification de la présente décision, la partie adverse déterminera, en tenant compte des considérants figurant au point III.B de la motivation de la présente décision, le montant raisonnable dû pour couvrir le coût réel des frais de recherche du dossier de demande de permis unique ayant pour objet la démolition de l’ancien théâtre et des bâtiments voisins, la reconstruction d’un nouveau théâtre, la construction d’atelier et résidence artistique, l’aménagement d’une place publique et l’exploitation d’un théâtre composé de deux salles de spectacle, rue de Montigny à Charleroi, si elle estime qu’il y a lieu de réclamer ces frais aux requérants.
Dans le même délai, la partie adverse remboursera aux requérants :
- soit le montant de 25 euros dont ils se sont acquittés ;
- soit un montant égal à la différence entre le montant raisonnable déterminé conformément à l’alinéa 2 et le montant de 25 euros.
[1] Décision du 11 mai 2021, sur le recours n° 1142. La disposition du règlement de la ville de Liège à laquelle se rapporte cette décision prévoit une redevance de 25 euros par heure pour « toute recherche introduite auprès du service de gestion documentaire et archives (toute heure commencée étant due) ».
[2] Sans doute les requérants veulent-ils dire que la communication du dossier a requis tout au plus quelques minutes de recherches.
[3] Décision du 11 mai 2021, sur le recours n° 1140.