En cause:
la demande de suspension de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique », introduite par Ivar Hermans et autres.
La Cour constitutionnelle, chambre restreinte,
composée du président L. Lavrysen, du juge T. Detienne, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de la juge émérite R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 février 2022 et parvenue au greffe le 18 février 2022, une demande de suspension de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique » (publiée au Moniteur belge du 20 août 2021, deuxième édition) a été introduite par Ivar Hermans, D.D., Liliana Carlisi, Hugo Cornelis, Veerle Mattheussen, Bart Keppens, Sebastien Calebout, Ruth Reynders, Leon Vervecken, Thierry De Mees, Dirk Landuyt, Sofie Van Remoortel, Etienne Opsteyn, Tim Reynders, Koen Terryn, Petra Cops, Ivo Goossens, Joseph Cassimons, Gunter Knapen, Monique Janssen, Claudia Congedo, Gert Gabriëls, Birgit Goris, Ilse Lemmens, Christel Lemmens, Lawrence Blyden, Jimmy Wenmeekers, C.G., Michiel Vanoppen, Tamara Buvens, Inge Ketels, Koen Alen, Gerlinda Van Kogelenberg, Christiaan Van Mieghem, Antoinette Bos, Sarah Janssen, Tinneke De Keersmaecker, Wouter Van Betten, Walter Ospitalieri, Mirke Van Der Gucht et Luciana Colladet.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l'annulation de la même loi.
Le 23 février 2022, en application de l'article 71, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs R. Leysen et T. Detienne ont informé le président qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour, siégeant en chambre restreinte, de rendre un arrêt constatant que la demande de suspension est manifestement irrecevable.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire justificatif.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 précitée relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II En droit
A Argument
A.1. Les parties requérantes demandent la suspension de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique », publiée au Moniteur belge du 20 août 2021, deuxième édition.
A.2. Dans leurs conclusions, établies en application de l'article 71 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs ont estimé qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour, siégeant en chambre restreinte, de rendre un arrêt constatant que la demande de suspension est manifestement irrecevable pour cause de tardiveté.
A.3. Dans leur mémoire justificatif, les parties requérantes invoquent la force majeure. Elles estiment que le délai pour introduire la demande de suspension n'a pris cours, en l'espèce, qu'au moment de la publication de l'arrêté royal du 27 novembre 2021 « modifiant l'arrêté royal du 28 octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d'urgence épidémique déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 ». L'article 5 de cet arrêté a en effet interdit, entre 23 heures et 5 heures, l'exercice professionnel d'activités horeca et l'offre de repas et de boissons à emporter ou à livrer, ce que les parties requérantes considèrent comme constituant un préjudice grave difficilement réparable.
B Point de vue de la cour
B.1. Les parties requérantes demandent la suspension de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique » (ci-après : la loi du 14 août 2021).
B.2. Par la loi du 14 août 2021, le législateur entend établir « un ensemble de règles de police administrative spéciale, spécifiques aux situations d'urgence épidémiques », qui « peut être appliqué à la pandémie de COVID-19 (dans la mesure où c'est encore nécessaire), ainsi
qu'à d'éventuelles situations épidémiques futures » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 4).
L'article 3, § 1er, de la loi du 14 août 2021 dispose que le Roi déclare la situation d'urgence épidémique, telle qu'elle est définie à l'article 2, 3°, de la même loi, pour une durée déterminée qui est strictement nécessaire et qui ne peut en aucun cas dépasser trois mois, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avis du ministre qui a la Santé publique dans ses attributions et après une analyse de risque. À l'issue de cette période, le Roi peut déclarer le maintien de la situation d'urgence épidémique chaque fois pour une période de trois mois au maximum, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, après un nouvel avis et après une nouvelle analyse de risque.
En vertu de l'article 4, § 1er, de la loi du 14 août 2021, lorsque le Roi a déclaré ou maintenu la situation d'urgence épidémique, Il adopte par arrêté délibéré en Conseil des ministres les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences de la situation d'urgence épidémique pour la santé publique.
B.3. En vertu de l'article 21, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, une demande de suspension doit être introduite dans un délai de trois mois suivant la publication de la norme attaquée.
La loi du 14 août 2021 a été publiée au Moniteur belge du 20 août 2021, deuxième édition.
Il en résulte que le dernier jour du délai pour introduire une demande de suspension de cette loi était le 20 novembre 2021 et que la demande, adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 février 2022, a été introduite hors délai.
B.4. Dans leur mémoire justificatif, les parties requérantes invoquent la force majeure. Elles estiment que le délai visé à l'article 21, alinéa 2, précité, n'a pu en l'espèce prendre cours qu'au moment de la publication de l'arrêté par lequel le Roi, conformément à l'article 4, § 1er, de la loi du 14 août 2021, adopte les mesures de police administrative qui ont une
incidence sur leur situation personnelle. Avant cela, les parties requérantes n'auraient pas pu estimer la portée réelle de la loi du 14 août 2021 et n'auraient pas pu savoir que cette loi leur causerait un préjudice grave difficilement réparable. Les parties requérantes renvoient en particulier à l'article 5 de l'arrêté royal du 27 novembre 2021 « modifiant l'arrêté royal du 28 octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d'urgence épidémique déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 », qui a interdit, entre 23 heures et 5 heures, l'exercice professionnel d'activités horeca et l'offre de repas et de boissons à emporter ou à livrer. Dès lors que cet arrêté royal a été publié au Moniteur belge du 27 novembre 2021, la demande de suspension aurait été introduite à temps.
B.5. Ce raisonnement ne peut être suivi. Il ne saurait être admis qu'il existe un cas de force majeure qui permet de prolonger le délai d'introduction d'une demande de suspension chaque fois que le préjudice redouté ne s'est pas encore réalisé au moment de l'entrée en vigueur de la norme attaquée. Cela nuirait en effet considérablement à la sécurité juridique, alors que le législateur spécial, en réduisant le délai d'introduction de la demande de suspension à trois mois, a manifestement entendu limiter l'insécurité juridique inhérente à la possibilité de suspension des normes de valeur législative. En outre, la Cour peut suspendre une norme législative à la condition que son exécution immédiate « risque de causer un préjudice grave difficilement réparable » (article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989), de sorte que les parties requérantes doivent démontrer l'existence d'un risque de préjudice, et non d'un préjudice déjà réalisé ou dont il est certain qu'il se réalisera lors de l'entrée en vigueur de la disposition attaquée.
La force majeure invoquée par les parties requérantes n'est donc pas un événement imprévu, fortuit ou exceptionnel qui les aurait empêchées d'introduire leur demande dans le délai imparti par la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.6. Du reste, il ressort de l'exposé des parties requérantes que le préjudice grave difficilement réparable qu'elles prétendent subir résulte non pas de la loi du 14 août 2021, mais bien des mesures concrètes de police administrative adoptées par le Roi en application
de l'article 4, § 1er, de cette loi. Ces mesures, telles qu'elles sont prévues dans l'arrêté royal du 28 octobre 2021 « portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d'urgence épidémique déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 », modifié à plusieurs reprises, pouvaient être attaquées devant le Conseil d'État, section du contentieux administratif, le cas échéant par une demande de suspension ou par une demande de suspension en extrême urgence. Ces mesures ont du reste été abrogées dans l'intervalle par la loi du 11 mars 2022 « abrogeant le maintien de la situation d'urgence épidémique concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 ».
B.7. La demande de suspension est manifestement irrecevable.
Décision
Par ces motifs,
la Cour, chambre restreinte,
statuant à l'unanimité des voix,
rejette la demande de suspension.