15 juillet 2025 -
CADA - Décision n° 537 : Commune – Décision d'attribution – Demande manifestement abusive et répétée (non) – Demande manifestement trop vague (non) – Secret des affaires (oui) – Communication partielle
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Commune – Décision d'attribution – Demande manifestement abusive et répétée (non) – Demande manifestement trop vague (non) – Secret des affaires (oui) – Communication partielle
[…],
Partie requérante,
CONTRE :
La commune de Ath, rue de Pintamont, 54 à 7800 Ath,
Partie adverse,
Vu l’article 32 de la Constitution,
Vu l’article 8, § 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration (ci-après, le décret du 30 mars 1995),
Vu l’article L3211-3, ainsi que les articles L3231-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après, le CDLD),
Vu l’arrêté du Gouvernement wallon du 9 juillet 1998 fixant la composition et le fonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs,
Vu le recours introduit par courriel le 26 mai 2025,
Vu la demande d’informations adressée à la partie adverse le 27 mai 2025 et reçue le 28 mai 2025,
Vu la réponse de la partie adverse du 12 juin 2025.
I. Objet de la demande
1. La demande porte sur la communication d’une copie des « informations/documents (…) concernant le projet : Désaffection dans les cimetières – Cimetière de Lorette, (…) :
- Le nom de l’entreprise adjudicataire du marché
- Une copie de la décision d’attribution ».
La partie requérante précise que « cette demande ne concerne en aucun cas des informations confidentielles telles que des secrets techniques, des affaires, des informations pouvant porter préjudice à l’intérêt public, ni des éléments relatifs aux méthodes de calcul des coûts, aux prix unitaires, aux procédés de fabrication, aux sources d’approvisionnement, aux parts de marché, aux fichiers clients, à la stratégie commerciale, à la structure des coûts ou à la politique de vente de l’entreprise ».
II. Compétence de la Commission
2. La Commission est compétente pour connaître du recours.
III. Recevabilité du recours
3. L’article L3231-3, alinéas 3 et 4, du CDLD, rendu applicable à la partie adverse par l’article L3211-3 du même code, dispose comme suit :
« L’autorité administrative provinciale ou communale qui ne peut pas réserver de suite immédiate à une demande de publicité ou qui la rejette communique dans un délai de trente jours de la réception de la demande les motifs de l’ajournement ou du rejet. En cas d’ajournement, le délai ne pourra jamais être prolongé de plus de quinze jours.
En cas d’absence de communication dans le délai prescrit, la demande est réputée avoir été rejetée ».
4. La demande initiale de publicité administrative a été adressée à la partie adverse le 22 avril 2025.
La partie adverse n’y ayant pas donné suite, la demande a été rejetée implicitement le 22 mai 2025, en application de l’article L3231-3, alinéa 4, du CDLD.
La partie requérante a introduit son recours auprès de la Commission le 26 mai 2025, soit dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8bis, alinéa 1er, second tiret, du décret du 30 mars 1995, rendu applicable par l’article L3231-5, § 1er, du CDLD.
Dès lors, le recours est recevable.
IV. Examen au fond
5. La Commission rappelle que tous les documents administratifs sont en principe publics. C'est le principe consacré à l'article 32 de la Constitution. Une entité ne peut refuser la publicité que dans la mesure où elle peut se baser sur l'un des motifs d'exception visés par les législations applicables et motiver sa décision de manière concrète et suffisante. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, l’entité est tenue d’assurer la publicité des documents administratifs.
Dans le cadre de ses prérogatives de réformation, la Commission est elle-même compétente pour apprécier dans quelle mesure il y a lieu de faire droit à la demande d'accès au document administratif, en procédant, le cas échéant, à la mise en balance requise entre l’intérêt de la publicité des documents administratifs et l’intérêt protégé par le motif d’exception invoqué.
6. En l’espèce, la partie adverse invoque les exceptions relatives au caractère manifestement abusif et répété de la demande ainsi qu’à la demande formulée de façon manifestement trop vague, prévues à l’article L3231-3, alinéa 1er, 3° et 4°, du CDLD. Elle soulève des interrogations quant à la finalité des informations requises, laissant incertain le caractère suffisamment précis et clairement établi du cadre dans lequel elles s’inscrivent.
L’article L3231-3 du CDLD dispose notamment comme il suit :
« Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi ou le décret pour des motifs relevant de l’exercice des compétences de l’autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l’autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif dans la mesure où la demande :
[…]
3° est manifestement abusive ou répétée ;
4° est formulée de façon manifestement trop vague ».
6.1. La Commission rappelle qu’« une demande abusive est une demande qui nécessite pour y répondre un travail qui mette en péril le bon fonctionnement [de la commune]. Un simple surcroît de travail ne peut suffire à considérer une demande comme manifestement abusive »[1].
Il a, par ailleurs, été jugé par le Conseil d’Etat que :
« Peut être considérée comme manifestement abusive […], la demande dont le traitement a pour conséquence de compromettre le bon fonctionnement de l’autorité qui en est saisie. Toutefois, cette exception au droit d’accès, qui est un droit fondamental, est d’interprétation stricte et l’autorité qui entend l’opposer à la demande dont elle est saisie doit la fonder sur les éléments propres au cas d’espèce et aptes à justifier concrètement le recours à cette hypothèse légale d’exception. Ces éléments doivent ressortir de la motivation formelle de la décision de refus »[2].
En l’espèce, la partie adverse ne démontre pas concrètement les raisons pour lesquelles la demande formulée par la partie requérante aurait compromis le bon fonctionnement de ses services.
Partant, l’exception est rejetée.
6.2. La Commission rappelle qu’une demande formulée de façon manifestement trop vague est relative à ce qui est confus, imprécis, indécis, indéfini, indéterminé[3]. Il s’agit notamment d’une demande qu’un agent familier de la matière concernée ne parvient pas à identifier, ou d’une demande équivoque[4].
En l’espèce, la demande porte de manière précise et sans équivoque sur « le nom de l’entreprise adjudicataire du marché et la décision d’attribution concernant le projet : Désaffection dans les cimetières – Cimetière de Lorette, Drève du Silence à 7800 Ath ». Une telle demande ne peut être qualifiée de « manifestement trop vague », d’autant plus que la partie adverse l’identifie dans son courriel à la Commission.
L’exception invoquée par la partie adverse ne peut donc pas être retenue.
7. La partie adverse s’interroge également sur l’intérêt de la demande, dès lors qu’elle ne précise pas les finalités poursuivies. De plus, la partie adverse soulève le fait qu’elle émane d’une société qui n’était pas impliquée dans la procédure d’attribution et intervient de surcroît de manière tardive, bien après la prise de décision.
La Commission rappelle que la partie requérante ne doit pas justifier d’un intérêt à sa demande, sauf, conformément à l’article 4, § 1er, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, lorsqu’il s’agit d’un document à caractère personnel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
8. Enfin, la partie adverse relève que la demande formulée entre en contradiction avec les dispositions de l’article 29/1 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions. Cet article, applicable en l’espèce, prévoit un délai strict de trente jours à compter de la communication de la décision du pouvoir adjudicateur, dans lequel un soumissionnaire peut solliciter la communication de la décision motivée ou d’extraits de celle-ci en cas de non-sélection ou de rejet d’offre. En l’occurrence, ni le respect de ce délai, ni la qualité de soumissionnaire de la partie requérante ne sont établis, ce qui rend la demande non conforme au cadre légal précité.
La Commission rappelle que le décret du 30 mars 1995 établit que toute personne peut demander l’accès à un document administratif, même si elle n’est pas directement concernée par celui-ci. Cela inclut donc potentiellement la décision d’attribution d’un marché public. Les dispositions légales en matière de marchés publics concernant l’information que le pouvoir adjudicateur doit adresser aux candidats et soumissionnaires dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public n’interdisent pas qu’une personne tierce à une procédure de marché public puisse obtenir les décisions intervenues dans ce cadre à l’occasion d’une demande de publicité administrative[5]. Cette possibilité existe également pour le soumissionnaire évincé. Cependant, cette publicité n’est pas absolue et est ainsi soumise à des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995.
9. La Commission analyse l’exception relative à la vie privée, en ce compris le secret d’affaires qui est intégré dans cette notion, prévue à l’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995.
L’article 6, § 2, 1°, du décret du 30 mars 1995 dispose comme il suit :
« § 2. L’entité ou l’autorité administrative non régionale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif, qui lui est adressée en application du présent décret, si la publication du document administratif porte atteinte :
1° à la vie privée, sauf les exceptions prévues par la loi ;
[…] ».
Le droit au respect de la vie privée des personnes morales englobe la protection de leurs secrets d’affaires ce qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 118/2007 du 19 septembre 2007. Sont notamment protégés « les informations techniques et financières relatives au savoir-faire, les méthodes de calcul des coûts, les secrets et procédés de fabrication, les sources d’approvisionnement, les quantités produites et vendues, les parts de marché, les fichiers de client et de distributeurs, la stratégie commerciale, la structure de coûts et de prix ou encore la politique de vente d’une entreprise »[6].
Le secret d’affaires est protégé par le Code de droit économique. L’article I.17/1, 1°, de ce Code le définit comme suit :
« (…) information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible ;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète ».
S’agissant d’une exception au droit fondamental à la publicité administrative, le secret des affaires doit être interprété restrictivement.
En l’espèce, le document communiqué contient les prix unitaires relatifs aux postes « concession pleine terre » et « concession caveau » finalement proposés par le soumissionnaire retenu. Ces éléments constituent des informations couvertes par la notion de secret d’affaires, telle que rappelée ci-dessus.
Par ailleurs, la partie requérante a précisé elle-même dans sa demande initiale que celle-ci « ne concerne en aucun cas (...) des éléments relatifs (...) aux prix unitaires ».
Pour les raisons qui précèdent, il y a dès lors lieu de masquer ces prix unitaires dans le document communiqué.
10. La Commission n’aperçoit pas, à la lecture des éléments communiqués par la partie adverse, quelles autres exceptions pourraient être invoquées pour refuser la communication du document concerné.
11. Le document communiqué par la partie adverse, soit la décision d’attribution du marché en cause, contient toutefois l’indication selon laquelle elle considère « le rapport d’examen des offres en annexe comme faisant partie intégrante de la présente délibération ».
Ledit rapport d’examen des offres n’a pas été communiqué à la Commission. Partant, celle-ci n’est pas en mesure de vérifier si l’une des exceptions à la publicité administrative est susceptible de s’y appliquer.Dès lors, conformément à l’article 8ter, alinéa 2, du décret du 30 mars 1995, la partie adverse doit communiquer à la partie requérante, en tant qu’élément faisant partie intégrante de la décision d’attribution du marché dont la copie est demandée, ce rapport d’examen des offres, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du même décret, étant entendu qu’elles sont de stricte interprétation.
Par ces motifs, la Commission décide :
Le recours est partiellement fondé. La partie adverse communique à la partie requérante la décision d’attribution du marché en occultant les prix unitaires et ce, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
La partie adverse communique également « le rapport d’examen des offres en annexe comme faisant partie intégrante de la présente délibération » à la partie requérante, moyennant le respect des exceptions prévues à l’article 6 du décret du 30 mars 1995 et ce, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
[1] Voy. avis n° 199 du 18 juin 2018 de la CADA wallonne.
[2] Voy. arrêt n° 250.170 du 19 mars 2021, A.S.B.L. Animal Rights.
[3] C.E., n° 126.340 du 12 décembre 2003, Vanderzande.
[4] Voir décision n° 257 du 13 décembre 2022 de la CADA wallonne.
[5] CADA wallonne, décision n° 275 du 9 février 2023.
[6] Voy. notamment CADA wallonne, décisions n° 209 du 9 novembre 2021, n° 216 du 6 décembre 2021, n° 275 du 9 février 2023, n° 374 du 23 janvier 2024.