15 octobre 2024 -
CADA - Décision n° 449 : Commune – Analyse comparative des finances – Document administratif – Avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel (non) – Secret des affaires (non) – Communication
Télécharger
Ajouter aux favoris
Connectez-vous ou inscrivez-vous pour ajouter à vos favoris.
Commune – Analyse comparative des finances – Document administratif – Avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel (non) – Secret des affaires (non) – Communication
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La commune de Somme-Leuze,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 13 août 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 14 août 2024 et reçue le 19 août 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 28 août 2024,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie « de la dernière analyse comparative des finances de la commune avec son cluster, fournie par Belfius (i.e. avec la dernière typologie socio-économique des communes wallonnes) ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 6 août 202
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 7 août 2024.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 13 août 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, et rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
Iv. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. La partie adverse soutient notamment que l’analyse comparative des finances de la commune avec son cluster – soit le document sollicité par la partie requérante - n’est pas un document administratif au sens du décret du 30 mars 1995, s’agissant d’un document interne entre l’administration et la banque. Elle ajoute que ce rapport n’est pas non plus un document administratif qui émane d’elle et ne le devient que lorsqu’il est intégré à une délibération.
La Commission relève que la Cour constitutionnelle rappelle que la notion de document administratif au sens de l’article 32 de la Constitution doit être interprété très largement :
« Selon le Constituant, par “document administratif”, il faut entendre toute information, sous quelque forme que ce soit, dont les autorités administratives disposent :
“Il concerne toutes les informations disponibles, quel que soit le support : documents écrits, enregistrements sonores et visuels y compris les données reprises dans le traitement automatisé de l’information. Les rapports, les études, même de commissions consultatives non officielles, certains comptes rendus et procès-verbaux, les statistiques, les directives administratives, les circulaires, les contrats et licences, les registres d’enquête publique, les cahiers d’examen, les films, les photos, etc. dont dispose une autorité sont en règle générale publics, sauf lorsqu’un des motifs d’exception doit être appliqué ” (Doc. Parl., Chambre, 1992-1993, n° 839/1, p. 5).
En déclarant, à l’article 32 de la Constitution, que chaque document administratif – notion qui, selon le Constituant, doit être interprétée très largement – est en principe public, le Constituant a érigé le droit à la publicité des documents administratifs en un droit fondamental »[1].
L’article L3211-3, 2°, du CDLD définit un document administratif comme « toute information, sous quelque forme que ce soit, dont une autorité administrative dispose ».
En l’espèce, le document sollicité consiste bien en un document administratif au sens de l’article L3211-3, 2°, du CDLD. Il s’agit en effet d’une étude qui est à la disposition de la partie adverse, sachant que la circonstance qu’elle ne soit pas intégrée à une de ses décisions n’est pas de nature à lui refuser la qualification de document administratif.
L’argument n’est pas fondé.
7. La partie adverse soutient que le document litigieux ne doit pas être communiqué à partir du moment où « suffisamment d’informations financières relatives à la commune étaient présentes sur le site communal ».
La Commission constate qu’il n’est pas contesté que le document sollicité n’est pas disponible sur le site internet communal. L’argument de la partie adverse revient à questionner l’intérêt de la partie requérante à sa demande de publicité administrative au regard des informations déjà accessibles, alors qu’elle ne doit pas justifier d’un intérêt à sa demande, sauf, conformément à l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, lorsqu’il s’agit d’un document à caractère personnel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Il s’ensuit que l’argument n’est pas fondé.
8. La partie adverse fait valoir que « ce projet financier est et reste un document interne entre l’administration et la banque et qu’il reprend pas mal d’informations qui pourraient être "mal" utilisées en les sortant de leur contexte ».
La Commission rappelle qu’en vertu de l’article L3231-7 du CDLD, les documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs ne peuvent être utilisés ou diffusés à des fins commerciales. A l’appui de la décision n° 230.17 du 19 octobre 2017 de la CADA bruxelloise, la Commission a déjà précisé que si la publication sur un site internet d’un document obtenu à la suite d’une demande d’accès peut relever de la simple utilisation, non commerciale, d’un tel document, cette utilisation est toutefois limitée par le respect des droits des tiers[2]. Pour rappel, cette décision n° 230.17 du 19 octobre 2017 de la CADA bruxelloise souligne que :
« Il appartient au citoyen qui a obtenu l’accès à un tel document et qui en dispose légitimement, d’assumer la responsabilité de l’usage qu’il entend faire de ce document, notamment au regard des droits intellectuels de l’administration ou des tiers et au regard de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel »[3].
L’utilisation de documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs relève dès lors de la responsabilité de la partie requérante, à laquelle il appartient de veiller au respect des droits des tiers, en ce compris le droit à la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel des personnes concernées. La partie adverse ne peut justifier son refus par des craintes quant à une « mauvaise utilisation » du document que pourrait faire la partie requérante en le sortant du contexte.
Partant, l’argument ne peut pas être accueilli.
9. La partie adverse fait part à la Commission que Belfius souhaite attacher au document sollicité la clause suivante :
« Les informations contenues dans le présent document sont communiquées par Belfius Banque sans engagement et à titre d’information. Belfius Banque n’est aucunement liée par le contenu qui peut être modifié à tout moment sans avis préalable.
Belfius Banque met tout en œuvre pour veiller à la qualité de l’information publiée sur base des sources les plus récentes et les plus fiables mais n'offre cependant aucune garantie quant à l’exactitude ou à l’exhaustivité de l’information.
Ce document est confidentiel et la propriété exclusive de Belfius Banque
Belfius Banque ne peut être tenue pour responsable de dommages ou préjudices directs ou indirects résultant de l’utilisation de ce document.
Bien que les informations figurant dans ce document soient publiées dans le but d'aider le destinataire, elles ne peuvent être interprétées comme faisant autorité ni se substituer au jugement du destinataire ».
Ce faisant, la partie adverse paraît invoquer l’exception relative à un avis ou une opinion communiquée librement et à titre confidentiel, prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, du CDLD, qui dispose comme suit :
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande:
[…]
2° concerne un avis ou une opinion communiqués librement et à titre confidentiel à l’autorité ;
[…] ».
A cet égard, la Commission rappelle que le caractère « confidentiel » d’un document ne constitue pas en soi un motif légal d’exception à la publicité de l’administration.
L’exception visée à l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, du CDLD est facultative et est soumise au respect de conditions cumulatives d’interprétation stricte. Il ressort ainsi d’une jurisprudence constante de la Commission que seuls des avis ou opinions peuvent être pris en considération, à l’exception de simples faits ou constats ; que l’avis ou l’opinion doit avoir été communiqué spontanément, librement à l’entité, en l’absence de toute obligation légale ; que l’avis ou l’opinion est communiqué, de manière expresse, sous le sceau de la confidentialité, à l’entité ; que la mention de ce caractère confidentiel doit être concomitante à la communication de l’avis ou de l’opinion ; enfin, que l’avis ou l’opinion doit émaner de tiers, à l’exclusion donc des fonctionnaires ou préposés de l’entité.
En l’espèce, les éléments portés à la connaissance de la Commission ne permettent pas de conclure au respect des conditions cumulatives précitées, en sorte que l’argument, à l’interpréter comme étant fondé sur l’article L3231-3, alinéa 1er, 2°, du CDLD, n’est pas fondé.
Si, ce faisant, la partie adverse entend plutôt encadrer l’usage potentiellement abusif qui pourrait être fait du document administratif, il importe de rappeler ce qui a été exposé sous le point 8.
10. La Commission soulève l’exception relative à « la vie privée, en ce compris le secret d’affaires qui est intégré dans cette notion », prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendue applicable par l’article L3231-3, alinéa 1
er, du CDLD.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
En l’espèce, faute d’informations communiquées par la partie adverse de nature à vérifier le respect des conditions énoncées à l’article I.17/1, 1°, précité, la Commission n’est pas en mesure de déterminer si certaines des informations reprises dans le document sollicité doivent être qualifiées de secret d’affaires.
A défaut, il n’y a pas lieu de rejeter la demande de publicité pour ce motif d’exception.
11. La Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication du document concerné.
12. En conclusion, la partie adverse doit communiquer le document administratif sollicité à la partie requérante.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le profil financier individuel établi par Belfius relatif à la commune de Somme-Leuze afférent aux comptes 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022 et au budget 2023 dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] C. const., arrêt n° 2023/33 du 12 mars 2023, B.52.2.1.
[2] Voy., notamment, la décision n° 18 du 2 décembre 2019 de la CADA wallonne.
[3] Décision publiée dans Administration publique, 2018, pp. 175-180, avec obs. G. Rosoux, « Réutilisation des informations du secteur public et mise en ligne de documents administratifs : utiliser n’est pas réutiliser ».