15 juillet 2025 -
CADA - Décision n° 525 : Ville – Budget – Vie privée (non) – Communication
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Ville – Budget – Vie privée (non) – Communication
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La Ville de Tubize, Grand’Place, 1 à 1480 Tubize,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 5 mai 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 7 mai 2025 et reçue le 8 mai 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 20 mai 2025;
Vu la note d’observations de la partie adverse, transmise à la partie requérante le 16 juin 2025,
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. La demande initiale introduite le 7 mars 2025 porte sur la communication d’une copie de « l'intégralité du budget […] présenté en séance publique » lors du Conseil communal de la Ville de Tubize du 13 mars 2025.
2. Le 5 mai 2025, via « Transparencia », la partie requérante réitère sa demande initiale et la précise comme il suit :
« J’écris pour demander une reconsidération de ma demande 'Demande d’accès au budget communal 2025' d'accès aux informations détenues par Ville de Tubize.
Les documents administratifs relatif au budget communal de la ville sont repris dans la question écrite du parlement wallon du 16/03/2021 (Question écrite du 16/03/2021 - Session : 2020-2021 - Année : 2021 - N° : 182 (2020-2021) […]...). Les conseillers communaux ont un accès plus complet que les citoyens. Cela ne peut empêcher les citoyens de suivre la politique communale du point de vue budgétaire »[1].
II. Compétence de la Commission
3. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
4. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
5. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 7 mars 202
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 6 avril 2025, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 5 mai 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
6. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
7. En l’espèce, dans sa note d’observations, la partie adverse communique la liste des pièces justificatives obligatoires à transmettre aux conseillers communaux et indique qu’elle « propose [...] de transmettre uniquement à [la partie requérante] le budget sous format WORD, c’est-à-dire l’annexe 3 et 3bis ».
Elle ne s’oppose donc pas à la communication du budget ordinaire (annexe 3) et du budget extraordinaire (annexe 3bis), tels que présentés lors de la séance publique du conseil communal de la Ville de Tubize du 13 mars 2025. Par ailleurs, à l’examen des documents communiqués par la partie adverse, la Commission ne relève aucun motif d’exception susceptible de justifier un refus de communication des documents concernés.
Ces documents doivent donc être transmis à la partie requérante.
8. En ce qui concerne les autres documents accompagnant le budget, la partie adverse indique, dans sa note d’observations, que « [la partie requérante] n’est pas membre du conseil communal, par conséquent cette obligation de donner le dossier complet comme pour un conseiller communal ne contraint pas la Ville à répondre positivement à cette personne ».
La Commission ne peut toutefois pas suivre ce raisonnement.
Dans sa décision n° 18 du 2 décembre 2019, elle a déjà eu l’occasion de souligner que :
« La Commission relève que l’article L1122-13 (…) du CDLD octroie un droit de consultation aux conseillers communaux, mais ne restreint pas pour autant le droit pour un citoyen de demander et de recevoir une copie desdits documents.
À cet égard, la Commission rappelle que le droit prévu à l’article 32 de la Constitution est un droit fondamental et que les exceptions doivent s’entendre de manière restrictive. En effet, les exceptions légales au droit d’accès aux documents administratifs en possession d’une commune sont limitativement énumérées à l’article L3231-3 du CDLD, sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région. L’article L1122-13, précité, du CDLD ne peut être considéré comme constituant une telle exception. »
9. Par ailleurs, la partie adverse fait valoir que, dans la liste des pièces justificatives obligatoires à transmettre aux conseillers communaux, « certaines données sont soumises au RGPD ».
A ce sujet, la Commission rappelle que, par l’arrêt n° 259.418 du 9 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, implicitement mais certainement, que les règles ressortant du RGPD s’imposent au régime de publicité administrative organisé par le décret du 30 mars 1995.La Commission est d’avis que, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre du décret du 30 mars 1995, les règles du RGPD peuvent s’appréhender comme formant un tout indissociable avec l’exception relative à la vie privée, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret précité, sous réserve du respect de la primauté du droit européen.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] »
Le décret du 30 mars 1995 interdit donc à l’entité de transmettre des informations qui portent atteinte à la vie privée.
Le RGPD dispose en son article 86 comme il suit :
« Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l’exécution d’une mission d’intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l’Union ou au droit de l’État membre auquel est soumis l’autorité publique ou l’organisme public, afin de concilier le droit d’accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement ».
La Cour de justice de l’Union européenne juge que :
« […] les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne sont pas des prérogatives absolues ainsi que l’indique le considérant 4 du RGPD, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105] ».
Il résulte de l’examen combiné de l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 et de l’article 86 du RGPD que l’exception au droit fondamental à la publicité administrative prise de l’atteinte à la vie privée doit faire l’objet d’une mise en balance entre, d’une part, les intérêts du public à l’accès aux documents officiels et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel résultant du RGPD. En effet, l’exception législative concernée doit nécessairement, au regard des règles supérieures ressortant du RGPD, être interprétée comme ayant une portée relative, qui requiert de tenir compte de la conciliation à assurer entre les intérêts visés par l’article 86 du RGPD.
De manière constante, la Commission considère que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
En l’espèce, la partie adverse ne précise pas quelles données figurant dans les pièces justificatives obligatoires à transmettre aux conseillers communaux seraient, selon elle, soumises au RGPD. A l’examen des documents transmis, la Commission n’a identifié aucune information de nature à justifier l’application de l’exception relative à la vie privée prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
Il s’ensuit que l’ensemble des autres documents accompagnant le budget doivent également être communiqués à la partie requérante.
La Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication du document concerné.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est fondé. La partie adverse communique à la partie requérante l'intégralité du budget présenté en séance publique lors du conseil communal de la Ville de Tubize du 13 mars 2025 et ce, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] La question parlementaire porte sur les documents, accompagnant le projet de budget, qui doivent être communiqués aux conseillers communaux avant la séance au cours de laquelle le conseil est appelé à délibérer du budget.