20 mai 2025 -
CADA - Décision n° 516 : Forem – Documents relatifs à des marchés publics – Vie privée – Secret des affaires – Recours partiellement sans objet – Communication partielle
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Forem – Documents relatifs à des marchés publics – Vie privée – Secret des affaires – Recours partiellement sans objet – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
L’Office wallon de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Boulevard Tirou, 104 à 6000 Charleroi,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu les articles 1er, alinéa 1er et 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article 3, § 1er, 35°, du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public,
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courrier le 1er avril 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 2 avril 2025 et reçue le 3 avril 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 18 avril 2025,
Vu les documents communiqués par la partie adverse à la partie requérante le 18 avril 2025 ;
Vu la « note d’observations » adressée par la partie requérante à la Commission le 24 avril 2025.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie des documents suivants :
« - la décision d’attribution, en version intégrale, du marché intitulé "DMP2400863/RSSSBR/Formaction Commerces - Marché de services d'accompagnement à destination des commerçants" ;
- le rapport d’examen des offres ;
- et l’intégralité du dossier administratif ».
2. Le 17 avril 2025, la partie adverse a communiqué à la Commission la version intégrale de la décision motivée d’attribution, ainsi que les offres des soumissionnaires […]. Elle a adressé par ailleurs les mêmes documents, mais en occultant certains passages. La partie adverse précise encore qu’ « aucun rapport d’examen des offres n’est transmis compte tenu du fait que le FOREm n’établit pas ce type de document ».
Les documents, dans leur version partiellement occultée, ont également été transmis à la partie requérante.
3. La partie requérante indique que cette communication n’implique pas que son recours n’a plus d’objet dès lors que, selon elle, « les documents reçus sont largement rendus incompréhensibles par les éléments occultés. Le secret des affaires ne s’applique pourtant vraisemblablement pas pour une large partie de ces éléments ». Elle précise ne pas solliciter l’accès aux prix unitaires, mais bien aux autres éléments occultés pour lesquels elle indique que « le secret des affaires n’est pas identifié ou applicable les concernant ». Elle relève enfin que « manquent actuellement à tout le moins le rapport d’attribution ainsi qu’une convention de partenariat passée entre le Forem et […], faisant apparemment partie du dossier administratif. La composition de celui-ci n’est pas précisée, vu l’absence d’inventaire, je doute d’en avoir reçu l’intégralité ».
II. Compétence de la Commission
4. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
5. L’article 8bis, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« Le recours devant la Commission peut être introduit par tout demandeur n'ayant pas obtenu satisfaction auprès de l'entité compétente par requête adressée au secrétariat de la Commission par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de trente jours, qui en fonction du cas prend effet :
- le lendemain de la réception de la décision de rejet ;
- le lendemain de l'expiration du délai visé à l'article 6, § 5, ou à l'article 7, alinéa 2 ».
6. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 28 février 2025.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 30 mars 2025, en application de l’article 6, § 5, du décret du 30 mars 1995.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 1er avril 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du même décret.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
7. Comme il ressort du point 2, en cours de procédure, la partie adverse a transmis divers documents sollicités à la partie requérante, en occultant certains passages.
La partie requérante indique que sa demande n’est pas satisfaite par cette notification au motif :
- Qu’elle souhaite accéder aux informations occultées, à l’exception des prix unitaires ;
- Que certains documents demandés n’auraient pas été produits tels le rapport d’attribution ainsi qu’une convention de partenariat passée entre le FOREm et […].
Il résulte de ces éléments que le recours a partiellement perdu son objet à la suite de la communication des documents occultés par la partie requérante.
La Commission limitera dès lors son examen au refus d’accès aux éléments occultés, à l’exception des prix unitaires, et aux documents qui feraient partie du dossier administratif et qui n’auraient pas été communiqués à la partie requérante.
8. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
9. Concernant les documents communiqués et dont certaines mentions ont été occultées, la partie adverse explique, concernant les parties occultées de ces documents, que « les éléments occultés le sont en application de l’article 6, § 2, 1° (vie privée) et 2° (secret des affaires) du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’administration ».
10. L’article 6, § 2, 1° et 2°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
2° à une obligation de secret instaurée par une loi ou par un décret; […] ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégées « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise »[1].
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
11. En l’espèce, il ressort de l’examen des documents auxquels la Commission a pu avoir accès que la partie adverse a masqué les informations suivantes :
- Dans la décision motivée d’attribution :
- Les adresses et numéros d’entreprise des deux autres soumissionnaires :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires et ne ressortissent pas de la notion de vie privée, s’agissant d’adresses de personnes morales et d’informations librement accessibles, notamment sur le site de la Banque Carrefour des entreprises.
- L’examen de la régularité de l’offre du soumissionnaire […] :
L’examen de la régularité de l’offre du soumissionnaire […] ne fait pas ressortir des informations ressortant de la notion de secret des affaires, telle que rappelée ci-dessus.
- Les initiales des « intervenants renseignés dans l’offre » :
Cet élément n’est pas couvert par la notion de secret des affaires et ne ressortit pas de la vie privée des personnes concernées, et ce d’autant plus que de simples initiales ne permettent pas directement d’identifier les personnes concernées.
- Les prix totaux et unitaires :
La partie requérante indique qu’elle « ne sollicite pas de connaitre les prix unitaires ». Il ressort par ailleurs de la décision motivée d’attribution que les prix totaux sont établis en multipliant les prix unitaires par les quantités présumées. Les prix totaux constituent donc la somme de prix unitaires auxquels l’accès n’est pas demandé.
L’accès à ces informations n’étant pas demandé, la Commission n’examine pas si les éléments occultés entrent ou non dans une exception à la publicité de l’administration.
- L’analyse des critères de sélection qualitative :
Les éléments occultés dans le tableau d’analyse des critères de sélection qualitative ne font pas ressortir des informations ressortant de la notion de secret des affaires, telle que rappelée ci-dessus.
Dans l’offre de la Société […] :
- L’adresse du siège scial, du numéro de téléphone, le nom et les coordonnées de contact de la personne à contacter, le numéro de TVA et d’entreprise ainsi que le nom du représentant du soumissionnaire :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires et ne ressortissent pas de la notion de vie privée, s’agissant d’une adresse de personne morale et d’informations librement accessibles, notamment sur le site de la Banque Carrefour des entreprises.
- Les prix unitaires HTVA et TVAC ainsi que le prix ttal HTVA des différents postes du marché :
La partie requérante indique qu’elle « ne sollicite pas de connaitre les prix unitaires ». Il ressort par ailleurs du document auquel l’accès est demandé que les prix totaux sont établis en multipliant les prix unitaires par les quantités présumées. Les prix totaux constituent donc la somme de prix unitaires auxquels l’accès n’est pas demandé.
L’accès à ces informations n’étant pas demandé, la Commission n’examine pas si les éléments occultés entrent ou non dans une exception à la publicité de l’administration.
- Le numéro de compte, l’établissement financier et le nom du titulaire du compte du soumissionnaire :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires telle que rappelée ci-dessus.
-Les chiffres d’affaires globaux du soumissionnaire et des entités liées pour les années 2022 à 2024 ainsi que l’adresse des sociétés liées et le nom de leurs gérants :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires telle que rappelée ci-dessus.
-Descriptif de l’outil de diagnostic et indication du nombre de commerçants concernés :
Le seul nom du document relatif à l’outil et l’affirmation relative au nombre de commerçants ayant utilisé l’outil ne relèvent pas de la notion du secret d’affaires.
- Divers éléments du tableau permettant d’illustrer la capacité technique et/ou professionnelle du soumissionnaire :
Ces éléments comportent des informations de nature à relever du secret des affaires dans la mesure où ils offrent des indications précises sur l’outil développé et sur la nature des prestations proposées par ce soumissionnaire, révélant ainsi sa stratégie commerciale.
- Les adresses des sociétés, signature des personnes et nom et qualité des personnes signant les déclarations d’engagement de mise à disposition des moyens financiers et/ou techniques :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires et ne ressortissent pas de la notion de vie privée, s’agissant d’adresses de personnes morales et d’informations librement accessibles, notamment sur le site de la Banque Carrefour des entreprises.
- Les noms des intervenants proposés :
Vu l’objet du marché, il peut être admis que le nom des intervenants proposés constitue une information qui relève de la notion de secret des affaires dès lors qu’elle peut présenter une valeur commerciale déterminante n’ayant pas vocation à être connue des concurrents du soumissionnaire.
- Les expériences pédagogiques et professionnelles des différents intervenants :
Les informations occultées relèvent bien de la notion de secret des affaires telle que rappelée ci-dessus, laquelle comprend notamment « les fichiers de client et de distributeurs ». En effet, dans les expériences professionnelles et pédagogiques mise en avant, on retrouve divers noms de clients.
- Les noms des co-fondateurs et administrateurs du soumissionnaire […] :
Ces personnes étant reprises en cette qualité sur le site internet du soumissionnaire, cette information ne semble pas ressortir d’une exception à la publicité de l’administration.
- La description de l’outil de Mesure et d’Amélioration de la Performance commerciale du soumissionnaire […] :
Dès lors que cet élément décrit l’outil développé par le soumissionnaire en lien avec l’objet du marché, il relève bien de la notion de secret des affaires.
Dans les DUMES des sociétés […] :
- Les adresses postales, internet et électronique, le téléphone, le nom de la ou des personnes de contact, le numéro de TVA et le fait de savoir si l’opérateur économique est ou non une micro, petite ou moyenne entreprise, le lieu où la DUME a été signée et la signature ont été occultés :
Ces éléments ne sont pas couverts par la notion de secret des affaires et ne ressortissent pas de la vie privée des personnes concernées, le seul fait d’être désignée personne de contact pour une société n’étant pas de nature à relever de la protection de la vie privée.
- Les noms, prénoms, date de naissance, lieu de naissance, adresses, adresse électronique et téléphone de la personne de contact :
Si, comme relevé ci-dessus, le seul fait d’agir comme personne de contact d’un soumissionnaire ne ressortit pas de la vie privée, de sorte que le nom et prénom de la personne de contact pouvait être communiqué, il n’en va pas de même de l’adresse, du lieu et de la date de naissance ou des coordonnées de la personne de contact, lesquelles devaient être occultées.
En effet, il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du règlement général de protection des données (RGPD) que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
En l’espèce, la Commission ne perçoit pas en quoi l’intérêt de la publicité doit primer le droit à la protection des données à caractère personnel du ou des représentants concernés – s’agissant de d’adresses personnelles, de coordonnées, d’une date et d’un lieu de naissance.
Il s’ensuit que les données précitées devaient être occultées.
Dans le rapport de dépôt de […] :
- Les cordonnées de la société et de la personne de contact :
Ces informations ne sont pas couvertes par la notion de secret des affaires et ne ressortissent pas de la notion de vie privée, s’agissant d’une adresse de personne morale et d’informations librement accessibles, notamment sur le site de la Banque Carrefour des entreprises.
- Le nom de l’outil de Mesure et d’Amélioration de la Performance commerciale du soumissionnaire […] :
Le seul nom du document relatif à l’outil ne relève pas de la notion du secret des affaires.
12. En ce qui concerne le rapport d’examen des offres, la partie adverse explique qu’ « aucun rapport d’examen des offres n’est transmis compte tenu du fait que le FOREm n’établit pas ce type de document. L’ensemble des informations relatives à l’évaluation des offres sont comprises au sein de la décision motivée d’attribution ».
Partant, le recours est sans objet pour ce point.
13. Concernant le rapport d’attribution, la partie adverse indique que « [la partie requérante] a également libre accès à l’avis d’attribution contenant une série d’informations, dont l’identité de l’adjudicataire, le nombre d’offres ou la valeur de l’offre retenue (article 17 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques) ».
Dès lors que ce document est en libre accès sur la plateforme « e-Procurement », le recours est sans objet sur ce point.
14. Pour le surplus, la partie requérante indique que des documents sollicités n’ont pas été communiqués, comme « une convention de partenariat passée entre le Forem et […], faisant apparemment partie du dossier administratif ».
Si ce document existe et qu’il fait partie du dossier administratif auquel l’accès a été initialement sollicité, ce dont la Commission ne peut préjuger, la Commission constate que la partie adverse ne lui a pas communiqué le document sollicité, en sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer, en pleine connaissance de cause, la mission qui lui est dévolue.
Il en va de même des éventuels « autres » documents qui composeraient le dossier administratif et qui n’auraient pas été transmis à la Commission.
Dans ce contexte, par analogie avec l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer le(s) document(s) concerné(s) à la partie requérante, s’ils existent, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du même décret et spécialement l’exception relative à la vie privée en ce compris le secret d’affaires, étant entendu qu’elles sont de stricte interprétation.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement sans objet.
Le recours est partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy. notamment CADA wallonne, décisions n° 209 du 9 novembre 2021, n° 216 du 6 décembre 2021, n° 275 du 9 février 2023, n° 374 du 23 janvier 2024.