20 juin 2024 -
CADA - Décision n° 417 : Ville – Arrêté d'inhabitabilité – Vie privée (oui) – Document inachevé ou incomplet (non) – Demande manifestement trop vague (non) – Demande manifestement abusive (non) – Communication partielle
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Ville – Arrêté d'inhabitabilité – Vie privée (oui) – Document inachevé ou incomplet (non) – Demande manifestement trop vague (non) – Demande manifestement abusive (non) – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La ville de Soignies,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 17 avril 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 22 avril 2024 et reçue le 29 avril 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 3 mai 2024,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie numérique de « tout document reprenant les informations suivantes sur les expulsions administratives, conformément à l’article 32 de la constitution :
"- Pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023, le listing (sous tout support : écrit, vocal, visuel) des expulsions sur arrêté d’inhabitabilité pris par la commune, pour TOUS les immeubles privés et publics, y compris ceux de la société de logement, du CPAS, de la Régie communale, de la Province, du Fédéral et autres ;
- L’adresse des biens et le nom des propriétaires, tel qu’autorisé par la CADA. La CADA estime que l'identité d'un propriétaire est soumise à la publicité de l'administration : "L’identité d’un propriétaire doit donc, lorsqu’elle est demandée et que la commune en dispose, être communiquée, sans que le demandeur doive justifier d’un intérêt, légitime ou non" ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 12 mars 202
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 11 avril 2024, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 17 avril 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. En l’espèce, la partie adverse marque son accord pour la communication à la partie requérante des listings de logements ayant fait l’objet d’une expulsion administrative sur base d’un arrêté d’inhabitabilité mais, en revanche, elle « émet une objection à la communication des noms des propriétaires ».
En appui à cette objection, la partie adverse invoque diverses exceptions au droit à la publicité administrative.
6.1. Tout d’abord, elle invoque l’exception relative à la demande concernant un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1
er, 1°, du CDLD. Elle explique que « les raisons d’une situation d’insalubrité et d’expulsion sont multiples et variées. La seule exist[enc]e d’un arrêté d’inhabitabilité ne donne en rien les explications sur la situation dans son ensemble et ne permet pas de tirer des conclusions précises et fiables ».
La partie adverse se réfère à l’article L3231-3, alinéa 1er, 1°, du CDLD, qui dispose comme il suit :« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
1° Concerne un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet ; […] ».
La Commission rappelle que cette exception doit réunir deux conditions cumulatives : le document doit être inachevé ou incomplet, d’une part, et être source de méprise, d’autre part.
La Commission rappelle également que, selon sa jurisprudence, le caractère inachevé et incomplet, engendrant un risque de méprise, peut par exemple se dégager du caractère « non officiel » du document, présenté comme un instrument de travail dont toutes les conséquences ne sont pas dégagées, du caractère partiel des informations en possession de l’autorité ou encore de la présentation formelle du document qui peut être source de méprise[1].
En l’espèce, le document administratif sollicité ne peut pas être qualifié d’inachevé ou d’incomplet. En effet, il reprend un listing des logements ayant fait l’objet d’une expulsion administrative sur la base d’un arrêté d’inhabitabilité.
Partant, l’exception ne peut pas être accueillie.
6.2. La partie adverse invoque également l’exception relative au caractère manifestement abusif et répété de la demande, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1
er, 3°, du CDLD. Elle explique qu’il n’est pas « utile de détenir les noms des propriétaires dans le cadre du sujet dont [la partie requérante] souhaite faire articles et reportages ».
L’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme il suit :« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
3° est manifestement abusive ou répétée ».
La Commission rappelle qu’ « une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement de la commune. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive »[2].
Il a, par ailleurs, été jugé par le Conseil d’Etat que :
« Peut être considérée comme manifestement abusive […], la demande dont le traitement a pour conséquence de compromettre le bon fonctionnement de l’autorité qui en est saisie. Toutefois, cette exception au droit d’accès, qui est un droit fondamental, est d’interprétation stricte et l’autorité qui entend l’opposer à la demande dont elle est saisie doit la fonder sur les éléments propres au cas d’espèce et aptes à justifier concrètement le recours à cette hypothèse légale d’exception. Ces éléments doivent ressortir de la motivation formelle de la décision de refus »[3].
En l’espèce, la partie adverse ne démontre pas concrètement les raisons pour lesquelles la demande formulée par la partie requérante aurait compromis le fonctionnement de ses services.
6.3. Partant, l’exception est rejetée.
La partie adverse invoque encore l’exception relative à la demande formulée de façon manifestement trop vague, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1
er, 4°, du CDLD. Elle explique que la demande qui vise à « évoquer un "reportage et des articles" et "les marchands de sommeil" ne nous garantissent en rien le bon traitement et la bonne interprétation des données qui sont demandées ».
L’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme il suit :
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
4° est formulée de façon manifestement trop vague ».
La Commission rappelle qu’une demande formulée de façon manifestement trop vague est relative à ce qui est confus, imprécis, indécis, indéfini, indéterminé[4]. Il s’agit notamment d’une demande qu’un agent familier de la matière concernée ne parvient pas à identifier, ou d’une demande équivoque[5].
En l’espèce, la demande porte de manière précise et sans équivoque sur « le listing (sous tout support : écrit, vocal, visuel) des expulsions sur arrêté d’inhabitabilité pris par la commune pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023 ». Une telle demande ne peut être qualifiée de « manifestement trop vague », étant entendu que la partie adverse ne peut raisonnablement pas soutenir une difficulté à identifier les pièces concernées.
L’exception invoquée par la partie adverse ne peut donc pas être retenue.
La partie adverse invoque enfin l’exception relative à la vie privée prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. La partie adverse émet une objection à communiquer les « noms des propriétaires pour les bâtiments mentionnés » en faisant valoir qu’elles sont des informations à caractère personnel protégées par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données ; en abrégé « RGPD »).
Par l’arrêt n° 259.418 du 9 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, implicitement mais certainement, que les règles ressortant du RGPD s’imposent au régime de publicité administrative organisé par le décret du 30 mars 1995.
La Commission est d’avis que, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre du décret du 30 mars 1995, les règles du RGPD peuvent s’appréhender comme formant un tout indissociable avec l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret précité, sous réserve du respect de la primauté du droit européen.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
Le RGPD dispose notamment comme il suit :
« Article 4 : Définitions
Aux fins du présent règlement, on entend par: 1) “données à caractère personnel”, toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée “personne concernée”) ; est réputée être une “personne physique identifiable”, une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » ;
« Article 5 : Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel
1. Les données à caractère personnel doivent être :
a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence) ;
b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ; le traitement ultérieur à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques n’est pas considéré, conformément à l’article 89, § 1, comme incompatible avec les finalités initiales (limitation des finalités) ;
c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ;
[…]
f) traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle, à l’aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées (intégrité et confidentialité) ;
2. Le responsable du traitement est responsable du respect du paragraphe 1 et est en mesure de démontrer que celui-ci est respecté (responsabilité) » ;
« Article 6 : 1. Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
[…]
c) le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;
[…]
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Le point f) du premier alinéa ne s’applique pas au traitement effectué par les autorités publiques dans l’exécution de leurs missions.
2. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus spécifiques pour adapter l’application des règles du présent règlement pour ce qui est du traitement dans le but de respecter le paragraphe 1, points c) et e), en déterminant plus précisément les exigences spécifiques applicables au traitement ainsi que d’autres mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, y compris dans d’autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX.
[…]
4. Lorsque le traitement à une fin autre que celle pour laquelle les données ont été collectées n’est pas fondé sur le consentement de la personne concernée ou sur le droit de l’Union ou le droit d’un État membre qui constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir les objectifs visés à l’article 23, § 1, le responsable du traitement, afin de déterminer si le traitement à une autre fin est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont été initialement collectées, tient compte, entre autres :
a) de l’existence éventuelle d’un lien entre les finalités pour lesquelles les données à caractère personnel ont été collectées et les finalités du traitement ultérieur envisagé ;
b) du contexte dans lequel les données à caractère personnel ont été collectées, en particulier en ce qui concerne la relation entre les personnes concernées et le responsable du traitement ;
c) de la nature des données à caractère personnel, en particulier si le traitement porte sur des catégories particulières de données à caractère personnel, en vertu de l’article 9, ou si des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions sont traitées, en vertu de l’article 10 ;
d) des conséquences possibles du traitement ultérieur envisagé pour les personnes concernées ;
e) de l’existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation » ;
« Article 23 : Limitations
1. Le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34, ainsi qu’à l’article 5 dans la mesure où les dispositions du droit en question correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir:
[…]
i) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui ;
[…]
2. En particulier, toute mesure législative visée au paragraphe 1 contient des dispositions spécifiques relatives, au moins, le cas échéant :
a) aux finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
b) aux catégories de données à caractère personnel ;
c) à l’étendue des limitations introduites ;
d) aux garanties destinées à prévenir les abus ou l’accès ou le transfert illicites ;
e) à la détermination du responsable du traitement ou des catégories de responsables du traitement ;
f) aux durées de conservation et aux garanties applicables, en tenant compte de la nature, de la portée et des finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
g) aux risques pour les droits et libertés des personnes concernées ; et
h) au droit des personnes concernées d’être informées de la limitation, à moins que cela risque de nuire à la finalité de la limitation » ;
« Article 86 : Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l’exécution d’une mission d’intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l’Union ou au droit de l’État membre auquel est soumis l’autorité publique ou l’organisme public, afin de concilier le droit d’accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement ».
La Cour de justice de l’Union européenne juge que :
« […] les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne sont pas des prérogatives absolues ainsi que l’indique le considérant 4 du RGPD, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105] »[6].
Il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du RGPD que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
En l'espèce, la divulgation des noms des propriétaires des bâtiments mentionnés porte sur des données à caractère personnel au sens du RGPD et est de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes concernées. La Commission n'aperçoit pas en quoi le droit d'accès aux documents administratifs de la partie requérante devrait prévaloir sur la protection de la vie privée des personnes concernées, l'information sollicitée ne semblant pas présenter un intérêt particulier à ce point important pour pouvoir primer les autres intérêts en jeu.
Afin de respecter le droit à la vie privée des personnes propriétaires, il convient d’occulter toute information permettant que ces personnes soient identifiées ou identifiables.
Pour ce faire, la partie adverse doit occulter les noms et prénoms des propriétaires visés ainsi que les numéros des immeubles concernés par l’arrêté d’inhabitabilité. Les autres mentions figurant dans le document sollicité ne permettent pas, à la connaissance de la Commission, à tout un chacun d’identifier les propriétaires d’un immeuble. La partie adverse doit néanmoins le vérifier avant de transmettre le document à la partie requérante.
7. Sous réserve de ce qui précède, aucune autre exception légale ne fait obstacle à la communication du document sollicité.
8. Enfin, la partie adverse invoque l’article L3231-7 du CDLD qui dispose comme il suit :
« Les documents administratifs obtenus en application du présent livre ne peuvent être diffusés ni utilisés à des fins commerciales ».
La partie adverse semble viser l’usage que la partie requérante souhaite en faire lorsqu’elle indique que les informations sont récoltées « dans le cadre d’une étude et d’un reportage ».
La Commission rappelle qu’en vertu de l’article L3231-7 du CDLD, les documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs ne peuvent être utilisés ou diffusés à des fins commerciales. A l’appui de la décision n° 230.17 du 19 octobre 2017 de la CADA bruxelloise, la Commission a déjà précisé que si la publication sur un site internet d’un document obtenu à la suite d’une demande d’accès peut relever de la simple utilisation, non commerciale, d’un tel document, cette utilisation est toutefois limitée par le respect des droits des tiers[7]. Pour rappel, cette décision n° 230.17 du 19 octobre 2017 de la CADA bruxelloise souligne que :
« Il appartient au citoyen qui a obtenu l’accès à un tel document et qui en dispose légitimement, d’assumer la responsabilité de l’usage qu’il entend faire de ce document, notamment au regard des droits intellectuels de l’administration ou des tiers et au regard de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel »[8].
La Commission estime donc que l’utilisation de documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs relève de la responsabilité de la partie requérante, à laquelle il appartient de veiller au respect des droits des tiers, en ce compris le droit à la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel des personnes concernées. Partant, il est de principe qu’il ne peut être dénié à une partie requérante le droit à la communication de documents administratifs par des craintes quant à son utilisation finale. Toutefois, sans que cela ne constitue en soi une exception légale à la publicité administrative, il peut être fait droit à l’argumentation de la partie adverse s’il est démontré que la partie requérante a fait un usage manifestement abusif de son droit à la publicité administrative par le passé et qu’il est raisonnable de penser qu’elle entend agir dans un même sens s’il était fait à nouveau droit à sa demande.
La partie adverse ne démontre pas que la partie requérante a procédé à un tel usage abusif par le passé, en sorte que son argument n’est pas de nature à restreindre le droit de la publicité administrative de la partie requérante.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le listing des expulsions sur arrêté d’inhabitabilité pour les années 2020 à 2023 pour tous les immeubles sur son territoire, moyennant le respect de l’exception relative à la vie privée qui implique d’occulter des informations telles que les noms et les prénoms des propriétaires visés ainsi que les numéros des immeubles concernés et, le cas échéant, tout autre information permettant de rendre les propriétaires de ces immeubles identifiables, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy., notamment, les décisions n° 90 du 12 octobre 2020, n° 125 du 1er mars 2021, n° 131 et 132 du 12 avril 2021 et n° 151 du 3 mai 2021 de la CADA wallonne.
[2] Voy. avis n° 199 du 18 juin 2018 de la CADA wallonne.
[3] Voy. arrêt n° 250.170 du 19 mars 2021, A.S.B.L. Animal Rights.
[4] C.E., n° 126.340 du 12 décembre 2003, Vanderzande.
[5] Voir décision n° 257 du 13 décembre 2022 de la CADA wallonne.
[6] Cour JUE, arrêt du 7 mars 2024, Endemol Shine Finland Oy, C‑740/22, ECLI:EU:C:2024:216, point 52.
[7] Voy., notamment, la décision n° 18 du 2 décembre 2019 de la CADA wallonne.
[8] Décision publiée dans Administration publique, 2018, pp. 175-180, avec obs. G. Rosoux, « Réutilisation des informations du secteur public et mise en ligne de documents administratifs : utiliser n’est pas réutiliser ».