19 novembre 2024 -
CADA - Décision n° 464 : Ville – Acte de nomination – Recrutement – Document à caractère personnel (non) –
Vie privée – Demande manifestement abusive (non) – Communication partielle
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Ville – Acte de nomination – Recrutement – Document à caractère personnel (non) –
Vie privée – Demande manifestement abusive (non) – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Ville de Liège,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courrier recommandé le 2 septembre 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 9 septembre 2024 et reçue le 11 septembre 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 16 septembre 2024,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 20 septembre 2024,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie de « la décision administrative concernant la constitution d’une réserve de recrutement adoptée suite à l’appel du 10 mars 2023, ainsi que les actes de nomination ou d’admission en stage des lauréats de cette réserve dans l’ordre des vacances d’emploi dans le grade D4 ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. Selon, la partie requérante, une demande d’information a été adressée à la partie adverse le 27 décembre 2023, ce qui n’est pas contesté par la partie adverse. Aucune des parties n’a toutefois communiqué cette demande à la Commission. Cependant, la Commission constate qu’une nouvelle demande de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 25 avril 2024 et réitérée le 4 juillet 202
La partie adverse soulève une exception d’irrecevabilité rationae temporis du recours, estimant que la partie requérante a interpellé la Ville de Liège le 27 décembre 2023 et n’a ensuite adressé que des rappels, le dernier rappel étant daté du 4 juillet 2024. Elle avance que « la demande du 27 décembre 2023 n’a pas reçu de suites » et que « dès lors, une décision implicite de rejet existe depuis le 26 janvier 2024 ». Selon elle, le recours ayant été introduit au plus tôt le 2 septembre 2024, ce dernier est tardif et irrecevable.
La Commission ne peut toutefois pas suivre le raisonnement de la partie adverse. En effet, indépendamment de la demande d’information formulée le 27 décembre 2023, la Commission constate qu’une nouvelle demande a été formulée dans un courrier du 25 avril 2024 et que cette demande a été valablement réitérée par un courriel du 4 juillet 2024 dès lors que ce dernier joignait une copie du courrier précédemment transmis.
Il en résulte qu’il peut être considéré que la dernière demande formulée par la partie requérante date du 4 juillet 2024. La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 3 août 2024, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 2 septembre 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995 et rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable ratione temporis.
5. Selon l’article L3211-3, 3°, du CDLD, un document à caractère personnel se définit comme tout « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ».
Pour toute demande relative à un tel document, l’article L3231-1, alinéa 2, du CDLD prévoit que « le demandeur doit justifier d’un intérêt ».
En l’espèce, la partie requérante justifie son intérêt au recours en précisant ce qu’il suit :
« Par ailleurs, s’agissant d’une décision à caractère personnel, le requérant doit disposer d’un intérêt au recours. La décision visée par le présent recours affecte tant la situation juridique qu’administrative de [la partie requérante], qui dispose manifestement d’un intérêt personnel au recours ».
La partie adverse conteste cet intérêt au motif que « la partie requérante fait en l’espèce état dans son recours qu’elle souhaite clarifier sa situation administrative. Ceci ne présente pas de lien avec la situation administrative de tiers, d’autant que la partie requérante a connaissance depuis plusieurs mois du fait que des nominations sont intervenues et qu’elle ne fait pas partie des personnes en ayant bénéficié » et que « tout recours introduit devant le Conseil d’État serait donc d’emblée tardif ».
A l’examen du document contenant les nominations à l’échelle D4, la Commission ne perçoit pas en quoi il constituerait un document à caractère personnel dès lors qu’il ne contient aucune appréciation ou jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable ou la description d'un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne. En effet, ce document se limite à contenir une liste des noms des lauréats de chacune des deux réserves de recrutement constituées ainsi qu’une liste des noms des candidats les mieux classés retenus pour une nomination dans chacune de ces deux réserves. Il ne contient pas les résultats de chacun de ces candidats aux épreuves qui ont été organisées afin d’aboutir à leur classement. Partant, la partie requérante ne doit pas justifier d’intérêt à son recours en ce qu’il porte sur ce document.
Du reste, quand bien même il conviendrait de considérer que le document contenant les nominations contient une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable en tant qu’il reprend une liste des candidats « les mieux classés », la Commission constate que la partie requérante figurait dans l’une des deux réserves de recrutement et était donc candidate à une nomination. Le refus de nomination de la partie requérante découle implicitement de l’acte de nomination de tiers. Cette dernière dispose donc d’un intérêt à accéder au document sollicité, étant entendu que la demande se limite aux nominations à l’échelle D4. Le fait qu’un recours au Conseil d’État serait tardif ne la prive pas de cet intérêt, dès lors que la possibilité d’introduire un tel recours ne subordonne pas l’accès à un document administratif.
Dès lors, le recours est recevable.
III. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les régimes législatifs applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7. La partie adverse invoque l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. La partie adverse indique que « la partie requérante sollicite copie des "actes de nomination ou d’admission en stage des lauréats" à une réserve de recrutement constituée en 2023. Ces actes de nominations sont des composantes de la vie privée, s’agissant de tiers à la partie requérante. La nature de leur relation n’est pas une donnée publique ».
Par l’arrêt n° 259.418 du 9 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, implicitement mais certainement, que les règles ressortant du RGPD s’imposent au régime de publicité administrative organisé par le décret du 30 mars 1995.
La Commission est d’avis que, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre du décret du 30 mars 1995, les règles du RGPD peuvent s’appréhender comme formant un tout indissociable avec l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret précité, sous réserve du respect de la primauté du droit européen.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-3 du CDLD, dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’autorité communale de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
Le RGPD dispose notamment en son article 86 :
« Article 86 : Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l’exécution d’une mission d’intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l’Union ou au droit de l’État membre auquel est soumis l’autorité publique ou l’organisme public, afin de concilier le droit d’accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement ».
La Cour de justice de l’Union européenne juge que :
« […] les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne sont pas des prérogatives absolues ainsi que l’indique le considérant 4 du RGPD, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105] »1.
Il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du RGPD que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
De manière constante, la Commission considère que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
En l'espèce, la partie adverse affirme que les actes de nomination seraient « des composantes de la vie privée, s’agissant de tiers à la partie requérante » et que « la nature de leur relation de travail n’est pas une donnée publique ». Elle n’expose toutefois pas concrètement en quoi la divulgation de ces actes de nomination porterait atteinte à la vie privée des personnes concernées.
Pour rappel, le document contenant les décisions de nomination se limite à contenir une liste des noms des lauréats de chacune des deux réserves de recrutement constituées ainsi qu’une liste des noms des candidats les mieux classés retenus pour une nomination dans chacune de ces deux réserves. La Commission ne perçoit pas en quoi la communication des seuls noms des candidats les mieux classés retenus pour une nomination dans chacune des deux réserves porterait atteinte à leur vie privée, dès lors que n’y figure, par exemple, aucune adresse. En revanche, la Commission a déjà considéré que la communication des éléments d’identification des candidats non retenus était susceptible de porter atteinte à la vie privée des intéressés[1]. Il y a donc lieu de les occulter.
8. La partie adverse invoque également l’exception relative au caractère manifestement abusif de la demande, laquelle est prévue à l’article L3231-3, alinéa 1er, 3°, du CDLD applicable en l’espèce.
L’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme il suit :« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
3° est manifestement abusive ou répétée ».
La Commission rappelle qu’« une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement de la commune. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive »[2].
Il a, par ailleurs, été jugé par le Conseil d’Etat que :
« Peut être considérée comme manifestement abusive […], la demande dont le traitement a pour conséquence de compromettre le bon fonctionnement de l’autorité qui en est saisie. Toutefois, cette exception au droit d’accès, qui est un droit fondamental, est d’interprétation stricte et l’autorité qui entend l’opposer à la demande dont elle est saisie doit la fonder sur les éléments propres au cas d’espèce et aptes à justifier concrètement le recours à cette hypothèse légale d’exception. Ces éléments doivent ressortir de la motivation formelle de la décision de refus »[3].
En l’espèce, la partie adverse ne démontre pas concrètement les raisons pour lesquelles la demande formulée par la partie requérante aurait compromis le bon fonctionnement de ses services.
Partant, l’exception est rejetée.
9. La Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication du document concerné.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est recevable.
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités en occultant les noms des candidats non retenus et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy. avis n° 222 du 3 septembre 2018 de la CADA wallonne.
[2] Voy. avis n° 199 du 18 juin 2018 de la CADA wallonne.
[3] Voy. arrêt n° 250.170 du 19 mars 2021, A.S.B.L. Animal Rights.