20 juin 2024 -
CADA - Décision n° 418 : Commune – Arrêté d'inhabitabilité – Document à caractère personnel (non) – Vie privée (oui) – Recours sans objet – Communication (non)
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Commune – Arrêté d'inhabitabilité – Document à caractère personnel (non) – Vie privée (oui) – Recours sans objet – Communication (non)
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La commune d’Estinnes,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 17 avril 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 22 avril 2024 et reçue le 26 avril 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 3 mai 2024,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie numérique de « tout document reprenant les informations suivantes sur les expulsions administratives, conformément à l’article 32 de la constitution :
"- Pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023, le listing (tout support) des expulsions sur arrêté d’inhabitabilité pris par la commune, pour TOUS les immeubles privés et publics, y compris ceux de la société de logement, du CPAS, de la Régie communale, de la Province, du Fédéral et autres ;
- L’adresse des biens et le nom des propriétaires, tel qu’autorisé par la CADA. La CADA estime que l'identité d'un propriétaire est soumise à la publicité de l'administration : "L’identité d’un propriétaire doit donc, lorsqu’elle est demandée et que la commune en dispose, être communiquée, sans que le demandeur doive justifier d’un intérêt, légitime ou non" ».
La partie adverse a communiqué sur Transparencia les noms et prénoms des propriétaires concernés par l’unique expulsion intervenue en 2023. Partant, le recours n’a plus que pour seul objet la communication de l’adresse des propriétaires.
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 15 mars 202
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 25 mars 2024.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 17 avril 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
5. Selon l’article L3211-3, 3°, du CDLD, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ».
La partie adverse explique qu’il « convient en effet de ne pas méconnaître l’impact négatif que ce type d’informations peut avoir pour les personnes dont l’immeuble a été déclaré insalubre et dont le bien a fait l’objet d’un arrêté d’inhabitabilité pour insalubrité, ni pour les locataires dont la vie précaire et les moyens financiers limités seront publiés à la connaissance de tous, à la faveur d’un reportage inopportun ». La partie adverse estime qu’ « elles se rapportent donc en effet à un "comportement", à une "appréciation" ou encore à un "jugement de valeur", ce qui peut entraîner un préjudice pour les parties intéressées ».
En l’espèce, l’information sollicitée ne constitue pas un document à caractère personnel au sens de l’article L3211-3, 3°, précité. L’adresse des propriétaires ne porte pas sur la description d’un comportement personnel de ceux-ci.
Dès lors, la partie requérante ne doit donc pas justifier d’un intérêt pour obtenir la communication de celui-ci et le recours est également recevable sur ce point.
Cependant, la reconnaissance de l’intérêt du demandeur n’emporte toutefois pas automatiquement la reconnaissance d’un droit dans son chef d’accéder au document à caractère personnel sollicité. En effet, les exceptions prévues par le décret peuvent s’appliquer même si l’intérêt du demandeur est démontré.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7. La partie adverse invoque l'exception relative au droit à la publicité administrative prévue à l'article 6, § 1
er, 2°, du décret du 30 mars 1995 visant la protection des « libertés et des droits fondamentaux des administrés » et, plus spécifiquement, l'exception relative à la vie privée prévue à l'article 6, § 2, 1°, du même décret. La partie adverse explique qu’il convient « de ne pas perdre de vue l’impact négatif que ce type d’informations peut avoir pour les personnes dont l’immeuble a été déclaré insalubre et dont le bien a fait l’objet d’un arrêté d’inhabitabilité pour insalubrité, ni pour les locataires dont la vie précaire et les moyens financiers limités seront publiés à la connaissance de tous, à la faveur d’un reportage inopportun » et que « [c]ette publicité aura également un impact sur les enfants des intéressés, avec une marginalisation potentielle mais qui n’a rien d’hypothétique ». Elle interprète cette exception en s’autorisant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et en identifiant les informations à caractère personnel protégées par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données ; en abrégé « RGPD »).
La Commission ne perçoit pas de portée autonome à l’invocation par la partie adverse de l’article 6, § 1er, 2°, du décret du 30 mars 1995 par rapport à l’exception prise de la sauvegarde de la vie privée visée à l’article 6, § 2, 1°, du même décret, en sorte que c’est à l’aune de ce dernier fondement qu’est examinée l’exception formulée.
Par l’arrêt n° 259.418 du 9 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, implicitement mais certainement, que les règles ressortant du RGPD s’imposent au régime de publicité administrative organisé par le décret du 30 mars 1995.
La Commission est d’avis que, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre du décret du 30 mars 1995, les règles du RGPD peuvent s’appréhender comme formant un tout indissociable avec l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret précité, sous réserve du respect de la primauté du droit européen.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
Le RGPD dispose notamment comme il suit :
« Article 4 : Définitions
Aux fins du présent règlement, on entend par: 1) “données à caractère personnel”, toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée “personne concernée”) ; est réputée être une “personne physique identifiable”, une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » ;
« Article 5 : Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel
1. Les données à caractère personnel doivent être :
a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence) ;
b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ; le traitement ultérieur à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques n’est pas considéré, conformément à l’article 89, § 1, comme incompatible avec les finalités initiales (limitation des finalités) ;
c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ;
[…]
f) traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle, à l’aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées (intégrité et confidentialité) ;
2. Le responsable du traitement est responsable du respect du paragraphe 1 et est en mesure de démontrer que celui-ci est respecté (responsabilité) » ;
« Article 6 : 1. Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
[…]
c) le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;
[…]
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Le point f) du premier alinéa ne s’applique pas au traitement effectué par les autorités publiques dans l’exécution de leurs missions.
2. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus spécifiques pour adapter l’application des règles du présent règlement pour ce qui est du traitement dans le but de respecter le paragraphe 1, points c) et e), en déterminant plus précisément les exigences spécifiques applicables au traitement ainsi que d’autres mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, y compris dans d’autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX.
[…]
4. Lorsque le traitement à une fin autre que celle pour laquelle les données ont été collectées n’est pas fondé sur le consentement de la personne concernée ou sur le droit de l’Union ou le droit d’un État membre qui constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir les objectifs visés à l’article 23, § 1, le responsable du traitement, afin de déterminer si le traitement à une autre fin est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont été initialement collectées, tient compte, entre autres :
a) de l’existence éventuelle d’un lien entre les finalités pour lesquelles les données à caractère personnel ont été collectées et les finalités du traitement ultérieur envisagé ;
b) du contexte dans lequel les données à caractère personnel ont été collectées, en particulier en ce qui concerne la relation entre les personnes concernées et le responsable du traitement ;
c) de la nature des données à caractère personnel, en particulier si le traitement porte sur des catégories particulières de données à caractère personnel, en vertu de l’article 9, ou si des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions sont traitées, en vertu de l’article 10 ;
d) des conséquences possibles du traitement ultérieur envisagé pour les personnes concernées ;
e) de l’existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation » ;
« Article 23 : Limitations
1. Le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34, ainsi qu’à l’article 5 dans la mesure où les dispositions du droit en question correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir:
[…]
i) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui ;
[…]
2. En particulier, toute mesure législative visée au paragraphe 1 contient des dispositions spécifiques relatives, au moins, le cas échéant :
a) aux finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
b) aux catégories de données à caractère personnel ;
c) à l’étendue des limitations introduites ;
d) aux garanties destinées à prévenir les abus ou l’accès ou le transfert illicites ;
e) à la détermination du responsable du traitement ou des catégories de responsables du traitement ;
f) aux durées de conservation et aux garanties applicables, en tenant compte de la nature, de la portée et des finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
g) aux risques pour les droits et libertés des personnes concernées ; et
h) au droit des personnes concernées d’être informées de la limitation, à moins que cela risque de nuire à la finalité de la limitation » ;
« Article 86 : Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l’exécution d’une mission d’intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l’Union ou au droit de l’État membre auquel est soumis l’autorité publique ou l’organisme public, afin de concilier le droit d’accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement ».
La Cour de justice de l’Union européenne juge que :
« […] les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne sont pas des prérogatives absolues ainsi que l’indique le considérant 4 du RGPD, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105] »[1].
Il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du RGPD que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
En l'espèce, la divulgation de l’adresse des propriétaires du bâtiment mentionné porte sur des données à caractère personnel au sens du RGPD et est de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes concernées. La Commission n'aperçoit pas en quoi le droit d'accès aux documents administratifs de la partie requérante devrait prévaloir sur la protection de la vie privée des personnes concernées, l'information sollicitée ne semblant pas présenter un intérêt particulier à ce point important pour pouvoir primer les autres intérêts en jeu.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’imposer la divulgation de l’adresse des propriétaires.
8. Sous réserve de ce qui précède, aucune autre exception légale ne fait obstacle à la communication du document sollicité.
[1] Cour JUE, arrêt du 7 mars 2024, Endemol Shine Finland Oy, C‑740/22, ECLI:EU:C:2024:216, point 52.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours n’est pas fondé en tant qu’il vise la communication de l’adresse des propriétaires concernés. Il est sans objet pour le surplus.