11 avril 2024 -
CADA - Décision n° 398 : Région wallonne – Rapport d'enquête psychosociale – Avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel – Obligation de secret instaurée par la loi ou le décret – Communication d'office
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Région wallonne – Rapport d'enquête psychosociale – Avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel – Obligation de secret instaurée par la loi ou le décret – Communication d'office
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Région wallonne, le Service Public de Wallonie, Mobilité et Infrastructures, Département des Voies hydrauliques de Tournai et de Mons, Direction des Voies hydrauliques de Mons,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu les articles 1er, alinéa 1er, et 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 26 février 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 27 février 2024 et reçue le 28 février 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 13 mars 2024.
I. Objet de la demande
1. La demande initiale porte sur la communication d’une copie du rapport de l’enquête psychosociale réalisée en 2022 concernant la partie requérante « ainsi que ses conclusions ».
Dans le cadre de son recours devant la Commission, la partie requérante ne sollicite plus que la copie du rapport de l’enquête psychosociale réalisée en 2022.
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article 8
bis, alinéa 1
er, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« Le recours devant la Commission peut être introduit par tout demandeur n'ayant pas obtenu satisfaction auprès de l'entité compétente par requête adressée au secrétariat de la Commission par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de trente jours, qui en fonction du cas prend effet :
- le lendemain de la réception de la décision de rejet ;
- le lendemain de l'expiration du délai visé à l'article 6, § 5, ou à l'article 7, alinéa 2 ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 2 février 202
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 7 février 2024.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 26 février 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995.
Dès lors, le recours est recevable.
5. Selon l’article 1
er, alinéa 2, 3°, du décret du 30 mars 1995, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ».
En l’espèce, la partie adverse ne conteste pas que la partie requérante justifie de l’intérêt requis pour obtenir la communication du document à caractère personnel visé dans la demande, dans la mesure où elle a été mise en cause dans l’enquête psychosociale et est donc concernée.
Dès lors, le recours est recevable pour ce point.
6. Cependant, la reconnaissance de l’intérêt du demandeur n’emporte toutefois pas automatiquement la reconnaissance d’un droit dans son chef d’accéder au document à caractère personnel sollicité. En effet, les exceptions prévues par le décret peuvent s’appliquer même si l’intérêt du demandeur est démontré.
IV. Examen au fond
7. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
8. Dans sa réponse, la partie adverse explique que « l‘analyse de risques psychosociaux (ADR) est régie par le Code du Bien-Être au travail. Cette ADR a été confiée à […]. Le contenu de l’étude appartient à celle-ci et le rapport réalisé est confidentiel ». Elle ajoute que la « conseillère en prévention pour les aspects psychosociaux et la psychologue qui a réalisé l’étude sont tenues par le secret professionnel ».
Elle explique que « cette analyse a été sollicitée, conformément à l’article I.3-4 du Code du bien-être au travail, par le SPW MI à la demande des organisations syndicales pour étudier la complexité de la situation de travail du Canal du Centre historique suite aux "dangers détectés" et ce, pour l’ensemble du personnel ».
Elle reproduit l’article I.3-5 du Code du Bien-être au travail, lequel dispose que :
« Suite à l'analyse des risques visée à l'article I.3-4, l'employeur prend dans la situation de travail spécifique, dans la mesure où il a un impact sur le danger, les mesures de prévention collectives et individuelles appropriées.
Ces mesures sont prises conformément à l'article I.2-7.
Lorsque le conseiller en prévention aspects psychosociaux a été associé à l'analyse, l'employeur demande son avis avant de prendre ces mesures.
Il communique au demandeur, aux conseillers en prévention concernés par les mesures et à toutes les autres personnes qu'il juge utile les résultats de l'analyse visée à l'article I.3-4 et sa décision quant aux mesures. Les résultats de l'analyse des risques ne contiennent que des données anonymes ».
La partie adverse indique que « concernant les personnes à qui l’employeur doit communiquer les résultats et la forme sous laquelle les résultats sont communiqués, voici des précisions du SPF ETCS :
"Il s’agit des personnes qui sont réellement confrontées au danger, par exemple les travailleurs et les membres de la ligne hiérarchique du service, qui ont participé à l’analyse. L’objectif de la communication est d’opérer un feed-back de l’analyse aux personnes qui sont réellement confrontées au danger pour leur permettre de comprendre la situation et de participer positivement à la mise en œuvre des mesures. Seules les données des résultats de l’analyse adéquates, pertinentes et non excessives au regard de cette finalité devront leur être transmises". "Pour les autres destinataires (conseilleurs en prévention, personnes jugées utiles, ligne hiérarchique) la forme est laissée à l’appréciation de l’employeur" ».
Elle poursuit en précisant que « les recommandations émises par la psychologue au travers de son rapport ont été traduites au sein d’un plan d’actions. Celui-ci a fait l’objet d’une concertation syndicale et a déjà été communiqué [à la partie requérante]. Vous trouverez copie de celui-ci en annexe. Ce plan d’actions correspond aux données des résultats de l’analyse décrites à l’article I.3-5 ».
Enfin, elle ajoute que « dans le rapport d’analyse du conseiller en prévention aspects psychosociaux transmis à l’employeur, les informations qui y sont reprises, le sont sous couvert de l’anonymat et ne visent jamais une personne mais une fonction ».
Elle conclut qu’« au regard de ces éléments, nous ne pouvons communiquer plus avant et ne pouvons transmettre copie du rapport de l’enquête psychosociale réalisée en 2022 sur le canal du centre historique ».
9. La Commission constate que la partie adverse ne lui a pas communiqué le document concerné, en sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer, en pleine connaissance de cause, la mission qui lui est dévolue.
La Commission, ses membres et son secrétariat sont, pourtant, soumis au secret professionnel visé à l’article 458 du Code pénal, compte tenu de la nature des missions de la Commission, ce qui a été confirmé par la Cour constitutionnelle[1].
Dans ce contexte, par analogie avec l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer le document concerné à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du même décret.
10. A cet égard, la Commission comprend de la réponse fournie par la partie adverse que celle-ci entend implicitement viser deux exceptions. L’invocation de ces exceptions appelle toutefois les observations suivantes.
11. La première exception porte sur l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995, lequel dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ;
[…] ».
L’application de cette exception absolue requiert la réunion de deux conditions, cumulatives[2] :
aux termes de la première condition, qui est d’ordre formel, l’obligation de secret doit être inscrite dans une loi ou un décret ;
aux termes de la seconde condition, qui est d’ordre matériel, il convient d’interroger le sens du secret imposé pour s’assurer qu’il vise la bonne situation, les bonnes personnes ou les bons documents (voire partie(s) de document). Il faut tenir compte du but visé par une disposition relative à l’obligation de secret et du fait que la disposition relative à l’obligation de secret ne s’applique que dans la mesure où il est porté atteinte à la finalité pour laquelle cette disposition relative à l’obligation de secret a été créée.
Le recours à cette exception exige donc de démontrer de manière concrète et pertinente le lien de cette obligation avec le document qui fait l’objet de la demande d’accès.
L’article 32quinquiesdecies, §1er, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail précise que « Le conseiller en prévention visé à l'article 32sexies, § 1er, et les personnes de confiance sont tenus au secret professionnel visé à l'article 458 du Code pénal ».
Les travaux préparatoires de la loi du 10 janvier 2007 modifiant plusieurs dispositions relatives au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail justifient l’existence de ce secret professionnel comme il suit :
« Le secret professionnel permet d’assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de ces fonctions. Les personnes entendues par ces intervenants ne se sentiront tout à fait libres de s’exprimer que si elles sont assurées que ce qui sera dit ne sera pas révélé à l’employeur ou à d’autres personnes. L’exercice de ces fonctions ne peut se concevoir sans l’établissement d’un rapport de confiance. Les personnes entendues sont amenées lors des entretiens à révéler des données à caractère tout à fait personnel qui, si elles étaient révélées, risquerait de leur causer préjudice. L’objectif légal de voir régler en interne les problématiques soulevées ne saurait être atteint en l’absence de cette obligation (…) »[3].
Le secret professionnel n’est toutefois pas absolu et est restreint par de nombreuses dérogations légales et jurisprudentielles. L’article 32quinquiesdecies, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996 précitée prévoit ainsi une série d’hypothèses où les conseillers en prévention et les personnes de confiance peuvent ou se doivent de transmettre certaines informations.
Le Code du bien-être au travail comprend tous les arrêtés d'exécution de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être de travailleurs lors de l’exécution de leur travail, excepté l’arrêté royal du 25 janvier 2001 relatif aux chantiers temporaires ou mobiles. Les dispositions qu’il contient sont donc de nature réglementaire.
L’article I.3-4 du Code du bien-être au travail, sur la base duquel le rapport d’analyse des risques sollicité a été réalisé, prévoit que « dans l’hypothèse où le conseiller en prévention aspects psychosociaux est associé à l’analyse, il ne transmet à l’employeur que des données anonymes découlant des entretiens avec les travailleurs ». Cette disposition prévoit donc une transmission du rapport d’analyse des risques psychosociaux à l’employeur, lequel n’est pas soumis au secret professionnel, moyennant une anonymisation des données découlant des entretiens avec les travailleurs.
Par ailleurs, l’article I.3-5 dudit Code prévoit expressément que l’employeur communique « au demandeur, aux conseillers en prévention concernés par les mesures et à toutes les autres personnes qu’il juge utile les résultats de l’analyse visée à l’article I.3-4 et sa décision quant aux mesures », étant entendu que « les résultats de l’analyse des risques ne contiennent que des données anonymes ».
Au regard des constats qui précèdent et des explications fournies par la partie adverse et compte tenu de l’absence de communication du document demandé, il n’apparaît pas que le rapport d’analyse des risques psychosociaux sollicité devrait être soustrait, en tout ou en partie, à la demande d’accès formulée par la partie requérante sur la base de l’exception visée à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
12. La seconde exception porte sur l’exception relative à un avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel, prévue à l’article 6, § 3, 2°, du décret du 30 mars 1995 qui dispose comme il suit :
« §3. L’entité peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, dans la mesure où la demande :[…]
2° concerne un avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel à l’entité ;
[…] ».
A cet égard, la Commission rappelle que le caractère « confidentiel » d’un document ne constitue pas en soi un motif légal d’exception à la publicité de l’administration. Le fait que les documents aient été communiqués dans le cadre de la législation relative au bien-être au travail ne constitue pas non plus, en soi, une exception au droit constitutionnel d’accès aux documents administratifs[4].
L’exception visée à l’article 6, § 3, 2°, du décret du 30 mars 1995 est facultative et est soumise au respect de conditions cumulatives d’interprétation stricte. Il ressort ainsi d’une jurisprudence constante de la Commission que seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ; que l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’entité, en l’absence de toute obligation légale ; que l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’entité ; que la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitante à la communication de l’avis ou de l’opinion ; enfin, que l’avis ou l’opinion doit émaner de tiers, à l’exclusion donc des fonctionnaires ou préposés de l’entité.
En l’espèce, il ressort de la réponse fournie par la partie adverse que le rapport d’analyse des risques psychosociaux a été réalisé à la demande de la partie adverse dans un cadre légal spécifique – le Code du bien-être au travail – et que son auteur était tenu de remettre son analyse en application de l’article I.3-4 dudit Code. Le rapport d’analyse des risques sollicité ne peut donc pas être considéré comme ayant été communiqué librement et à titre confidentiel à la partie adverse par le conseiller en prévention de […] sur la base de l’exception prévue à l’article 6, § 3, 2°, du décret du 30 mars 1995[5].
Pour le surplus, les explications fournies par la partie adverse ne permettent pas à la Commission d’identifier un autre élément qui justifierait l’application de l’article 6, § 3, 2°, du décret du 30 mars 1995.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le document sollicité moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] C.C., 25 novembre 2021, n° 170/2021, B.2.8.
[2] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.
[3] Projet de loi modifiant plusieurs dispositions relatives au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail dont celles relatives à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, Doc. Parl., Chambre, 2005-2006, Doc. 51-2686/001, p. 36.
[4] CADA wallonne, décision n° 108 du 11 janvier 2021.
[5] CADA wallonne, décision n° 59 du 8 février 2022.
[2] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.
[3] Projet de loi modifiant plusieurs dispositions relatives au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail dont celles relatives à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, Doc. Parl., Chambre, 2005-2006, Doc. 51-2686/001, p. 36.
[4] CADA wallonne, décision n° 108 du 11 janvier 2021.
[5] CADA wallonne, décision n° 59 du 8 février 2022.