08 avril 2025 -
CADA - Décision n° 506 : SLSP – Facturation – Recevabilité – Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret – Vie privée et secret d'affaires – Intérêt économique ou financier de la Région (non) – Communication d'office
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SLSP – Facturation – Recevabilité – Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret – Vie privée et secret d'affaires – Intérêt économique ou financier de la Région (non) – Communication d'office
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La S.R.L. Habitations sociales du Roman Païs, Allée des Aubépines, 2 à 1400 Nivelles,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel du 9 janvier 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 10 février 2025 et reçue le 20 février 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 6 mars 2025,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 21 mars 2025.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie du « détail de l’ensemble des facturations entre la société […] et [la partie adverse] et ce dans le cadre du "Marché de travaux (stock) pour le remplacement de 100 chaudières gaz – […] – procédure ouverte du 19 novembre 2021" ». La partie requérante ajoute que « [le] détail fourni doit inclure également et de façon distincte l’ensemble des reconductions du marché et les montants issus de la formule de révision ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
A. Recevabilité ratione temporis
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 9 janvier 2025.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 8 février 2025 en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 10 février 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable ratione temporis.
B. Formalisme du recours
La partie adverse conteste la recevabilité du recours en ce que la requête :
« ne respecte pas les exigences de forme et de fond prévues par l’article 8bis précité, à savoir
Qu’il ne mentionne pas le domicile du requérant (Art. 8bis, § 2) ;
Qu’il n’invoque aucun moyen à l’appui de sa demande (Art 8bis, § 2) ».
En l’espèce, la demande de publicité initiale ainsi que le recours ont été introduits par […] par l’intermédiaire de son directeur général. L’adresse de […] était correctement renseignée. Dès lors, […] est bien la partie requérante et non son représentant.
Par ailleurs, si le recours ne contient pas formellement l’exposé de moyens, une telle exigence n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité par l’article 8bis, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995. Du reste, la partie requérante a écrit, dans sa requête, qu’elle considère que «[la] non-réponse à [sa] demande n'est pas acceptable au regard des principes de transparence administrative, et […] que l’accès aux documents demandés doit [lui] être accordé, conformément au décret ». Une lecture bienveillante de la requête permet donc de comprendre que, selon la partie requérante, le refus de communication de la partie adverse méconnaît son droit fondamental à la publicité des documents administratifs et que, toujours selon la partie requérante, la communication sollicitée ne se heurte à aucune des exceptions prévues par une norme législative à ce droit fondamental.
Les exceptions relatives au formalisme de la requête sont rejetées.
Il s’ensuit que le recours est recevable.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
7. La partie adverse a adressé à la Commission une note d’observations mais n’a toutefois pas transmis la copie des documents administratifs sollicités par la partie requérante, et ce, en méconnaissance de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995. Dans ces conditions, la Commission n’est pas en mesure d’apprécier de manière concrète et complète la pertinence des exceptions invoquées au regard des circonstances de l’espèce.
La Commission rappelle que ses membres et son secrétariat sont soumis au secret professionnel visé à l’article 458 du Code pénal, compte tenu de la nature des missions de la Commission, ce qui a été confirmé par la Cour constitutionnelle[1].
Il s’ensuit qu’il est de règle que, par analogie avec l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer les documents demandés à la partie requérante, sous réserve des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et à l’article L3231-3 du CDLD, en ce compris les précisions qui suivent.
8.1. Dans sa note d’observations, la partie adverse invoque l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995.
8.2. L’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ».
La Commission rappelle que l’application de cette exception absolue requiert la réunion de deux conditions, cumulatives[2] :
- aux termes de la première condition, qui est d’ordre formel, l’obligation de secret doit être inscrite dans une loi ou un décret ;
- aux termes de la seconde condition, qui est d’ordre matériel, il convient d’interroger le sens du secret imposé pour s’assurer qu’il vise la bonne situation, les bonnes personnes ou les bons documents (voire partie(s) de document). Il faut tenir compte du but visé par une disposition relative à l’obligation de secret et du fait que la disposition relative à l’obligation de secret ne s’applique que dans la mesure où il est porté atteinte à la finalité pour laquelle cette disposition relative à l’obligation de secret a été créée.
Le recours à cette exception exige donc de démontrer de manière concrète et pertinente le lien de cette obligation avec le document qui fait l’objet de la demande d’accès.
9.1. La partie adverse invoque également l’exception relative à la vie privée, en ce compris le secret d’affaires qui est intégré dans cette notion, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
9.2. L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
10.1. Enfin, la partie adverse invoque, implicitement mais certainement, l’exception relative à un intérêt économique ou financier de la Région prévue à l’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995.
10.2. L’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme suit :
« § 1. L'entité ou l'autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif, si elle a constaté que l'intérêt de la publicité ne l'emporte pas sur la protection de l'un des intérêts suivants :
[…]
6° un intérêt économique ou financier de la Région ».
En l’espèce, l’intérêt économique ou financier de la partie adverse ne se confond pas avec celui de la Région wallonne, seul concerné à l’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995. Du reste, l’article L3231-3 du CDLD ne comporte pas d’exception analogue de nature à s’appliquer à la partie adverse.
11. La Commission n’aperçoit pas quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication des documents reprenant les informations sollicitées.
12. Il s’ensuit que la partie adverse doit communiquer les documents sollicités, sous réserve du respect des exceptions visées aux 1° et 2° de l’article le 6, § 2, du décret du 30 mars 1995 - dont la portée est rappelée sous les points 8.2. et 9.2., sachant que ces exceptions sont d’interprétation restrictive.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante le « détail de l’ensemble des facturations entre la société […] et [la partie adverse] et ce dans le cadre du "Marché de travaux (stock) pour le remplacement de 100 chaudières gaz […] procédure ouverte du 19 novembre 2021" » avec « l’ensemble des reconductions du marché et les montants issus de la formule de révision », moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6, § 2, 1° et 2°, du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] C.C., 25 novembre 2021, n° 170/2021, B.2.8.
[2] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.
[2] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.