20 mai 2025 -
CADA - Décision n° 517 : Ville – Factures d'avocat – Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret (oui) – Secret professionnel – Communication partielle
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Ville – Factures d'avocat – Obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret (oui) – Secret professionnel – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Ville de Huy, Grand-Place, 1 à 4500 Huy,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 11 avril 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 16 avril 2025 et reçue le 17 avril 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 28 avril 2025.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie de :
« l’ensemble des factures d'avocats dans le cadre du ou des dossier(s) qui oppose(nt) la Ville de Huy à […].
Ma demande porte sur l’ensemble de la période couverte par ce/ces dossier(s) jusqu’à ce jour et concerne les factures d'honoraires du cabinet de Me […] mais également de tout autre cabinet/avocat qui serait intervenu dans ce/ces dossier(s) pour le compte de la ville, pour un membre du Collège des bourgmestres et échevins, pour un fonctionnaire communal,... ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 5 mars 2025.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 2 avril 2025, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 11 avril 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. En l’espèce, la partie adverse invoque l’exception relative à une obligation de secret instaurée par une loi ou un décret, prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que « si les montants des honoraires peuvent être transmis (…), les états de frais et honoraires sont des documents qui concernent des éléments couverts par le secret professionnel. En effet, les factures reprennent les prestations effectuées par les avocats de la Ville ». La partie adverse précise qu’ « un des dossier est relatif à une instruction pénale toujours en cours contre […], et qu’outre le secret professionnel s’applique également le secret de l’instruction qui couvre les devoirs demandés par le conseil de la Ville ».
L’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
[…]
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret ».
La Commission rappelle que l’application de cette exception absolue requiert la réunion de deux conditions cumulatives[1] :
- aux termes de la première condition, qui est d’ordre formel, l’obligation de secret doit être inscrite dans une loi ou un décret ;
- aux termes de la seconde condition, qui est d’ordre matériel, il convient d’interroger le sens du secret imposé pour s’assurer qu’il vise la bonne situation, les bonnes personnes ou les bons documents (voire partie(s) de document). Il faut tenir compte du but visé par une disposition relative à l’obligation de secret et du fait que la disposition relative à l’obligation de secret ne s’applique que dans la mesure où il est porté atteinte à la finalité pour laquelle cette disposition relative à l’obligation de secret a été créée.
Le recours à cette exception exige donc de démontrer de manière concrète et pertinente le lien de cette obligation avec le document qui fait l’objet de la demande d’accès.
En l’espèce, en tant qu’elles comprennent le détail des honoraires des avocats, la Commission estime que ces factures relèvent de l’exception relative à une obligation de secret prévue à l’article 6, § 2, 2°, du décret du 30 mars 1995, et prévue par l’article 458bis du Code pénal, à savoir le secret professionnel :
« le secret professionnel de l’avocat peut constituer une exception au sens des législations relatives à la publicité de l’administration. Si ce secret est au cœur des règles déontologiques relatives à la profession d’avocat, il peut aussi trouver son fondement à l’article 458 du Code pénal ainsi que dans les droits fondamentaux protégés par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme »[2].
(…)
« la protection du secret professionnel des avocats s’étend essentiellement aux documents émanant des avocats eux-mêmes (…) le secret professionnel de l’avocat a pour objectif de permettre à l’avocat et à son client de communiquer en toute liberté, sans crainte de voir le contenu de ces échanges divulgué à des tiers »[3].
Partant, les factures demandées doivent être communiquées en y laissant apparaître seulement les montants totaux des prestations et frais.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités en y laissant apparaître seulement les montants totaux des prestations et frais et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] P.-O. de BROUX, D. de JONGHE, R. SIMAR, M. VANDERSTRAETEN, « Les exceptions à la publicité des documents administratifs », in V. MICHIELS (dir.), La publicité de l’administration – Vingt ans après, bilan et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 144-145.
[2] Voy. l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat n° 54.460/2 du 4 décembre 2013, Doc.parl., Chambre, sess. 2013-2014, n° 2764/2 ; l’arrêt C.C. 10/2008 du 23 janvier 2008.
[3] Voy. Avis n° 105 du 27 juin 2016 et décisions n° 24 du 6 janvier 2020, 84 du 21 septembre 2020 et n° 88 du 12 octobre 2020 de la CADA wallonne.