08 avril 2025 -
CADA - Décision n° 507 : SLSP – Facturation – Recevabilité - Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret (non) – Vie privée et secret d'affaires (non) – Intérêt économique ou financier de la Région (non) – Communication
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SLSP – Facturation – Recevabilité - Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret (non) – Vie privée et secret d'affaires (non) – Intérêt économique ou financier de la Région (non) – Communication
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La S.R.L. La Ruche Chapelloise, Rue de Piéton, 2 à 7160 Chapelle-lez-Herlaimont,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel du 10 janvier 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 12 février 2025 et reçue le 26 février 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 7 mars 2025,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 7 mars 2025.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie du « le détail de l’ensemble des facturations entre la société […] et [la partie adverse] et ce dans le cadre du " […] Remplacements de chaudières et d'équipements de production d'eau chaude – Procédure négociée du 27/10/2021" ». La partie requérante ajoute que « [le] détail fourni doit inclure également et de façon distincte l’ensemble des reconductions du marché et les montants issus de la formule de révision ».
En réplique à la note d’observations de la partie adverse, la partie requérante a restreint l’objet de sa demande « à l’obtention des montants facturés par […], toutes reconductions du contrat comprises ». Elle précise que « [le] détail demandé consiste à fournir 3 montants qui sont les suivants :
· Le montant total facturé, révision comprise, pour le marché […]
· Les montants totaux facturés, révision comprise, par reconductions et pour toutes les reconductions ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
A. Recevabilité ratione temporis
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 10 janvier 2025.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 9 février 2025 en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 11 février 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable ratione temporis.
B. Formalisme du recours
5. La partie adverse conteste la recevabilité du recours en ce que la requête :
« ne respecte pas les exigences de forme et de fond prévues par l’article 8bis précité, à savoir
Qu’il ne mentionne pas le domicile du requérant (Art. 8bis, § 2) ;
Qu’il n’invoque aucun moyen à l’appui de sa demande (Art. 8bis, § 2) ».
En l’espèce, la demande de publicité initiale ainsi que le recours ont été introduits par […] par l’intermédiaire de son directeur général. L’adresse de […] était correctement renseignée. Dès lors, […] est bien la partie requérante et non son représentant.
Par ailleurs, si le recours ne contient pas formellement l’exposé de moyens, une telle exigence n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité par l’article 8bis, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995. Du reste, la partie requérante a écrit, dans sa requête, qu’elle considère que « [la] non-réponse à [sa] demande n'est pas acceptable au regard des principes de transparence administrative, et […] que l’accès aux documents demandés doit [lui] être accordé, conformément au décret ». Une lecture bienveillante de la requête permet donc de comprendre que, selon la partie requérante, le refus de communication de la partie adverse méconnaît son droit fondamental à la publicité des documents administratifs et que, toujours selon la partie requérante, la communication sollicitée ne se heurte à aucune des exceptions prévues par une norme législative à ce droit fondamental.
Les exceptions relatives au formalisme de la requête sont rejetées.
Il s’ensuit que le recours est recevable.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7.1. La partie adverse invoque l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que :
« S'agissant de la confidentialité et de la divulgation d'informations relatives à un marché de travaux, la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics prévoit :
Art. 13, § 2 : Sans préjudice des obligations en matière de publicité concernant les marchés publics attribués, l'adjudicateur ne divulgue pas les renseignements que l'opérateur économique lui a communiqué à titre confidentiel, y compris, les éventuels secrets techniques et commerciaux et les aspects confidentiels de l'offre.
Art. 62 : certaines informations peuvent ne pas être publiées au cas où leur divulgation porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d'un opérateur économique ou pourrai nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques ;
Sur cette base, un pouvoir adjudicateur ne peut divulguer les informations contenues dans l'offre des soumissionnaires et ce, afin de ne pas compromettre la concurrence entre les différents opérateurs économiques et porter préjudice à leurs intérêts commerciaux respectifs […]
In casu, lorsque [la partie requérante] demande à la Ruche Chapelloise de lui transmettre l'ensemble des facturations du marché précité, il sollicite l'accès à des informations protégées par les articles XI.332/1 et suivants du Code de droit économique relatif aux secrets d’affaires et par les articles 13, § 2 et 62 de la loi du 17 juin 2013 relative aux marchés publics.
La publicité de telles informations nuirait manifestement à l'adjudicataire […] dont les prix unitaires et les méthodes de calcul de coûts seraient portés à la connaissance d'autres entreprises concurrentes qui pourraient les utiliser pour adapter leurs propres prix dans de futurs marchés publics. Accéder à la demande de [la partie requérante] nuirait donc au principe de concurrence consacré par le droit européen et à la concurrence loyale entre opérateurs économiques telle que prévue par la réglementation belge des marchés publics ».
7.2. L’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ».
La Commission rappelle que l’application de cette exception absolue requiert la réunion de deux conditions, cumulatives[1] :
- aux termes de la première condition, qui est d’ordre formel, l’obligation de secret doit être inscrite dans une loi ou un décret ;
- aux termes de la seconde condition, qui est d’ordre matériel, il convient d’interroger le sens du secret imposé pour s’assurer qu’il vise la bonne situation, les bonnes personnes ou les bons documents (voire partie(s) de document). Il faut tenir compte du but visé par une disposition relative à l’obligation de secret et du fait que la disposition relative à l’obligation de secret ne s’applique que dans la mesure où il est porté atteinte à la finalité pour laquelle cette disposition relative à l’obligation de secret a été créée.
Le recours à cette exception exige donc de démontrer de manière concrète et pertinente le lien de cette obligation avec le document qui fait l’objet de la demande d’accès.
En l’espèce, comme déjà exposé sous le point 1, la partie requérante limite l’objet de sa demande à la communication des montants facturés, pour le marché de base, révision comprise, ainsi que pour chaque reconduction, révision comprise également.
La Commission considère que les montants totaux facturés dans le cadre de la mise en œuvre des marchés publics ne sont pas en soi des informations confidentielles, au sens de l’article 13, § 2, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics. En effet, cette information est à ce point générale qu’elle n’est pas de nature à révéler des secrets techniques ou commerciaux et ne peut être considérée comme étant de celle pouvant être couverte par la confidentialité des offres. Il n’est pas non plus établi que la divulgation de ces montants totaux facturés serait de nature à porter préjudice aux intérêts commerciaux légitimes de l’opérateur économique concerné, au sens de l’article 62, alinéa 4, de la loi du 17 juin 2016 précitée. Décider autrement aurait pour conséquence de maintenir dans l’opacité la plus complète les documents et informations propres aux marchés publics, en méconnaissance du droit fondamental à la transparence administrative et, par ailleurs, aux principes généraux applicables aux marchés publics en vertu des articles 3 et suivants de la loi du 17 juin 2016, parmi lesquels le principe de transparence.
L’exception est rejetée.
8.1. La partie adverse invoque également l’exception relative à la vie privée, en ce compris le secret d’affaires qui est intégré dans cette notion, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que « les documents sollicités sont des factures émises pendant le marché de travaux, lesquels contiennent des informations techniques et financières, ayant notamment pour objet les postes de prix et les méthodes de calcul de frais de l'adjudicataire ». Elle expose le développement suivant :
« […] ce type d'information est protégé à l'échelle européenne par la directive 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016, laquelle a été transposée, en droit belge, au titre 8/1 du Code de droit économique ayant pour titre « Secrets d'affaires ».
Dans un arrêt du 13 juillet 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a réaffirmé l'existence d'un principe de longue date en droit communautaire, à savoir le droit des entreprises au respect de la confidentialité de leurs secrets d'affaires par les autorités publiques auxquelles elles les ont confiés.
[…]
Cette protection des informations techniques et financières est d’ailleurs consacrée par une des dérogations prévues à l’article 6, § 2, du Décret du 30 mars 1995 […] ».
8.2. L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise ».
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
En l’espèce, la Commission estime que la communication sollicitée des montants totaux facturés ne porte pas atteinte au secret d’affaires de l’opérateur économique concerné. En effet, de tels montants ne consistent pas en une structure de coûts ou de prix qui pourrait, moyennant les conditions reprises à l’article I.17/1, 1°, du Code de droit économique, consister, quant à elle, en des informations couvertes par le secret d’affaires[2].
L’exception est rejetée.
9.1. Enfin, la partie adverse invoque, implicitement mais certainement, l’exception relative à un intérêt économique ou financier de la Région prévue à l’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995. Elle écrit ce qui suit :
« […] les intérêts de la Ruche Chapelloise seraient également atteints au motif que les opérateurs privés qui remettraient offre à un marché public de la Ruche Chapelloise, verraient le détail de leurs offres et de leurs prix unitaires et globaux, rendus publics, ce qui les dissuaderait de vouloir contracter avec la Ruche ».
9.2. L’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme suit :
« § 1. L'entité ou l'autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif, si elle a constaté que l'intérêt de la publicité ne l'emporte pas sur la protection de l'un des intérêts suivants :
[…]
6° un intérêt économique ou financier de la Région ».
En l’espèce, l’intérêt économique ou financier de la partie adverse ne se confond pas avec celui de la Région wallonne, seul concerné à l’article 6, § 1er, 6°, du décret du 30 mars 1995. Du reste, l’article L3231-3 du CDLD ne comporte pas d’exception analogue de nature à s’appliquer à la partie adverse.
L’exception est rejetée.
10. Dans son courriel en réponse du 7 mars 2025, la partie adverse précise que le marché en question n’a pas fait l’objet d’une reconduction. Il convient d’en prendre acte.
11. La Commission n’aperçoit pas quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication des documents reprenant les informations sollicitées. A cet égard, dès lors que seuls les montants totaux facturés sont sollicités, la partie adverse peut occulter les autres informations reprises sur ces documents qui tomberaient dans le champ d’une des exceptions prévues par une norme législative au droit à la transparence administrative, étant entendu que celles-ci sont d’interprétation restrictive.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents relatifs au montant total facturé, pour le marché […] entre la société […] et [la partie adverse] et ce dans le cadre du marché « […] Remplacements de chaudières et d'équipements de production d'eau chaude – Procédure négociée du 27/10/2021 » en occultant les informations autres que les montants totaux facturés qui tomberaient dans le champ d’une des exceptions prévues par une norme législative au droit à la transparence administrative, étant entendu que celles-ci sont d’interprétation restrictive et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.
[2] Voy. également les décisions n° 7 du 7 octobre 2019 et n° 216 du 6 décembre 2021 de la CADA wallonne.