09 janvier 2025 -
CADA - Décision n° 484 : Ville – Rôle de la taxe communale sur les écrits publicitaires non-adressés – Vie privée – Secret d'affaires – Intérêts économiques et financiers – Communication partielle
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Ville – Rôle de la taxe communale sur les écrits publicitaires non-adressés – Vie privée – Secret d'affaires – Intérêts économiques et financiers – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La ville de Wavre,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 22 octobre 2024,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 23 octobre 2024 et reçue le 24 octobre 2024,
Vu la réponse de la partie adverse du 6 novembre 2024,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 6 novembre 2024,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet du recours
1.La demande initiale de publicité portait sur la communication d’une copie des documents suivants :
« 1 ° le relevé de toutes les taxes enrôlées au nom de […] dans le cadre des taxes sur les écrits publicitaires non adressés pour les exercices 2016 à 2022 inclus. Idéalement sous la forme d'un fichier excel. Seules les taxes non payées nous intéressent.
Nous devrions [avoir] le montant de chaque avertissement-extrait de rôle, l'article du rôle et l'exercice y relatif.
2° une copie des rôles attestant de ces taxes à devoir tel que décrites ci-dessus. Seuls les rôles sont considérés comme preuves selon les règles fiscales suisses ».
Par un courriel du 12 juin 2024, la partie adverse communique à la partie requérante un tableau reprenant toutes les taxes impayées la concernant à cette date.
2. Suite à cette communication, l’objet du recours de la partie requérante porte sur le refus de communiquer :
« La copie complète des rôles de la Ville de Wavre, sur les écrits publicitaires non adressés pour les exercices 2016 à 2022 inclus, contenant des taxes enrôlées au nom de […] et impayées ».
II. Compétence de la Commission
3. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 28 mai 202
La partie adverse a fait savoir à la partie requérante qu’en raison de la période de congé estivale, elle n’était pas en mesure de communiquer tous les documents sollicités. Elle a ensuite explicitement rejeté la demande par un courrier du 23 septembre 2024.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 22 octobre 2024, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. En appui à son refus de communiquer les documents sollicités, la partie adverse invoque diverses exceptions au droit à la publicité administrative.
6.1. La partie adverse invoque tout d’abord l’exception relative à l’atteinte à la vie privée prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Il ressort des documents communiqués par la partie adverse à la Commission que les rôles reprennent les numéros d’articles, l’identité des contribuables, les adresses de taxation et d’expédition, les unités taxables, le taux et le montant de la taxe.
Pour les contribuables personnes morales, la Commission rappelle que le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoirfaire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
En l’espèce, rien ne permet de considérer que la divulgation des informations reprises sur les rôles en cause entraine une atteinte à la vie privée des contribuables personnes morales en sorte que l’exception est rejetée en ce qui les concerne.
Pour le ou les contribuables personnes physiques, il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du règlement général de protection des données (RGPD) que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
En l’espèce, la Commission ne perçoit pas en quoi l’intérêt de la publicité doit primer le droit à la protection des données à caractère personnel du ou des contribuables concernés – s’agissant de leurs identités et adresses de taxation et d’expédition. Il en est d’autant moins ainsi que la partie requérante expose elle-même dans son recours qu’à supposer que les rôles litigieux contiennent des données qui portent atteinte à la vie privée, la partie adverse « peut anonymiser en biffant les données à caractère personnel afin d’éviter toute atteinte à la vie privée de ses contribuables ».
Il s’ensuit que l’identité et l’adresse du ou des contribuables personnes physiques doivent être occultées.
6.2. La partie adverse indique ensuite refuser la communication des documents sollicités au motif que cela porterait atteinte aux « intérêts économiques et financiers de la ville ». Elle écrit :
« [la partie requérante] pourrait utiliser ces informations dans une optique commerciale, ce qui représenterait une exploitation indirecte de données fiscales collectées pour d’autres finalités. La communication complète des rôles pourrait permettre à la [partie requérante] de cibler des acteurs économiques locaux dans le cadre d’une activité de démarchage, il s’agirait donc d’une distorsion de l’usage prévu des documents publics. Le risque pour les intérêts économiques de la commune justifie également ce refus ».
La protection des propres intérêts économiques et financiers de la Ville n’est pas un motif faisant partie des exceptions législatives à la publicité administrative dont une autorité communale peut se prévaloir pour refuser la communication d’un document administratif en sa possession. L’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995 ne vise que les intérêts économiques et financiers de la Région.
En tous les cas, la partie adverse vise, par ce développement, l’usage que la partie requérante pourrait faire des informations contenues dans les documents sollicités. Elle invoque donc, implicitement mais certainement, l’article L3231-7 du CDLD qui dispose comme suit :
« Les documents administratifs obtenus en application du présent livre ne peuvent être diffusés ni utilisés à des fins commerciales ».
A cet égard, la Commission rappelle que l’utilisation de documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs relève de la responsabilité des personnes qui les détiennent, auxquelles il appartient de veiller au respect des droits des tiers, en ce compris le droit à la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel. Il s’ensuit qu’en principe, il ne peut être dénié à une partie requérante le droit à la communication de documents administratifs par des craintes quant à leur utilisation finale[1].
En l’espèce, le grief exposé par la partie adverse relève du procès d’intention alors que la partie requérante expose avoir besoin de la copie des rôles pour « réaliser un audit de ces comptes en vue de réaliser une conformité fiscale en Suisse où elle est établie », étant entendu que « la réglementation fiscale suisse ne reconnaît que la copie des rôles comme moyen de preuve ».
Partant, l’argumentation ne peut être retenue.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante la copie complète des rôles de la Ville de Wavre, sur les écrits publicitaires non adressés pour les exercices 2016 à 2022 inclus, contenant des taxes enrôlées au nom de la partie requérante et impayées, sauf l’identité et l’adresse du ou des contribuables personnes physiques, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy. les décisions n° 18 du 2 décembre 2019, 290, 291, 293 et 295 du 6 avril 2023, 417 du 20 juin 2024 et 449 du 15 octobre 2024 de la CADA wallonne.