15 juillet 2025 -
CADA - Décision n° 526 : SPW – Marchés publics – Vie privée – Secret des affaires – Communication partielle
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SPW – Marchés publics – Vie privée – Secret des affaires – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
Le Service Public de Wallonie, Place Joséphine-Charlotte, 2 à 5100 Jambes,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu les articles 1er, alinéa 1er, et 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 7 mai 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 13 mai 2025 et reçue le 14 mai 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 26 mai 2025.
Vu la décision de proroger le délai prévu à l’article 8quinquies, § 1er, du décret du 30 mars 1995, compte tenu de la charge de travail importante de la Commission.
I. Objet de la demande
1. Par son recours, la partie requérante entend obtenir une copie de l’ensemble des documents (appel d'offres, cahier des charges, étude des offres, offres remises, analyses, avis et documents remis par l'adjudicataire lors de sa mission) relatifs aux marchés publics suivants :
« -SANITAIRE : en 2019 pour SPW SG - Deloitte Consulting : Analyse de la politique d'achat des produits d'entretien 117.612,00 € / en 2020 pour le SPW SG - Deloitte Consulting Mission d'accompagnement du SPW - approvisionnement en équipement de protection individuel et matériel sanitaire 31.363,00 € / en 2020 - Deloitte Consulting Analyse de la politique d'achat des produits d'entretien 5.227,00 €.
-EXPERTISE IMMO : en 2023 pour la SOWAER - CBRE Expertise immobilière bâtiments aéroport de Charleroi 7.260,00 € / en 2020 pour la SOWAER - Deloitte Consulting Expertise immobilière valeur des terrains en ZAE 163.507,00 € ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article 8bis, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« Le recours devant la Commission peut être introduit par tout demandeur n'ayant pas obtenu satisfaction auprès de l'entité compétente par requête adressée au secrétariat de la Commission par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de trente jours, qui en fonction du cas prend effet :
- le lendemain de la réception de la décision de rejet ;
- le lendemain de l'expiration du délai visé à l'article 6, § 5, ou à l'article 7, alinéa 2 ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 2 avril 2025.
La partie adverse a explicitement rejeté la demande le 7 mai 2025.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 7 mai 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, premier tiret, du décret du 30 mars 1995.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. La partie adverse affirme qu’elle ne dispose pas des documents relatifs aux marchés publics passés par la Sowaer et que la partie requérante doit s’adresser directement à celle-ci.
Partant, le recours est sans objet en ce qui concerne les documents relatifs aux marchés publics passés par la Sowaer.
7. Il ressort de la réponse apportée à la Commission par la partie adverse que celle-ci ne s’oppose pas à la communication à la partie requérante de l’avis de marché (annexe 3), de la décision motivée d’attribution (annexe 5), de la notification de l’attribution du marché (annexe 6), du visa à l’attribution et du visa au cahier spécial des charges par l’inspecteur des finances (annexes 8 et 9), et de la demande d’avis à l’inspecteur des finances concernant une demande d’engagement (annexe 10).
La Commission n’aperçoit pas d’exception susceptible de justifier un refus de communiquer ces documents qui, par conséquent, doivent être communiqués à la partie requérante.
8. Pour le reste, la partie adverse invoque l’exception à la vie privée, en ce compris le secret d’affaires qui est intégré dans cette notion, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995. Elle explique que plusieurs documents contiennent des données à caractère personnel et qu’ils ne peuvent dès lors pas être transmis tels quels. Elle ajoute que les documents sollicités concernent majoritairement des personnes morales et que le droit au respect de la vie privée englobe la protection du secret d’affaires.
9. L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise »[1].
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
10. Il ressort de l’examen des documents par la Commission ce qui suit :
Annexe 1 Cahier spécial des charges « mission d’accompagnement du SPW visant à assurer un approvisionnement en EPI et en en matière sanitaire pendant le confinement et après celui-ci » :
11. La partie adverse considère que la communication de cette annexe ne peut être que partielle. Certains éléments doivent être occultés afin de préserver des informations sensibles, à savoir : les coordonnées personnelles des agents du SPW, les méthodes d’évaluation des offres susceptibles de révéler des stratégies internes d’achat, l’organisation interne du SPW. Elle ajoute que certaines modalités de gouvernance interne ou de critères d’attribution détaillés peuvent relever d’une stratégie d’achat protégée, particulièrement dans un contexte tel que celui d’une crise sanitaire.
La Commission rappelle que les données relatives à des personnes exerçant une fonction publique ne bénéficient pas d’une protection équivalente à celles des autres personnes physiques. Pour justifier une restriction au droit à la transparence administrative, il doit être établi que la publicité des informations concernées porte effectivement atteinte à la vie privée, un simple lien avec celle-ci ne suffisant pas. Une telle restriction est d’autant moins admissible lorsque les informations reprises dans le document administratif concerné présentent un intérêt public.
En l’espèce, la divulgation du nom des agents mentionné dans le cahier spécial des charges et de leurs coordonnées professionnelles n’est pas de nature à porter atteinte à leur vie privée.
Quant à l’organisation interne du SPW et à la méthode d’évaluation des offres, il ne s’agit pas d’éléments couverts par le secret des affaires. En outre, la Commission n’aperçoit pas en quoi, en ce qui concerne la méthode d’évaluation des offres, les critères qualitatifs détaillés et les pondérations seraient des informations sensibles, compte tenu par ailleurs du caractère a priori public de ces éléments. Les explications de la partie adverse sont relativement générales et abstraites et ne se vérifient pas à la lecture du cahier spécial des charges transmis à la Commission.
Par conséquent, le cahier spécial des charges (annexe 1) doit être transmis à la partie requérante.
Annexe 2 Décision motivée d’attribution, offre de Deloitte, CV et notification :
La partie adverse considère que la communication de cette annexe ne peut être que partielle. Certains éléments doivent être occultés : le CV des consultants et la note méthodologique et approche stratégique de Deloitte.
La décision motivée d’attribution et la notification de l’attribution du marché ne contiennent pas d’informations couvertes par le droit au respect de la vie privée ni par le secret des affaires, à l’exception de l’identité des deux collaborateurs faisant partie de l’équipe proposée par le soumissionnaire retenu. Ces documents doivent dès lors être communiqués à la partie requérante en occultant les informations relatives à l’identité de ces deux personnes.
En revanche, l’offre du soumissionnaire (en ce compris la note méthodologique et le CV des consultants) relève du secret des affaires et ne doit dès lors pas être communiquée.
Annexe 4 Cahier spécial des charges :
La partie adverse indique que ce cahier spécial des charges porte sur une mission d’analyse stratégique, la rédaction d’un futur marché de fournitures et l’accompagnement à l’analyse des offres. Elle considère que les éléments y relatifs « relèvent du savoir-faire stratégique du SPW » dont la divulgation pourrait « compromettre la neutralité des futurs marchés, révéler des méthodes internes de gouvernance, ou exposer des éléments sensibles de stratégie d’achat ».
La Commission n’aperçoit pas en quoi le document sollicité serait confidentiel, s’agissant d’un cahier spécial des charges relatif à une procédure négociée directe avec publication préalable, de sorte qu’il est a priori accessible à tous les opérateurs économiques intéressés.
Par conséquent, le cahier spécial des charges doit être communiqué à la partie requérante.
Annexe 7 Offre Deloitte :
Plusieurs éléments comportent des informations de nature à relever du secret des affaires dans la mesure où ils offrent des indications précises sur l’outil développé et sur la nature des prestations proposées par ce soumissionnaire, révélant ainsi sa stratégie commerciale.
L’offre ne doit dès lors pas être communiquée à la partie requérante.
***
12. La Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication des documents concernés.
13. En ce qui concerne les documents remis par l'adjudicataire lors de sa mission, la Commission constate que la partie adverse n’a pas répondu à la demande d’informations qui lui a été adressée en application de l’article 8ter, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995, de telle sorte qu’elle n’est pas en mesure d’exercer la mission qui lui est dévolue.
Aucune exception à cette obligation de collaboration dans l’instruction du dossier n'est prévue par le décret.
Dès lors, conformément à l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer les documents à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du même décret, étant entendu qu’elles sont de stricte interprétation.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est en partie sans objet et partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante les documents suivants :
- Annexe 1 – Le cahier spécial des charges « mission d’accompagnement du SPW visant à assurer un approvisionnement en EPI et en en matière sanitaire pendant le confinement et après celui-ci » ;
- Annexe 2 – Uniquement la décision motivée d’attribution et la notification en occultant l’identité des deux collaborateurs faisant partie de l’équipe proposée par le soumissionnaire retenu ;
- Annexe 3 – L’avis de marché ;
- Annexe 4 – Le cahier spécial des charges ;
- Annexe 5 – La décision motivée d’attribution ;
- Annexe 6 – La notification de l’attribution du marché ;
- Annexes 8 et 9 – Le visa à l’attribution et le visa au cahier spécial des charges par l’inspecteur des finances ;
- Annexe 10 – La demande d’avis à l’inspecteur des finances concernant une demande d’engagement ;
et ce dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
En ce qui concerne les documents remis par l'adjudicataire lors de sa mission, la partie adverse communique à la partie requérante les documents sollicités, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy. notamment CADA wallonne, décisions n° 209 du 9 novembre 2021, n° 216 du 6 décembre 2021, n° 275 du 9 février 2023, n° 374 du 23 janvier 2024.