En cause:
la question préjudicielle relative à l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, posée par le Conseil d'État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I Objet du recours
Par arrêt n° 252.545 du 23 décembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 janvier 2022, le Conseil d'État a posé la question préjudicielle suivante :
« L'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il traite de manière différente l'État fédéral et les communautés dans la matière des soins de santé, en prévoyant que les formalités prescrites par cette disposition sont d'application lorsqu'est adopté tout avant-projet ou proposition de décret, tout amendement à un projet ou proposition de décret, ainsi que tout projet d'arrêté d'une communauté ayant pour objet de fixer des normes d'agrément des hôpitaux, des services hospitaliers, des programmes de soins hospitaliers et des fonctions hospitalières, alors que ces formalités ou des mesures semblables ne sont pas prévues lorsque l'État fédéral exerce sa compétence législative ou réglementaire en matière de législation organique, de financement de l'exploitation et de la programmation (règles de base) des hôpitaux ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- l'ASBL « Santhea », assistée et représentée par Me P. Levert, avocat au barreau de Bruxelles, et par Me E. Lemmens et Me E. Kiehl, avocats au barreau de Liège-Huy;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me C. Caillet, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me M. Uyttendaele et Me A. Feyt, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 18 janvier 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 1er février 2023 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le 1er février 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
L'ASBL « Santhea » est une association professionnelle et patronale qui a pour mission de défendre et de promouvoir les intérêts des établissements et des services de soins non lucratifs du secteur privé non-confessionnel et du secteur public, situés en Wallonie et à Bruxelles.
Elle introduit devant le Conseil d'État un recours en annulation dirigé contre l'arrêté royal du 22 décembre 2016 « modifiant l'arrêté royal du 25 avril 2002 relatif à la fixation et à la liquidation du budget des moyens financiers des hôpitaux » et contre l'arrêté royal du 24 janvier 2017 « modifiant l'arrêté royal du 25 avril 2002 relatif à la fixation et à la liquidation du budget des moyens financiers des hôpitaux ».
L'ASBL « Santhea » estime, notamment, que la procédure ayant mené à l'adoption des actes attaqués est discriminatoire au motif que la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne prévoit pas, lors de l'adoption de normes fédérales pouvant avoir des répercussions négatives sur les compétences communautaires en matière de soins de santé, un mécanisme similaire à celui qui est organisé par l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la même loi spéciale lorsque les communautés envisagent d'adopter des normes d'agrément susceptibles d'avoir un effet sur le budget de l'autorité fédérale et de la sécurité sociale.
À la demande de la partie requérante devant lui, le Conseil d'État pose, dès lors, la question préjudicielle reproduite plus haut.
II En droit
A Argument
A.1.1. La partie requérante devant la juridiction a quo rappelle que, par son arrêt n° 1/2019 du 23 janvier 2019 (ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.001), la Cour a rejeté le moyen pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 24 à 27 de la loi-programme du 25 décembre 2016. Il était fait grief à ces dispositions de ne pas avoir été soumises aux formalités prévues par l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
La partie requérante devant la juridiction a quo fait valoir que, comme l'a relevé le Conseil d'État dans son arrêt de renvoi, l'arrêt de la Cour limite aux dispositions attaquées son constat d'absence de différence de traitement entre l'autorité fédérale et les communautés. Elle en infère que la Cour ne s'est pas prononcée sur la différence de traitement visée dans la question préjudicielle présentement examinée.
A.1.2. La partie requérante devant la juridiction a quo et la Région wallonne rappellent que, lorsque les entités fédérées adoptent des normes d'agrément des hôpitaux, des services hospitaliers, des programmes de soins hospitaliers et des fonctions hospitalières, elles doivent consulter la Cour des comptes afin que celle-ci évalue les conséquences de ces normes sur le budget de l'autorité fédérale et de la sécurité sociale. Si le rapport de la Cour des comptes conclut que l'effet de l'adoption de ces normes est négatif, une concertation entre les gouvernements a lieu à la demande du Gouvernement fédéral ou du gouvernement de la communauté concernée. Si la concertation n'aboutit pas à un accord, les normes ne peuvent être adoptées que de l'accord des ministres fédéraux compétents ou du Conseil des ministres si l'un de ses membres demande l'évocation de ce dossier.
La partie requérante devant la juridiction a quo et la Région wallonne exposent que les entités fédérées ne bénéficient pas des mêmes garanties lorsque l'autorité fédérale adopte des normes législatives ou réglementaires qui ont un effet négatif sur l'exercice de leurs compétences en matière de santé.
A.1.3. La partie requérante devant la juridiction a quo et la Région wallonne soutiennent que les entités fédérées et l'autorité fédérale se trouvent dans des situations comparables au regard de la norme contrôlée, dès lors qu'elles disposent du pouvoir d'adopter en toute autonomie des normes législatives en matière de soins de santé. Dans cette matière, les compétences sont largement imbriquées.
La partie requérante devant la juridiction a quo allègue également qu'en vertu de l'article 1er de la Constitution, tant les entités fédérées que l'autorité fédérale sont des autorités qui composent la Belgique fédérale.
Elle estime que la question préjudicielle ne porte pas sur la différence de traitement réservée aux bénéficiaires des normes adoptées dans l'exercice de leurs compétences en matière de santé par l'autorité fédérale, d'une part, et par les entités fédérées, d'autre part, mais uniquement sur la différence de traitement entre les autorités publiques visées par la question préjudicielle. Selon elle, le fait de ne pas pouvoir identifier en quoi l'adoption d'une loi ou d'un arrêté royal dans un domaine de compétence fédérale pourrait avoir des répercussions sur le budget d'une entité fédérée est sans incidence sur la question de la comparabilité de ces autorités publiques. Cette question ne devrait être examinée que dans le cadre du contrôle de la justification raisonnable de la différence de traitement.
A.1.4. La partie requérante devant la juridiction a quo et la Région wallonne considèrent qu'aucun motif ne permet de justifier la différence de traitement visée dans la question préjudicielle. Selon elles, les travaux préparatoires ne permettent pas de comprendre la raison pour laquelle un traitement différent est réservé aux entités fédérées par rapport à l'autorité fédérale.
Elles font valoir que les modifications de la législation organique sur les hôpitaux ou des règles de financement de l'exploitation de ceux-ci, adoptées par l'autorité fédérale, peuvent avoir sur les budgets des entités fédérées des conséquences tout aussi indésirables que les incidences qu'ont sur le budget de l'autorité fédérale les modifications des normes d'agrément apportées par les entités fédérées.
Elles estiment notamment qu'eu égard au fait que les communautés sont compétentes pour le financement des appareillages médico-techniques lourds et des infrastructures hospitalières, des modifications apportées aux règles de base relatives à la programmation peuvent avoir une incidence négative importante. Ainsi, les règles de programmation pourraient contraindre les hôpitaux à faire l'acquisition d'appareillage lourd. La mise en œuvre de ces règles pourrait également aboutir à la fermeture de services de plus petite envergure, telles certaines maternités, et forcer par la même occasion certains hôpitaux à entreprendre des travaux d'agrandissement afin d'absorber le surplus de patients.
A.1.5. La partie requérante devant la juridiction a quo allègue que si l'autorité fédérale diminue le budget alloué au financement des services cliniques (la sous-partie B2 du budget des moyens financiers), les hôpitaux ne pourront plus respecter leurs obligations découlant des normes devenues régionales en matière de personnel, dès lors qu'ils ne disposeraient plus des moyens pour payer ce personnel.
La partie requérante devant la juridiction a quo estime que le contrôle budgétaire classique, effectué par l'inspection des finances et le ministre du Budget, ne permet pas de garantir le respect des compétences des entités fédérées, dès lors que seules les incidences sur le budget fédéral sont prises en considération dans ce cadre.
Enfin, la partie requérante devant la juridiction a quo considère que ne relève pas de la compétence de la Cour la question de savoir s'il était pertinent ou non d'imposer un avis de la Cour des comptes et de l'INAMI dans le cadre de l'ensemble des mesures que l'autorité fédérale serait amenée à prendre et qui pourraient avoir des conséquences sur l'exercice de leurs compétences par les entités fédérées.
A.2.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la Cour a été saisie d'un moyen similaire dans le cadre du recours en annulation dirigé contre la loi-programme du 25 décembre 2016. Il rappelle que, par son arrêt n° 1/2019, précité, la Cour a rejeté ce moyen. Il en infère que la Cour a déjà admis l'argumentation qu'il développe dans ses mémoires.
A.2.2. Selon le Conseil des ministres, le contrôle exercé par la Cour des comptes est justifié par le fait que les compétences en matière de financement des hôpitaux et d'assurance maladie invalidité restent des compétences fédérales. Seuls les budgets relatifs aux charges d'investissement (sous-partie A1 du budget des moyens financiers) et aux frais d'investissement (sous-partie A3) dans certains services médicaux techniques sont transférés aux entités fédérées.
Le Conseil des ministres estime qu'il est indubitable que les normes d'agrément adoptées par les entités fédérées peuvent avoir des répercussions financières négatives importantes sur les finances de l'autorité fédérale, de sorte qu'il est justifié que, lorsque le rapport de la Cour des comptes met en exergue une incidence négative sur le budget, l'autorité fédérale doive donner son accord pour que ces normes soient prises.
En revanche, le Conseil des ministres considère que les normes que pourrait établir l'autorité fédérale en matière de santé ne peuvent avoir une incidence sur le budget d'une entité fédérée.
Il affirme que les exemples cités par la partie requérante devant la juridiction a quo et par la Région wallonne ne permettent pas de démontrer le contraire. Le cadre légal relatif aux réseaux hospitaliers et la rationalisation des soins de santé poursuivie à travers la création de ces réseaux respectent les règles répartitrices de compétences, notamment la compétence d'agrément des communautés. Le Conseil des ministres rappelle également que l'autorité fédérale doit exercer ses compétences dans le respect du principe de proportionnalité. À cet égard, il relève que, lors de la réforme des hôpitaux établie par la loi du 28 février 2019 « modifiant la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins, en ce qui concerne le réseautage clinique entre hôpitaux », l'autorité fédérale a consulté les entités fédérées dans le cadre de la conférence interministérielle « Santé publique ».
Dès lors que les entités fédérées sont compétentes pour l'agrément des hôpitaux, elles disposent d'un contrôle sur les dépenses qui seront les leurs en matière de financement de l'infrastructure. En outre, pour être financé, un service médico-technique doit disposer d'un agrément et cet agrément doit entrer dans le cadre de la programmation. Une augmentation de la programmation a simplement pour effet de permettre aux entités fédérées d'agréer des appareils supplémentaires. Selon le Conseil des ministres, c'est, par conséquent, l'agrément de ces
appareils qui, seul, peut avoir des répercussions sur les finances des entités fédérées. De surcroît, les règles en matière de financement de l'infrastructure et des services médico-techniques ressortissent à la compétence des entités fédérées, de sorte que celles-ci disposent également d'une maîtrise de leurs coûts à travers l'adoption ou la modification du cadre normatif. Le Conseil des ministres rappelle aussi que l'agrément de nouveaux appareils par les entités fédérées est susceptible d'avoir une incidence sur les finances de l'autorité fédérale, notamment à travers l'intervention de l'INAMI dans le remboursement des examens réalisés au moyen de ces appareils.
Le Conseil des ministres soutient également que la création des réseaux hospitaliers ou, de manière plus générale, les réformes tendant à rationaliser l'offre de soins de santé sont destinées à éviter que des coûts inopportuns et inefficaces soient exposés, notamment en réduisant le nombre d'hôpitaux qui investissent dans des infrastructures coûteuses, de sorte que l'incidence éventuelle sur les finances des entités fédérées n'est pas négative.
Il estime que la diminution potentielle du financement de la sous-partie B2 du budget des moyens financiers, relative au financement des services cliniques, à un point tel qu'il pourrait devenir impossible aux hôpitaux de financer les normes de personnel requis est purement hypothétique. Il n'aperçoit pas en quoi une telle mesure affecterait négativement les finances des entités fédérées, étant donné que le financement des services cliniques relève de la compétence et du budget de l'autorité fédérale.
En outre, le contrôle budgétaire effectué par l'inspection des finances et le ministre du Budget suffit, selon le Conseil des ministres, à garantir un examen adéquat de l'incidence de la norme sur le budget de l'autorité fédérale.
Il en induit que l'autorité fédérale et les entités fédérées ne se trouvent pas dans des situations comparables.
Il fait valoir que la circonstance que les autorités comparées sont sur un pied d'égalité dans le système fédéral ne saurait remettre en cause cette conclusion, étant donné que la comparabilité des situations doit être évaluée au regard de la norme en cause.
A.2.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que la différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir le fait que la norme a des répercussions sur le budget de l'autorité qui la prend ou sur le budget d'une autre entité.
Il considère également que la différence de traitement n'entraîne pas d'effets disproportionnés, dès lors que les normes adoptées par l'autorité fédérale ne peuvent avoir de conséquences négatives sur les budgets des entités fédérées, à l'exception des budgets relatifs aux charges d'investissement (sous-partie A1 du budget des moyens financiers) et aux frais d'investissement (sous-partie A3).
Il en résulte qu'outre le contrôle budgétaire effectué par l'inspection des finances et le ministre du Budget, il n'est pas nécessaire de prévoir un mécanisme similaire à celui qui est mis en place par l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
Le Conseil des ministres réitère les arguments développés dans le cadre de l'examen de la comparabilité des situations.
A.2.4. Enfin, le Conseil des ministres estime que, même à admettre que les mesures prises par l'autorité fédérale puissent affecter négativement les finances des entités fédérées, il ne pourrait pas pour autant en être déduit qu'un mécanisme similaire à celui qui est prévu au bénéfice de l'autorité fédérale aurait dû être mis en place au bénéfice des entités fédérées. Dans ce cas, il appartiendrait au législateur spécial de déterminer comment mettre fin à la discrimination constatée.
B Point de vue de la cour
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L'article 5, § 1er, I, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci- après : la loi spéciale du 8 août 1980), modifié par les articles 6 et 46, 4°, de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'État (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 2014), dispose :
« Les matières personnalisables visées à l'article 128, § 1er, de la Constitution sont :
I. En ce qui concerne la politique de santé :
1° sans préjudice de l'alinéa premier, 2°, 3°, 4°, 5° et 6°, la politique de dispensation de soins dans et au dehors des institutions de soins, à l'exception :
a) de la législation organique, à l'exception du coût des investissements de l'infrastructure et des services médicotechniques;
b) du financement de l'exploitation, lorsqu'il est organisé par la législation organique et ce, sans préjudice des compétences des communautés visées au a);
c) des règles de base relatives à la programmation;
d) de la détermination des conditions et la désignation comme hôpital universitaire conformément à la législation sur les hôpitaux;
[…]
L'autorité fédérale reste toutefois compétente pour :
1° l'assurance maladie-invalidité;
2° les mesures prophylactiques nationales.
Tout avant-projet ou proposition de décret, tout amendement à un projet ou proposition de décret, ainsi que tout projet d'arrêté d'une communauté ayant pour objet de fixer des normes d'agrément des hôpitaux, des services hospitaliers, des programmes de soins hospitaliers et des fonctions hospitalières est transmis pour rapport à l'assemblée générale de la Cour des comptes afin que celle-ci évalue les conséquences de ces normes, à court et long terme, sur le budget de l'État fédéral et de la sécurité sociale.
Ce rapport est également transmis au gouvernement fédéral ainsi qu'à tous les gouvernements des communautés.
Après avoir obligatoirement recueilli l'avis de l'Institut national d'assurance maladie invalidité et de l'administration compétente de la communauté concernée et après avoir, le cas échéant, recueilli l'avis facultatif du Centre fédéral d'expertise des soins de santé, l'assemblée générale de la Cour des comptes émet dans un délai de deux mois suivant la réception de l'avant-projet, de la proposition, de l'amendement ou du projet, un rapport circonstancié sur toutes les conséquences de ces normes, à court et long terme, sur le budget de l'État fédéral et de la sécurité sociale. Ce délai peut être prolongé d'un mois.
Ce rapport est communiqué par la Cour des comptes au demandeur de rapport, au gouvernement fédéral et à tous les gouvernements de communauté.
Si le rapport conclut que l'adoption de ces normes a un impact négatif, à court ou long terme, sur le budget de l'État fédéral et de la sécurité sociale, une concertation associant le gouvernement fédéral et les gouvernements de communauté a lieu à la demande du gouvernement fédéral ou du gouvernement de la communauté concernée. Si cette concertation n'aboutit pas à un accord, les normes sont soumises à l'accord des ministres fédéraux compétents ou à l'accord du Conseil des ministres si l'un de ses membres demande l'évocation de ce dossier.
Si aucun rapport n'est rendu dans le délai de deux mois, prolongé d'un mois, la concertation visée à l'alinéa 7 peut avoir lieu à l'initiative du gouvernement de la communauté concernée ou du gouvernement fédéral.
La Cour des comptes rédige chaque année un rapport circonstancié sur l'incidence, au cours de l'exercice budgétaire précédent, des normes d'agrément communautaires en vigueur sur le budget de l'État fédéral et de la sécurité sociale. Ce rapport est communiqué au gouvernement fédéral et aux gouvernements de communauté ».
B.2.1. Il ressort de l'article 5, § 1er, I, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 que la définition des « normes d'agrément des hôpitaux, des services hospitaliers, des programmes de soins hospitaliers et des fonctions hospitalières » relève des aspects de la « politique de santé » qui sont considérés comme une matière personnalisable. La définition des « normes auxquelles les hôpitaux et les services […], les programmes de soins, les services hospitaliers, etc. doivent répondre pour être agréés » (ci-après : les normes d'agrément) relève plus particulièrement de la « politique de dispensation de soins dans et au dehors des institutions » dont il est question à l'article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 1°, de cette loi (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, pp. 23-24 et 28-33; Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2232/5, pp. 13-14). Avant le remplacement de cet article par la loi spéciale du 6 janvier 2014, cet agrément était réglé par les articles 66 à 81 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 « sur les hôpitaux et autres établissements de soins » (ibid., p. 28).
Les matières personnalisables relèvent de la compétence des communautés en vertu des articles 128 et 130 de la Constitution.
Toutefois, sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, la Commission communautaire commune exerce, notamment, les compétences en matière de politique de santé qui ne sont pas dévolues aux communautés (article 135 de la Constitution et article 63, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises).
En outre, en exécution de l'article 138 de la Constitution, la Communauté française a transféré une large part de ses compétences en matière de politique de santé à la Région wallonne et à la Commission communautaire française. Ce transfert porte, notamment, sur la compétence en matière de normes d'agrément (article 3, 6°, du décret spécial de la Communauté française du 3 avril 2014 « relatif aux compétences de la Communauté française dont l'exercice est transféré à la Région wallonne et à la Commission communautaire française », article 3, 6°, du décret de la Commission communautaire française du 4 avril 2014 « relatif aux compétences de la Communauté française dont l'exercice est transféré à la Région wallonne et à la Commission communautaire française » et article 3, 6°, du décret de la Région wallonne du 11 avril 2014 « relatif aux compétences de la Communauté française dont l'exercice est transféré à la Région wallonne et à la Commission communautaire française »).
Il en résulte que c'est actuellement à la Communauté flamande, à la Région wallonne, à la Commission communautaire commune, à la Commission communautaire française et à la Communauté germanophone qu'il appartient de définir, chacune pour son aire de compétence, ces normes d'agrément.
B.2.2. Les formalités prévues à l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 s'appliquent aux projets de normes d'agrément.
B.3.1. Parmi les exceptions à la compétence des entités fédérées citées en B.2.1 en matière de « politique de dispensation de soins dans et au dehors des institutions de soins » figure « la législation organique ». En application de l'article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 1°, a), de la loi spéciale
du 8 août 1980, cette matière relève, exception faite pour les coûts d'investissement dans l'infrastructure et les services médicotechniques, de la seule compétence de l'autorité fédérale.
Aux termes des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014, la « législation organique » concerne « les règles de base et les lignes directrices de la politique hospitalière, telles qu'elles sont notamment contenues dans la loi [coordonnée du 10 juillet 2008] sur les hôpitaux [et autres établissements de soins] ». Ces règles de base et lignes directrices « visent à garantir la cohérence minimale qui, par définition, est nécessaire entre la programmation, l'agrément et le financement si l'on veut pouvoir mener des politiques efficaces aux différents niveaux » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, p. 35).
B.3.2. En ce qui concerne la notion de « législation organique », les travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014 mentionnent encore :
« 1) Sont organiques :
a) les caractéristiques de base des :
i) hôpitaux (entre autres pour ce qui concerne les prestations hospitalières, la ventilation sur plusieurs lieux d'établissement, le niveau d'activité minimal), hôpitaux psychiatriques, hôpitaux universitaires;
ii) services hospitaliers, sections, fonctions hospitalières, services médicaux et médicotechniques, programmes de soins et appareils lourds, réseaux et circuits de soins. L'on peut ainsi mentionner des caractéristiques de base qui présentent un lien direct avec la programmation et/ou le financement et qui présentent un caractère structurel (par exemple : les appareils indispensables, la nature des soins dispensés au sein d'un hôpital ou d'un service hospitalier, ou le groupe cible, les effectifs minimaux de personnel);
[…]
f) les implications du respect ou non des règles de base en matière de programmation ou du nombre maximal de services, fonctions, etc., ou des dispositions de la législation organique;
g) les règles générales relatives aux implications du respect ou non des normes d'agrément des services, fonctions, …, ou aux autorisations d'installer des appareils lourds (ceci concerne par exemple la règle ‘ retrait de l'agrément = pas de financement ') » (ibid., pp. 35-36).
B.4.1. Le financement des hôpitaux, de même que les règles relatives à la fixation de la liquidation du budget des moyens financiers des hôpitaux relèvent de l'autorité fédérale. Les
entités fédérées citées en B.2.1 sont toutefois compétentes pour le financement de l'infrastructure et des services médico-techniques, dans le respect des règles de base relatives à la programmation, qui restent de la compétence de l'autorité fédérale (ibid., p. 33).
B.4.2. Les travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014 indiquent :
« Cette compétence [communautaire] englobe les sous-parties A1 et A3 du budget des hôpitaux (BMF). Il s'agit des matières réglées aux articles 9 et 11 de l'arrêté royal du 25 avril 2002 relatif à la fixation et à la liquidation du budget des moyens financiers des hôpitaux, à savoir les charges d'investissement (A1) et les charges d'investissement des services médicotechniques (A3).
Les éléments constitutifs dont le coût est couvert par la sous-partie A1 du budget, sont :
1° l'amortissement des charges de construction;
2° l'amortissement des charges d'équipement et d'appareillage;
3° l'amortissement des charges de gros travaux d'entretien, plus précisément les travaux importants de réparation et d'entretien, périodiques ou non;
4° l'amortissement des travaux de reconditionnement, c'est-à-dire d'importantes transformations qui ne modifient pas la structure du bâtiment — comme, entre autres, la modification de l'affectation des lieux ou le changement de la nature ou de la configuration au sein de la structure existante — et qui ne sont ni de nouvelles constructions ni des extensions de bâtiments existants;
5° l'amortissement des charges d'investissements réalisés dans le cadre du développement durable;
6° l'amortissement des charges de l'achat de matériel roulant;
7° l'amortissement des charges de première installation;
8° les charges financières, c'est-à-dire les charges d'intérêt des emprunts contractés pour le financement des investissements susmentionnés;
9° les frais de pré-exploitation.
Les charges de loyer sont assimilées aux charges d'amortissement.
La sous-partie A3 du budget couvre les charges d'investissement des services médicotechniques et ce, tant pour l'équipement que pour les bâtiments dans lesquels il est installé. Par ‘ services médicotechniques ', l'on entend actuellement : le tomographe à
résonance magnétique avec calculateur électronique intégré, le service de radiothérapie et les scanners à émission de positrons » (ibid., pp. 33-34).
B.5. Conformément à l'article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 1°, c), de la loi spéciale du 8 août 1980, les « règles de base relatives à la programmation » constituent également une exception aux compétences des entités fédérées citées en B.2.1 en matière de « politique de dispensation de soins dans et au dehors des institutions de soins ».
Les « règles de base relatives à la programmation » ont pour objet de déterminer les « nombres maximaux de services hospitaliers, sections, fonctions hospitalières, services médicaux et médico-techniques, programmes de soins et appareils lourds, etc., compte tenu notamment des chiffres de la population, de la structure d'âge, de la morbidité et de la répartition entre entités fédérées, et moyennant un éventuel régime particulier pour les hôpitaux universitaires », étant entendu que « les critères de répartition géographique au sein d'une entité fédérée et d'attribution sont en revanche fixés par les entités fédérées » (ibid., pp. 36-37).
B.6. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 2014, qui a remplacé l'article 5, § 1er, I, de la loi spéciale du 8 août 1980, que la « programmation, l'agrément et le financement » sont trois « instruments politiques » distincts qui doivent être utilisés dans le respect d'une « cohérence minimale », mais qui ne sont « complémentaires [que] dans une certaine mesure », le « financement [devant] reposer sur l'agrément dans le cadre, le cas échéant, de la programmation prévue à cet effet » (ibid., p. 35).
Quant au fond
B.7. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les formalités prescrites par cette disposition sont d'application lorsqu'est adopté tout avant-projet ou proposition de décret, tout amendement à un projet ou proposition de décret, ainsi que tout projet d'arrêté d'une communauté ou, par voie d'extension, de la Commission communautaire commune, de la Commission communautaire française ou de la Région wallonne ayant pour objet de fixer des normes d'agrément des hôpitaux, des services hospitaliers, des programmes
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.044 de soins hospitaliers et des fonctions hospitalières, alors que ces formalités ou des mesures semblables ne sont pas prévues lorsque l'autorité fédérale exerce sa compétence législative ou réglementaire en matière de législation organique, de financement de l'exploitation et des règles de base de la programmation des hôpitaux.
B.8. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.9. Contrairement à ce qu'allègue le Conseil des ministres, les deux catégories de personnes visées dans la question préjudicielle sont comparables.
Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. En l'occurrence, la Cour est invitée à comparer deux catégories d'autorités publiques qui disposent de la compétence de prendre des normes juridiques en matière de politique de santé. Le constat selon lequel, d'une part, le financement des hôpitaux relève principalement de l'autorité fédérale, à l'exception de l'infrastructure et des équipements médico-techniques et, d'autre part, les entités fédérées peuvent contrôler leurs dépenses en n'agréant pas les services et les équipements qu'elles ne souhaiteraient pas financer ne saurait suffire pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de priver de sa substance le contrôle exercé au regard du principe d'égalité et de non- discrimination.
B.10. Les règles répartitrices de compétences, telles qu'elles sont inscrites notamment dans la loi spéciale du 8 août 1980, sont un ensemble complexe de règles qui sont le résultat des accords politiques obtenus dans le cadre des différentes réformes successives de l'État. Ces règles visent à assurer un équilibre entre les intérêts de l'autorité fédérale et des différentes communautés et régions.
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.044 B.11. Il n'appartient pas à la Cour de mettre en question les choix politiques en matière de répartition des compétences entre l'autorité fédérale, les communautés et les régions. Il n'appartient pas non plus, en principe, à la Cour de déterminer les modalités qui doivent accompagner l'exercice d'une compétence déterminée. Cette appréciation appartient au législateur spécial, qui dispose notamment d'un large pouvoir d'appréciation pour arrêter les matières personnalisables, visées à l'article 128, 1er, de la Constitution.
La différence de traitement entre l'autorité fédérale, les communautés et les régions qui découle de l'application des règles répartitrices de compétences n'est pas discriminatoire en soi, même lorsque les compétences respectives de ces autorités portent sur la même matière, en l'espèce la politique de santé. La Cour ne pourrait censurer les choix du législateur spécial que dans la mesure où la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles produirait des effets disproportionnés.
B.12.1. De la même manière que la Cour ne peut pas se prononcer sur l'opportunité du transfert en tant que tel du pouvoir de fixer les normes d'agrément, elle ne peut donc pas non plus se prononcer sur l'opportunité du choix d'accompagner ce transfert de compétence d'une consultation obligatoire de la Cour des comptes et, le cas échéant, d'un droit de codécision conféré aux ministres fédéraux compétents ou au Conseil des ministres. Lors du transfert partiel aux communautés des compétences en matière de politique de santé, le législateur spécial a pu raisonnablement prévoir de telles garanties supplémentaires pour l'autorité fédérale, qui exerçait auparavant les compétences transférées de manière uniforme pour l'ensemble du territoire. C'est d'autant plus le cas que les normes d'agrément édictées au niveau de chacune des communautés pourraient avoir une incidence sur le budget de l'autorité fédérale et sur celui de la sécurité sociale.
B.12.2. Ni la partie requérante devant la juridiction a quo ni le Gouvernement wallon ne démontrent que le choix du législateur spécial de ne pas imposer des formalités analogues lorsque l'autorité fédérale exerce ses compétences en matière de législation organique, de financement des hôpitaux ou de programmation produirait des effets disproportionnés pour les communautés. En effet, la réserve de compétence que l'article 5, § 1er, I, alinéa 1er, 1°, a) à d), de la loi spéciale du 8 août 1980 reconnaît à l'autorité fédérale en matière de politique de santé
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.044 ne l'autorise aucunement à méconnaître le principe de proportionnalité, inhérent à tout exercice de compétence, ou le principe de loyauté fédérale, inscrit à l'article 143, § 1er, de la Constitution.
Il découle de ces principes que, lorsque le législateur fédéral prend des normes en matière de politique de santé, il doit veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l'exercice de leurs compétences par les autres législateurs.
B.13. L'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.044
Décision
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L'article 5, § 1er, I, alinéas 3 à 9, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.