20 mai 2025 -
CADA - Décision n° 512 : Gouverneur – Courrier – Zone de police – Demande manifestement abusive (non) – Vie privée (non) – Communication
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Gouverneur – Courrier – Zone de police – Demande manifestement abusive (non) – Vie privée (non) – Communication
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
Le Gouverneur de la Province de Liège, Place Notger, 2 à 4000 Liège,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 7 mars 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 10 mars 2025 et reçue le 11 mars 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 4 avril 2025,
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 10 avril 2025,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie des documents suivants :
« - Le courrier de la Zone de police Vesdre dans lequel elle envoie au Gouverneur les copies certifiées conformes des délibérations du Conseil de police du 16 janvier 2025 ;
- Toujours concernant le Conseil de police du 16 janvier 2025, […] le courrier du Gouverneur à la Zone lui indiquant si les délibérations appellent ou non une observation de sa part ».
II. Compétence de la Commission
2. Dans son courrier du 3 avril 2025, la partie adverse émet des doutes quant à la compétence ratione materiae de la Commission dès lors que les documents demandés relèvent selon elle d’une matière fédérale et que le Gouverneur intervient à ce titre en qualité de commissaire du Gouvernement fédéral.
3. Les demandes formulées par la partie requérante ont, pour partie, trait à des courriers de la zone Vesdre, soit une zone de police pluricommunale.
La Commission a, à plusieurs reprises, constaté son incompétence pour connaître de recours à l’encontre de décisions qui font suite à une demande d’accès à un document administratif détenu par une zone de police pluricommunale[1].
La demande de publicité, et le recours qui fait suite au refus implicite de la partie adverse, n’est toutefois pas formulée directement auprès d’une zone de police pluricommunale mais bien auprès du Gouverneur de la Province de Liège qui, en vertu de son pouvoir de tutelle sur la zone de police pluricommunale, se voit communiquer certaines des délibérations de ses organes.
Compte tenu de ce que la demande de publicité (et le recours qui en est la suite) a été formulée auprès du Gouverneur de la Province de Liège, le seul fait que les documents sollicités aient trait à des documents émanant d’une zone de police pluricommunale ne suffit pas à constater l’absence de compétence de la Commission en l’espèce.
En effet, la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs est déterminée eu égard à l’autorité qui détient le document et non eu égard à la matière à laquelle le document a trait.
En l’espèce, la Commission est compétente dès lors que les documents sollicités sont détenus par le Gouverneur de la Province de Liège, lequel relève organiquement de la Région wallonne (article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles). Le Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation ne prévoit pas de restriction à la compétence de la Commission à l’égard du gouverneur d’une province. Le fait que les documents concernés puissent relever d’une matière fédérale (en l’espèce la police), communautaire ou autre ne prive pas la Commission de sa compétence organique à l’égard des documents détenus par le Gouverneur de province. Comme indiqué ci-avant, le critère déterminant la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs de la Région wallonne est lié à l’autorité administrative qui détient le document et non au contenu du document qui pourrait relever d’une matière pour laquelle la Région wallonne n’est pas compétente[2], hormis certains cas, tels, les documents de nature environnementale, étrangers au cas d'espèce.
Pour autant que de besoin, la Commission rappelle qu’elle voit sa compétence matérielle déterminée, en vertu de l'article 32 de la Constitution, pour l'essentiel, par l'article 8 du décret du 30 mars 1995 et l'article L3231-5 du CDLD. Il ne lui appartient pas d'écarter ces dispositions décrétales, qui s'imposent à elles tant qu'elles n'ont pas été abrogées.
Le nouvel article 1er de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration, tel que modifié par l'article 2 de la loi du 12 mai 2024 modifiant la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration et abrogeant la loi du 12 novembre 1997 relative à la publicité de l'administration dans les provinces et les communes, qui fixe la compétence matérielle de la Commission d’accès aux documents administratifs fédérale, n’est pas de nature à remettre en cause ce qui précède.
Cette disposition ne saurait limiter la compétence de la Commission wallonne, d’autant plus qu’elle semble rompre avec la répartition des compétences voulue par le Constituant, telle que rappelée par la jurisprudence, la légisprudence et la doctrine majoritaire.
Il ressort des travaux préparatoires de l’article 32 de la Constitution que :
« La disposition proposée signifie que la consultation et la copie de documents administratifs sont libres. Toutefois, la loi, le décret ou l'ordonnance peuvent prévoir des exceptions ou modaliser ce droit en ce qui concerne les documents détenus par les autorités ou services relevant de la compétence, selon le cas, de l'autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région et peuvent prévoir des exceptions pour des motifs relevant de l'exercice de leurs compétences, qui valent pour toutes les autorités administratives »[3].
En ce sens, la section de législation du Conseil d’Etat relève que :
« De ces développements [à savoir le régime particulier de répartition des compétences entre l'État, les Communautés et les Régions résultant de l'article 32 de la Constitution dans le domaine de l'accès aux documents administratifs, ainsi que de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage et de divers avis de la section de législation du Conseil d'État postérieurs à l'adoption de la disposition constitutionnelle précitée], il peut être déduit que chaque niveau de pouvoir est compétent pour établir une réglementation générale relative à la publicité de l'administration - réglementation tendant tout particulièrement à déterminer les modalités concrètes d'exercice du droit d'accès aux documents administratifs consacré par l'article 32 de la Constitution -, en ce qui concerne ses propres institutions et celles dont il lui appartient de régler l'organisation. Il y a lieu de préciser que la compétence que détient ainsi un niveau de pouvoir de régler de manière générale la publicité de l'administration dans ses propres institutions et dans celles dont il lui appartient de régler l'organisation, s'étend normalement à tous les actes ou domaines d'activités desdites institutions, quels qu'ils soient et à quelque matière qu'ils se rapportent.
En réglant l'accès aux documents administratifs dans la sphère de compétence qui est la sienne, une autorité a notamment le pouvoir de déterminer les exceptions dont elle estime devoir assortir le droit d'accès à ces documents. Cependant, un régime particulier de répartition des compétences entre l'État, les Communautés et les Régions résulte de l'article 32 de la Constitution, en ce qui concerne les exceptions au droit d'accès aux documents administratifs qui sont justifiées par des motifs tenant à la protection d'intérêts déterminés : selon ce régime, chaque niveau de pouvoir est compétent - et seul compétent - pour fixer les exceptions au droit d'accès aux documents administratifs qui sont justifiées par des motifs tenant à la protection d'intérêts qui relèvent de ses compétences propres, ces exceptions étant applicables à toutes les institutions qui détiennent de tels documents, quel que soit le niveau de pouvoir duquel elles relèvent »[4].
Ceci est également confirmé par la doctrine, qui relève, concernant la compétence générale de fixer les modalités générales de la publicité, qu’ « il y a lieu de se référer uniquement au critère formel. Celui-ci trouve son fondement dans les articles 9 et 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 qui établissent la compétence des entités fédérées de régler le fonctionnement de leurs propres services et des organismes qu’elles sont autorisées à créer »[5].
4. Il s'ensuit que la Commission n’aperçoit aucun motif de s’écarter de sa jurisprudence constante et considère être compétente pour connaître du recours. La Commission est compétente ratione materiae et ratione personae pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
5. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
6. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 12 février 2025.
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 4 mars 2025.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 7 mars 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
7. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
8. La partie adverse n’a pas transmis la copie des documents administratifs sollicités par la partie requérante en méconnaissance de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995. Dans ces conditions, la Commission n’est pas en mesure d’apprécier de manière concrète et complète la pertinence des exceptions invoquées au regard des circonstances de l’espèce.
Il s’ensuit qu’il est de règle que la partie adverse doit communiquer les documents demandés à la partie requérante, sous réserve des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et à l’article L3231-3 du CDLD, en ce compris les précisions qui suivent.
9.1. En l’espèce, si la partie adverse n’invoque pas expressément d’exception au droit à la publicité de l’administration, il découle toutefois de ses développements qu’elle s’interroge sur le caractère abusif de la demande.
Elle relève à cet égard que la partie requérante « [pourrait] en faire un usage illicite vu [sa] propension à communiquer négativement sur Internet ou sur Facebook », que « ces multiples demandes introduites par [la partie requérante] et […] ont uniquement pour objet la gestion de la zone de police Vesdre et sont liées à un conflit ancien qui a opposé l’épouse de […] à la zone en question ». Elle fait également état du « désir de vengeance [apparaissant] clairement dans le chef de […] car il a utilisé les informations reçues antérieurement pour tenter de démontrer une mauvaise gestion de la part de la zone et dénoncer de prétendues irrégularités auprès des ministres concernés (…) tout en dénigrant le travail effectué par mes services ». Elle fait également part « du manque de ressources qui accable [ses] services ». Elle indique à cet effet que ses services « ont perdu 25% de leurs effectifs sur les dix dernières années. [La partie adverse expose ne plus avoir] les moyens humains suffisants pour traiter des demandes inutiles et injustifiées qui ne font que s’accentuer. Une telle manière de procéder constitue une entrave à l’exercice de missions légales prioritaires et il n’est plus opportun pour moi d’y faire droit (…) ».
9.2. Eu égard au fait que la partie requérante pourrait faire un usage abusif des documents communiqués sur internet, il y a lieu de rappeler que l’utilisation de documents obtenus en application du droit d’accès aux documents administratifs relève de la responsabilité de la partie requérante, à laquelle il appartient de veiller au respect des droits des tiers, en ce compris le droit à la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel de toute personne concernée par les documents sollicités. La partie adverse ne peut justifier son refus par des craintes, non autrement étayées, quant à une « mauvaise utilisation » du document que pourrait faire la partie requérante. Ceci ne saurait justifier, à lui seul, un refus de publicité. Du reste, les griefs exposés concernant une « vindicte personnelle » sont étrangers à la partie requérante.
Par ailleurs, il revient à la partie adverse de démontrer in concreto en quoi la demande de la partie requérante est abusive. En l’espèce, si elle fait état de « demandes devenues systématiques avec le temps » et du « manque de ressource qui accable [ses] services », il n’est pas étayé de manière suffisamment probante en quoi la répétition de ces demandes de publicité est de nature à emporter une charge de travail à ce point importante qu’elle est de nature à entraîner un dysfonctionnement du service public, plus spécifiquement de la mission de tutelle administrative concernée. Il s’ensuit qu’eu égard aux informations transmises par la partie adverse, il n’apparaît pas que les éléments avancés sur ce point suffisent à constater, dès à présent, que la demande de la partie requérante serait abusive.
Il n’appartient pas non plus à la partie adverse de circonscrire les demandes de publicité aux personnes qui démontreraient « un intérêt propre, spécifique et documenté sur la demande introduite », de telles exigences n’étant pas prévue par le cadre législatif applicable.
10.1. Par ailleurs, la partie adverse soutient que la partie requérante tente « de se faire communiquer des délibérations qui contiennent des données personnelles alors qu’elles sont couvertes par des dispositions légales de protection des données à caractère personnel ». Ce faisant, la partie adverse soulève, implicitement, l’exception à la transparence administrative visée à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, qui dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
S’agissant d’une exception à la transparence administrative, elle est de stricte interprétation.
10.2. En l’espèce, à défaut d’avoir reçu les documents sollicités, la Commission n’est pas en mesure de déterminer dans quelle mesure il y aurait lieu de refuser ou de limiter la transparence administrative.
11. Par ailleurs, la Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication des documents concernés.
12. En conclusion, la partie adverse doit communiquer les documents administratifs sollicités à la partie requérante, sous réserve éventuellement du respect de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995, d’interprétation restrictive.
13. Vu les circonstances particulières invoquées par la partie adverse, la Commission porte le délai de communication à 30 jours.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] CADA wallonne, décision n° 194 du 6 septembre 2021, décision n° 173 du 23 août 2021, décision n° 19 du 2 décembre 2019 et décision n° 11 du 4 novembre 2019.
[2] Voir avis n° 2014/30 du 31 mars 2014 de la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs et CADA Wallonne, avis n° 66 du 28 avril 2014. Voy. Aussi C.E. (sect. Lég.), avis L. 23.853/1.
[3] Proposition du Gouvernement visant à insérer un article 24ter dans la Constitution relatif à la publicité de l'administration, Note explicative, Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 839/1, pp. 4-5.
[4] C.E. (sect. lég.), avis 38.943/2/V, la Commission souligne et imprime en gras. Voy. Aussi C.E. (sect. lég.), avis 39.823/3.
[5] D. Déom, T. Bombois et L. Gallez, « Les exceptions au droit d’accès aux documents administratifs », in L’accès aux documents administratifs, Dir. D. Renders, p. 183.