RAPPORT AU ROI
Sire,
L'arrêté royal que nous avons l'honneur de soumettre à la signature de Votre Majesté vise à répondre à une série de problèmes urgents causés par l'arrêt progressif de la vie publique, économique, judiciaire et administrative à la suite des mesures de lutte contre la menace du virus COVID-19.
Article 1er, alinéa 1er
Depuis que les prescriptions de sécurité plus sévères imposées par le Gouvernement et les restrictions de la vie publique et de la liberté de mouvement qui en découlent sont entrées en vigueur, le risque est devenu réel que des actes de procédure requis devant des organes juridictionnels ne puissent pas être accomplis dans les délais. Certes, la force majeure suspend tout délai, mais il est évident qu'il y aura grand débat quant à la question de savoir si les mesures de lutte contre le coronavirus constituent en toutes circonstances pareille forme, a fortiori une forme stricte, de force majeure.
Pour le Conseil d'Etat également, le risque est réel que des actes de procédure ne puissent pas être accomplis dans les délais.
Pour ce motif, il faut éviter des effets juridiques préjudiciables durant toute cette période, ce qui signifie que les délais de forclusion procéduraux qui arrivent à échéance pendant cette période de crise, doivent être prorogés. Cela s'applique également aux délais de forclusion qui font l'objet d'une sanction analogue, comme par exemple l'écartement d'office des débats d'un mémoire tardif.
A l'instar des procédures devant les cours et tribunaux, le présent projet prévoit dès lors une prorogation des délais de trente jours.
Ce délai de trente jours - et donc pas d'un mois comme il est prévu pour les cours et tribunaux - répond aux prescriptions spécifiques en matière de calcul des délais qui s'appliquent au Conseil d'Etat.
Cette prorogation s'applique tant aux délais dans lesquels les parties doivent introduire leur demande - en règle générale respectivement soixante ou trente jours - qu'à ceux dans lesquels les parties doivent déposer leurs mémoires, demander la poursuite de la procédure ou accomplir d'autres actes de procédure (par exemple l'introduction d'une demande en intervention).
Dans l'intérêt de la sécurité juridique, pareille réglementation simple et uniforme, en quelque sorte « forfaitaire », s'impose, parce qu'elle défend au mieux les intérêts juridiques et parce qu'elle offre de ce fait à chacun la possibilité d'agir encore dans un délai raisonnable une fois terminée la période de crise actuelle. Par conséquent, afin d'éviter que, par exemple, le jour où prendra fin la crise soit d'emblée celui où il faudrait agir in extremis, ce qui pourrait être le cas si les délais sont suspendus, il est opté pour la prorogation de trente jours des délais venant à échéance dans la période visée à l'article 1er.
Cette période supplémentaire de trente jours permet aux parties - tant aux particuliers qu'à leurs avocats - et aux instances concernées - comme les greffes - de se concerter et de se réorganiser afin que les significations, notifications, dépôts de mémoires, communications, etc. puissent à nouveau se faire aisément, et ce pour éviter l'apparition d'un « goulet d'étranglement » lors du seul jour qui suit immédiatement la fin de la crise ou au cours d'une brève période consécutive à cet événement.
La réglementation proposée sera sans doute perçue dans certains cas comme généreuse, mais les circonstances actuelles ne permettent pas d'appliquer un dosage « d'apothicaire » pour établir la proportion parfaite ou, le cas échéant, la prorogation pour chacune des nombreuses situations et chacun des délais fixés par la loi séparément.
En outre, cette réglementation poursuit une égalité de traitement des justiciables impliqués dans des procédures devant le juge judiciaire et des acteurs d'une procédure devant le Conseil d'Etat.
La réglementation envisagée rejoint dès lors, rappelons-le, en tous points, sur le fond, celle qui est envisagée pour les cours et tribunaux.
Enfin, conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le fait que des situations différentes doivent être traitées différemment n'empêche pas, si nécessaire, d'appréhender leur diversité en faisant usage de catégories qui ne correspondent à la réalité que de manière simplifiée et approximative.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus perdre de vue qu'il s'agit ici d'une mesure d'urgence, par hypothèse temporaire.
Article 1er, alinéa 2
Il est prévu une exception en ce qui concerne les demandes de suspension d'extrême urgence et les demandes de mesures provisoires d'extrême urgence.
Il s'agit ici en premier lieu des demandes visées à l'article 17, § 4, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973. Il va de soi que ces demandes conservent, également au cours de la période concernée, leur extrême urgence et ne peuvent être reportées.
Il s'agit en l'occurrence également des demandes de suspension et des demandes de mesures provisoires introduites devant le Conseil d'Etat selon la procédure d'extrême urgence, visées aux articles 15 et 47 de la loi du 17 juin 2013 `relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions' et des délais de recours de 15 et 10 jours inscrits aux articles 23, § 3, et 55, § 3, de cette même loi. Pour les marchés et concessions auxquels s'applique l'obligation de standstill prévue à l'article 11 de la loi précitée, la prorogation de ces délais de recours de 15 et 10 jours prévus pour l'introduction d'une requête en suspension d'extrême urgence pourrait également avoir des conséquences graves et empêcher les autorités de conclure un marché ou une concession pendant une période trop longue.
Il ne s'agit donc pas en l'espèce des demandes de suspension « ordinaires » visées à l'article 17, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat. Lorsque pareille demande devient malgré tout extrêmement urgente au cours de la procédure, la procédure en suspension d'extrême urgence visée à l'article 17, § 4, peut être instruite.
L'objectif est de garantir ainsi pendant la période de crise, à tout le moins le traitement de procédures d'extrême urgence.
Article 2
Cette disposition règle la procédure à suivre concernant les demandes de suspension d'extrême urgence et les demandes de mesures provisoires d'extrême urgence visées à l'article 1er, alinéa 2, en ce compris de telles demandes qui auraient déjà été introduites avant le début de la période visée à l'article 1er, alinéa 1er. Il est de règle que ces procédures soient traitées par un président de chambre ou un conseiller d'Etat siégeant seul. Durant la période concernée, elles peuvent être tranchées sans audience publique jusqu'à trente jours après la période de crise, à condition que toutes les parties et l'auditeur aient pu communiquer leur point de vue ou avis.
En pratique, la chambre compétente communique aux parties et au membre de l'auditorat désigné un calendrier, fixé dans la mesure du possible en concertation avec ce membre, pour cette procédure écrite. Les communications réalisées sur la base de ce calendrier se font exclusivement par e-mail, et ce quelle que soit la voie initialement choisie par les parties pour déposer leurs écrits de procédure. La communication par e-mail n'est toutefois pas d'application à l'égard des particuliers qui ne seraient pas en mesure d'utiliser des procédures électroniques. Il faut, en effet, tenir compte du fait qu'un particulier ne disposerait éventuellement pas d'un ordinateur ou d'une connexion internet. Dans le cadre de cette procédure écrite, la chambre compétente communiquera aux parties la ou les adresse(s) e-mail qu'il convient d'utiliser. Il est également renvoyé aux articles 4 et 5, ci-après.
Si les circonstances l'exigent, il peut être fait application de l'article 16, § 2, alinéa 3, de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'Etat : le président peut convoquer par ordonnance les parties ainsi que les personnes ayant intérêt à la solution de l'affaire, éventuellement à son hôtel, à l'heure indiquée par lui, même les jours de fête et de jour en jour ou d'heure à heure.
Article 3
A l'instar des cours et tribunaux du pouvoir judiciaire et afin de garantir la continuité de l'administration de la justice de droit public, une disposition doit également être prévue en vue d'autoriser le Conseil d'Etat, pendant la période concernée, à rendre des arrêts sans audience publique dans d'autres procédures que celles mentionnées à l'article 1er, alinéa 2. Dans ce cas, il est nécessaire soit que les parties aient formulé une telle demande soit qu'elles aient accepté une proposition faite en ce sens par la chambre compétente. Le membre de l'auditorat désigné doit formuler son avis par écrit dès lors qu'une audience n'est pas organisée.
En effet, s'il est vrai que les procédures devant le Conseil d'Etat - autres que celles visées à l'article 1er, alinéa 2 - sont en principe écrites, il n'en reste pas moins qu'elles contiennent toujours l'obligation de tenir également une audience publique.
Dès lors que dans certaines affaires, les points de vue ne pourront peut-être uniquement être échangés que juste avant l'expiration de la période visée, il faut prévoir la possibilité que l'arrêt proprement dit ne pourra être prononcé qu'après l'expiration de cette période, mais dans une période limitée à soixante jours.
Article 4
Les parties conservent les possibilités existantes d'introduire leurs actes de procédure par un envoi recommandé ou par la procédure électronique prévue à l'article 85bis de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. Durant la période concernée, il semble toutefois nécessaire de leur permettre de faire face à d'éventuelles difficultés matérielles et pratiques dans les affaires visées aux articles 2 et 3. Il est donc prévu que les parties peuvent envoyer leurs actes de procédure et leurs éventuelles pièces complémentaires à une adresse e-mail prévue à cet effet. Dans toutes les autres affaires, les règles procédurales classiques continuent de s'appliquer, sans exception.
En ce qui concerne le traitement des demandes de suspension d'extrême urgence et des demandes de mesures provisoires d'extrême urgence (voir art. 2), il est rappelé que la chambre compétente communiquera aux parties et au membre de l'auditorat désigné un calendrier pour cette procédure écrite. Les communications réalisées sur la base de ce calendrier se font exclusivement par e-mail, et ce quelle que soit la voie initialement choisie par les parties pour déposer leurs écrits de procédure. La communication par e-mail n'est toutefois pas d'application à l'égard des particuliers qui ne seraient pas en mesure d'utiliser des procédures électroniques. Il faut, en effet, tenir compte du fait qu'un particulier ne disposerait éventuellement pas d'un ordinateur ou d'une connexion internet. Dans le cadre de cette procédure écrite, la chambre compétente communiquera aux parties la ou les adresse(s) e-mail qu'il convient d'utiliser. Il est également renvoyé à l'article 2, ci-avant, et à l'article 5, ci-après.
Article 5
Il est renvoyé au commentaire des articles 1er, alinéa 2, 2 et 4, ci-avant.
En communiquant par voie électronique, le plus souvent par courrier électronique, le Conseil d'Etat simplifie la tâche du greffe et des greffiers pour toutes les notifications et communications faites aux parties. Une exception est expressément prévue pour les particuliers qui auraient fait le choix d'utiliser l'envoi recommandé et qui ne seraient pas en mesure d'utiliser des procédures électroniques.
Cela permet également aux magistrats, aux greffiers et aux membres du personnel de travailler à domicile.
J'ai l'honneur d'être,
Sire,
de Votre Majesté
le très respectueux et très fidèle serviteur,
Le Ministre de la Sécurité et de l'Intérieur,
P. DE CREM
21 AVRIL 2020. - Arrêté royal n° 12 concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d'Etat et la procédure écrite
PHILIPPE, Roi des Belges,
A tous, présents et à venir, Salut.
Vu la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du virus COVID-19 (I), les articles 2, 3, § 1er, et 4, alinéa 1er;
Vu l'avis 67.182/1-2 du Conseil d'Etat, donné le 4 avril 2020 en application de l'article 4, alinéa 1er, de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (I);
Vu l'avis de l'Inspection des Finances, donné le 17 avril 2020 ;
Vu l'accord du Ministre du Budget, du 17 avril 2020 ;
Considérant l'extrême urgence de répondre aussi vite que possible aux difficultés de fonctionnement de la vie publique, économique, judiciaire et administrative à la suite des mesures de lutte contre la propagation du virus COVID-19;
Sur la proposition du Ministre de la Sécurité et de l'Intérieur et de l'avis de Nos Ministres qui en ont délibéré en Conseil,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. 1er.
Sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes, les délais, applicables à l'introduction et au traitement des procédures devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, qui arrivent à échéance pendant la période s'étendant du 9 avril 2020 au 3 mai 2020 inclus, date ultime que le Roi peut adapter par arrêté délibéré en Conseil des ministres, et dont l'expiration peut ou pourrait entraîner la forclusion ou une autre sanction à défaut de traitement dans les délais, sont prolongés de plein droit de trente jours à l'issue de cette période prolongée s'il échet.
L'alinéa 1er ne s'applique pas aux demandes de suspension d'extrême urgence et aux demandes de mesures provisoires d'extrême urgence introduites au cours de la période visée à l'alinéa 1er.
Art. 2.
Le Conseil d'Etat peut, par dérogation à des dispositions contraires, pendant la période prévue à l'article 1 er, alinéa 1 er, traiter les demandes de suspension d'extrême urgence et les demandes de mesures provisoires d'extrême urgence et rendre des arrêts sans audience publique, après que toutes les parties ont pu formuler leurs observations par écrit, et que le membre de l'auditorat chargé par l'auditeur général d'instruire l'affaire a rendu son avis de cette même manière, et ce jusque trente jours après l'expiration de cette période.
L'alinéa précité ne fait pas obstacle à la possibilité prévue à l'article 16, § 2, alinéa 3, de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'Etat.
Art. 3.
Pour les autres demandes et recours que ceux visés à l'article 2, pendant la période visée à l'article 1 er, le Conseil d'Etat peut, si toutes les parties en font la demande ou marquent leur accord, statuer sans audience publique après que l'auditeur rapporteur a donné son avis écrit, et ce jusque soixante jours après l'expiration de cette période.
Art. 4.
Durant la période visée à l'article 1 er, les parties peuvent, dans les cas visés aux articles 2 et 3, envoyer leurs actes de procédure et leurs pièces complémentaires à l'adresse e-mail urgent@raadvst-consetat.be ou à toute autre adresse e-mail qui leur serait communiquée par la chambre compétente.
Art. 5.
Durant la période visée à l'article 1 er, toutes les notifications et communications du Conseil d'Etat sont faites par la voie électronique, sauf en ce qui concerne les particuliers qui ne peuvent pas utiliser des procédures électroniques.
Art. 6.
Le présent arrêté produit ses effets le 9 avril 2020.
Art. 7.
Le ministre qui a l'Intérieur dans ses attributions est chargé de l'exécution du présent arrêté.
PHILIPPE
Par le Roi :
Le Ministre de la Sécurité et de l'Intérieur
P. DE CREM