15 octobre 2024 -
CADA - Décision n° 448 : Ville – Désignation Collège – Recrutement – Vie privée (oui)– Communication partielle
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Ville – Désignation Collège – Recrutement – Vie privée (oui)– Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Ville de Verviers,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 12 août 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 14 août 2024 et reçue le 20 août 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 3 septembre 2024,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 3 septembre 2024.
I. Objet de la demande
1. La demande initiale de publicité porte sur la communication d’une copie électronique des documents suivants :
« - Des délibérations et annexes des Collèges et Conseils communaux de 2023 relatives aux recrutements et/ou désistements de […].
- De la demande de dérogation au CRAC ainsi que la réponse du CRAC relatives à la désignation de […] ».
La partie requérante indique que, par courriel du 9 août 2024, plusieurs documents lui ont été transmis. Toutefois, elle constate que les délibérations du Collège communal ont été anonymisées et que la réponse du CRAC relative à la désignation de […] ne lui a pas été transmise. Le recours porte précisément sur ces deux derniers points.
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 20 juillet 202
La partie adverse a fait droit à la demande de la partie requérante en lui transmettant, en date du 9 août 2024, « la demande de dérogation au CRAC », « le courrier au Ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville l'informant de notre demande de dérogation au CRAC », « la délibération du collège du 22 juin 2023 désignant […] (délibération qui a été retirée) », « la délibération du collège du 29 juin 2023 retirant la désignation de […] et désignant […] », « la délibération du collège du 21 septembre 2023 désignant […] » et « la réponse du Ministre à la demande de dérogation du CRAC ». A cette occasion, la Commune a anonymisé les délibérations du collège communal. Ce faisant, elle a explicitement rejeté la demande en tant qu'elle porte sur les parties anonymisées des délibérations précitées en date du 9 août 2024.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 12 août 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, et rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. Par un courriel du 4 septembre 2024, la partie requérante informe la Commission qu’elle « ne demande pas la levée de la censure de la date de naissance des deux agents communaux » mais sollicite la communication de « la version non anonymisée des délibérations des Collèges communaux des 22 juin 2023, 29 juin 2023 et des 21 septembre 2023 concernant uniquement les noms et prénoms des deux agents communaux ».
La Commission constate en conséquence que le recours a perdu son objet en tant qu’il porte sur l’anonymisation des dates de naissance des deux agents communaux concernés.Elle n’examine donc l’exception invoquée par la partie adverse qu’en tant qu’elle porte sur l’anonymisation des noms et prénoms des deux agents communaux.
7. En l’espèce, la partie adverse invoque l’exception relative à vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique qu’« en ce qui concerne les délibérations transmises, au regard du RGPD, nous avons jugé délicat de transmettre des informations et données personnelles (noms, prénoms, dates de naissance) des agents de l’administration ».
8. Par l’arrêt n° 259.418 du 9 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, implicitement mais certainement, que les règles ressortant du RGPD s’imposent au régime de publicité administrative organisé par le décret du 30 mars 1995.
La Commission est d’avis que, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre du décret du 30 mars 1995, les règles du RGPD peuvent s’appréhender comme formant un tout indissociable avec l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret précité, sous réserve du respect de la primauté du droit européen.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
Il a déjà été décidé que « les cotations par l’autorité des réponses à des questions de connaissance posées à des candidats à une promotion dans la fonction publique » ne relevaient pas de l’exception précitée. A l’inverse, « les traits de personnalité de candidats à une promotion dans la fonction publique » ont quant à eux été considérés comme entrant dans le champ d’application de cette exception[1].
Le RGPD dispose notamment comme il suit :
« Article 4 : Définitions
Aux fins du présent règlement, on entend par: 1) “données à caractère personnel”, toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée “personne concernée”) ; est réputée être une “personne physique identifiable”, une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » ;
« Article 5 : Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel
1. Les données à caractère personnel doivent être :
a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence) ;
b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ; le traitement ultérieur à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques n’est pas considéré, conformément à l’article 89, § 1, comme incompatible avec les finalités initiales (limitation des finalités) ;
c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ;
[…]
f) traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle, à l’aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées (intégrité et confidentialité) ;
2. Le responsable du traitement est responsable du respect du paragraphe 1 et est en mesure de démontrer que celui-ci est respecté (responsabilité) » ;
« Article 6 : 1. Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
[…]
c) le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;
[…]
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Le point f) du premier alinéa ne s’applique pas au traitement effectué par les autorités publiques dans l’exécution de leurs missions.
2. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus spécifiques pour adapter l’application des règles du présent règlement pour ce qui est du traitement dans le but de respecter le paragraphe 1, points c) et e), en déterminant plus précisément les exigences spécifiques applicables au traitement ainsi que d’autres mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, y compris dans d’autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX.
[…]
4. Lorsque le traitement à une fin autre que celle pour laquelle les données ont été collectées n’est pas fondé sur le consentement de la personne concernée ou sur le droit de l’Union ou le droit d’un État membre qui constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir les objectifs visés à l’article 23, § 1, le responsable du traitement, afin de déterminer si le traitement à une autre fin est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont été initialement collectées, tient compte, entre autres :
a) de l’existence éventuelle d’un lien entre les finalités pour lesquelles les données à caractère personnel ont été collectées et les finalités du traitement ultérieur envisagé ;
b) du contexte dans lequel les données à caractère personnel ont été collectées, en particulier en ce qui concerne la relation entre les personnes concernées et le responsable du traitement ;
c) de la nature des données à caractère personnel, en particulier si le traitement porte sur des catégories particulières de données à caractère personnel, en vertu de l’article 9, ou si des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions sont traitées, en vertu de l’article 10 ;
d) des conséquences possibles du traitement ultérieur envisagé pour les personnes concernées ;
e) de l’existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation » ;
« Article 23 : Limitations
1. Le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34, ainsi qu’à l’article 5 dans la mesure où les dispositions du droit en question correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir:
[…]
i) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui ;
[…]
2. En particulier, toute mesure législative visée au paragraphe 1 contient des dispositions spécifiques relatives, au moins, le cas échéant :
a) aux finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
b) aux catégories de données à caractère personnel ;
c) à l’étendue des limitations introduites ;
d) aux garanties destinées à prévenir les abus ou l’accès ou le transfert illicites ;
e) à la détermination du responsable du traitement ou des catégories de responsables du traitement ;
f) aux durées de conservation et aux garanties applicables, en tenant compte de la nature, de la portée et des finalités du traitement ou des catégories de traitement ;
g) aux risques pour les droits et libertés des personnes concernées ; et
h) au droit des personnes concernées d’être informées de la limitation, à moins que cela risque de nuire à la finalité de la limitation » ;
« Article 86 : Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l’exécution d’une mission d’intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l’Union ou au droit de l’État membre auquel est soumis l’autorité publique ou l’organisme public, afin de concilier le droit d’accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement ».
La Cour de justice de l’Union européenne juge que :
« […] les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne sont pas des prérogatives absolues ainsi que l’indique le considérant 4 du RGPD, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105] »[2].
Il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du RGPD que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
La Commission rappelle également que, de manière constante, elle considère que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
En l'espèce, les noms et prénoms d’employés d’administration sont des données à caractère personnel relevant strictement de l’exercice de la fonction publique. La lecture des délibérations litigieuses fait en effet apparaître qu’aucun élément pouvant être considéré comme relevant de la vie privée des deux agents concernés ne ressort de celles-ci.
Partant, le document doit être communiqué dans son intégralité, moyennant l’occultation des seules dates de naissance, lesquelles ne font pas l’objet du présent recours.
Concernant « la réponse du CRAC relative à la désignation de […] », la partie adverse explique que « c’est le courrier du Ministre qui fait office d’avis du CRAC, nous ne recevons jamais l’avis du CRAC proprement dit pour ce genre de demande ». Elle ajoute que « nous avons donc transmis tous les documents en notre possession ».
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable.
Le recours est sans objet en ce qui concerne la demande de dérogation au CRAC ainsi que la réponse du CRAC relatives à la désignation de […].
Le recours est fondé pour le surplus. La partie adverse communique à la partie requérante les autres documents sollicités en occultant les dates de naissance des deux agents communaux concernés et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] P.-O. DE BROUX, D. DE JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in La publicité de l’administration. Vingt ans après, bilan et perspectives, sous la dir. de V. MICHIELS, 2014, Bruxelles, Bruylant, p. 141.
[2] Cour JUE, arrêt du 7 mars 2024, Endemol Shine Finland Oy, C‑740/22, ECLI:EU:C:2024:216, point 52.